Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 22 : JUSTICE A ETE RENDUE

4762 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/03/2024 15:19

Discliamer : cf. chapitre 1

CHAPITRE 22

JUSTICE A ETE RENDUE

 

         Par tous les dieux ! Il fallait que ce garde les interrompe et ameute le reste de ses confrères. Saga et Iris restèrent face à face, le bout du nez en contact, refroidis par cette intervention. Ils baissèrent les yeux et se reculèrent comme s’ils avaient été pris sur le point de faire la plus grosse bêtise de leur vie. Du coup, ils n’osaient plus se regarder.

 

—  Ils sont là ! Il n’y a plus qu’à les cueillir !

 

Aïe ! Aïe ! Aïe ! La situation se gâtait. Le petit couple ne fut pas long à regagner ses esprits. Ils se relevèrent. De sa main gauche, Iris saisit son panier et grimpa à la hâte sur le dos que Saga lui présentait. Il fallait faire vite et la seule personne qui pouvait les tirer de ce mauvais pas était bien le futur chevalier. Le cavalier et sa monture avaient rejoint leur point d’arrivée, au bord du précipice, le vide bien visible cette fois, avec les gardes à leurs trousses.

 

—  On n’a pas le choix : il faut sauter.

—  Mais tu es malade ! On va s’écraser !

—  Tu tiens vraiment à ce qu’on se fasse prendre et qu’on comparaisse devant le Pope ? Et la prison ? Tu y as pensé ?

—  

—  Tiens ton panier à l’envers au moment où je m’élance, comme un parachute. Les fleurs devraient rester dedans. Et surtout…

—  « Cramponne-toi bien ! ». Je sais.

—  Arrêtez-les ! Mais … ils ne vont quand même pas …

 

Et si ! Saga se jeta dans le vide. Iris sentit ses entrailles se soulever et la rose glissée dans ses cheveux s’envola. Leurs deux poids additionnés et la hauteur de la chute rendaient quasi improbable une arrivée sans dommage. Quelle idée Iris avait eue !

 

—  Là ! Je vois quelque chose !

 

Un rocher ! Leur salut ! Saga allait pouvoir se réceptionner dessus sans le moindre accroc et continuer le reste de sa descente aussi tranquillement qu’il avait réalisé son ascension. Il tenta l’atterrissage mais il était lesté : le rocher se décrocha de la paroi au moment où il voulait retrouver son équilibre. Saga ne contrôlait plus rien. Ils étaient à nouveau en chute libre. Cette fois, c’était la fin. Sans paliers jusqu’au plancher des vaches, ils étaient perdus. Saga voyait la terre se rapprocher vitesse grand V. Dans un ultime effort, il essaya de préparer l’arrivée la moins brutale possible.

 

—  Attention, ça va faire mal !

 

Saga toucha terre, Iris sur son dos, impossible à déloger. Leur atterrissage ou plutôt crash, engendra un énorme nuage de poussière accompagné de quelques bouts de terre séchée. Une chance que personne n’était encore levé mais le bruit produit par la chute devait en avoir sorti prématurément plus d’un de son lit. Saga était toujours accroupi, position la plus commode ; le panier d’Iris avait, sous la gravité, retrouvé sa position initiale. Partiellement remise de ses émotions, Iris mit pied à terre pour réaliser que, même debout, ses épaules arrivaient au niveau du sol. L’impact avait créé un « minuscule » cratère. Elle s’inquiéta en constatant que Saga n’avait toujours pas bougé.

 

—  Ça va ? Tu n’as rien de cassé ?

 

Saga se releva doucement pour éviter de faire un faux mouvement. Mais au lieu de faire un rapport sur son propre état, il s’enquit de celui de sa partenaire et de ses fleurs tout en se dégourdissant les membres :

 

—  Ça va ? Toi et les fleurs ?

 

Iris resta figée sur place. Les larmes lui montaient aux yeux : Saga allait voir sa carrière brisée, il avait bravé un interdit du Sanctuaire, il venait de risquer sa vie pour sauver celle d’Iris et préserver les roses pour lesquelles elle éprouvait tout à coup du dédain et il osait lui demander si elle allait bien ! Iris comprit avec horreur qu’elle s’était montrée terriblement égoïste. Son panier lui en tomba des mains sans pour autant se vider de son contenu. Elle pleura. Etouffée par la honte et ne sachant comment remercier son compagnon, elle se jeta sur lui et le serra fort. Ses spasmes redoublèrent :

 

—  Allons ! Allons ! L’essentiel c’est que tu n’aies rien ; je ne me le serai jamais pardonné.

 

Saga était une perle ! La gentillesse incarnée ! Un esprit de sacrifice qui forçait le respect et l’admiration. Pas étonnant qu’il était tout désigné pour être chevalier. Il se dégagea légèrement, prit le visage d’Iris entre ses mains et essuya ses larmes. Curieusement, ils ne se rapprochèrent pas davantage : la magie qui avait opéré quelques instants plus tôt s’était évanouie. La gêne mais aussi le fait de ne plus se trouver dans une situation propice y étaient pour beaucoup.

 

—  Allez ! Il faut rentrer. N’oublie pas de cacher les fleurs et de te changer. Une inspection va certainement avoir lieu.

—  Tu ne m’accompagnes pas ?

—  Il vaut mieux qu’on se sépare. Je tiens à être de retour avant que mon maître n’ouvre l’œil. Toi, veille à ne pas te faire repérer.

 

Iris reprit son panier en main. En se passant machinalement la main dans les cheveux, à l’endroit où Saga avait glissé la rose, Iris fut déçue de ne plus trouver le petit ornement. Saga s’aperçut de sa contrariété et lui dit sur un ton attendri :

 

—  Ne t’en fais pas. Si tu y tiens, je t’en rapporterai une autre … mais non volée cette fois.

 

Elle lui sourit puis ils se séparèrent avec des clins d’œil complices : Saga en route pour son entraînement et Iris vers sa maison. Sur les conseils du jeune homme, elle se hâta en faisant bien attention de ne pas laisser traîner d’indice de sa petite excursion dans les jardins. Elle rentra par la fenêtre, referma les volets pour donner l’illusion qu’elle dormait puis se changea comme cela avait été préconisé. Saga avait pas mal de ressources et un esprit assez retors qu’elle ne lui avait jamais connu jusqu’ici. Lors de cette escapade, il s’était révélé assez habile pour manipuler les gens et brouiller les pistes. Après tout, quoi de plus normal pour un futur chevalier des Gémeaux que de faire naître l’illusion et d’entretenir le fameux labyrinthe du temple pour déstabiliser les ennemis.

 

Une fois que tout semblait rentré dans l’ordre, Iris se prit un peu de temps pour parfaire la présentation du cadeau. Heureusement que les fleurs n’avaient pas souffert lors de la fuite précipitée et de la chute libre. Aucune retouche majeure à faire. Simplement tout dissimuler jusqu’au réveil de Daphné. Comme à son habitude, aussitôt levée, Iris l’entendrait aérer sa chambre, puis se diriger vers la salle de bain pour une bonne douche matinale et enfin finir sa course à la cuisine pour la préparation du petit déjeuner. C’était lorsqu’elle serait dans la salle de bain qu’il faudrait frapper. Où poser les roses ? Sur la table ? La petite commode ? Devant la porte de sa chambre ? …

 

Le bruit des volets qui s’ouvrent. Non de non ! Daphné était déjà réveillée alors qu’Iris se réjouissait de passer encore deux heures au lit. Il fallait agir vite mais pas dans la précipitation. Ça y est ! La voilà qui prenait sa douche. Mais pourquoi était-elle aussi matinale ? Cela ne lui ressemblait pas ! Prudemment, Iris glissa un œil par la porte de sa chambre. La porte de la salle de bain était bien fermée : elle entendit l’eau se mettre à couler et Daphné à … chanter ! Qu’est-ce qui rendait la jeune femme de si bonne humeur ce matin outre le fait que cela soit son anniversaire ? Peut-être un rendez-vous galant avec Polydeukès, plus tard, dans la soirée ?

 

Pas le moment d’imaginer mais d’agir. Iris empoigna son panier de roses qu’elle décida de placer sur la petite commode, près de la porte d’entrée. Non seulement l’endroit n’était pas le point de convergence de toutes les fenêtres de la pièce mais en plus, le bouquet contrastait avec la pénombre qui l’entourait et faisait pratiquement face à la porte de la salle de bain. Très bonne option ! Iris se félicita et repartit à pas feutrés dans sa chambre. Elle se coula enfin sereinement sous ses draps pour se rendormir. Mal lui en prit car elle imagina la tête de Daphné devant le cadeau et surtout la question qu’elle se poserait : qui lui avait fait un tel cadeau ? Ses pensées iraient directement vers l’élu de son cœur puisqu’Iris n’avait pas d’argent pour acheter un tel présent. Il faudrait aussi rassurer sa mère sur l’absence de conséquences fâcheuses quand elle lui dirait la vérité. Mais le jeu en valait tellement la chandelle !

 

Ce n’est que vers huit heures que la petite émergea avec très peu d’heures de sommeil à son compteur. Elle était on ne peut plus excitée par la réaction de sa mère. Elle sortit en chemise pour la rejoindre dans la cuisine et lui sauta au cou :

 

—  Joyeux anniversaire, maman !

—  Merci, Iris ! Regarde ce qu’ai reçu ! Je me demande qui a bien pu me l’offrir. Tout ce que je sais, c’est qu’en sortant de ma chambre, il n’y avait rien sur la commode. Tu penses bien que même si je n’étais pas très fraîche, je l’aurais tout de même remarqué. Mais en sortant de la douche, il était soudainement apparu, termina-t-elle en singeant une fausse réflexion.

 

Elle s’arrêta un instant, rêveuse. Elle devait penser à Polydeukès. Puis, elle reprit sur un ton moqueur et accusateur :

 

—  Tu ne serais pas étrangère à tout cela, par hasard ?

—  Ben oui, avoua Iris, c’est moi qui te les ai offertes. Je voulais te faire un très beau cadeau mais je ne t’ai pas entendu crier de joie quand tu les as vues. Tu n’aimes pas ?

—  Je n’aime pas : J’ADORE ! Je ne pouvais pas rêver mieux. Et si je n’ai pas crié, c’était pour te laisser dormir. Je t’ai entendu rentrer assez tard ce matin.

 

Silence et gêne. Daphné se mit à pleurer de joie.

 

—  C’est vraiment un cadeau magnifique, dit-elle la voix chevrotante.

 

Ne sachant plus que dire puisque sa voix trahissait ses émotions, Daphné s’accroupit et étreignit longuement sa fille. Mais à aucun moment elle ne lui demanda de quelle manière elle avait pu se procurer les fleurs. Iris espérait secrètement que les gardes ne se livrent pas à de petites inquisitions et priait également pour que tout se passe bien du côté de Saga. La petite se dégagea enfin pour annoncer le programme de la journée, c’est-à-dire le plan B qu’elle avait initialement prévu. Daphné opposa une vive résistance pour finalement se laisser convaincre par le dernier argument : il fallait qu’elle soit fraîche et pimpante si Polydeukès lui réservait un tête à tête. A ces dernières paroles, Daphné rougit. Iris avait donc vu juste, surtout lorsqu’elle l’entendit chanter sous la douche.

 

Une fois son petit déjeuner englouti, Iris laissa Daphné s’occuper de ses moribonds et lui interdit l’accès de la cuisine jusqu’à son appel pour le repas. Elle mit à profit les quelques heures qui s’offraient à elle pour nettoyer les différentes pièces et faire quelques courses pour le repas de midi. Dans le village, elle rasait les murs à la moindre sentinelle qui passait. Mais curieusement, d’après les bribes de conversation qu’elle avait pu saisit, le vol de ce matin n’était pas au cœur des commérages. Il s’agissait plutôt des candidats à la succession du Pope. Les lauréats étaient choisis parmi l’élite de la chevalerie mais elle ne put entendre distinctement les deux noms qui avaient été retenus lors de la passation d’ici quelques années.

 

Iris rentra sans encombre. Le repas fut simple mais copieux et odorant, peut-être un peu trop d’après la quantité d’épices qu’elle avait utilisées et surtout l’expression de Daphné à sa première bouchée. Mais la petite ne désespérait pas de devenir bonne cuisinière. Le reste de l’après-midi fut entièrement consacré au linge – lavage, séchage, repassage – ce qui permit à Iris de réaliser à quel point les journées de Daphné étaient bien remplies si elle comptait encore les consultations. Fin de la journée. Elle était sur les rotules.

 

—  Mais dis-moi, fit Daphné en fermant la porte de son cabinet à clef, tout brille ici ! Le sol est briqué à point qu’on se verrait dedans ! Mais … tu n’es pas proche de la perfection …

 

Iris releva la tête, inquiète, le cœur presque brisé. Qu’avait-elle bien pu négliger ? Elle avait pourtant veillé à passer chaque centimètre carré de la maison sous mains ! Même la poubelle avait été plus que désinfectée ! Tout était absolument propre ! Daphné avait remarqué un détail que … Le cabinet ! Iris n’y était pas passée parce que sa mère y officiait mais elle allait immédiatement réparer l’oubli. Elle s’arma d’un seau, du balai et de la serpillière et se dirigea vers la porte fermée.

 

—  Doucement ! Où cours-tu comme ça ?

—  Nettoyer ta salle de consultation !

 

Sans coup de semonce, elle partit dans un éclat de rire qui laissa Iris pantoise. Elle essaya de se calmer tant bien que mal mais la vue de sa fille perplexe et de son paquetage la fit repartir de plus belle. Enfin, elle s’arrêta, quelques larmes dans les yeux, en se tenant le ventre et reprit la conversation.

 

—  Tu étais tellement absorbée par ton travail que tu n’as même pas pensé à Saga ni même évoqué son nom !

—  C’était donc ça ! soupira Iris de soulagement. Tu m’as fait une de ces peurs !

—  Allez, petit soldat ! Pose ton attirail et va le rejoindre. Il ne doit pas encore avoir fini sa journée mais tu peux l’attendre. Pendant ce temps, moi je vais me préparer.

 

Sans en entendre davantage, Iris laissa tout tomber et se rua hors de la maison en regardant encore une fois ce pour quoi Saga et elle avaient risqué leur tête. Elle alla donc rejoindre celui pour lequel elle n’avait pas eu une seule pensée de toute la journée. Un comble quand même ! Lui pour qui elle avait de la dévotion, un profond respect, une admiration sans borne et un peu plus depuis ce matin … Bref ! Mais au lieu d’accélérer le rythme de sa course, Iris s’arrêta à la sortie du village. Il restait encore autant de distance à parcourir. Elle n’était pas essoufflée mais les images du matin lui revenaient en tête. La scène s’était passée si rapidement qu’elle n’y avait plus repensé sur le coup. Et tout se déroula sous ses yeux : l’escalade, la cueillette, les roses rouges que lui avait proposées Saga, sa déclaration et surtout… son baiser avorté. Par réflexe, Iris se passa la main droite sur les lèvres et ferma les yeux. Elle pouvait encore ressentir la chaleur de sa main sur sa joue et frémit quand elle sentit son souffle sur ses lèvres. Elle avait totalement confiance dans ses gestes. Jamais il ne se serait permis de la forcer à faire ce qui ne lui plaisait pas. A force de le parer de toutes les vertus, elle faisait de lui un dieu vivant.

 

         Elle sortit lentement de sa rêverie. Quel dommage d’avoir été interrompu au moment crucial. Elle se remit en marche, doucement, elle traînait le pas en proie à un questionnement. Comment allait réagir Saga en la revoyant ? Serait-il gêné parce qu’il avait fait ce matin ? L’ignorerait-il en présence de son maître qui devait d’ailleurs se hâter puisque Daphné l’attendait ? Comment fallait-il se comporter ? Tenterait-il à nouveau de l’embrasser ? Leurs rapports étaient différents maintenant mais est-ce que les autres s’en apercevraient ? Par « les autres », on entendait Milo et sa clique. Il allait recevoir en plein visage les moqueries qu’il avait toujours proférées. Iris sourit en s’imaginant sa mine décomposée. Elle réprima un rire ou plutôt un hoquet.

 

         Soudain, elle fut prise d’une espèce de malaise et stoppa net ses pensées et sa marche. Des images, très brèves et tellement vivaces, apparurent. Elle en eut des sueurs froides. Iris crut distinguer Daphné en grand danger. Pourquoi elle ? A l’heure où elle s’inquiétait davantage des réactions de Saga, c’était sa mère qui occupait son esprit. Elle secoua la tête et reprit sa marche. Elle n’eut pas plutôt fait dix pas qu’elle fut reprise par d’autres flashs, plus nombreux et plus violents. Cette fois, elle en était sûre, c’était bien Daphné. Elle l’avait clairement vue : elle avait du sang sur le visage et sur sa robe. En plus des images très dérangeantes, Iris l’avait « entendu » crier son nom dans d’atroces souffrances. L’inquiétude céda la place à la panique puis à la terreur. Sans se poser plus de questions, Iris fit immédiatement demi-tour. Il devait se passer quelque chose de grave et ces flashs n’étaient certainement pas anodins. Elle courut aussi vite que possible ; ses pieds effleuraient le sol. Elle vit enfin sa maison poindre. La fillette était à bout de souffle mais elle n’eut pas le temps de récupérer.

 

         Lorsqu’elle arriva tout près de la porte, des cris aigus lui parvinrent. Daphné ! Daphné était en danger et elle arrivait à temps pour la sauver. Elle s’abattit sur la porte qui ne lui opposa pas de grande résistance et atterrit sur le sol. Elle leva la tête et l’horrible réalité qui se déployait devant ses yeux l’acheva totalement. « IL » était revenu. Iris n’en crut pas ses yeux ; ce petit rictus sadique qui déformait son visage, cette masse imposante et ce regard malveillant ne pouvaient être que les siens. Ixion était revenu après plus de deux années.  Il avait osé venir souiller de son pas impur le sol du Sanctuaire et ainsi braver la loi.

 

La scène qu’Iris était en train de vivre faisait cruellement écho à ce qu’elle avait subi mais le comble de l’épouvante avait été franchi. La pièce était dans un désordre indescriptible : les meubles étaient renversés et certains même cassés ; le cadeau n’était plus à sa place initiale. Le panier avait été jeté à l’autre bout de la pièce et les roses immaculées répandues sur le sol, piétinées. Mais le plus odieux était de voir l’état de Daphné. Elle gisait misérablement sur le sol, la tête en sang et la robe qu’elle avait mise pour son rendez-vous maculée, au milieu des pétales qui se teintaient progressivement de pourpre eux aussi. Elle ne semblait plus respirer. Ixion était le seul élément vivant dans tout ce macabre tableau.

 

—  Tiens donc ?! ironisa le soldat en voyant l’intruse. Tu es toujours vivante ? Rassure-toi, tu ne vas pas tarder à la rejoindre.

 

Iris ouvrit de grands yeux comprenant le sous-entendu à peine voilé mais resta dans le déni :

 

—  Tu … tu l’as tuée ?

 

Choqué par ce qu’il avait entendu dans son cerveau, ce fut à Ixion d’exprimer une énorme surprise et même une once de peur. Il se reprit pour continuer sa conversation sur le même ton :

 

—  Elle est sur le point de rejoindre le royaume d’Hadès. Ce n’est qu’une question de secondes, dit-il avec un sourire satisfait. Elle l’a mérité.

 

Iris se releva et pour la première fois, elle ressentit sa haine couler dans ses veines, telle de la lave en fusion. Elle se sentait capable d’abattre des montagnes. Comme elle le faisait quand elle soignait Saga, Iris manifesta son cosmos pour impressionner le meurtrier qui lui faisait face. Mais son énergie était beaucoup plus ardente que d’ordinaire. Iris avait l’impression que cette force allait exploser et se libérer de son corps et tout dévaster sur son passage. Elle pouvait presque la palper tant elle croissait de manière démesurée, comme si elle n’avait plus aucune limite. A la vue de l’aura grandissante qui enveloppait la petite, Ixion abandonna son air hautain pour adopter une mine totalement liquéfiée. La fillette profita du vif trouble dans lequel se trouvait l’homme pour lui demander :

 

—  Mais pourquoi ?! Pourquoi tu t’en es pris à nous comme ça ? Qu’est-ce qu’elle t’a fait pour que tu la maltraites ?

 

Iris sentit sa « voix » chevroter et les larmes lui monter aux yeux. Ces détails ne laissèrent pas Ixion indifférent et il reprit son air insolent tout en pointant son index sur le panier qui contenait les fleurs.

 

—  Pour ça !

 

Ixion n’était pas très doué en paroles : il adoptait volontiers les gestes même les plus violents pour se faire comprendre. Il ne fallut pas longtemps à Iris pour comprendre l’horrible quiproquo qui avait fait qu’Ixion se déchaîne à ce point sur sa mère. A ce moment, Iris reprit du poil de la bête et se montra encore plus menaçante :

 

—  C’est moi qui lui ai offert ces roses et pas Polydeukès comme tu le penses ! Mais tu es tellement lâche que tu préfères t’en prendre à une simple femme plutôt qu’à un chevalier !

 

La leçon de morale ne fit pas sourciller le soldat. Mais qu’avait-il à la place du cœur ? Il regardait la fillette, tranquillement, sans même regretter son erreur ce qui énerva Iris dont la cosmo-énergie atteignit le point de non retour. Pour seule réponse, il adressa à Iris un sourire moqueur et dédaigneux. Se doutait-il seulement de ce qui allait lui arriver ? La fillette ne supportait plus son attitude de défiance. Sans réfléchir, elle se lança sur lui à la vitesse de la lumière en fermant les yeux. A cet instant, elle était pratiquement sûre de l’avoir manqué mais un petit cri étouffé lui démontra le contraire.

 

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Ixion était agenouillé devant elle, ou plutôt affalé. Il la regardait droit dans les yeux mais son regard n’exprimait plus aucune arrogance ni menace : on y lisait tout simplement de la surprise et de l’effroi. Quand elle voulut s’éloigner de ce visage, elle ne put reculer. Il semblait à Iris qu’il la retenait, qu’il l’absorbait en lui. Autour de son bras droit, elle pouvait ressentir de la chaleur. Le plus intrigant était cette chose, chaude elle aussi, qui palpitait dans sa petite main. Iris détourna son regard de celui d’Ixion devenu maintenant implorant pour examiner l’étrange carcan qui la retenait à lui et fut à deux doigts de pousser un cri. Son bras ! Son bras était fiché dans la poitrine du soldat et la chose qui bougeait entre ses doigts était … son cœur !

 

Iris était terrifiée … et fascinée à la fois. D’une part, elle s’imaginait vaguement par quel prodige elle avait pu en arriver à un tel degré de violence et d’autre part, parce qu’elle tenait son ennemi, ou plutôt sa misérable existence dans sa main. Elle réalisa qu’en plus de ses pouvoirs de télépathie et ses dons thaumaturgiques, elle avait tout le potentiel nécessaire pour attaquer un adversaire. Tout le pouvoir ! Toute la puissance d’un chevalier d’or !

 

Elle pouvait traiter ou maltraiter Ixion à sa guise et la terreur qu’elle lisait sur son visage, maintenant qu’elle avait de l’ascendant sur lui, excitait davantage sa colère et sa cruauté. Elle voulait lui faire payer les crimes qu’il avait commis : non seulement les violences faites à Daphné mais aussi et surtout son agression. Elle souhaitait ardemment qu’il souffre pour tout cela avant de pourrir en enfer. Cependant, malgré tous les efforts qu’elle mettait dans la sévérité de son châtiment, elle savait pertinemment qu’elle ne pourrait pas effacer ces atroces épisodes.

 

Iris resserra son poing autour de son cœur et se mit à l’extraire, lentement, très lentement. Ixion poussa un cri de bête à l’agonie et se tordait de douleur. Plus elle procédait graduellement, plus il souffrait. Il devrait alors se traîner à ses pieds pour et implorer son pardon. Son sang coulait. La vue de ce liquide chaud et écarlate ainsi que l’odeur, une senteur qui renfermait la mort, la rendit comme folle. C’était comme si ce spectacle avait réveillé ses plus bas instincts de bête sauvage et ivre de sang qui sommeillait en elle. Elle se délectait de cette vision, de ce liquide velouté qui s’échappait du corps contorsionné de son ancien bourreau.

 

Insensiblement, Iris continuait son retrait. Ixion émit un nouveau râle qui, au lieu de ramener la fillette à la raison, excita davantage son sadisme. Mais cet amusement plutôt jouissif au départ finit par devenir lassant. Elle voulait en finir ; elle ne s’amusait plus autant à le torturer. Ainsi, la curiosité malsaine de voir enfin le cœur dans sa paume la titilla. Elle amplifia donc son cosmos afin de pouvoir sortir sa main aussi facilement qu’elle l’avait plongée dans le thorax mais l’arrivée inopinée de Saga mit fin à ce moment d’extase.


Laisser un commentaire ?