Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 21 : MAUVAIS TIMING

1504 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/03/2024 16:06

Disclaimer : cf. chapitre 1

CHAPITRE 21

MAUVAIS TIMING

 

Enfin ! Il pouvait appuyer ses avant-bras sur un plan bien horizontal. Le reste du corps suivit et il se retrouva à quatre pattes au sommet de la falaise, suintant et haletant, Iris toujours juchée sur son dos et agrippée telle une ventouse.

 

—  Tu peux descendre maintenant mais reste allongée sur le sol, soupira Saga.

 

Iris se désolidarisa et descendit de son dos comme on descend de sa monture, ce qui permit à Saga de rouler et de s’étirer pour reprendre son souffle. Il avait presque mis le double du temps escompté mais au moins, ils étaient arrivés à destination et qui plus est, en un seul morceau. Puis il se mit sur le ventre comme un Sioux en embuscade. Iris était aussi à plat ventre devant lui et scrutait le paysage. Ils se trouvaient sur un pic qui était au même niveau que le palais du Pope à leur droite. Mais sur leur gauche se déployait l’objet de toutes les convoitises : un magnifique tapis de couleur claire, parsemé de quelques taches plus sombres et de forme géométrique régulière, se détachait de l’obscurité qui les entourait. Il n’y avait plus qu’à descendre, prudemment, moissonner cet hortus deliciarum. Dans leur marche, Saga courbé en avant, précédait Iris, le pas feutré, jusqu’à l’entrée de la roseraie. Les deux scélérats avaient trompé la vigilance des gardes qui étaient généralement massés dans la direction opposée à celle qu’ils avaient suivie. Toutefois, quelques éléments isolés rôdaient à intervalles réguliers près du jardin. Aussi, Saga prit le parti de jouer les miradors pendant qu’Iris œuvrerait parmi les fleurs.

 

Ils entrèrent discrètement dans le champ. Les couleurs sombres que Saga avaient remarquées étaient des parcelles de roses d’un rouge beaucoup plus profond que le faible quartier de lune, bientôt relayé par les premiers rayons du soleil, daignait éclairer. Il regarda Iris d’un œil amusé : elle ne savait plus où donner de la tête ni par quel bout commencer. Il lui recommanda néanmoins de rester à genoux pour son opération. Les rosiers leur arrivaient à la taille et dans le feu de l’action, ils risquaient de se faire repérer en passant d’un buisson à l’autre.

 

Il la vit prendre place devant un premier rosier blanc, retirer le panier de sa tête pour le placer à ses côtés et tirer la dague de son fourreau pour cueillir son précieux butin. Iris coupait les fleurs à environ une bonne trentaine de centimètres de la corolle et leur ôtait les épines avant de les placer délicatement dans le panier. Curieux manège ! Elle ne prélevait pas plus de quatre fleurs par plant et changeait ainsi de place assez rapidement. Mais à ce rythme là, le panier ne risquait pas de se remplir. Au bout d’une demi-heure, le ciel commença à rougeoyer et Saga put distinguer à l’horizon quelques lézardes mordorées. Il était pratiquement quatre heures du matin et l’aube faisait son apparition. Ils allaient rencontrer des difficultés pour sortir sans être vus. L’adolescent devrait se montrer aussi industrieux qu’Ulysse pour échapper à toute surveillance.

 

Le panier finissait par s’étoffer. Saga avait l’impression qu’il se remplissait de coton ou de neige. La couleur était belle, certes, mais beaucoup trop uniforme. Il fallait rompre la monotonie et accentuer la couleur dominante en la confrontant à une teinte opposée. Le cadeau n’en serait que plus beau. Saga fit confiance à son sens inné de l’esthétique ! Il abandonna Iris quelques secondes pour aller rapidement dérober six roses rouges qu’il amputa, à l’instar d’Iris, de leurs épines. Il retourna d’un air triomphant à ses côtés et ajouta sa récolte à la sienne.

 

—  Mais qu’est-ce que tu fais ? se vexa la petite.

—  Je t’aide à agrémenter ton cadeau. C’est bien joli toutes ces roses blanches mais ça manque cruellement de gaieté, chuchota-t-il en se justifiant.

 

Iris retira ses roses du panier et les lui remit en mains. Elle recommença à couper comme si elle était enfin venue à bout d’un insecte qui l’aurait importunée. Saga fut déçu : il voulait lui faire plaisir et voilà le résultat de son attention. Une remarque lapidaire et une action déplaisante. La petite s’arrêta à nouveau après avoir vu la mine déconfite de son camarade.

 

—  Excuse-moi, je ne voulais pas te faire de peine mais tu ne connais pas le langage des fleurs.

—  Le quoi ? Le langage des fleurs ? demanda-t-il incrédule.

—  Parfaitement ! Toutes les fleurs, ainsi que leurs couleurs, transmettent des messages différents. Les roses blanches que j’offre à Daphné signifient toute l’affection que j’ai pour elle.

—  Et les rouges ? demanda Saga vivement intéressé.

—  Et bien … moi je ne peux pas les lui offrir.

—  Pourquoi ? Ce sont des insultes ?

—  Non ! Non ! Pas du tout ! … On les offres à une personne comme témoignage d’un amour passionné.

 

Elle conclut en riant :

 

—  Je ne peux pas demander Daphné en mariage … Je laisse ça à qui tu sais !

 

Elle retourna à sa tâche tandis que Saga baissa la tête pour examiner les six rubis entre ses mains. Un amour passionné ? Une demande en mariage ? Le jeune homme ne disait plus mot perdu dans ses réflexions. Quelques minutes s’écoulèrent pendant lesquelles Iris peaufinait son chef d’œuvre. En relevant la tête, il se mit à l’observer. La tête de la fillette était dans l’axe des rayons naissants si bien que ces derniers semblaient créer une auréole comme les images des icones des églises orthodoxes. Iris était nimbée de grâce.

 

Soudain, il ne sut sur quelle impulsion, Saga prit une des roses et jeta les cinq autres à terre. De la main gauche, il prit le menton d’Iris aussi délicatement qu’elle cueillait les fleurs pour orienter son visage face au sien. De la droite, il glissa l’unique rose au-dessus de l’oreille. Iris avait cessé son travail au moment où Saga tourna son visage. Des deux mains, il arrangea ensuite sa chevelure pour faire ressortir au mieux le joyau qu’il venait de lui remettre. Il sourit, satisfait de sa création. Le regard d’Iris ne laissait rien transparaître : ni étonnement, ni inquiétude. Saga y lisait de l’attente.

 

Si elle n’avait pas évoqué le langage floral, Saga aurait pu s’en tirer à bon compte. Mais son geste volontaire venait de révéler ses véritables intentions. Saga était délicieusement acculé ; il se montrerait sincère sans l’effrayer ni la faire exploser de rire car à huit ans, on n’a pas la même maturité qu’à vingt. Le temps était suspendu autour d’eux. L’adolescent sentait une chaleur lui monter jusqu’aux joues et ces dernières s’empourprer. Pourtant, Iris ne bougeait pas ; c’était encore plus angoissant. Il fallait débloquer la situation et dire quelque chose d’intelligent.

 

—  Acceptes-tu le message que je t’envoie ?

 

« Sombre crétin ! hurlait sa propre conscience, tu devais de rattraper et au lieu de ça, tu t’embourbes ! ». Mais fini les faux semblants. Le cœur de Saga explosa. Iris lui sourit pendant que le jeune homme lui caressait la joue et glissa à nouveau sa main dans ses cheveux. Elle ferma les yeux et inclina légèrement sa tête sur le côté. Elle acceptait ce que Saga éprouvait pour elle, malgré son jeune âge.

 

Assez conforté dans son idée, Saga laissa faire les choses. Leurs visages se rapprochèrent, aidés en cela par la main que l’adolescent avait toujours sur la joue devenue chaude et écarlate. Le cœur du jeune garçon commençait à s’emballer : il avait presque des crampes à l’estomac. Il était tiraillé entre sa raison qui disait « non » et son cœur qui hurlait « oui ». La raison s’inclina. Il sentit le souffle d’Iris sur ses lèvres. Irrégulier. La même angoisse que lui mais la même envie aussi. Les quelques centimètres qui séparaient leurs lèvres n’en finissaient plus ; l’écart se réduisait à un rythme d’escargot. C’était frustrant mais terriblement grisant. Allez ! Enfin …

 

—  Hep ! Vous là-bas !

 


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