Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 38 : L'ABSOLUTION

3055 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/07/2024 15:59

Disclaimer : cf. chapitre 1

CHAPITRE 38

L’ABSOLUTION

 

Alors comme ça, on le trouvait « gentil », « drôle » et il ne faisait « pas peur ». Les mots de la petite lui revenaient sans cesse en tête et il ne put trouver le sommeil immédiatement. La journée fut riche en émotions, hilarantes et aussi touchantes. Que lui arrivait-il ? Il n’y a pas si longtemps encore, il manipulait les dieux. Etait-ce la présence d’Iris qui l’avait fait changer à ce point ? Ou bien s’était-il résigné maintenant que tous ses plans avaient échoué ? Ou était-ce encore le pardon d’Athéna ?

 

Il se leva tôt, comme à l’accoutumée, mais ses yeux le brûlaient ; il n’avait dormi que très peu. La journée promettait d’être longue aujourd’hui ! De plus, en préparant le petit déjeuner, une cuillère lui échappa des mains. Suite au léger claquement métallique sur le sol en bois, Iris ouvrit sa porte et vit le moine ramasser l’ustensile.

 

—   Bonjour, lui dit-il en se relevant.

—   Bonjour à toi. Tu as perdu tes reflexes on dirait.

—   Un petit coup de fatigue, je t’assure.

—   Hmmmm, fit-elle peu convaincue. Ecoute, pourquoi ne profiterais-tu pas de cette journée pour te reposer et aller où bon te semble ? Je peux très bien me débrouiller : pas de courses à faire, ni de ménage.

—   C'est-à-dire que…

—   STOOOP ! ordonna-t-elle quand elle sentit que Démis allait protester. Tu as le droit de prendre une pause. Tu es une bonne nourrice mais Saga ne t’a tout de même pas demandé de faire ce travail jusqu’à ce que mort s’en suive, termina-t-elle avec un clin d’œil.

 

Rahhh ! Ces œillades ! Qu’il était difficile d’y résister, par Athéna ! Soit ! Puisqu’il n’était même plus capable de tenir une petite cuillère, il valait mieux suivre « les conseils » du médecin. Rien ne lui interdisait non plus de la suivre discrètement et de la rencontrer au détour d’une ruelle par le plus grand des « hasards ». Démis céda et Iris sortit pour commencer sa journée.

 

Le moine profita donc de son repos imposé pour flâner. Mais comme il était de nature assez dynamique, une journée d’inactivité équivalait à l’ennui le plus total. Comment passer son temps ? Et comment faire pour qu’Iris soit également contente de la bonne tenue de sa « nounou » ? Simple : faire reluire sa maison de fond en comble, quoi que cette dernière ne soit pas d’une saleté à tomber à la renverse : hygiène médicale oblige. Pas grave : nettoyage, lessive, rangement, jardinage. Ça devrait l’occuper alors qu’il n’avait jamais fait ça de toute sa vie, excepté le strict minimum. Iris serait satisfaite.

 

Une fois résolu, Démis se mit au travail. Il retroussa ses manches et fut très tenté d’enlever son masque. Non. Si jamais quelqu’un passait ou si Iris revenait à l’improviste, il valait mieux le garder sur le visage. Le moine fit donc tout ce qu’il pouvait dans les tâches domestiques : jouer la femme de ménage un jour dans sa vie n’était pas rabaissant du tout. En plus, c’était pour Iris.

 

Iris.

 

Jamais il n’aurait pensé agir pour quelqu’un d’autre que lui-même. Cette femme avait le don de faire ressortir les bons côtés en vous. La voir sourire quand il préparait uniquement le petit déjeuner, converser avec elle avec de l’humour, l’accompagner dans ses emplettes et la décharger, l’attendre dans la pièce principale quand elle fermait son cabinet et lui demander si sa journée n’avait pas été trop prenante. Lui faire plaisir tout simplement.

 

Mais plus il pensait à elle, plus d’autres idées prenaient forme. Pouvoir lui masser les épaules si elle était éreintée sans éprouver de culpabilité, prendre ses mains dans les siennes lorsqu’ils tenaient des conversations plus … intimes, prendre son visage dans ses deux mains, manger enfin face à face, la prendre dans ses bras en cas de coup dur, la regarder s’éveiller quand elle dormait tout contre lui … et moins habillée de préférence, l’entendre murmurer son nom et la sentir passer sa main dans ses cheveux. Caresser son visage, ses mains … son corps.

 

Halte là ! Démis secoua violemment la tête. Il devait chasser ses pensées indignes de son esprit. Mais il devait bien s’avouer qu’il n’était ni plus ni moins amoureux d’elle. Est-ce que c’était effectivement cela qu’on appelait l’amour ? Il n’avait jamais ressenti pareil tourment. C’était à la fois agréable et terriblement douloureux, surtout quand il savait que c’était impossible et non réciproque. Tant pis ! Mais même si l’expérience était brève, il pourrait mourir sans regret.

 

Démis avait achevé son programme. C’était le crépuscule et le ciel était menaçant. Que faire maintenant ? Iris ne voulait absolument pas qu’il se charge du repas ; de plus, elle ne mangeait pas beaucoup le soir. Pourquoi ne pas faire un petit détour par la forêt même s’il commençait à faire sombre en raison de l’épaisse couche de nuages ? Il aurait le temps de retourner à la maison bien avant qu’Iris ne rentre sur les rotules.

 

Il emprunta donc un sentier peu frayé et apprécia l’odeur du sous-bois, le silence et le calme avant la tempête. Cette petite promenade pourrait peut-être lui changer les idées. Perdu dans ses réflexions, il s’enfonçait de plus en plus. Sous ses pieds, craquaient quelques branches légèrement humides ; il frôlait les buissons de sa tunique si bien qu’il fut retenu par quelques pointes bien acérées. Il fut forcé de faire un pas en arrière et de se baisser pour retirer les crocs des incommodantes petites ronces. Il n’eut pas le temps de se redresser complètement qu’il entendit quelque chose fendre l’air et … une atroce douleur fit soudain son apparition dans son flanc gauche.

 

Il baissa la tête pour voir de quoi il s’agissait et ouvrit de grands yeux : une flèche monumentale était fichée dans son abdomen. Bon sang ! Est-ce qu’on le prenait pour du gros gibier ou bien quelqu’un cherchait-il à se venger ? Qui avait bien pu tirer une flèche pareille ? Un titan ? C’était plus un javelot qu’un simple bout de bois. Démis émit un râle et une voix lui répondit en venant dans sa direction.

 

—   OH MON DIEU ! Qu’est-ce que j’ai fait ?! fit un homme de la même taille que le chevalier du taureau, au bord des larmes.

—   Apparemment, répondit Démis sans paniquer, vous m’avez confondu.

—   NON DE NON ! continuait le géant. Je vous emmène tout de suite chez Iris, rajouta-t-il en juchant le moine sur son épaule tout en prenant soin de pas le mettre en contact avec la flèche.

—   Justement, j’allais la voir, soupira Démis qui effectuait un point de compression non loin de sa blessure.

—   Vous allez voir ! Elle est formidable ! dit le géant qui effectuait son chemin à grandes enjambées.

—   Je le sais.

 

La pluie se mit à tomber brutalement. Lorsque les deux hommes arrivèrent chez le médecin, ils étaient aussi trempés que des serpillères mal essorées. La robe de bure de Démis comportait une impressionnante tâche de sang qui ne cessait de grandir. Le chasseur s’inquiéta de plus en plus mais fut surpris de ne pas avoir entendu une seule plainte de l’homme qu’il portait.

 

—   Je me suis demandé l’espace d’un instant si vous n’étiez pas mort. Vous n’avez pas hurlé ni ne vous êtes plaint.

—   Je suppose que c’est le prix que je dois payer pour mes actes … et mes pensées.

 

Iris arriva, déjà en pyjama car assommée par la fatigue, mais étonnée de voir deux personnes dans sa modeste demeure. Immédiatement, elle reconnut Géryon, le chasseur. Ce dernier, en entendant des pas se rapprocher, s’écarta de Démis. Il voulut s’excuser mais Iris ne lui laissa même pas le temps d’ouvrir la bouche quand elle vit que Démis était empalé sur l’une des fameuses flèches du géant.

 

—   Non de dieu ! Démis ! cria la jeune femme.

—   Je suis désolé, Iris ! Je ne voulais pas … c’est … un accident, s’excusa platement le chasseur.

—   Je pense bien, Géryon, se reprit Iris. En quel bois est-elle ?

—   Ben … en sapin.

—   En sapin ?! sursauta Iris qui adopta une mine dégoûtée.

—   Quoi ? se manifesta enfin Démis. Qu’est-ce qu’il y a de si terrible ?

—   Je ne peux pas retirer la flèche, fit calmement le médecin.

—   QUOI ?! s’étrangla le moine.

—   Enfin si, je peux … mais … il faut que je poursuive le mouvement sous peine de te laisser des bouts de bois dans le corps.

 

Grand silence de Démis. Il allait être perforé de part en part. C’est alors que Géryon fit entendre sa voix.

 

—   Iris, c’est pas tout. La pointe …, la pointe est vrillée.

—   Oh bon sang !

—   Quoi encore ?! s’inquiéta Démis.

—   Géryon, coupa Iris. Je te demanderai de sortir et de rentrer chez toi. Je te donnerai des nouvelles de mon ami demain.

—   Tu es sûre que c’ …

—   Rentre chez toi ! ordonna-t-elle.

—   Bien, fit le géant penaud.

 

Il se retourna encore une fois dans la direction du moine agenouillé se tenant à un mur et du médecin qui était debout à ses côtés. Puis il ferma la porte.

 

—   Quel est le problème d’une flèche vrillée ? reprit Démis.

—   La pointe est déséquilibrée pour entrer dans la chair et ne plus en sortir sous peine d’entraîner le retrait des boyaux. Elle tourne sur elle-même et s’entortille dans la chair, annonça doctement Iris.

—   Mais avec tes pouvoirs, ça devrait aller, osa timidement le moine.

 

Iris ne répondit pas. Démis comprit qu’il faudrait procéder normalement. Ce qui signifiait qu’il allait traverser d’atroces souffrances. Iris eut pitié de l’homme.

 

—   Je peux au moins t’anesth…

—   PAS QUESTION ! hurla Démis.

 

Iris en resta sans voix.

 

—   Je veux dire …, reprit-il plus calmement, si c’est le prix que je dois payer, je l’accepte.

—   Je pensais que tu refusais l’anesthésie parce que tu avais peur que je profite de l’occasion pour voir ton visage.

 

Elle entendit un rire contenu.

 

—   Je te fais entièrement confiance. De toute façon, j’avais prévu d’ôter mon masque pendant … l’opération. Tu me retireras cette flèche dans l’obscurité. Comme il n’y a qu’à suivre le mouvement, ça ne devrait pas te poser de problème, termina-t-il en se tenant l’abdomen comme s’il craignait que ses intestins ne s’échappent.

—   Tu es sûr ? s’inquiéta la jeune femme.

—   Ne perds pas de temps, la rappela-t-il à l’ordre.

 

Sur ces derniers mots, Iris courut se nettoyer très méticuleusement les mains et sortit quelques serviettes. L’opération se déroulerait à même le plancher. Malgré la gravité de la situation, Démis restait d’un calme olympien. Il retira, péniblement tout de même, sa tunique avec l’aide d’Iris qui dut déchirer quelques pans de tissu. Avec la faible lueur dispensée par les éclairs qui avaient relayé la pluie, la jeune femme put néanmoins apprécier la carrure de son hôte, n’eut été sans ce « cure-dent » qui venait entacher le tableau.

 

Démis se redressa sur ses genoux ; Iris adopta la même position que lui et s’approcha de l’homme. Elle mit sa main gauche contre l’omoplate du moine et posa très légèrement sa droite sur la flèche. Démis se colla plus sûrement contre la jeune femme, logea sa tête dans le creux de son cou et retira son masque qu’il posa tout à côté de lui. Iris émit encore quelques mots d’encouragement :

 

—   Ce sera douloureux, je ne te le cache pas, mais une fois que la flèche sera retirée, j’utiliserai mes pouvoirs pour cautériser.

 

Démis ne répondit rien. Iris put toutefois sentir sa respiration s’accélérer dans l’anticipation. La main qu’elle faisait reposer sur son omoplate pour le maintenir semblait glisser ; le pauvre commençait à transpirer sous l’effet de la peur et de la douleur. Il fallait commencer.

 

Délicatement mais fermement, Iris empoigna alors la flèche et la poussa pour lui faire continuer sa course à travers le corps du moine. Ce dernier retint un cri mais Iris pouvait déjà sentir couler ses larmes. Elle s’arrêta. Elle était aussi haletante que son patient mais c’était en raison de la gravité de la situation. Il avait refusé une anesthésie – ce qui aurait pourtant grandement facilité les choses – non pas par zèle ou envie de rester conscient – et ça, Iris le savait, mais pour préserver son identité. L’arme était pratiquement sortie.

 

—   Je vais percer la chair et l’extraire totalement maintenant. Je te propose de t’accrocher à moi ; tu peux mordre dans ta tunique, lui proposa-t-elle en lui tendant l’étoffe. Secret médical oblige, même si je vois ton visage par le plus grand des hasards, je ne dirai rien. Saga aurait pu te confirmer mon professionnalisme.

 

Lentement, Démis fit comme Iris le lui avait proposé. Il serra la jeune femme mais ne prit pas de bâillon.

 

—   Tu peux y aller, c’est déjà un premier pas vers mon expiation.

 

Sur son ordre, Iris entreprit de faire traverser la flèche mais le plus rapidement possible. Cela devait être une séance curative et non de torture. Par conséquent, Démis fut surpris de sentir sa chair transpercée une seconde fois mais très rapidement. Iris avait utilisé la vitesse de la lumière. Sur le coup de la douleur, il avait resserré son étreinte autour d’Iris qui se retrouvait entravée dans ses mouvements pour l’extraction totale de la flèche. Le sang coulait abondamment ; les mains d’Iris s’apparentaient davantage à celles d’un boucher. Démis tremblait ; la flèche enfin sortie, sans avoir touché d’organe vital, tomba au sol.

 

—   C’est bon, c’est fini, le rassura-t-elle. Je vais « colmater les brèches ». Tu ne sentiras plus rien. Tu auras juste deux belles cicatrices.

 

Iris plaça ses mains de part et d’autre des deux orifices. Son cosmos se manifesta et Démis ressentit instantanément une douce chaleur sur ses deux blessures. Sa respiration se calma. Comme c’était agréable ! Démis comprenait mieux pourquoi les pratiques de la jeune femme avaient tellement de succès. Elle dégageait une énergie maternelle, rassurante, bienveillante. Il enviait Saga d’avoir connu une telle personne.

 

Mais soudain, Iris sembla à bout de force, et le patient en rémission s’inquiéta. Elle s’affaissait progressivement mais conservait fermement ses mains sur les plaies et le canal tracé par la flèche. C’était à présent Démis qui soutenait le médecin presque inconscient. Son cosmos brillait toujours alors qu’elle s’était totalement écroulée dans le giron de l’homme. Puis, tout s’arrêta. Démis toucha machinalement son abdomen et le bas de son dos. Plus rien à part quelques traces de sang. Et dans tout ce désordre, un médecin K.O.

 

Miraculeusement revigoré, l’homme porta Iris dans sa chambre et lui nettoya soigneusement les mains. Ses vêtements étaient maculés de sang mais hors de question de la changer. C’est au moment où il considéra ses chaussettes rouges qu’il sourit et qu’il déposa un baiser sur son front. Il la recouvrit de son drap et sortit de sa chambre. Il était temps de partir ; une menace planait sur le Sanctuaire et il devait faire ses preuves.

 

Malgré son état, Iris sentit l’indéniable marque d’affection de son hôte. « Je savais que c’était toi et je te pardonne ». Puis elle sombra dans un état entre le sommeil et le coma.


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