Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 46 : CONFESSIONS

2819 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 11/09/2024 11:50

Disclaimer : cf. chapitre 1

CHAPITRE 46

CONFESSIONS



 

Le guerrier se dirigea vers la place qui lui avait été assignée. Iris était bouche bée. Et pour cause ! Il était l’exacte réplique de celui qui venait de justifier son retard. C’était son jumeau. Il regarda Iris avant de s’incliner pour la saluer :

 

—  Je me nomme Bud.

—  …

—  Vous allez bien ?

—  Oui … oui. Enchantée. Iris et accessoirement Athéna, répondit l’intéressée en tendant machinalement sa main droite.

 

Bud, surpris par si peu de respect de la part de cette femme pour le protocole, lui rendit néanmoins la politesse en remarquant que son interlocutrice ne le lâchait pas des yeux. Il s’assit tout en soutenant son regard jusqu’à ce que la jeune femme sorte de son état de transe en éclatant de rire, attirant ainsi sur elle toute l’attention des convives. Qu’est-ce que c’était que ce clown que leur envoyait le Sanctuaire ? C’était ça les chevaliers d’or réputés si terribles ? Athéna était bien mal entourée si tous les autres chevaliers étaient du même acabit qu’Iris !

 

—  Veuillez me pardonner, s’excusa poliment Iris en reprenant un ton et une posture plus sérieuse. Mais Bud m’a rappelé le petit bonus que nous avons également au Sanctuaire. C’est amusant de voir que nous avons les mêmes petits secrets. Messieurs, j’aimerais beaucoup m’entretenir avec vous un de ces jours, si vous le voulez bien.

 

Les deux frères se regardèrent, presque inquiets, et demandèrent tacitement la permission à leur souveraine qui acquiesça.

 

—  Je vous rassure, ce n’est rien de dérangeant mais j’aimerais savoir si la gémellité est traitée de la même manière qu’au Sanctuaire, fit-elle avec un ton plus doux et un regard quasi implorant.

 

Que leur voulait vraiment cette femme, ou, aux dernières nouvelles, déesse ? Quoi qu’il en soit, il y avait un problème de jumeaux au Sanctuaire. Le repas arriva enfin ce qui permit à chaque convive de se changer les idées. Certains guerriers se demandaient comment la jeune femme allait réagir face aux plats qui se présentaient. Pas seulement à cause du contenu mais surtout à la façon de manger. Ils pensaient passer un bon moment d’amusement sur les maladresses ou la mine passablement dégoûtée de la réincarnation. Que nenni ! Iris adopta, contre toute attente, un savoir-vivre irréprochable. L’expression dépitée de quelques guerriers qui contrastait avec le fier sourire de Thor n’échappa pas à Iris.

 

—  Je vois à vos mines déconfites que vous vous attendiez à ce que je commette un faux pas et je ne vous en veux absolument pas. Je suis souvent prise pour ce que je ne suis pas, ce qui est réel avantage lors des combats : tromper l’adversaire.

 

Un homme blond mais au teint hâlé s’exprima avec un grand sourire :

 

—  Nous avons été démasqués ! Excuse-nous de nous être montrés méfiants voire moqueurs.

—  Pas de problème. C’est tout à fait inhabituel qu’une Asgardienne devenue chevalier d’or revienne dans son pays d’origine sous l’identité d’Athéna.

—  A ce propos, reprit Hilda …

 

La prêtresse n’avait pas abandonné sa question de départ, si bien que le dîner s’acheva bien avant qu’Iris eut terminé son récit. Etrangement, tout le monde resta pour l’écouter. Sous l’impulsion d’Albéric l’intellectuel, comme il se définissait lui-même, les questions touchèrent la sphère personnelle. Mime, qui semblait écouter d’une oreille détachée, était profondément touchée par l’histoire de la jeune femme. Hilda corrigea les intrusions d’Albéric mais Iris la pria de laisser faire. Comme son parcours était hors norme, il était évident qu’elle suscitait la curiosité.

 

La nuit était tombée bien tôt ; quand on est sur le cercle polaire, les journées ne durent pas. Iris avait épuisé toutes ses réponses en omettant soigneusement son agression car qui sait comment aurait réagi le peuple d’Asgard en apprenant que l’une des leurs avait été violée par un Grec ? Expédition punitive ? Quant aux questions pour les jumeaux, elle les leur poserait chez eux, dans leur maison, ou plutôt palais. Décidément rien à voir avec l’origine sociale des chevaliers d’Athéna : il n’y en avait pas un qui soit issu d’une famille noble, à défaut d’être bourgeoise.

 

Iris rentra dans son modeste chalet après avoir pu tisser des relations véritablement cordiales avec la prêtresse. Il en allait de même avec les guerriers, même les plus sceptiques, et cela, sans qu’Athéna ne manifestât son cosmos. Lorsqu’elle se coucha, elle tenta de s’imaginer la vie au Sanctuaire pendant son absence, surtout entre les deux chevaliers des Gémeaux. Toujours est-il que Saga serait fier, voire rassuré, de savoir que pour une fois, elle avait fait preuve d’énormément de tact et de diplomatie au lieu des sempiternels sarcasmes et ironie.

 

Le lendemain, en début d’après-midi, c’est-à-dire quand le soleil déclinait déjà, Iris se présenta devant la demeure de l’une des plus vieilles familles d’Asgard. Au-dessus de l’énorme porche d’entrée, Iris vit un blason représentant un tigre-sabre. Seules riches familles pouvaient se targuer d’avoir une telle distinction. Elle n’avait qu’une modeste dague en guise d’héritage familial. Lorsqu’elle voulut se saisir de l’énorme anneau métallique pour le cogner contre la porte afin de signaler son arrivée, la porte s’ouvrit. Au lieu de se retrouver face à un domestique comme elle s’y attendait dans ce genre de bâtisse, ce fut l’un des jumeaux qui l’accueillit.

 

—  Bonjour, Bud.

 

Ce dernier la fit entrer mais fut très troublé.

 

—  C’est un coup de chance ou bien tu arrives à nous distinguer ? Au fait, faut-il que je te vouvoie ?

—  Vouvoyer ? Naaaaan, fit-elle en agitant les mains, surtout pas. Ce ne sont pas ces quelques gouttes de sang qui vont faire de moi une sommité ! poursuivit-elle en marchant à côté de son hôte. Tu sais, même l’ancien Grand Pope me tutoie. Je ne sais pas s’il a du mal avec cette nouvelle réincarnation ou s’il me voit encore comme la gamine que j’étais quand il m’a envoyée ici. Et les autres chevaliers d’or… j’ai toujours été à leurs côtés … en bons ou mauvais termes. Ça ne leur a fait ni chaud, ni froid, sauf quand Athéna se manifeste. Je pense qu’ils savent faire la part des choses. Ah ! Bonjour, Syd ! Et pour répondre à ta première question, je sais exactement qui est qui.

—  Tiens donc, reprit l’intéressé qui invita la jeune femme à s’assoir dans un fauteuil moelleux près de l’âtre. Un don d’Athéna ?

 

Iris savait que derrière le ton faussement moqueur du jeune homme se dissimulait la curiosité. Ni marque physique, ni voix différente, ni coupe de cheveux particulière, ni accident qui aurait laissé l’un ou l’autre handicapé, absolument rien ne les différenciait. Alors comment cette femme pouvait savoir ?

 

—  Je dirais que les jumeaux n’ont presque plus de secret pour moi. Vous pourriez porter un masque et un manteau à capuche, que je vous reconnaîtrais même de dos. Des années d’expérience …

—  Ce n’est pas pour vanter tes capacités que tu es venue, mais bien pour savoir comment nous avons été traités, voire entraînés, en tant que guerriers divins jumeaux, fit gravement Bud.

 

Iris hocha la tête en silence puis reprit la conversation :

 

—  Nous avons également des chevaliers jumeaux pour une seule armure. Je vous laisse imaginer la jalousie de l’un par rapport à l’autre et les tragédies qui se sont succédées. L’un vivait dans la lumière alors que l’autre … même moi je ne connaissais pas son existence jusqu’à il y a quelques mois.

 

Iris s’arrêta et considéra les deux frères, assis côte à côte, main dans la main, les yeux dans les yeux, un sourire amer sur leurs lèvres.

 

—  On va te surprendre mais nous avons eu le même traitement bien que, nous disposions chacun de notre armure, commença Syd.

—  Laisse-nous te raconter dans les détails, compléta Bud.

 

A tour de rôle, comme une seule et même voix, les jumeaux racontèrent leur histoire avec leur point de vue, jusqu’à leur combat contre Shun et Ikki et leur ultime réconciliation. Iris faillit verser quelques larmes, surtout en apprenant la loi d’Asgard sur les jumeaux, infiniment plus cruelle que celle du Sanctuaire. Malgré cela, le frère évincé qui détestait le nanti se devait de le protéger. Tout le contraire de Kanon … à l’époque. Là aussi, une réforme s’imposait.

 

—  Et maintenant ? Comme ça se passe entre vous ?

—  Nos retrouvailles sont toutes récentes ; pas de mort à déclarer comme tu le vois, plaisanta Bud.

—  Nous vivons sous le même toit, nous apprenons à mieux nous connaître, à partager nos goûts car notre éducation nous a différenciés. Mais curieusement, nous avons pas mal de points communs.

 

Iris demeura pensive, les bras croisés sur la poitrine. Elle sourit imperceptiblement en pensant à son binôme sous son toit. Elle était déjà rassurée de savoir que sa maison était encore debout quand elle est partie. Ses deux éphèbes apprenaient aussi à mieux se connaître, même s’ils s’étaient vus en secret pendant des années. Elle était optimiste. « Partager ». « Points communs ». Et soudainement :

 

—  Est-ce que vous partageriez la même femme ?

 

Bud se figea tandis que Syd avala son thé de travers et fut saisi d’une quinte de toux.

 

Plus au sud, au Sanctuaire, sous un climat plus clément.

 

Cela faisait deux jours qu’Iris s’était maintenant absentée, laissant sa maison aux mains des deux frères. Ces derniers s’étaient organisés, quasi naturellement, dans la répartition des tâches, sans aucune friction. Iris n’avait pas non plus laissé de plan de route. En plus de l’entretien de la maison, les jumeaux s’entraînaient, ce qui n’avait pas, ou plutôt, jamais été le cas. Ils partageaient aussi d’autres activités.

 

Quand ils déambulaient dans les rues du village, on ne s’étonnait plus du doublon. Mu, Milo et Shaka se réjouissaient de leur rapprochement. Mais Milo voyait bien que cette entente était partiellement due à l’absence d’Iris. Que se passerait-il quand elle reviendrait ? Est-ce que l’un des deux frères, surtout Kanon, allait s’en aller pour laisser le couple tranquille ? Toujours est-il qu’il n’était pas certain que la jeune femme soit partie pour permettre aux deux hommes de se réapproprier leur lien originel mais pour qu’elle puisse aussi faire le point sur ce qu’elle éprouvait. Milo était un fin observateur sous ses airs détachés et blagueurs.

 

Quand Démis/Kanon avait occupé la maison d’Iris, il avait vu son amie se rapprocher subtilement du jumeau sans que ce dernier ne mette le holà. Normal comme réaction. Mais maintenant que tout le monde était revenu, vers lequel des deux frères le cœur de la jeune femme allait pencher ? Saga, son amour de jeunesse, ou Kanon qui avait été à ses côtés pendant des semaines ? Quel dilemme ! Il y aurait forcément un perdant. Mais avec lui, au contraire, la situation était beaucoup plus simple. Quoique … Si cela ne dérangeait pas Iris de le partager avec Camus … Mais avec les jumeaux, ne risquait-on pas une nouvelle guerre sur le même fond de jalousie ? Milo était bien content de ne pas être dans les bottes d’Iris.

 

Le soir, les Gémeaux conversaient soit sur le perron, soit dans l’ancienne chambre d’Iris désormais occupée par Kanon. Le soir même, au départ de la jeune femme, les frères avaient dormi dans le même lit, se faisant face, comme pour reproduire cette fugace époque où ils étaient réunis dans le ventre de leur mère. Ils n’étaient certes plus des enfants, mais ils retrouvaient cette unité et cette quiétude.

 

—  J’ai pensé à quelque chose pour les préparations d’Iris. On pourrait peut-être lui confectionner un carré de verdure pour les plantes médicinales qu’elle utilise, non ? Ça éviterait d’attendre le ravitaillement du continent et la fraîcheur des ingrédients serait assurée.

 

Saga réfléchit et trouva l’idée séduisante mais …

 

—  Ça lui fera du travail en plus. Les cultiver, les sécher, les broyer … Elle s’occupe déjà des préparations …

—  Je n’ai jamais dit que ce serait à Iris de le faire. Je peux très bien m’en occuper. Et peut-être qu’elle me laissera même réaliser ses onguents, baumes et autres crèmes. Je t’assure que ça m’intéresse énormément depuis que je me suis fait transpercer et qu’elle a dépensé toute son énergie pour me soigner.

—  Vu sous cet angle … Mais n’oublie pas qu’elle sera ton professeur et je doute qu’elle ait beaucoup de patience. Si tu souhaites avoir le cerveau vrillé parce que tu as mal compris ses explications … Moi, j’ai déjà servi de cobaye quand elle a commencé à vouloir imiter Daphné. Je te laisse volontiers la place du martyr, s’amusa Saga.

 

L’aîné devait reconnaître qu’il était bon que l’héritage de Daphné ne se perde pas et qu’il se trouve constamment amélioré. Kanon, le manipulateur des dieux, assistant médical ? Pourquoi pas ! Il n’était plus dévoré par l’ambition et la jalousie. Saga se chargerait donc de former les futurs chevaliers des Gémeaux. Il reprit plus gravement.

 

—  Sans transition, quand nous t’avons récupéré, le pêcheur était on ne peut plus surpris de voir ton double. J’ai réalisé qu’il faudrait expliquer la situation.

—  Mais … tu as bien vu que les gens se sont vite habitués à ma présence.

—  C’est pas seulement ça. Je souhaiterais vraiment faire des excuses publiques sur mes agissements en tant qu’usurpateur.

—  Ça veut dire que moi aussi, alors, je dois m’expliquer ? Les gens nous ont regardés bizarrement quand on était ensemble. Je crains qu’ils ne nous ostracisent, ou pire, s’ils apprennent la vérité. Tu sais, tout le monde n’est pas aussi bienveillant qu’Iris.

—  C’est un risque à prendre mais je me sentirais bien mieux. Il y a beaucoup de gens sur cette île qui ont perdu un ou plusieurs proches par ma faute.

 

Kanon réfléchit un moment. C’était une décision lourde de conséquences. L’homme soupira.

 

—  Je te suis. Nous serons livrés à la vindicte populaire ou bien l’un de nous aura des circonstances atténuantes. Tu as raison. Autant jouer carte sur table.

 

Les deux hommes se tapèrent mutuellement l’épaule. Poussé sur le chemin de la vertu, Kanon poursuivit :

 

—  Mais avant cela, je tiens aussi à être franc avec toi. Je ne sais pas si Iris a eu l’occasion de te le dire mais j’ai … j’ai embrassé Iris juste avant mon duel contre Rhadamanthe, lança-t-il abruptement.

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