Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 44 : BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN

5411 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/08/2024 11:44

Disclaimer : cf. chapitre 1

CHAPITRE 44

 

BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN

 

Iris se heurta à nouveau à la porte close de la salle de bain. Cela signifiait que Kanon l’occupait. Ce dernier avait préféré prendre cette précaution quand, dès son retour, il avait été surpris en train de satisfaire ses besoins ; la seconde, c’était pendant sa douche. Iris entrait sans s’annoncer. Il regrettait la période où il incarnait Démis, quand Iris respectait davantage son intimité.

 

A la demande de son aîné qui avait l’aval d’Iris, Kanon demeura dans la maison de la rebouteuse, occupant l’ancienne chambre de la jeune femme qui avait déménagé ses affaires dans celle de Daphné afin de rejoindre Saga. Quelle drôle de cohabitation ! Surtout qu’Iris, qui avait toujours vécu seule, ne fermait jamais les portes, sauf, dorénavant, lorsque Saga et elle se livraient à leurs activités de couple.

 

Si Iris n’éprouvait aucune gêne à voir Kanon nu (normal quand on est le double de son frère) lui, en revanche, lui faisait bien comprendre par son excès de pudeur qu’elle devait faire le distinguo. Leurs cicatrices respectives devaient pourtant bien aider la jeune femme ! Que nenni ! C’était comme si elle avait toujours vécu avec lui, ou plutôt, avec eux. Elle était passée de célibataire à polyandre en à peine trois jours. Quel changement ! Quelle faculté d’adaptation !

 

La maison qui avait été bien vide d’animation pendant des années, reprenait la même effervescence qu’à l’époque où Daphné officiait dans son cabinet. Saga connaissait donc les contraintes et les habitudes de la praticienne. Il se réserva les tâches ménagères et le bricolage si nécessaire. Mais lorsqu’il s’attela à la cuisine pour soulager Iris, cette dernière et Kanon firent la grimace à la première bouchée.

 

—  T’es pas loin de réussir à nous empoisonner ! râla Kanon qui vida prestement son verre d’eau.

—  Je confirme ! l’épaula Iris. Même si visuellement c’était pas terrible, Polydeukès avait le mérite de concocter quelque chose de mangeable. Tu es trèèèèèèèès loin de ton maître.

 

Le chevalier dut admettre sa défaite, mais partiellement. Il tint à terminer sa propre assiette pour bien montrer que ce n’était pas aussi mauvais que ça. Mais rapidement. A la fin, il termina par une bonne rasade d’eau sous le regard incrédule des deux autres.

 

—  Et mauvais perdant avec ça, fit remarquer Iris à Kanon.

—  Naaaaan … Moi je dirais qu’il se mithridatise.

 

Les deux éclatèrent de rire. Saga était heureux de voir que l’ambiance, malgré les dérapages des uns et des autres, était paisible.

 

—  Sans me vanter, reprit Kanon, c’est là qu’on pourra nous distinguer parce que je suis bien supérieur à toi. Laisse-moi m’occuper des repas.

—  Tu sais cuisiner, toi ? s’étouffa Saga.

—  Et bien, même ! renchérit Iris. Il m’a énormément aidée après mon retour du sanctuaire de Poséidon. Regarde ! Je suis toujours vivante !

 

Le regard de Saga passait d’un interlocuteur à l’autre. Même si Kanon n’avait pas partagé autant de temps avec Iris que Saga, les deux étaient vraiment complices.

 

—  Mon cher frère, nos routes ont été totalement différentes. Tu ne m’en voudras donc pas d’avoir un talent de plus. J’ai dû apprendre à subvenir à mes besoins ; et me nourrir faisait partie de mes priorités, même si c’est un repas fait dans la précipitation, comme lors d’un accouchement par exemple, conclut-il en envoyant un sourire des plus moqueurs à Iris.

 

D’admiratif, le regard d’Iris devint d’abord menaçant puis presque implorant. Non ! Il n’allait quand même pas oser, le sale cabot ! Saga observait le changement d’humeur brutal de sa dulcinée et l’échange tacite entre son frère et elle. Que se tramait-il ?

 

—  Un accouchement ? demanda « innocemment » Saga pour rompre le malaise et surtout avide d’informations qui, visiblement, amusaient autant Kanon qu’elles embarrassaient Iris.

 

Ça y est ! La solidarité gémellaire ! « Ces deux-là » ! pesta intérieurement Iris. C’est jamais acquis ! Quelle que soit la situation et malgré leurs désaccords, ils finiront quand même par s’allier. Sûre d’être la risée aux yeux de son amant, elle préféra débarrasser la table et faire la vaisselle pour ne pas affronter deux paires d’yeux hilares.

 

Kanon commença son récit. Par un sursaut d’amour propre, Iris termina le nettoyage et reprit sa place à table. Il valait mieux préparer sa défense ou minimiser ses tares.

 

—  « Je crois que je vais vomir », éclata de rire Kanon en imitant la voix d’une Iris proche du malaise.

 

L’ancien marina eut un mal fou à reprendre le cours de son récit. Il se tenait les flancs tant il avait mal au ventre et était couché sur la table à pleurer de rire. Saga riait aux dépens d’Iris et s’excusa vainement. Iris, elle … ne put que subir. Même si elle avait été franchement dégoûtée par cet épisode, elle ne pouvait pas blâmer l’attitude des deux frères. Au contraire, cela faisait un bien fou de les voir rire ensemble, à gorge déployée, la main de Kanon tapant l’épaule de son frère qui tentait de l’encourager à entrer davantage dans les détails. Kanon releva la tête, laissant voir un visage baigné de larmes qu’il essuyait mais sachant pertinemment qu’il allait repartir de plus belle.

 

—  Pfouh ! s’éventa-t-il très légèrement calmé. Moi, j’étais dans la cuisine à préparer le repas avec nos propres achats et je l’entendais, à côté, défaillir. Je te jure que c’était douloureux de ne pas se ficher d’elle. Heureusement que Maria était là pour me garder un tant soit peu concentré. Mais quand Iris a dû « mettre la main » pour retourner le bébé, j’ai dû sortir en vitesse pour qu’elle ne reconnaisse pas mon rire.

—  Tiens ! Je n’avais même pas remarqué !

—  Mais le summum est à venir, Saga ! Accroche-toi !

 

Kanon ne tenait plus ! Saga le regardait, amusé lui aussi ; Iris était résignée. De toute façon, ça ne valait pas la peine de s’énerver devant un épisode aussi cocasse.

 

—  Une fois l’accouchement effectué, elle est vite sortie dans la rue et a vomi dans le caniveau puis s’est évanouie !

—  Nooon !

 

Saga considéra Iris d’un œil totalement différent. Alors même une bagarreuse, tête de mule et souvent provocatrice était impressionnable à ce point ? Les deux frères rirent comme des gamins, presque dans les bras l’un de l’autre pour calmer leur crise de rire, unis comme jamais. Iris voulait tant que dure cette symbiose.

 

—  Je vais partir quelques jours à Asgard.

 

Interruption immédiate de l’ambiance festive.

 

—  Allez ! râla Kanon, tu ne vas pas bouder dans le froid pour si peu.

—  Désolé, s’excusa Saga, de ta mésaventure mais tu ne vas pas te vexer parce que tu n’as pas tenu le coup face à un bébé ?

—  Détrompez-vous ! Je ne boude pas ! J’assume ce point faible que j’ai récemment découvert. Mais c’est pour nous trois que je m’absente. Ce ne sont que quelques jours. Et puis vous pourrez en profiter pleinement ; vous avez vraiment besoin de vous retrouver, même s’il faut partager le même lit. Faites juste attention aux cancans. Et à Milo ! sourit la jeune femme.

—  Ah ! Ça y est ! Tu prends ton rôle de déesse à cœur ! taquina Kanon. Donc, tu seras en mission diplom… NON ! PAS LE COUSSIN ! poursuivit-il en faisant mine de se protéger derrière son aîné.

 

Iris ne prit pas ombrage de l’allusion à sa réincarnation. Au contraire, elle demeura d’un calme olympien. Toutefois, une aura bien plus impressionnante que la sienne se manifesta. Les deux frères furent saisis de cette manifestation divine et encore plus quand Iris les regarda avec des yeux … verts. Sans réfléchir davantage, ils quittèrent leur chaise pour s’agenouiller respectueusement dans la cuisine. Ils savaient qui se trouvait devant eux.

 

—  Chevaliers, commença Iris dont la voix était toujours identique, je vous propose de tous nous réunir dans le palais du Pope afin d’évoquer l’attribution de certaines fonctions parmi vous. Vous vous êtes tous bien remis de cette bataille et je vous félicite pour le courage et l’abnégation dont vous avez fait preuve. Vous avez largement mérité de vivre normalement sans oublier toutefois votre fonction.

 

Et ce fut tout. Saga et Kanon relevèrent la tête pour voir Iris se masser les tempes tout en les observant.

 

—  Pourquoi vous êtes à genoux ? Non… ne me dites pas que … La vache ! Je ne me souviens de rien ! Qu’est-ce que j’ai dit ? Est-ce que je me suis transformée ?

—  Seule la couleur de tes yeux a changé, répondit calmement Saga. Nous devons tous aller au palais. Et toi aussi afin de nous donner la suite des instructions, je suppose.

 

Dans les dix minutes qui suivirent la convocation, ce ne sont pas douze mais quatorze chevaliers d’or qui se réunirent dans la grande salle, devant un siège vide. En cause : deux Béliers et deux Gémeaux. Iris s’adressa à ces derniers par télépathie afin de ne pas faire d’esclandre devant tous les autres hommes :

 

Que je vous prévienne tout de suite : je ne vivrai pas recluse derrière ce rideau, ni ne réintégrerai le douzième temple ! Je préfère, et de loin, le chalet de mon isoisä. Droit de véto.

 

Saga sourit mais Kanon soupira devant autant d’entêtement. Milo examina leur expression faciale et se planta devant le trio.

 

—  Alors ? Ça se passe bien le ménage à trois ? Vous me semblez réellement épan…

 

Il s’arrêta net et prit sa tête entre ses mains. Il dut même s’agenouiller tellement la douleur était vive.

 

—  Iris ! intimèrent en chœur les jumeaux.

—  Vous voyez ? Je vous l’avais dit qu’il serait à l’origine des cancans !

—  Ce ne sont pas des cancans, protesta Milo qui se releva en regagnant son arrogance légendaire. Je n’ai fait que révéler ce qui met un peu de temps à s’accomplir. Voyez ça comme une prophétie.

 

Puis il rejoignit Camus et Aioria, laissant un trio bouche bée. C’est alors que Shion, en sa qualité d’ancien Pope, prit la parole et se permit de détendre l’atmosphère.

 

—  Nous sommes donc réunis ici sur ordre d’Athéna.

 

Tous les chevaliers regardèrent Iris qui soupira en haussant les épaules.

 

—  C’est une première dans l’histoire du Sanctuaire que tous les chevaliers reviennent vivants. Et pas seulement nous mais également les guerriers divins, les généraux de Poséidon et … les spectres.

 

Ce dernier mot fit frémir les chevaliers qui voyaient se profiler une autre bataille puisque toutes les cartes étaient redistribuées. Murmures d’inquiétude que Shion calma immédiatement :

 

—  Rassurez-vous, il n’y a aucune animosité. Je gage que cela est à mettre sur l’extrême bienveillance d’Athéna.

—  Ne venez pas vous plaindre à moi si on doit à nouveau se battre, coupa Iris. Ce n’est pas moi, la bienveillante, mais l’autre, termina-t-elle en pointant le grand rideau qui masquait l’accès à la statue de la déesse.

—  Tu as toujours autant de mal à accepter ton autre identité ? demanda paternellement l’ancien Bélier qui s’approcha de la jeune femme pour lui mettre ses mains sur les épaules. Je peux comprendre. Tu es déjà passée par tellement d’épreuves, de changements. Mais rassure-toi, je pense que celui-ci sera le moins traumatisant. Toutefois, messieurs et madame, reprit-il avec l’autorité de son rang, ce n’est pas ce qui nous préoccupe aujourd’hui. Ces résurrections et réincarnations sont une excellente nouvelle pour la cohabitation des différentes castes mais nous devons nous pencher sur le fonctionnement du Sanctuaire.

—  Pardon, maître, intervint timidement Mu, mais ne serait-ce pas logique que vous réoccupiez vos fonctions puisque vous êtes également des nôtres ?

 

Tous les chevaliers acquiescèrent. Dokho, l’ami de toujours, hésita un peu. Mais Saga et Aioros, les deux candidats en lice étaient totalement d’accord avec la suggestion de Mu. Même si la fonction était honorable, bien que terriblement pesante, un chevalier d’or pouvait se sentir digne d’avoir l’exclusivité du contact avec Athéna.

 

—  Non, mes amis, j’ai joué mon rôle. J’ai passé énormément de temps à veiller, à l’instar de Dokho aux Cinq Pics, jusqu’à la guerre. De plus, maintenant que je vieillis au même rythme que vous, j’aspire à rester à Jamir.

—  Mais dans ce cas, s’inquiéta Shaka, est-ce que votre successeur reste votre premier choix, Aioros ?

—  Pour te répondre franchement, je suis allé au Mont Etoilé il y a deux jours pour avoir plus d’informations. En consultant le ciel, je ne pouvais lire l’avenir que jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à l’appel d’Athéna. Ce qui signifie que je n’ai plus aucune capacité à part celles d’un chevalier d’or. Donc, aucune idée sur mon successeur ; tout est noir dans mon esprit.

 

Les regards convergèrent vers le candidat initialement choisi.

 

—  Eh ! Oh ! s’affola Aioros qui secoua nerveusement les mains devant lui. S’il n’a rien vu, ça veut dire que je ne suis plus dans la course.

—  Mais, répliqua Saga, moi ça me semble logique que ce soit toi. Et pour tous vous rassurer, non seulement je suis directement en contact avec Athéna, mais j’ai d’autres ambitions avec elle, conclut-il en envoyant une œillade à Iris qui déglutit.

 

Le néant. L’incertitude. D’intenses réflexions pour ne pas laisser le Sanctuaire sans meneur. Chacun analysait la situation avec pondération.

 

—  Et si on demandait directement à Athéna ? s’illumina Milo.

—  Mais tu vas la fer … hmpf.

 

Kanon empêcha in extremis Iris de sortir une insanité en lui collant sa main sur la bouche. Il tint à prévenir le Scorpion en plaisantant :

 

—  Evite de parler d’Athéna devant elle, à moins que tu ne souhaites être mis KO par un oreiller.

 

Seul Saga sourit, saisissant clairement l’allusion. Ah ! Ces jumeaux ! Il fallait vraiment être dans leur monde pour les comprendre.

 

—  Je doute qu’Athéna veuille prendre part au choix du Pope, poursuivit Masque de Mort. Et si on votait ? On est en Grèce, patrie de la démocratie !

—  Pour ta culture, sache que ce pays a aussi connue des périodes de dictature, la plus récente étant celle des colonels dans les années 70, corrigea Camus, le rat de bibliothèque.

 

Le Cancer baissa la tête, dépité, mais tout le monde trouva l’idée fort intéressante. Si la déesse ne se manifestait pas pour nommer le futur patriarche, on l’élirait selon les rites humains. Aldébaran intervint :

 

—  Est-ce qu’il faudra voter à main levée ou à bulletin secret ?

—  Oh, fit Milo déjà lassé. On va se passer de la paperasse, non ?

 

Tout le monde était d’accord pour voter à visage découvert.

 

—  Et qui serait candidat ? demanda Aioria.

 

Il y eut un blanc. Chacun scrutait son voisin. Qui serait le premier à lever la main pour donner l’impulsion. Qui se sentait les épaules pour guider l’humanité et gérer les conflits ? Kanon leva la main.

 

—  Non. C’est juste pour une question. Le nouveau Pope vivra jusqu’à la prochaine guerre sainte, c’est ça ?

—  En temps normal, oui, répondit Shion. Mais comme Hadès, Poséidon et même Odin n’ont pas de revendications belliqueuses, cela m’étonnerait. Mais rien ne nous dit que d’autres dieux ne veulent pas prendre le pouvoir…

 

En gros, le flou le plus total.

 

—  Je veux bien être candidat, lança Shaka.

—  Pareil pour moi, alors, proposa Aioros.

 

Camus s’apprêta à se joindre au binôme quand Milo le retint.

 

—  Ah non ! D’abord l’entraînement en Sibérie, ensuite tes disciples et puis ton décès ! Il n’y a même plus de place pour moi !

—  Milo, nulle part il n’est mentionné que le Pope doit être célibataire. Toutefois, une conduite vertueuse est exigée, précisa Shura.

—  Ouf ! souffla le Scorpion, au moins, je ne risque pas d’être désigné d’office.

 

Tout le monde éclata de rire. Le Taureau leva également la main, même Masque de Mort. Au final, excepté Milo, Shion, Kanon, Saga et Iris, tout le monde se porta candidat ! Il fallait donc choisir celui qui avait été le plus fidèle, ou à défaut, avait fait amende honorable, ou s’était distingué par ses faits de guerre. Pas évident du tout car pratiquement personne n’avait véritablement un casier vierge, sauf peut-être … Aioros. Après tout, c’était lui l’ancien favori. Et puis, tout comme Saga, il avait déjà eu un début de formation. Tout ce temps perdu pour arriver au choix initial. Au moins, cela prouvait que l’on pouvait voter démocratiquement. Aioros accepta mais ne put s’empêcher de poser une question :

 

—  Et si j’avais refusé ?

 

Tout le monde pointa Kanon qui fut des plus surpris. Mu justifia le choix.

 

—  Tu as été le plus prodigieux aux Enfers, tu t’es même sacrifié, tu nous as prouvé que même le pire des hommes pouvait devenir le meilleur …

—  Avec un sacré coup de pouce, termina Kanon et prenant la main d’Iris dans la sienne.

 

Ce détail n’échappa pas au Scorpion. Parlait-il d’Athéna qui voulait le racheter ou bien d’Iris dont il s’était épris ? Car oui, Milo savait que Kanon partageait les mêmes sentiments que son frère. L’évolution de ce trio allait être le plus palpitant des feuilletons. Iris lâcha la main de Kanon pour se planter devant Aioros. Quand ce dernier la regarda, il remarqua immédiatement un changement dans son aura et surtout dans la couleur de ses yeux.

 

—  Athéna, s’agenouilla le Sagittaire immédiatement imité par ses pairs.

—  Chevalier, je te confie les rênes du Sanctuaire et je sais que je pourrai compter sur toi.

 

Iris/Athéna posa sa main droite sur le crâne d’Aioros. On pouvait voir une énergie passer d’une personne à l’autre. Puis tout s’arrêta. Iris secoua la tête et analysa silencieusement la situation. Elle ne se souvenait pas s’être trouvée en face d’un chevalier à genoux.

 

—  C’est pas vrai ! Non mais c’est pas vrai ! Et bien sûr, aucun signe annonciateur ! Ça fait deux fois en même pas deux heures ! J’espère qu’elle va me lâcher quelques jours ! pesta-t-elle en quittant la grande salle en saluant ses confrères.

 

Les jumeaux la rattrapèrent en tentant de lui faire comprendre qu’il n’y avait rien de dérangeant à ce qu’elle change ainsi de personnalité.

 

—  C’est quand même flippant, lança Milo. Tu penses parler à Iris et sans prévenir, elle est investie par la déesse.

—  Mais elle ne connaît pas les mêmes tragiques modifications que Saga, pondéra Aioria.

—  Je suis d’accord mais ses yeux ! Rien que ses yeux, ça me fait de l’effet.

—  Tiens ! Je croyais que c’était autre chose qui te faisait de l’effet ! ironisa Camus.

—  Entièrement d’accord avec Milo, rajouta Masque de Mort, mais pas pour les mêmes raisons. C’est son retour à la normale qui me fait peur, c’est-à-dire son sale caractère.

 

Hilarité générale parmi le restant des chevaliers qui se dispersèrent pour vaquer à nouveau à leurs occupations.

 

—  On a des courses à faire. Vous m’accompagnez ? demanda Kanon en descendant les marches du passage secret.

 

Les deux autres acquiescèrent. Il fallait de toute façon un mulet et Iris se ferait certainement happer pour des séances de soins impromptues. Par conséquent, Saga ne serait pas de trop pour transporter les victuailles pour trois personnes. Mais …

 

—  Les gens vont nous dévisager, émit-il. Non seulement ils m’ont perdu de vue pendant dix ans mais en plus, ils vont avoir un choc en découvrant que tu existais.

—  Voilà pourquoi une réforme s’impose. Je fais entièrement confiance à Aioros, ajouta Iris.

—  Voilà aussi pourquoi les gens doivent savoir sans plus tarder ! Rappelez-vous le pêcheur qui m’a recueilli !

 

Certains maraîchers et poissonniers commençaient à plier leurs étals. Moment idéal pour éviter la cohue mais aussi avoir de bons prix. Toutefois, les regards insistants, malgré l’heure avancée, étaient manifestes. Pour les plus anciens, on se souvenait d’Iris et Saga enfants, puis Saga privé d’Iris, ensuite Iris seule et enfin la jeune femme flanquée d’un homme masqué. Pour les plus jeunes, et surtout les femmes, c’était aussi jour de marché pour les yeux ! Deux hommes, au port altier, accompagnaient le médecin. Beaux et identiques de surcroît ! Saga sentit le poids des regards féminins.

 

—  Kanon, passe devant. On attire un peu trop l’attention. On te rejoindra quand tu paieras.

—  Tu joues les prudes ? Bon … comme tu veux.

 

Saga et Iris restèrent en retrait sans perdre de vue Kanon qui faisait son marché. Saga découvrit une nouvelle facette de son frère. Il était à l’aise avec les gens, leur parlait comme s’il avait toujours fréquenté les lieux, souriait et remerciait la commerçante, qui, le rose aux joues, lui faisait une petite ristourne. Evidemment, pensa Saga, s’il a été capable de manipuler un dieu … Au moins, cette fois, ce sera utile.

 

Si ce n’avait été que la commerçante ! D’autres femmes, jeunes ou bonnes ménagères, panier en main, firent aussi la conversation au seul mâle qui exécutait les tâches ménagères. Kanon leur souriait, riait même et, ô stupeur, se grattait la tête nerveusement suite à des vagues d’éloges, lui aussi avec une légère carnation sur les joues. Saga regarda la scène amusé ; un rapide coup d’œil à Iris lui indiqua qu’elle était crispée.

 

—  Allez viens ! Il est temps de sortir notre joli cœur du guêpier dans lequel il s’est fourré.

—  Mmmm … ça va causer des problèmes par la suite. Ces pimbêches ne savent même pas faire la différence entre vous.

 

Le couple s’approcha pour prendre les sacs et aider Kanon à s’exfiltrer. Des gloussements de surprise et d’admiration retentirent.

 

—  Je rêve ! Ils sont deux ! fit l’une.

—  J’ai encore toutes mes chances alors ! s’extasia une autre.

—  Toi ? Non mais tu t’es regardée ? critiqua une troisième.

—  Et voilà ! Le crépage de chignon va commencer. Bon, moi je vous laisse vous débrouiller, râla Iris qui quitta le ring la première.

—  Attends-nous ! s’affola Kanon. Mesdames …, s’inclina-t-il poliment mais prestement.

—  Mesdemoiselles … suivit Saga qui rattrapa la jeune femme courroucée.

 

Le trajet vers la maison se fit dans un silence glacial. Iris marchait en tête. Kanon décida de briser la glace.

 

—  Tu ne vas quand même pas être jalouse ? Elles étaient courtoises ; je leur ai simplement rendu la politesse.

—  Ouais, ouais, la politesse. Vous allez en profiter pour échanger les rôles. On sait que c’est l’une des farces préférées des jumeaux : jouer de votre ressemblance.

—  Alors là, je suis vexé ! s’énerva Saga qui déposa son sac sur l’évier quand son frère attaquait les préparations. Tu me fais si peu confiance ? A moi et Kanon ? On n’abusera pas ; je ne te tromperai pas.

 

Iris croisa les bras sur la poitrine, soutenant son regard, les sourcils froncés. Ça allait barder ! Et Kanon se trouvait entre les deux belligérants ! Il opta pour le rôle de la plante verte tout en se hâtant dans ses préparatifs.

 

—  Il me semble que tu t’es déjà retrouvé avec plusieurs bécasses dans ton lit, non ?

—  Ah ! Voilà ! On y est ! Je croyais que tout ça c’était du passé ! Tu ne l’as pas aussi bien digéré que tu me l’avais dit !

 

Kanon s’activait. Plus vite il enfournerait son plat, plus vite il les laisserait régler leurs comptes. Il n’avait que faire de leurs problèmes relationnels. Malgré tout, il était prêt à prendre la défense de son frère car il le savait fidèle, envers Iris et Athéna.

 

—  Non, j’avoue ! Et le pire, c’est que tu n’as même pas dit à ces donzelles que tu étais désormais en couple ! Comme si ça t’arrangeait ! Ou alors tu regrettes déjà, tu as honte !

—  Mais pas du tout ! Le moment ne s’y prêtait pas vraiment mais il n’y avait rien de dangereux ! Mais je suis fier d’être à tes côtés, crois-moi !

—  Je mets la minuterie sur trente minutes et après, on passe à table, annonça Kanon en abandonnant le couple, si on a encore une maison !

 

Le frère cadet quitta les lieux à la vitesse de la lumière pour se retrouver plus sûrement au bord de la plage. La quiétude du paysage allait le calmer alors qu’il n’était pas à mettre en cause. C’était nettement plus reposant que les deux autres. Leur première scène de ménage ! Un couple normal, en somme.

 

—  Mais moi aussi je pourrai être jaloux ! Milo traîne toujours dans tes pattes alors que je suis de retour ! Est-ce que tu le remets à sa place ?! Je n’en ai pas l’impression !

—  Il a toujours fait ça ! Depuis qu’on est mômes !

—  C’est un adulte maintenant ! Avec des envies et des allusions plus que graveleuses !

—  Et ? Il n’est jamais passé à l’acte !

—  Et bien moi non plus je ne suis pas passé à l’acte avec les « pimbêches » ! Elles nous ont flattés, c’est tout ! C’est toujours appréciable, non ?! Un jour, quand on sera vieux, chauves, édentés, voutés, arthritiques, on regrettera ce temps béni !

 

Iris ne répondit rien. Saga n’avait rien fait de mal ; à l’instar d’elle avec Milo. De plus, les compliments étaient d’abord adressés à son frère. Iris explosa soudain de rire. Saga était habitué à ses changements d’humeur brutaux. Quant à savoir la raison … La jeune femme se justifia entre deux hoquets.

 

—  Je nous imagine vieux. Moi, voutée, la canne à la main, les seins pendants, sourde à défaut d’être muette !

 

L’image n’était pas glorieuse mais elle avait au moins le mérite d’apaiser la situation et surtout, de les réconcilier. Elle se rapprocha de Saga et prit ses mains dans les siennes.

 

—  Notre première dispute ! Et pas de vaisselle qui vole !

—  On s’est déjà disputés, gamins. Le pire épisode était quand tu ne voulais plus sortir de ta chambre, tu t’en souviens ? Je trouve qu’on s’en est quand même pas mal sortis : la maison tient toujours ! Pas d’attaque en pleine figure.

—  Je suis vraiment désolée de ne pas t’avoir fait confiance alors que tu…

—  Shhh, la fit taire Saga d’un index sur la bouche. Au moins, ça nous aura appris une chose ; il vaut mieux se dire ce qui ne va pas, crever l’abcès au plus vite. C’est comme ça qu’on va renforcer notre confiance mutuelle.

 

Aucune riposte possible puisqu’il l’embrassa. Quand elle reprit son souffle, elle décida de mettre ses conseils en application et de lui parler de l’épisode tabou. Mais, avec un timing que les dieux semblaient prendre plaisir à manipuler aux dépens des humains, la sonnerie du four retentit et une autre voix entra en scène.

 

—  Enfin réconciliés ! Pile poil pour passer à table. Tout ça pour ça !

 

Réconciliés, mais pour combien de temps ? Peut-être que la prochaine fois sera plus musclée. A moins qu’elle ne garde tout cela pour elle afin de conserver cette harmonie ? Quel choix cornélien ! Préserver la paix ou faire preuve d’honnêteté ? Le petit séjour au froid lui mettrait les idées au clair.

 

Iris partit le lendemain matin, après s’être assurée que le seul véritable praticien qui avait voulu s’installer sur l’île n’était pas en congés. Après une étreinte à Kanon et un langoureux baiser à Saga, elle partit, baluchon sur le dos, avec une dernière recommandation :

 

—  Pas d’explosion galactique en cas de querelle ! Du moins, pas ici ! Le Colisée sera plus approprié.

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