Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 15 : LE MONDE DU SILENCE

3429 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/02/2024 14:45

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CHAPITRE 15

LE MONDE DU SILENCE

 

C’en était dorénavant fini avec cet horrible cauchemar. Depuis plus d’un an, Iris semblait rétablie et avait retrouvé ses habitudes. Ses cheveux, sur l’instance de Daphné, avaient repoussé. Toutefois, Saga avait raté un changement non négligeable dans sa personnalité : elle était devenue beaucoup plus assurée dans ce qu’elle entreprenait. Il ne la voyait plus pleurer lorsqu’elle rencontrait une difficulté. Et par difficulté, on pouvait inclure Milo. Bien qu’elle ne disposât d’aucune connaissance en art martial, elle s’en prenait sans peur à des personnes plus aguerries qu’elle. Au début, Saga trouvait son attitude périlleuse. Mais au fil du temps, il s’y habituait, mettant ce débordement d’énergie sur les conséquences sordides de son accident et surtout de son mutisme : il n’est pas aisé de se faire comprendre quand vous ne produisez plus aucun son. Seul le langage des signes, et en particulier celui des poings, est accessible à tous et des plus clairs. L’adolescent était très fier d’elle mais il aurait dû prêter beaucoup plus attention à ce bouleversement et même en avoir peur.


Le premier jour où Iris fit son grand retour, ce fut toute une rééducation à la lumière du soleil. Elle avait vécu plusieurs semaines, enfermée comme une taupe, avec pour seule clarté, les minces filets de lumière dispensés par le soleil à travers ses volets ou la lueur de sa lampe de chevet. Une véritable existence souterraine. Aussi, lorsque Saga la vit oser franchir à nouveau le seuil de la porte quand il rentra de son entraînement, quelle ne fut pas sa surprise de la voir indisposée par le soleil couchant au point de mettre sa main devant les yeux. La lumière était pourtant faible et douce. Mais elle s’habitua rapidement sans plus éprouver de gêne face à la lumière du jour.


Outre sa vue, sa motricité et son agilité avaient également subi quelques dommages mais plus légers cette fois. Les longues courses effrénées que les deux enfants faisaient à travers les paysages escarpés de l’île ou les quelques séance d’alpinisme sur la paroi de la cascade s’étaient soudainement arrêtées pour laisser place à l’inertie la plus totale. Les mouvements d’Iris s’étaient résumés à un aller-retour continuel entre son lit et la fenêtre ou son lit et les toilettes. Les premiers pas qu’elle fit à l’extérieur étaient hésitants mais elle reprit vite confiance en elle et se mit à semer Saga rapidement s’il avait le malheur de ne pas se déplacer à la vitesse de la lumière.


Saga redoutait néanmoins le moment où elle serait confrontée à la curiosité malsaine des habitants. Daphné, sur une géniale impulsion avait formulé un excellent mensonge sur le mutisme d’Iris: ce n’était pas la peine de s’inquiéter. Mais la petite subissait toutefois la pression des regards et se faisait littéralement dévisager car jamais de mémoire d’insulaire on avait assisté à un pareil mystère. Et les commentaires très souvent médisants sur l’incompétence de Daphné allaient bon train. Mais Iris tâchait de faire abstraction des mauvaises langues bien que l’envie de retoucher quelques portraits la démangeât furieusement.


Une autre interrogation subsistait dans l’esprit des villageois : pourquoi un changement total dans l’apparence ? Saga se fit bouc émissaire et endossa la mauvaise influence de la chevalerie sur la petite. Il fallait vraiment s’ingénier à trouver des réponses plausibles et acceptables pour le grand public qui n’aurait jamais compris qu’un viol pût avoir été commis dans leur havre de paix. Grâce à la discrétion des autorités, les quatre personnes qui avaient vécu le drame étaient à l’abri d’un déchaînement médiatique.


Parmi les villageois, il fallait aussi ajouter les camarades d’entraînement dont Milo. Là aussi, Saga redouta la première rencontre. Quelle serait la réaction du piquant chevalier du Scorpion quand il verrait Iris ? Des sarcasmes, bien entendu ! Iris lui avait déjà fait comprendre qu’il valait mieux s’abstenir de commentaires déplacés surtout que la petite était devenue d’humeur bagarreuse. Et ce que redoutait Saga arriva. Un soir qu’il escortait Iris jusque chez elle, le binôme tomba nez à nez avec l’individu le plus redouté pour son verbe.


—  Tiens donc ! Mais qui voilà ? Et admirez le changement ! Pour un peu, tu me ferais peur, tu sais ! Et j’ai appris la nouvelle : il paraît que tu ne peux plus parler. Mais je trouve que ta nouvelle apparence te vas bien, ton comme ton mutisme. D’ailleurs, il y a un proverbe latin qui dit « Le silence orne la femme ». Tu peux t’estimer heureuse d’avoir une si belle parure.


Milo avait dépassé les bornes de l’humour noir mais Iris paraissait calme. Très mauvaise appréciation de Saga car au moment où il voulut rétorquer, Iris, aussi vite que l’éclair, fonça droit sur Milo et se jeta sur lui, recroquevillée, tel un boulet de canon. A sa grande surprise, Saga n’eut pas le temps d’anticiper sa précipitation. Milo reçut le projectile en plein ventre et se retrouva cloué au sol avec Iris juchée à califourchon sur son ventre. Pour la première fois, Saga perçut toute la rage qui était en elle lorsqu’il la vit frapper, avec une violence inouïe, l’infâme provocateur. Elle s’acharnait sur lui avec une telle violence, mettant dans son poing toujours plus de force et de colère. Le pauvre idiot ne savait pas combien elle avait souffert. Toutefois, Saga prit son camarade en pitié et intervint pour séparer les deux belligérants avec difficulté.


Lorsqu’il voulut empoigner Iris, quelque chose le bloqua. Il n’arrivait pas à la toucher ce qui permit à Iris de continuer à martyriser son adversaire.


—  Iris ! Arrête ! Tu vas le tuer ! Tu sais ce qui risque de t’arriver ! Sois raisonnable !


Comme par magie, la fillette s’arrêta, le poing suspendu au-dessus du visage sérieusement retouché de Milo. Le fait de parler de meurtre avait dû la faire réagir. Saga put enfin la saisir et la désarçonner de sa piteuse monture. Elle se résigna. Saga continua sur un ton impérieux :


—  Ça suffit maintenant ! Rentre ! Je me charge de lui.


Il la laissa partir devant lui, toujours aux aguets. Tout en marchant, elle n’en oubliait pas de regarder derrière elle avec des yeux dont l’intention était toujours aussi meurtrière envers Milo. Saga aida son camarade à se relever mais ce dernier refusa la main secourable que l’autre lui tendait, sans doute trop fier pour s’avouer vaincu par une fille. Son aîné l’interrogea :


—  Je ne comprends pas comment tu as pu te laisser surprendre. Tu aurais pu la voir arriver puisque toi aussi tu es un futur chevalier d’or. Dis-moi que tu ne l’as pas fait exprès ! Je savais que tu adorais le contact d’Iris, mais pas CE genre de contact !

—  Tu me crois assez stupide pour adorer me laisser battre comme je viens de l’être ? persifla-t-il en crachant un peu de sang. Non ! J’ai d’autres projets plus subtils pour te la prendre. Mais pour parler sérieusement, je n’ai pas eu le temps d’esquiver son coup, je te le jure ! Elle m’est tombée dessus à une vitesse fulgurante !


Saga avait de la peine à le croire. Il demeurait persuadé que Milo avait encaissé le coup volontairement. Il venait de déclarer lui-même qu’il serait son rival. Une fois Milo parti, Saga réalisa que lui non plus n’avait pas eu le temps de la stopper dans son élan. Ce qui l’inquiétait plus encore, c’était cette étrange aura qui avait enveloppé Iris et l’avait empêché de s’approcher d’elle. Il était sûr que c’en était une qui venait de le paralyser. Est-ce que son amie avait un potentiel insoupçonné ? Si tel avait été le cas, on aurait dû le déceler à sa naissance. Cela devait être la concentration de la hargne, la haine et la colère qui avait explosé l’espace d’un instant et donner l’impression d’une aura de chevalier. Cette explication convenait à Saga qui se dirigea d’un pas plus léger vers la maison de Daphné mais cela ne l’empêchait pas de penser avec amertume à l’ancienne Iris.


Il n’aurait jamais pensé que même ses commérages qu’il supportait stoïquement auraient pu, à ce moment-là, l’égayer. La voix de la fillette, parfois nasillarde mais pleine d’innocence, faisait son charme. Réaliser que plus jamais Saga n’entendrait sa voix lui faisait prendre conscience qu’elle était amputée d’une partie de sa personnalité. Ce détail s’ajoutait à un constat bien plus triste : elle avait renoncé à ses jeux d’enfant : plus de peluches, plus de poupées de chiffon qui traînaient sur son lit ni d’étoffes aux couleurs acidulées qui tapissaient à certains endroits les murs de sa chambre. Exit la fantaisie, bonjour l’austérité et la froideur.


Saga non plus n’était pas épargné. Bien qu’elle lui ait donné, la veille de sa sortie, une attachante preuve d’affection, il n’eut plus jamais droit à ce genre de manifestation. Lorsqu’elle venait le chercher après son entraînement, elle affectait un air de sévérité qu’il ne lui connaissait pas. Elle ne lui prenait plus la main pour le traîner dans des courses folles alors qu’il ne souhaitait que se reposer. Elle se présentait simplement devant son maître et ce dernier souriait péniblement par politesse. Les rires et les cris avaient fait place au marasme. Inutile de dire que les plongeons du haut de la cascade étaient définitivement bannis. Saga se voyait mal se déshabiller et reprendre leurs amusements. De plus, il était en pleine puberté et les changements morphologiques de son corps n’auraient fait que la traumatiser un peu plus. Il finissait par comprendre la défiance et le rejet de sa camarade : il devenait un homme. Il devenait un ennemi car il finirait par ressembler à celui qui l’avait souillée. Saga devait par conséquent considérer les rares échanges de regards comme des liens fragiles.


L’automne arriva enfin. Iris reprit une figure plus féminine grâce à l’insistance de Daphné sans pour autant abandonner son accoutrement d’Amazone. Mais ses rapports avec les autres enfants continuaient à s’envenimer. Saga ne comptait plus les bagarres au coin des rues où, aux dires des combattants, Iris initiait les litiges. Sûr de connaître sa protégée, l’adolescent faisait comprendre à la partie adverse qu’elle était dans l’erreur et que, d’une manière ou d’une autre, elle avait mérité le mauvais traitement infligé par la Walkyrie. Les adversaires d’Iris, vexés et humiliés, s’en allaient penauds mais juraient par tous les dieux que le futur chevalier d’or subirait le même sort à cause de son aveuglement. Saga finit par se poser des questions au vu de la concordance de tous les témoignages. Et les continuelles remontrances de Daphné auxquelles il eut droit le firent douter de l’innocence d’Iris.


—  Tu n’as pas honte de l’entraîner en cachette pour qu’elle se batte comme un garnement et revienne couverte d’ecchymoses avec les vêtements déchirés ! Moi qui pensais que tu avais refusé sa proposition !

—  Mais je t’assure que je n’y suis pour rien ! Ni moi, ni Polydeukès ne sommes responsables de ses agissements !

—  Alors comment expliques-tu le fait qu’elle sache jouer des poings et que de nombreux parents viennent me voir pour se plaindre d’elle ?

—  C’est ce que j’aimerais aussi savoir.

—  Si tous les deux vous ne l’entraînez pas, chez qui a-t-elle bien pu apprendre ?

—  Je n’en sais rien. Mais je ne vais pas m’amuser à l’espionner pour voir ses fréquentations.

—  Ce serait une bonne idée mais nous nous ferions vite repérer : elle est devenue très rusée. Bon. Procédons méthodiquement. Qui peut bien l’entraîner ? Un chevalier ?

—  Impossible ! C’est le Pope qui décide des élèves et des tuteurs. Et puis, elle ne possède pas de cosmo-énergie. Donc pas de chevalier comme maître.

—  Bon … et bien … un garde alors ?

—  Non plus. Les gardes sont soumis à un entraînement qui se fait dans le lieu même du sanctuaire. Et ne passe pas qui veut dans cet endroit. C’est extrêmement bien gardé.

—  Pfff… un ami ?

—  Euh… en toute modestie, à part moi, elle n’a pas vraiment d’amis. Même les copains de Milo ou lui-même ne lui ont rien appris.

—  On tourne en rond ! Si personne ne lui a appris à se battre et non pas à se défendre comme je l’aurais tout juste toléré …

—  … ça veut dire qu’elle a appris d’elle-même !! fit Saga gagné par la lucidité.


Daphné resta interloquée.


—  Mais c’est tout à fait vrai ce que tu me dis là ! Personne ne voulait l’aider quand elle nous a suppliés. Et comme elle est têtue, elle a très bien pu se glisser dans un camp pour observer. Ce qui revient à dire que toutes les bagarres dans lesquelles elle est constamment impliquée ne sont que des exercices d’application de ce qu’elle a pu épier. Les autres enfants ne sont que des cobayes.

—  Reste maintenant à savoir chez qui elle s’est introduite. Le camp d’entraînement des femmes me semble être la seule solution. Bien qu’elle n’y ait pas sa place, les femmes fermeraient les yeux et en plus, elle sait que je ne pourrai pas m’approcher de cet endroit sous peine de graves ennuis. Décidément, elle est devenue très maligne !


Daphné ne pouvait qu’approuver cette hypothèse. Saga sourit à l’idée qu’Iris ait pu avoir autant de suite dans les idées. Il en venait à admirer cet esprit retors mais déterminé. Une fois une partie de l’affaire élucidée, Saga fut vite contraint de changer d’avis sur les sources d’inspiration de sa camarade. Il ne s’était pas trompé sur le fait qu’Iris observait des combattants en cachette mais il faisait totalement fausse route sur la nature des combattants. C’est au moment où il apprit la vérité qu’il prit réellement peur et sentit tout le poids de son influence.


L’événement le plus inattendu et le plus redouté, se déroula quelques jours après le huitième anniversaire d’Iris alors que Saga allait aborder sa douzième année. Comme à son habitude, l’adolescent s’entraînait assidûment et était sur la bonne voie pour acquérir l’armure d’or tant convoitée afin de réaliser ce qu’il s’était juré intérieurement. Il n’avait plus qu’une voire deux années à effectuer afin de se montrer digne de la confiance de son maître et assurer le salut de sa déesse.


Polydeukès et Saga étaient entrés dans un féroce face à face : Saga avait réussi à infliger quelques blessures à son mentor mais les siennes étaient plus nombreuses et plus sérieuses. Malgré les coups qu’il avait réussi à esquiver, Saga n’en demeurait pas moins affaibli : il avait de plus en plus de mal à tenir sur ses jambes étant donné que l’entraînement avait débuté tôt le matin et qu’il n’avait pas eu droit à une quelconque collation pour lui permettre de récupérer. Polydeukès voulait absolument simuler une véritable situation de conflit : il lui était donc interdit de souffler ou même de reprendre des forces car les potentiels ennemis ne lui permettraient jamais ce luxe. Le chevalier d’or était intraitable sur ce point et ses arguments étaient le parangon de la logique. Mais la fatigue altérait considérablement les sens du jeune homme et en particulier celui de la vue. Saga commençait à voir trouble et devait constamment cligner les yeux ou secouer la tête pour faire une mise au point.


—  Alors, Saga ? Tu ressens l’effet conjugué de la fatigue et des blessures !


L’intéressé ne dit pas un mot à ce trait destiné à lui faire perdre concentration. Il se força à rassembler le reste de ses forces pour parer la prochaine attaque à défaut d’attaquer lui-même. Si Polydeukès réussissait à le toucher, il serait gravement blessé : ce serait le prix qu’il devrait payer pour son incompétence. A partir du moment où un élève se faisait tuer, était gravement blessé ou prenait la décision d’abandonner son entraînement, il n’était plus considéré comme disciple et était immédiatement remplacé. Cela n’était jamais arrivé dans toute l’histoire de la chevalerie, puisque le grand Pope connaissait la destinée de chaque individu.


Polydeukès allait passer à l’attaque mais quelle technique utiliserait-il ? Saga vit ses bras adopter une posture qu’il ne connaissait que trop bien : écartés de part et d’autre de son corps, il se préparait à lancer « l’autre dimension ». Saga pouvait désormais parer ce coup mais il subirait certainement quelques dommages vu l’état dans lequel il était. Il devrait se débrouiller pour sortir du couloir interdimensionnel dans lequel il serait projeté sans bénéficier à aucun moment de l’aide de son maître qu’il devait considérer comme son ennemi.


—  Saga ! Je te garantis que tu ne t’en tireras pas !

—  C’est ce que vous croyez ! murmura Saga entre ses deux et très peu convaincu lui-même de l’efficacité de sa parade.


La cosmo-énergie du chevalier grandissait et Saga vit se dessiner autour de son aura les méandres spatiaux qui allaient l’absorber. L’adolescent prépara tant bien que mal la riposte à cette attaque fulgurante.


—  Explosion galactique !


QUOI !! L’attaque qu’envoya le maître n’avait rien à voir avec sa posture de départ ! Saga était désemparé et complètement terrifié par cette traîtrise. Il voyait ce jet de lumière arriver sur lui à la vitesse de l’éclair et ses pensées s’emmêlaient sur les différentes possibilités qui s’offraient à lui pour éviter le coup et changer sa défense. Mais il n’avait plus le temps dé réagir ; il allait exploser en milliers de particules. Il se résigna et accepta les conséquences de son inaptitude. Pendant les quelques nanosecondes qui précédèrent l’impact, sa vie défila devant ses yeux. Sans cesse, le visage d’Iris apparaissait à chaque souvenir. Sa chère Iris qu’il ne reverrait plus dans ce monde mais sur qui il veillerait sous forme de poussière d’étoile. Il ferma les yeux pour ne pas affronter son cruel destin quand il entendit un cri puis fut percuté et projeté au sol. 


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