Chevalier, mais pas trop ...
Disclaimer : cf. chapitre 1
CHAPITRE 54
ALLO MAMAN ? ICI BEBES
« SUPERFECONDATION ». C’est rare, à peine douze cas dans le monde par an, mais cela fit la joie des Gémeaux.
Iris ne pouvait non seulement pas se soigner avec ses propres pouvoirs mais en plus, il lui était impossible de se « scanner ». Elle dut se rendre comme toute mortelle chez l’obstétricien mais à reculons. Qu’un autre homme mette son visage entre ses cuisses la rebutait énormément. Elle se débrouilla pour que le spécialiste fût une femme. Pour lui donner plus de courage, les jumeaux l’accompagnèrent. Inutile de dire que cela attisa la curiosité des patientes dans la salle d’attente ainsi que du personnel médical.
Habillés de façon plus conventionnelle, le trio débarqua dans un cabinet situé en plein centre d’Athènes pour le premier rendez-vous à onze semaines puisqu’Iris avait raté le premier à huit. La jeune femme avait commencé à éprouver les premiers désagréments d’une silhouette qui enfle. Elle avait fermé le bouton de son jean à grand peine. La praticienne invita la primipare à enfiler une blouse pour faciliter les examens. L’échographie fut attendue fébrilement. Lorsqu’elle mit le son, ce fut nettement plus parlant.
— Vous entendez ? laissa planer le docteur.
Tout le monde pouvait entendre clairement des pulsations, ou plutôt des bruits de rejet de liquide. En somme, des battements de cœur. Pour la première fois, Iris était émue.
— Ecoutez mieux.
A nouveau, le trio tendit l’oreille alors que la praticienne promenait son appareil sur le ventre enduit de gel. Puis elle s’arrêta. Que fallait-il entendre ? Etait-ce une anomalie ? Les battements se chevauchaient et semblaient anarchiques.
— Je trouve, répondit Iris, que c’est un peu le bazar là-dedans. Il y a trop de bruit.
— Normal qu’il y ait trop de bruit puisqu’il y a trop de monde ! Deux battements de cœurs. Félicitations, madame ! Vous attendez des jumeaux. Dans trois semaines, vous pourrez connaître le sexe.
— Kanon ! Tu te rends compte ? Des jumeaux ! Comme nous !
Les deux hommes tombèrent dans les bras l’un de l’autre et embrassèrent Iris chacun sur une joue. La retenue était de mise car la polyandrie était peu voire pas du tout connue et acceptée. La praticienne ne put savoir qui était le père. De retour à la maison, ce fut une célébration qu’Iris fit bien vite retomber.
— Je ne voudrais pas casser l’ambiance mais j’aimerais quand même savoir qui est le père. Certaines personnes trouvent que nous menons une vie dissolue ; aussi, il serait bon que les enfants sachent qui appeler « papa » et « tonton ».
— Tu es vraiment rabat-joie ! Chacun aura son papa !
— Je parle sérieusement, Kanon. On a déjà évoqué le sujet. Les enfants ont le droit de savoir. On n’est pas dans une secte ! Je sais que vous êtes ravis de tout partager mais il y a des inconditionnels.
— On va faire un test, alors. Je te promets qu’on ne va pas se faire la guerre.
Iris s’occupa des démarches pour le test de paternité. Quand elle reçut le document, elle n’en croyait pas ses yeux. Il devait y avoir une erreur. Rendez-vous fut pris auprès de sa gynécologue qui lut le courrier avec attention.
— J’avoue que c’est la première fois que je tombe sur un cas pareil mais les tests sont fiables. Il s’agit d’une superfécondation. Pour faire simple, en temps normal, il faut un ovule pour un ou plusieurs spermatozoïdes. Dans votre cas, ce sont deux ovules avec deux ADN masculins différents. Les fœtus vont avoir un même placenta ou pas, un même liquide amniotique ou pas … En somme, vos jumeaux peuvent être demi-frères.
« Et demi-cousins » pensa Iris. Mais elle ignorait si les paroles du docteur étaient une critique ou une simple envie de son mode de vie intime. Toujours est-il que voir ses mœurs amoureuses exposées ainsi était dérangeant. Les citadins n’étaient peut-être pas aussi ouverts d’esprit et tolérants que les béotiens de la campagne. Mais le plus dérangeant était la date du terme : 6 juin. Zut ! Il ferait chaud ! Et comme un ultime clin d’œil à leurs glorieux paternels, ils seraient aussi Gémeaux. Ce détail n’échappa pas à Shion qui quitta le palais pour se rendre chez les trois chevaliers. Mais l’ex Grand Pope qui avait repris ses fonctions était venu accompagné de son successeur.
— Aioros ?
— Bonjour Sa … Kan … Pfouh … Je n’aurais jamais imaginé combien il serait désormais difficile de vous différencier.
— Tu me déçois, s’indigna faussement Saga qui croisait les bras sur sa poitrine, même si on a été toutes ces années côte à côte.
— C’est pour ça que je suis admiratif devant les facultés d’Iris.
— Elle ne va pas tarder à arriver d’ailleurs. Mais entrez.
Aioros et Shion entrèrent dans la demeure et prirent place à table. Au passage, ils saluèrent Kanon transformé en cuisinier. Il fallait le voir pour le croire. Le renégat, le complotiste, devant les fourneaux !
— Vous restez manger ? Il y en a bien assez ! Iris a un appétit décuplé. S’il y en a pour cinq, il y en a pour sept.
— C’est vraiment par curiosité, déclara Shion.
— Je suppose que ce n’est pas pour noter les talents culinaires de mon frère que vous vous êtes déplacés jusqu’ici, surtout habillé comme tu l’es, Aioros.
En effet, ce dernier avait revêtu la longue robe noire de la fonction, avec la ceinture rouge, quand Shion arborait la même en blanc. C’était plus une visite officielle qu’un dîner impromptu. Soudain, Iris se matérialisa sur le perron ; la porte était souvent ouverte en pleine journée.
— Je trouvais ça bizarre, autant de cosmos concentrés au même endroit. Bonsoir tout le monde.
Elle n’échangea aucun baiser avec les jumeaux, même dans le dos des deux hôtes. Mais son petit ventre parlait à sa place.
— Alors ? demanda-t-elle en se débarrassant de sa cape. Qu’est-ce que vous amène ici ?
Shion, d’un subtil coup de menton, désigna le ventre encore petit.
— Je vois, soupira Iris, qui s’assit à la table devenue soudain trop petite. Vous êtes venus nous annoncer la bonne nouvelle que nos bébés sont de futurs chevaliers.
— Oui et non, corrigea Shion.
— Tiens ! fit Saga. Ça me rappelle quelque chose : « Iris ne sera pas vraiment un chevalier. » C’est le même scénario, alors ?
— Non, répliqua Aioros. « Non » pour dire que ce n’est pas « nous » mais seulement « moi » ; Shion n’a plus aucune capacité, je vous le rappelle. Il m’enseigne tout ce qu’il sait mais j’ai tout vu sur le Mont Etoilé.
— Tu vois, Saga, enchaîna Kanon. Dès le départ, la décision de Shion sur le choix de son successeur avait été la bonne. Et pour le « oui » ? termina-t-il après s’être enfin servi.
— Ce seront effectivement de futurs chevaliers, comme leur père, continua Aioros, mais avec une grande différence.
— Tu m’intéresses, s’agita soudainement Iris.
— Je ne sais pas à qui je dois ce miracle, toi Iris ou bien Athéna. On va dire que grâce à l’une et l’autre, la malédiction qui pesait sur les Gémeaux est bel et bien levée.
— Ce qui signifie ? demanda fébrilement Saga qui ne voulait pas se réjouir prématurément.
— Plus besoin de séparer les deux frères, répondit calmement Shion qui posa sa main sur l’épaule de son ancien meurtrier. Plus besoin d’en choisir un pour porter l’armure tandis que l’autre vivrait dans l’anonymat le plus total. Tu vois Iris, même pas besoin de faire passer une réforme.
Inutile de dire que les deux frères s’étreignirent en pleurant comme des madeleines. Enfin ! C’était fini ! Ils pourraient non seulement profiter de leurs enfants mais aussi en faire des chevaliers. Il fallait fêter ça. Kanon sortit une bouteille de liqueur de Mastiha qu’il avait déjà achetée pour la naissance. Là, c’était un avant-goût. Iris fut la seule à ne pas boire.
— Et ironiquement, c’est grâce à ma vie sentimentale que d’aucuns qualifient de dépravée ! Ça me permet de tordre le cou, non, mieux, de donner un sacré coup de pied au cul à la bien pensance. Et Shaïna ? Elle va bien ? C’est pour très vite, non ?
— Dans deux jours, répondit Airos un grand sourire aux lèvres.
Futur Grand Pope et futur papa à la fois. Il avait été subjugué par le courage et la détermination du chevalier d’argent mais aussi touché par son amour à sens unique pour Pégase. La jeune femme avait l’air tellement perdue et fragile malgré son apparence d’Amazone. Et lui, revenu d’entre les morts après presque quinze ans, était aussi perdu. Il y avait eu tellement de changements ! Pas seulement au Sanctuaire, mais partout dans le monde : technologie, politique, sciences … Incroyable la vitesse de ces transformations ! Même son frère cadet avait fini par lui devenir étranger. Il l’avait quitté, malgré lui, quand il n’était encore qu’un enfant ; il le retrouvait adulte et en couple. Le temps passé ne pouvait plus être rattrapé. Par conséquent, ce fut comme une évidence entre Shaïna et Aioros. La jeune femme pouvait enfin faire une croix sur Seiya qui ne l’avait jamais considérée comme autre chose qu’une amie, malgré la disparition de Saori, et un redoutable chevalier. Et pour en ajouter au portrait de son amant, Aioros était devenu Grand Pope.
Shion reprit pince-sans-rire :
— Surtout si ce n’est pas Iris qui s’occupe de l’accouchement.
Cette réplique fit rire tout le monde, même l’accusée.
— Juste une question, risqua Iris. Qu’en est-il de la longévité du Pope ? Je ne me souviens pas avoir eu un moment d’absence pour laisser Athéna lui conférer une espérance de vie plus longue.
— Effectivement, répondit l’intéressé. Je vivrai au même rythme qu’un humain normal et cela me convient parfaitement : je me vois mal enterrer ma descendance. Quant à l’identité masquée, je pense garder la tradition mais uniquement en public et pour les événements officiels, les réunions, les missions. En famille, ce sera Aioros.
Shion acquiesça. Lui se réjouissait de pouvoir retourner à Jamir une fois la passation de fonction effectuée.
— Et toi, Iris ? reprit le Sagittaire. Comment vas-tu faire lors de ton propre accouchement ? Vomir ? T’évanouir ?
C’est fou comme un événement aussi insignifiant avait pu voyager jusqu’au palais de Pope ! Kanon était encore plus redoutable que Milo pour les commérages. Et bien sûr, personne pour redorer son image ! Mais le cadet des Gémeaux prit la parole :
— Avec l’aide de Saga, je saurai gérer.
— Doucement, bonhomme, s’inquiéta la jeune femme. Non seulement on a le temps, mais en plus, je ne suis pas certaine de tes talents d’obstétricien-accoucheur.
— Pour ta gouverne, répondit fièrement Kanon en bombant le torse, sache que j’ai déjà été appelé dix-sept fois par le docteur. Un accouchement a été compliqué mais j’ai bien secondé le médecin. Et je me renseigne également sur les grossesses gémellaires … ce que tu devrais aussi faire.
Tout le monde se regarda muet. Seul Saga affichait un sourire empli de fierté.
— Et tout ça dans mon dos, soupira Iris. Je dois néanmoins te féliciter. D’ici à ce que j’arrive à terme, tu auras encore d’autres occasions pour te faire la main, si je puis dire.
La soirée se finit dans la bonne humeur. Iris fut surprise d’apprendre qu’Aioros avait demandé à Kanon d’aider sa femme à accoucher, il y a quelques mois. Cette dernière était entièrement d’accord puisque la seule femme médecin, enceinte elle aussi était foncièrement incapable d’assurer un tel acte. Et puis un homme allait certainement se montrer plus doux puisque en territoire inconnu. Le côté rassurant et protecteur de l’homme face à la douleur et à la souffrance de la femme.
Le 19, au soir, Kanon ressentit le cosmos d’Aioros s’intensifier. C’était le signal. Il quitta la maison à la vitesse de la lumière pour se retrouver au palais. Aioros l’attendait presque au bord du malaise, en train de faire les cent pas et de se ronger les sangs alors que Shaïna s’était traînée sur le premier lit qu’elle avait trouvé en marchant dans les couloirs quand elle venait de perdre les eaux.
Kanon dicta clairement au personnel ce dont il avait besoin. Il resta très calme. Aioros eut également droit à un rôle : celui de défouloir à sa compagne qui allait immanquablement l’injurier, lui broyer la main, voire lui déchirer son vêtement. Kanon avait déjà pu observer plusieurs de ces réactions sous le coup de la douleur.
Le chevalier officia calmement en face des jambes recouvertes de la parturiente. Même si cela prenait du temps, la situation se présentait bien, sauf pour le Sagittaire dont la tunique était mise à rude épreuve. Au bout de six heures de travail, ce fut enfin l’instant tant attendu. Shaïna aida encore son médecin accoucheur qui s’empara immédiatement du nouveau-né relié à son cordon pour le placer sur la poitrine de sa mère.
— Félicitations ! C’est une fille en bonne santé !
Aioros pleura de joie à l’instar de Shaïna. Kanon tendit une petite paire de ciseaux au jeune papa pour qu’il coupe le cordon puis il s’occupa de la délivrance et demanda à une camériste de nettoyer le bébé. Son rôle était terminé. Quand il s’apprêta à quitter le palais, Aioros le rattrapa.
— Merci infiniment pour ce que tu as fait. Shaïna n’a pas eu à souffrir de complications mais moi, oui ! termina-t-il en levant sa main gauche sur laquelle le Gémeaux put distinguer des traces d’ongles ayant fait couler le sang. Les ongles du Serpentaire étaient redoutables.
— Pas de quoi, se contenta simplement de répondre Kanon.
— Ce sera ton tour d’ici quelques mois. J’ai hâte de voir à quelle sauce Iris va vous manger, se moqua l’autre.
— Inquiète-toi plutôt pour Saga. Il aura double dose. Moi, j’aurai le beau rôle, sourit Kanon.
Et le chevalier s’éclipsa sur ces dernières paroles.
Six mois plus tard, ce fut l’agitation dans la maison de Daphné. Kanon avait bien briefé son frère afin qu’il sache les tâches à effectuer. L’accouchement s’effectua à huis clos parmi les trois chevaliers.
— J’en peux plus, Kanon ! C’est … trop dur ! Tu pourrais pas faire une césarienne ?
— Ça ne servirait plus à rien. Le travail a commencé depuis des heures. Allez, on y est !
Saga, qui n’y entendait rien dans ce domaine, tâchait de soulager Iris soit en l’épongeant, soit en se laissant briser la main.
— « On y est » ?! Tu te fous de moi !
Même malmené, le frère cadet ne perdait pas son calme.
— Je dois avouer que de toutes les parturientes, tu es la moins gérable.
Soudain, Iris se releva en tâchant une énième fois de faire sortir quelque chose. Elle devint écarlate sous le coup de l’effort qui dura plus longtemps que les précédents. Kanon, positionné comme il se devait, sourit, ce qui enjoignit son aîné à encourager la jeune femme.
— Ah ben voilà ! fit-il amusé. Je vois le haut du crâne. Ce serait encore mieux si la tête pouvait sortir.
Iris voyait enfin la fin de son cauchemar. Mais avant cela, il fallait encore donner de sa personne.
— Allez ! fit doucement Saga. Quand le premier sera sorti, ce sera du beurre pour le deuxième.
— C’est bien des remarques d’hommes, ça ! Fais passer un pamplemousse dans un trou de la taille d’un abricot ! T’as déjà accouché ? Non ! Alors ferme-la !
Aussitôt la remontrance effectuée, Iris donna tout ce qu’elle pouvait pour que la tête passe enfin. Non sans mal.
— Ça y est ! La tête ! Mais le bonhomme est incomplet.
— Tu me fais ch…
Pas le temps d’injurier. Iris, après avoir difficilement repris son souffle, poussa une dernière fois et vit Kanon s’agiter un peu plus pour saisir le premier garçon. Il se leva et déposa le nouveau-né sur la poitrine d’Iris. Saga pleurait ; Kanon oublia son rôle de maïeuticien et fit de même. Iris, passablement calmée, se radoucit considérablement.
— Coucou, petit bonhomme ! Dis bonjour à papa et tonton.
Kanon sécha bien vite ses larmes car Iris fit la grimace. La tâche n’était pas encore terminée. Il se repositionna et demanda à Saga de couper le cordon et d’aller le nettoyer. Trop heureux de s’exécuter, Saga quitta les côtés d’Iris, sectionna le cordon et porta le bambin jusqu’à la salle de bain d’où il entendit à nouveau Iris maugréer mais beaucoup moins violemment. Le deuxième allait arriver. Le temps d’emmailloter le bébé, le petit frère arriva quatre minutes plus tard, porté par Kanon. Ce dernier transpirait abondamment et remit à son aîné le petit dernier pour qu’il se voie administrer les mêmes soins. L’échange des poupons eut lieu. Kanon effectua alors la délivrance après avoir déposé le premier bébé dans les bras d’Iris, aux anges. Saga revint avec le second garçon et le plaça dans l’autre bras d’Iris. La jeune femme leva les yeux vers les géniteurs qui pleuraient.
— Que chacun en prenne un. Le temps qu’on sache qui est le fils de qui, ce n’est pas grave si vous les confondez.
Chaque chevalier prit délicatement « son » fils dans ses bras en l’inondant de baisers. Les deux garçons seraient traités et aimés de la même façon. A eux de choisir leur propre destinée.