Chevalier, mais pas trop ...
Disclaimer : cf. chapitre 1
CHAPITRE 37
QUEL ACCOUCHEMENT !
Deux jours avaient passé.
— Tiens ! s’exclama Iris, je trouvais étrange qu’il ne soit pas encore là !
— Qui ? Quoi ?
Démis eut immédiatement la réponse à sa question quand une tornade bleue échevelée déboula dans la maison sans même frapper à la porte pour annoncer son entrée et encore moins attendre une réponse. Il fut outré du comportement de l’homme qui s’invitait chez Iris comme s’il était chez lui. En plus, il enserra Iris dans une étreinte d’ours et la lâcha aussitôt en réalisant qu’elle souffrait peut-être.
— Par Athéna ! Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux de te revoir !
— Je vois ça Milo.
— Désolé, j’ai pas réfléchi. Tu es blessée ?
— Dans le bas du dos. Merci pour ta sollicitude.
— Les villageois parlent beaucoup entre eux et j’ai su que tu étais à nouveau de retour. Je me suis fait un sang d’encre quand tout le monde était rentré de la dernière bataille sauf toi !
— Tu as aussi dû entendre que je n’étais pas seule, déclara-t-elle en pointant le menton vers Démis qui avait été oublié.
Milo sembla enfin se rendre compte d’une autre présence masculine. Dans sa précipitation il n’avait même pas fait attention à lui. Il le détailla et fronça les sourcils. Iris avait un étranger chez elle ! Et lui, qu’elle connaissait pourtant depuis des années, n’avait pas droit à autant d’attention ! Le chevalier fit profil bas. Iris reprit :
— Démis, je te présente Milo … un chevalier.
— Enchanté, répondit le moine qui tendit une main tremblante.
Milo ne lui serra la main qu’après une petite hésitation. Ce bonhomme ne lui plaisait absolument pas. En plus, il portait un masque. Il le considérait déjà comme un potentiel rival.
— Moi de même, fit-il en cachant son irritation.
Iris sentait le mépris dans la voix du chevalier. Il lui fallait calmer le jeu.
— Milo, je suis prête à parier que tu es également venu ici parce que ta dernière conquête ne t’a pas suffisamment nourri, plaisanta-t-elle.
— Pour une fois, non. Je suis uniquement là pour voir si tout va bien, si tu as besoin de quelque chose.
— Comme tu peux le voir, j’ai tout ce qu’il faut et je suis en pleine forme, sourit-elle en donnant une petite tape sur l’épaule du moine.
Cette dernière action causa un énorme trouble à Milo. Depuis quand était-elle aussi familière avec les étrangers ? Ou alors, elle le connaissait. Mais le Scorpion ne se laissa pas démonter et la provoqua pour bien montrer au nouveau venu que c’était lui le premier, du moins, après Saga.
— Si je comprends bien, tu es ravie d’avoir trouvé quelqu'un qui te rappelle Saga. J’ai toujours su que tu avais un faible pour les hommes qui cachaient leur visage.
— Milo ! s’indigna réellement Iris. Je ne devrais pas me justifier devant toi mais sache que Démis est envoyé par Saga.
— Ah, oui ? fit-il dubitatif en arquant un sourcil.
— Milo, je t’en prie, soupira Iris, prête à tout sauf à se battre, tu n’as rien à craindre de lui.
Démis assistait à l’échange de paroles, sans avoir l’occasion de donner son point de vue.
— Milo, reprit la jeune femme en se massant les tempes, je te demande de cesser tes sarcasmes en présence de mon invité et de te tenir correctement.
— Bah, fit le chevalier en se dirigeant vers la sortie. Un jour où l’autre, tu courras droit dans mes bras. N’oublie pas ce que je t’ai dit avant que tu ne partes pour le sanctuaire sous-marin : je le maintiens. A plus !
Iris soupira de soulagement quand Milo sortit aussi rapidement qu’il était venu en adressant un salut de la main. Le silence régna à nouveau dans la pièce. Démis fut un peu plus rassuré. Mais la possessivité de l’autre chevalier était surprenante. Ce n’était pas ses affaires, mais s’il devait protéger Iris, il fallait également faire attention à ce chevalier et ses manières assez cavalières ; Iris ne semblait pas du tout attirée par lui.
— Excuse-moi de te demander ça mais … vous êtes amis ?
— On est un peu comme frère et sœur.
— Il a l’air assez oppressant.
— T’en fais pas mais ne te laisse surtout pas impressionner par lui. Milo et moi on se connaît depuis qu’on est gamins. Tous les hommes qui se trouvent autour de moi sont des rivaux pour lui. Il n’a jamais pu accepter le fait que je ne sois pas intéressée par lui. C’est un ami, un très bon ami, très serviable, qui m’a soutenue dans les pires moments. Mais un simple ami pour moi, c’est tout.
— Pourtant … il est plutôt bien. Et puis quelqu’un comme lui te défendrait bec et …
— SUFFIT ! tonna-t-elle. Qui es-tu pour me dire ce que je dois faire de ma vie ?!
Iris le fusillait du regard et Démis comprit qu’il était allé un peu trop loin. Ce n’est parce qu’il avait été envoyé par Saga qu’il était pour autant protégé des coups de colère de la jeune femme. Il vit qu’elle avait serré les poings et s’excusa promptement.
— Je suis désolé. Je n’aurais jamais dû me mêler de ce qui ne me regardait pas. Mais en tant qu’homme de religion, le bonheur de mes semblables est important.
— OK. C’est bon, dit-elle en se calmant. Je pars du principe que je n’ai rien entendu. Mais si tu veux mon bonheur, comme tu dis, ne t’immisce plus dans mes affaires. C’est clair ?
— Clair, répondit-il.
Démis se rattrapa toutefois les jours suivants. Levé le premier, il préparait le petit déjeuner mais aussi les autres repas après avoir appris la liste des ingrédients qu’Iris ne supportait pas. Il la secondait également dans certaines tâches domestiques. Il ne s’était pas du tout imposé mais Iris accueillait son aide lorsqu’elle était débordée par les consultations soit à domicile, soit chez le particulier. Cette aide inopinée était terriblement appréciable.
Iris ne doutait pas de l’extrême serviabilité des hommes qui avaient consacré leur vie à Dieu mais tout de même … cet homme-là ! Si pendant les premières minutes elle avait été terriblement méfiante, elle en était venue à l’apprécier et même à rechercher sa présence lorsqu’elle disposait de quelques moments de calme. Bien que curieuse, elle ne lui avait jamais demandé des renseignements sur la vie monacale ; il n’aurait jamais pu y répondre et elle le savait.
Quelquefois, elle éprouvait des difficultés à dormir : savoir cet homme à quelques pas d’elle, qu’il avait probablement enlevé son masque … si elle ne s’était pas retenue, elle aurait déjà fait irruption dans sa chambre pour le voir dormir. Elle était incurable mais elle était sûre que c’était bien lui qui se cachait sous le pseudonyme de Démis.
Les jours passèrent dans une quiétude digne des contes de fée. Au village, on ne s’étonnait plus de voir Iris avec le moine. Ce qui surprenait, voire choquait, était de la voir lui sourire. Depuis quand est-ce que cela ne lui était plus arrivé ? On se réjouissait finalement de son bonheur mais on condamnait secrètement la nature de ce bonheur. Un moine ? Un homme qui avait juré pauvreté, obéissance mais surtout chasteté ! Si Iris avait pu lire dans les pensées, elle aurait bien éclaté de rire. Démis était tout sauf un religieux. Peu offusquée par les cancans, elle laissa parler.
Mais plus les jours passaient et plus elle se rapprochait presque physiquement de Démis. Lorsqu’ Iris frôlait par accident sa tunique dont le capuchon était toujours relevé sur sa tête, ou que Démis lui touchait la main, elle ne pouvait s’empêcher d’avoir le feu aux joues. C’était très étrange comme sensation : cela sentait le danger mais c’était terriblement agréable. Cette envie de le toucher un peu plus volontairement et plus longtemps lui rappelait d’anciens souvenirs. Le baiser avorté de Saga. Elle ressentait les mêmes palpitations au niveau du cœur et les mêmes crampes à l’estomac. Bon sang ! Mais qu’est-ce qui lui arrivait ?
Elle savait qu’elle ne devait pas. Elle savait qu’elle n’en tirerait aucune satisfaction. Elle savait que Démis n’était pas LUI et pourtant … tout les rapprochait. Comment ne pas faire l’amalgame entre un défunt et quelqu’un qui lui « ressemblait » trait pour trait alors qu’elle n’avait jamais vu son visage ? Tout, dans les actions de Démis, même s’il ne semblait ou ne voulait pas connaître Saga, était semblable à ce que faisait l’ancien chevalier des Gémeaux.
Cela avait commencé par les soins, c'est-à-dire les premières minutes où elle était revenue à elle. Son toucher était celui de Saga. Ensuite son attitude : il avait la même carrure que lui, surtout dans ses vêtements amples qui rappelait à Iris la période où Saga avait usurpé l’identité du Pope. Il avait un port quasi altier, noble dans cette robe de bure qui n’était pourtant pas de la meilleure étoffe. Le calme dont il faisait preuve, ses paroles mesurées, sa … sagesse ou sa rédemption. C’était Saga ou du moins quelqu’un qui s’en approchait énormément. Le voir sans son masque n’aurait rien changé à ce qu’elle commençait déjà à éprouver pour lui.
Mais elle était en terrain dangereux et elle ne l’ignorait pas. Si l’apparence était similaire à l’ancien chevalier des Gémeaux, rien ne lui disait qu’intérieurement il avait les mêmes sentiments à son égard. Saga et elle se connaissaient depuis le moment où elle avait poussé son premier cri. Mais comment créer en quelques jours les émois que l’on a mis des années à forger ? Non, c’était de la pure folie. Elle devait se raisonner avant de commettre l’irréparable. Elle estimait pourtant que cet homme éprouvait les mêmes tourments que son prédécesseur. Tout ce qu’elle voulait, c’était l’aider à reprendre la vie du bon pied. Mais malgré ses remontrances internes, Iris fut bien obligée de constater qu’elle était trop faible et trop peu raisonnable.
Un soir, en rentrant d’une journée de consultations bien remplie, la jeune femme tomba nez à nez avec Démis qui était chargé d’un énorme sac contenant quelques denrées alimentaires.
— Quel excellent timing ! Je mangerai un bœuf ! Et tout de suite après le repas, c’est douche et dodo ! Je ne tiens plus !
— Trop de patients ?
— Pas plus que d’habitude. C’étaient surtout des soins pour soulager les douleurs.
— Ça te prend beaucoup d’énergie, c’est ça ?
— Ça va… mais si je soignais un seul chevalier, je serais déjà K.O.
— C’est vrai que je n’ai jamais vu tes collègues dans ton cabinet, pondéra-t-il. Normalement, tu ne devrais pas faire de distinction entre les patients.
— Je n’en fais pas ! Ils savent juste ce qui risque de m’arriver. Les concernant, il leur faut des remèdes plus conv…
Elle fut interrompue par le cri d’une enfant les rattrapant.
— Iris ! la petite s’arrêta essoufflée. Vite ! Maman …
— Rentre Démis, je n’en aurai pas pour longtemps.
— Maman va accoucher ! La sage-femme est sur le continent !
Iris blémit alors que sa carnation était déjà très pâle.
— Je … je… mais je ne sais pas faire ça !
— Elle a très mal ! gémit l’enfant.
— Mais je…
— Vas-y, Iris ! Tu peux au moins soulager ses douleurs.
Iris lança un regard horrifié à l’homme masqué. C’était bien au-delà de ses compétences. Daphné avait déjà procédé à plusieurs accouchements mais pas elle. La jeune femme resta pétrifiée sur place.
— Je ne veux pas que maman meure ! sanglota la petite.
Cela parut secouer Iris mais Démis prit immédiatement les choses en main. Il s’adressa à Iris d’un ton qu’elle ne lui avait jamais connu.
— Allez ! On y va ! Et ne discute pas !
De sa main libre, le moine attrapa le chevalier par le bras et le binôme suivit la fillette. Iris se laissa traîner. Arrivés dans la maison de la parturiente, Démis déposa son paquet sur l’évier tandis que la petite tira Iris dans la chambre où la future mère était allongée perpendiculairement sur son lit, son mari à ses côtés. Linges et bassines d’eau avaient déjà été préparés. Iris tremblait.
— Merci d’être venue aussi vite, soupira le mari. Elle est à bout. Elle a perdu les eaux, le travail a commencé depuis plusieurs heures mais le bébé ne veut pas sortir. J’ai peur pour le petit.
« Travail » ? « Eaux » ? C’est si grave que ça de ne rien voir venir ? Iris savait qu’un accouchement normal ne durait pas quelques minutes. Mais elle était vraiment incompétente. Autant demander à un boucher de faire du pain ! Iris suait autant que la mère. Elle se retourna et vit Démis dans la cuisine lever un pouce en guise d’encouragement. Bon sang qu’il faisait chaud dans cette pièce alors que la fenêtre était grande ouverte. Iris inspira un grand coup et retira sa cape pour s’approcher péniblement de la femme baignant dans sa sueur. Cette dernière la regardait tel son sauveur, épongée par son époux qui lui tenait la main. Soudain, la voix de Démis résonna dans l’autre pièce.
— Je vais utiliser votre cuisine et préparer le repas puisque vous êtes tous occupés. La petite va m’aider.
Tu parles d’un soutien ! Rien de tel pour décontracter l’atmosphère ! Mais il fallait agir et Iris déclara piteusement :
— Je n’ai jamais pratiqué d’accouchement. Je peux vous soulager mais il faudra me guider. Vous vous y connaissez puisque c’est votre deuxième enfant.
La femme, loin d’être apeurée, lui sourit péniblement. Les rôles étaient totalement inversés.
— Tu vas y arriver !
Iris se mit donc à genoux devant les jambes complètement écartées de la femme à peine couverte devant elle. Quelle vue ! Iris roula les yeux au ciel. Finalement, Démis avait bien fait de rester à côté et de garder la petite dans un souci d’intimité. Iris pouvait même entendre converser le moine et la petite sur le choix du repas. Elle se reprit et étendit sa main sur le ventre distendu pour l’irradier de son énergie. Le résultat fut immédiat.
— Qu’est-ce que ça fait du bien, soupira la mère qui se calma aussitôt. C’est bien mieux qu’une péridurale.
— Si vous le dites … Essayez de pousser maintenant que vous allez mieux.
Elle essaya. Elle poussa. Les veines de son cou et de son front étaient saillantes. Son visage et son corps rougissaient sous l’effort. Elle s’était légèrement relevée pour aider à l’expulsion puis retomba à nouveau sur le dos, pantelante. Iris se retrouvait face au col béant mais duquel rien ne sortait. Elle continuait à administrer son soin palliatif. La parturiente reprit :
— Je vais essayer une dernière fois. Si rien ne sort, tu devras faire une césarienne. Je sais que je ne sentirai rien grâce à toi.
« Césarienne ». Ce mot-là, elle le connaissait. Mais la perspective d’inciser le bas du ventre ne l’enchantait pas du tout. Elle imagina la scène et mit sa main libre devant la bouche, ce qui fit rire, malgré elle, l’autre femme. Ces contractions involontaires eurent un effet inespéré.
— Je crois que ça va aller …
Et elle poussa à nouveau. Iris vit enfin quelque chose sortir. Ce fut un pied. Et ça, malgré le manque flagrant de connaissances qu’elle avait, ce n’était pas normal. Elle en fit part à l’autre femme.
— C’est le pied qui est sorti, pas la tête.
— Alors … alors retourne-le ! Mets-le dans la bonne position.
— Mais comment ?! paniqua Iris.
Et là, le mari sur les nerfs intervint et rudoya l’auxiliaire.
— Mais avec ta main, bon sang ! Remets le pied dans la poche et introduis ta main pour retourner le petit. C’est pas possible ! Jamais je n’aurais cru devoir dire ce genre de choses !
Iris le regarda ahurie. De blême, elle devint verte.
— Je crois que je vais vomir ! C’est pas possible ! Je vais tout rendre ! pleurnicha le chevalier.
— Allez, Iris ! Tu me soulages déjà incroyablement ! Inspire un grand coup et puis vas-y ! C’est la vie du bébé qui est en jeu !
— Bon dieu de bon dieu de bon dieu !
— Et garde les yeux ouverts ! ricana Démis qui ne perdait rien de la conversation tout en faisant mijoter le repas.
C’est vrai : le bébé ! Iris tendit la main vers le minuscule pied qu’elle repoussa délicatement dans son cocon. Elle poursuivit ensuite plus en profondeur en arborant franchement une mine de dégoût. Elle était à deux doigts de pleurer mais elle sentit nettement le petit corps : ses pieds, son ventre, ses bras et enfin sa tête.
— Bon sang, j’espère que je vais pas y être jusqu’à l’épaule. J’en suis déjà à l’avant-bras !
— Arrête de pleurnicher ! tonna Démis. Manipule-le doucement.
— Je voudrais t’y voir, toi ! pesta-t-elle tout en faisant pivoter le bébé.
— Tu râles, c’est bon signe. T’es toujours vivante !
Iris retira enfin sa main souillée et regarda la jeune femme qui, si elle n’avait pas été dans cette situation, se serait tapé les flancs tellement le chevalier d’or était pitoyable et comique.
— Pour un chevalier, tu es vraiment une choch…
Pas le temps de finir les insultes. La femme poussa subitement. Iris se ressaisit. La tête parut enfin. Ouf ! Le reste ne tarderait pas à sortir « tout seul ». Iris prit délicatement la tête du nouveau né dans ses mains. Avec une dernière poussée, il se retrouva complètement à l’air libre dans les bras d’une Iris hagarde, paralysée, malgré le cri perçant du petit.
— Je prends le relais, dit le mari qui prit son fils des bras d’Iris pour le déposer sur la poitrine de la mère.
Il n’y avait plus qu’à couper le cordon et procéder à la délivrance.
— Je peux … je peux sortir ?
— Va t’aérer, fit la mère enfin soulagée.
Il était temps ! Iris eut un haut le cœur. Elle traversa la cuisine à toute vitesse pour se retrouver dans la rue à rendre le peu qu’elle avait encore dans son estomac dans le caniveau.
— Ça y est ? demanda la petite. Je peux voir mon petit frère ?
— Ton papa va déjà t’appeler, répondit Démis. Tu peux me remplacer pour remuer et surveiller ? Je vais voir dans quel état est notre médecin ! sourit l’homme derrière son masque.
Démis trouva la jeune femme à genoux en train de s’essuyer la bouche, le souffle court, les larmes aux yeux.
— Toutes mes félicitations ! Ton premier accouchement ! Et pas des plus faciles !
— Te fiche pas de moi ! C’était … dégoûtant !
Iris se releva en soufflant mais toujours tremblante.
— Pourtant, en tant que chevalier, du sang, tu as dû en voir ?
— C’est pas le sang qui me fait peur ! Mais voir un truc sortir de là ! pointa-t-elle de son index. Un vrai film d’horreur.
— Ce « truc » s’appelle un bébé, corrigea doctement Démis avec humour.
— Sans compter que j’ai dû mettre ma main dans son corps … dans son va…
— IRIS !!
La jeune femme venait de tourner de l’œil. Démis la rattrapa avant qu’elle ne touche le sol.
— Je suis désolé d’interrompre vos réjouissances mais le médecin vient de faire un malaise. Il y a une chambre où je peux la déposer ?
— Attends, je te montre ma chambre. Mon lit est un peu petit pour elle.
Démis allongea la jeune femme du mieux qu’il le put sur le petit lit tandis que la fillette était retournée à son fourneau. Il considéra la jeune femme un moment.
« Arracher le cœur d’une poitrine ne te fait pas sourciller ; mais voir une naissance te paralyse complètement. Tu es vraiment un drôle de personnage. »
Démis reprit sa place pour que la petite puisse enfin voir la tête de son petit frère. Le garçon semblait en bonne santé mais une visite chez un praticien était inévitable.
— Vous resterez bien avec nous si déjà vous avez préparé le repas et avec vos propres courses. Merci de vous être occupé de Maria.
— C’était rien. Elle m’a bien secondé. Il faut voir maintenant dans quel état sera Iris.
Moment de silence puis énorme éclat de rire des trois adultes dans la chambre parentale qui avait un peu repris l’apparence d’une chambre normale.
— En fait, remarqua la mère, c’est en riant que j’ai pu accoucher. La tête d’Iris était absolument impayable, sans vouloir lui manquer de respect. Mais ses pouvoirs de chevaliers ont eu des effets merveilleux. J’étais sûre de mourir tellement je souffrais, et le bébé avec. Il a dû lui aussi ressentir cette énergie apaisante.
— Repose-toi, chérie. Je t’apporte une assiette de soupe. Ce serait dommage de ne pas goûter ce que notre hôte a préparé.
— J’aimerais aussi, fit une voix éraillée et pâteuse, mais je crois que ne pourrais rien avaler.
— Et pourtant, reprit Démis, tu m’as dit que tu mourais de faim.
— Ça, c’était avant LUI, dit-elle en désignant le criminel emmailloté.
— Viens le voir, sourit la mère. Il va te prouver que ça valait la peine. Allez ! Prends-le ! Il ne mord pas à cet âge, tu sais !
— Tu es prodigieusement empotée. Va le voir maintenant qu’il est présentable, railla le moine.
Iris le fusilla du regard et s’exécuta néanmoins. Elle prit la petite chose avec précaution et l’observa. Un nouveau-né, quoi ! Quelques cheveux bien noirs plaqués sur son crâne, une bonne bouille bien ronde.
— Et son petit nom ?
— Nikos, « le vainqueur ».
— Et moi je suis complètement anéantie, conclut-elle en remettant le petit à sa mère.
Iris accepta juste de quoi ne pas entendre son ventre protester pendant que Démis s’isola.
— Dis, Iris, pourquoi il ne mange pas avec nous ?
— Disons que … il porte des cicatrices. Il n’a pas envie de faire peur.
— Mais il ne fait pas peur ; il a été gentil avec nous et puis il est drôle!
Le repas fut vite expédié histoire de laisser la famille profiter de l’heureux événement. Le binôme iconoclaste rentra enfin. Mais sur le trajet, Démis ne put s’empêcher de taquiner encore la jeune femme.
— Je connais au moins un point faible pour te vaincre : un bébé. Mais rassure-toi, je ne dirai pas un mot à tes ennemis.
— Je trouve que tu t’es énormément révélé aujourd’hui. Tu es vraiment sorti de ta coquille. Je ne te savais pas aussi moqueur. Mais sache que moi aussi je connais ton point faible.
— Pardon ? fit Démis dont la panique avait pris le pas sur le sarcasme.
— Mais rassure-toi, je ne dirai pas un mot non plus. Sur ce, bonne nuit !