Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 23 : LE DESTIN EST EN MARCHE

2712 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/04/2024 14:39

Disclaimer : cf. chapitre 1

CHAPITRE 23

LE DESTIN EST EN MARCHE


Fin de l’entraînement. Malgré la fatigue de la journée qui avait commencé sur les chapeaux de roue, à l’angoisse de voir débarquer des gardes ou le Grand Pope lui-même, Saga n’avait rien manifesté qui eût pu engendrer des doutes ou des interrogations de son maître. Il était pressé de retrouver son lit pour rattraper ses heures de sommeil perdues. Polydeukès, lui, ne montrait rien de son excitation quant au dîner prévu avec Daphné. Toujours égal à lui-même. Même si Saga subodorait une soirée « exceptionnelle », le chevalier avait dû se concentrer énormément pour que sa joie ne vienne pas troubler ses leçons. Ou bien, Saga avait-il un autre Polydeukès sous les yeux.

Toujours est-il que Saga avait eu énormément de mal à ne pas regarder la grande horloge du Sanctuaire. Les heures avaient beaucoup de mal à s’écouler. Le pire des sacrifices avait été d’effacer provisoirement le souvenir de son baiser raté. Iris avait dû le trouver ridicule. Elle n’avait pourtant pas laissé transparaître la moindre gêne quand il lui avait parlé de ce qu’il éprouvait pour elle une fois qu’ils étaient à nouveau sur le plancher des vaches. Mais comment rester calme dans ce cas-là ? Comment faisait son maître pour qu’on ne décèle rien chez lui alors que Saga se consumait littéralement pour retrouver Iris? Il revivait les quelques millimètres qui le séparaient des lèvres d’Iris ! Quelle déveine !

—   Malgré ta fatigue, tu as fait du bon travail aujourd’hui.

Saga se contenta de hocher la tête. Est-ce que son maître soupçonnait quelque chose ? Pourquoi se poser la question ? Polydeukès savait tout et lisait en Saga comme dans un livre ouvert. Même pas besoin de mentir ou de minimiser les choses.


—   Profites-en pour prendre un bon bain aux thermes le temps qu’Iris …

Le chevalier s’interrompit brusquement comme foudroyé sur place. Saga en fit tout autant.

 

—   Vous aussi, maître, vous l’avez senti ?

—   Ce cosmos … Iris a littéralement explosé. C’est très mauvais. Vite !


Adieu le bon bain relaxant. Saga et son maître se déplacèrent à la vitesse de la lumière et se retrouvèrent devant la maison de Daphné. Craignant pour la vie de celle à qui il avait maladroitement déclaré sa flamme, Saga se précipita en premier dans la maison. Et ce qu’il vit, le figea. Polydeukès pourtant rompu aux scènes de violence s’arrêta à ses côtés dans le même état. Le chevalier vit d’abord Iris puis son regard balaya nerveusement la pièce pour tomber sur Daphné. Il courut à ses côtés et la releva.

Quant à Saga, il ne bougeait plus. Il ne fit qu’observer Iris qu’il pensait sous l’emprise d’une force inconnue ou d’une puissance maléfique sortir sa main du thorax d’Ixion, avec dans sa main, le cœur encore palpitant du soldat qui s’écroula aussitôt à ses pieds, déversant une quantité impressionnante de sang qui se répandait autour du cadavre. Saga suivit la scène, cloué sur place. Ce n’est que lorsqu’il vit l’organe dans la main de son amie qu’il porta ses mains sur sa bouche et sortit aussi vite qu’il le put en titubant et hoquetant. Il se vida l’estomac à peine la porte franchie.

Saga avait beau s’entraîner physiquement mais cette image digne d’un film d’horreur lui avait retourné le cœur. D’autant plus que c’était une gamine qui avait accompli une telle atrocité ! Que s’était-il passé pour qu’Iris en arrive à une telle extrémité ? L’apprenti chevalier avait pris appui sur le mur suite à sa besogne. Mais à peine s’était-il ressaisi pour entrer à nouveau dans la maison que son maître en sortit, Daphné dans les bras, le regard vide. Polydeukès ne jeta pas un regard à son disciple qui le regarda s’éloigner sans mot dire. Il y avait trop de problèmes à régler. A chacun sa croix.

Saga prit son courage à deux mains et s’approcha d’Iris qui avait conservé sa position initiale. Il lui mit une petite tape sur l’épaule ce qui la fit sortir de sa transe. Au moment où elle revint à elle, elle ne semblait même pas perturbée par ce qu’elle tenait en main ni par la flaque de sang qui souillait ses sandales. Elle considéra le cœur et le laissa tomber nonchalamment à côté du cadavre. Mais lorsqu’elle se retourna pour faire face à Saga, elle éclata en sanglots. Pour sécher ses larmes, elle se frotta le visage avec sa main encore recouverte de sang, tant et si bien qu’elle se barbouilla allègrement le visage.

—   Il l’a tuée, Saga ! Quand je suis rentrée, elle était sur le point de mourir. Tu dois me croire !

Quel tableau ! Son visage était recouvert de sang se mélangeant à ses larmes. On aurait dit des peintures guerrières sacrificielles alors qu’elle clamait son innocence. Saga encore secoué la prit néanmoins dans ses bras en chuchotant :

—   Je te crois … je te crois.

—   Mais Polydeukès doit penser que c’est moi qui…

—   Non ! Non ! … Il sait ce qui s’est passé, assura Saga qui se mit à pleurer. Rappelle-toi ce qu’il a dit : « Ixion vient de signer son arrêt de mort. »

—   Je l’ai pas fait exprès, Saga. Je voulais le frapper mais …, sanglota la fillette, il y a un truc qui s’est déclenché. Ma main est rentrée comme dans du beurre.

—   Ce « truc », je sais ce que c’est. Viens. On sort. On va dans ma cabine. Ça te fera du bien de marcher un peu.

—   J’suis pas une meurtrière, Saga ! se justifia Iris qui prit la main de son ami. J’voulais pas ! Qu’est-ce que je vais devenir maintenant ? demanda-t-elle en commençant à marcher.

Saga ne répondit pas à cette question. Il passa le reste du trajet en silence, sa main dans celle d’Iris. La petite pleurait et reniflait bruyamment. Ce que son amie allait devenir ? Il ne le savait que trop bien. Les paroles de son maître lui revinrent en tête. Iris venait d’enclencher involontairement le processus qui ferait d’elle un chevalier. Elle ne pouvait plus faire marche arrière. Elle allait quitter le Sanctuaire, s’entraîner dans un pays nordique, peut-être même mourir là-bas ! Toute cette vie paisible qu’elle avait connue jusqu’ici, remplie d’affection et d’amour, venait de cesser. Saga lui serra encore plus fortement la main.

Ils arrivèrent enfin dans la chambre de l’adolescent qui fit assoir son amie sur son lit. Saga s’empara d’un linge qu’il trempa dans la bassine qui lui servait habituellement pour une rapide toilette. Il s’agenouilla devant Iris, demeurée la tête basse et entreprit de rendre figure humaine à la petite tout en douceur.

—   Tu t’en es mis partout ! C’est même sec ! Je veux retrouver le visage de ma petite Iris.

Saga procéda méticuleusement. Non pas qu’Iris ait été blessée mais parce qu’elle avait besoin de beaucoup d’attention. Elle était en état de choc car elle perdait tout en une fraction de seconde alors qu’une autre existence, pleine d’inconnues, débutait. Iris se laissait faire, bercée par les caresses de ce décrassage et le bruit de l’eau du linge qu’on essore. Saga termina enfin par la main, innocente, fragile, qui avait été l’outil d’une exécution barbare et sanglante. Quand la toilette fut achevée, il alluma une petite bougie sur sa table de chevet.

—   Allonge-toi. Tu dois être fatiguée. Je vais changer l’eau et me faire un brin de toilette. Tu veux quelque chose à manger ?


Iris secoua la tête.


—   Entendu. Je reviens tout de suite.

Saga sortit et referma la porte de sa chambre derrière lui pour se retrouver dans la pièce principale. Devant l’évier, il vida la bassine et nettoya le linge à grande eau. Tout à coup, il explosa en sanglot mais prit soin de faire le moins de bruit possible, couvert en cela par le jet d’eau qui coulait fortement. Lui aussi finit par craquer. C’était la fin. Tout s’écroulait. Même Polydeukès toujours si détaché était assommé par cette catastrophe. D’ailleurs, où était son maître ?

Saga pleurait en même temps qu’il se lavait le visage. A cause de ses yeux rougis, Iris verrait immédiatement qu’il n’était pas bien non plus. Et puis zut ! Il ne prit même pas le temps de se sécher le visage ni même un fruit pour apaiser sa faim alors qu’il avait tout rendu. Le cœur n’y était vraiment pas ! Saga rejoignit Iris qu’il retrouva telle qu’il l’avait laissée et s’assit à côté d’elle.

—   On ferait mieux de se reposer un peu à défaut de dormir. Je suis là ; n’oublie pas.

Saga souffla sur la bougie qu’il avait à peine allumée et s’étendit sur son lit, attendant qu’Iris fasse de même. Après dix bonnes minutes, Iris s’allongea face à son ami en s’agrippant à sa tunique comme si sa vie en dépendait. Saga l’enlaça comme il put et déposa moult baisers au sommet de son crâne.

—   J’ai peur Saga. Qu’est-ce qui va m’arriver maintenant ? On saura que c’est moi ! On va m’exécuter.


                   La pauvre âme cherchait des réponses et un réconfort que Saga regrettait de ne pouvoir lui procurer. Il tenta néanmoins de calmer la petite en la serrant plus fort.


—   Non ! Personne ne te tuera. Tu as rendu justice, c’est indéniable. Polydeukès va veiller à souligner ce point. On en reparlera aussitôt qu’il sera rentré. Essaie de dormir un peu, maintenant.

—   C’est ma faute ! C’est ma faute si elle est morte ! Si je n’avais pas voulu ces fichues roses…

—   Tu n’y es pour rien. Ixion s’en serait de toute façon pris à Daphné.

—   C’est moi qui ai provoqué sa colère !

 

                   Iris culpabilisait énormément. Toute sa vie, elle porterait ce stigmate.


—   Ce type était dérangé de toute façon ! Un grain de poussière sur la table l’aurait fait sortir de ses gonds. Allez… repose-toi. Tu as besoin… on a tous les deux besoin de sommeil. On verra demain.


                   Mais le lendemain arriva trop vite et trop violemment. Les deux enfants qui venaient à peine de s’assoupir virent débarquer dans la petite pièce quatre gardes armés simplement d’une lance. Ils étaient terrifiés. Mais seule Iris fut entravée. Saga, bien que plus puissant que les quatre hommes pesta vigoureusement en s’agrippant au bras ou à la jambe de l’un ou l’autre.


—   Mon maître va vous faire passer un sale quart d’heure ! Iris est innocente ! Elle n’est pas un assassin.

—   La ferme, gamin ! L’ordre vient du Pope ! Quant à ton maître, on ne sait même pas où il est ! répliqua un garde pendant que deux de ses collègues embarquaient Iris qui se laissait docilement faire, totalement résignée et abattue.


                   Saga se retrouvait à présent tout seul et hébété. Les gardes avaient raison : Polydeukès était invisible. Il n’avait pas remis les pieds dans la cabine depuis qu’il était sorti avec le cadavre de Daphné. Où était-il ? Pourquoi cette absence ? Etait-ce lui qui avait dénoncé Iris ? Saga serra les poings. C’était le scénario le plus plausible qui expliquerait sa disparition …mais tellement impossible. Jamais son maître ne serait vengé ainsi. C’était un exemple de probité et de vertu. Et pourtant … même Iris n’aurait jamais commis ce genre de méfait. Toutes les certitudes de Saga s’écroulaient.

 

—   Puisque c’est comme ça, c’est moi qui me rendrai auprès du Pope ! C’est moi qui plaiderai la cause d’Iris qui n’a fait que punir un violeur et un criminel ! Tant pis pour mon armure !


                   Laissé seul, sans nouvelles de son maître, sans aucune information sur ce qui allait arriver à Iris, Saga passa sa matinée à se rendre sur les sites d’entraînement de ses différents camarades. Il commença par Aioros qui s’occupait de son cadet. Le futur chevalier du Sagittaire était au courant pour le meurtre d’Ixion mais n’avait rien entendu au sujet du maître de son camarade ou même de son amie muette. Il lui fit une accolade en lui promettant de le tenir au courant si une information lui parvenait.

                   

                   Le jeune homme dut se résoudre à contacter Milo. Loin de son arrogance habituelle, le futur Scorpion prit Saga en pitié, surtout que lui aussi était impacté par l’incarcération d’Iris. Ce fut un choc d’apprendre que c’était elle qui s’était débarrassée du soldat. Milo proposa à Saga de l’accompagner, à l’insu de son maître, après son entraînement, jusqu’au palais du Pope pour plaider la cause d’Iris car il savait. Il connaissait le drame qui s’était passé il y a deux ans. Tout le monde était au courant malgré les trésors de discrétion et de travestissement de la vérité. Saga en était retourné car personne n’avait jamais rien laissé transparaître. Il fut également touché par l’altruisme de Milo. Malgré ses sempiternelles provocations, c’était quelqu’un de serviable qui cachait un fond généreux sous des airs désintéressés et égoïstes.


—   Je te remercie, Milo, mais je ne veux pas t’impliquer dans cette histoire. Je suis déjà très heureux que tu aies agi avec Iris comme si de rien n’était.


                   Saga s’en alla le cœur lourd mais bien décidé à obtenir des réponses auprès d’une seule personne. 


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