Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 13 : COMING OUT

3480 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 24/01/2024 14:43

Disclaimer : cf.chapitre 1

CHAPITRE 13

« COMING OUT »

 

                   Une fois rentré dans sa cabine, Saga se mit en quête de ce qu’Iris lui demandait. Quelle idée saugrenue tout de même ! Que voulait-elle faire de cela ? Il savait qu’elle était pleine d’imagination mais cette fois-ci, il pressentait qu’elle allait frapper fort. De quel droit se permettait-il de faire des commentaires ? L’essentiel était qu’elle lui avait parlé et qu’elle voulait arrêter de jouer les anachorètes. Saga mit tout ce qu’elle désirait dans un baluchon qu’il déposa au pied du lit puis il s’étendit dans l’espoir de pouvoir enfin se reposer et faire le vide dans son esprit. Sa respiration adopta un rythme plus calme et régulier de sorte qu’il se sentir glisser lentement dans une « autre dimension ».


                   Quand Saga ouvrit les yeux, il ne faisait pas encore jour. Bien qu’il n’eût pas dormi plus de trois heures, il ne ressentit aucun signe du manque de sommeil ; au contraire, il lui semblait avoir accompli son quota horaire légal et se sentait capable d’abattre des montagnes. Lapalissade pour un chevalier d’or. C’était sans doute l’excitation de ce qu’allait lui réserver cette journée placée sous des augures enfin propices qui lui donnait un regain d’énergie. Iris était enfin prête et dieu seul savait ce qu’elle mijotait. En tout cas, cela semblait bien se présenter.


                   Saga sa précipita dans la salle de bain qu’il partageait avec son maître, se frotta vigoureusement le visage avec de l’eau bien fraîche pour effacer quelques traces qui auraient pu trahir sa fatigue, enfila ses vêtement à la hâte, engloutit quelques figues et un peu de pain en guise de petit déjeuner, le tout copieusement arrosé de lait de chèvre. Puis, il retourna dans sa chambre pour récupérer le précieux colis.


                   La matinée était fraîche et la brume qui témoignait d’une veille sans nuages achevait de se dissiper lentement. Le soleil allait également être au rendez-vous ce jour-là : l’horizon devenait doré. Saga se mit en route le cœur léger en direction de la maison d’Iris. Inutile de presser le pas puisque cette dernière ne devait probablement pas encore être levée. Il profita donc du calme de l’aube et apprécia le décor changeant. Arrivé de très bonne heure devant la chambre d’Iris, il ne sut s’il devait se signaler et risquer de la réveiller ou attendre patiemment que la marmotte ouvrît l’œil au risque d’arriver en retard à son entraînement. La réponse à sa question ne se fit pas attendre : un bout de papier sortit par l’orifice habituel. Iris était déjà debout. Etonnant de sa part ! Saga saisit le billet et le lut tout en adressant un bonjour amical. Il s’agissait de son ordre de mission : il le parcourut de bout en bout, et, arrivé à la dernière ligne :


—  C’est entendu. Dès que j’ai fini, j’emmène Polydeukès. Passe une bonne journée !


Il laissa le baluchon au pied du mur et s’éloigna lentement en direction de la falaise, histoire de s’échauffer correctement et de commencer directement l’entraînement lorsque son maître arriverait. Peut-être qu’il aurait une chance de finir également plus tôt ! Soudain, il s’arrêta et retourna sur ses pas jusqu’à la chambre :


—  J’oubliais ! Moi aussi je t’embrasse. Et très fort.


Gagné par la gêne de ce qu’il venait de déclarer, Saga détala comme un voleur en se déplaçant à la vitesse de la lumière. Il devait, lui aussi, cesser de trop penser à Iris afin de se concentrer exclusivement sur l’obtention de son armure. C’était plus facile à dire qu’à faire mais il ferait du mieux qu’il pourrait pour contenter son maître. Quand ce dernier arriva, il eut la surprise de trouver son disciple en pleine forme et consciencieusement à l’œuvre.


—  Déjà en plein effort ? En voyant que tu n’occupais plus ta cabine, je me suis dit que tu étais soit chez Iris, soit ici.

—  Les deux options sont correctes, maître. Je me suis levé très tôt pour apporter quelque chose à Iris et immédiatement après, je suis venu à la falaise.

—  Tiens donc ? Il y a du nouveau la concernant ?

—  Oui ! Et depuis hier soir d’ailleurs, confessa Saga.

—  Hier soir ? Mais n’étais-tu pas rentré assez tard et plutôt en colère si j’en juge par la manière dont tu as claqué la porte ?


Il était très difficile de lui cacher quelque chose. Saga craignait que son maître ne soupçonnât un événement inattendu qui le rendait si jovial. Pris au piège, le disciple avoua tout, tête baissée comme un enfant qui aurait commis une énorme bêtise et attendait la sentence.


—  Oui, mais je n’arrivais pas à dormir. Je suis allé lui présenter mes excuses. Elle non plus ne dormait pas. Et contre toute attente, elle s’est mise à communiquer avec moi en tapant sur ses volets puis en m’écrivant.


Saga releva lentement la tête, certain de voir le visage de son mentor se renfrogner à l’idée qu’il avait pu désobéir à ses recommandations. Un timide sourire l’encouragea à poursuivre son récit.


—  D’ailleurs, dans la lettre de ce matin, elle m’a demandé de vous emmener chez elle une fois l’entraînement fini.

—  Et pour quelle raison ?

—  Ça, je n’en sais rien. Tout ce dont je suis sûr, c’est qu’elle se sent prête à sortir et qu’elle veut que nous soyons tous présent : Daphné, vous et moi.


Polydeukès ne sembla pas irrité par la demande d’Iris qui le considérait comme son père.


—  Une réunion de famille en quelque sorte. Et bien soit ! Si elle tient absolument à ce que je vienne, je ne la décevrai pas. D’autant plus qu’elle a besoin d’encouragements.


Saga était soulagé de constater que son maître se pliait de bonne grâce à cette curieuse injonction. Une réunion de famille ? Cela tenait debout. Mais alors pourquoi une liste de quelques-uns de ses vêtements ? Lui qui pensait bien la connaître … Saga dut s’avouer que cette fois-ci, il ne trouvait aucune explication rationnelle à fournir. Ah ! Les femmes ! Quel grand mystère à élucider !


—  Maintenant que les formalités administratives sont faites, passons aux choses sérieuses !


Sans même comprendre ce qui lui arrivait, Saga se retrouva nez à nez avec les cailloux. En une fraction de seconde, il vit le sol de beaucoup plus près. Son maître ne négligeait pas son entraînement et Saga se rendit compte qu’une fois de trop il pensait encore à Iris. Il n’avait pas vu le coup de Polydeukès arriver droit devant lui et encore moins été capable de l’anticiper. Polydeukès ne dit rien mais son silence renfermait tous les reproches dont Saga aurait été la cible en ce moment. Il avait raison. Si Saga avait eu affaire à un ennemi, il aurait certainement péri. Ses sentiments le détournaient de son objectif. Le chemin menant à l’armure allait encore être long et pénible s’il ne se ressaisissait pas. Ne pense plus à Iris ! Ne te fais plus de souci pour elle ! Elle est sur la bonne voie, maintenant ! Deviens un chevalier d’Athéna, se répétait-il comme un mantra.


Après s’être remis de ce choc, Saga devint plus vigilant et put pratiquement prévoir les attaques de son maître. Au bout de sept années d’entraînement, sur les trois bottes secrètes du chevalier des Gémeaux, il n’en maîtrisait qu’une et pouvait parer la deuxième. La dernière attaque, une des plus terribles selon Polydeukès, ne lui serait enseignée que lorsqu’il serait jugé digne de revêtir l’armure. Le coup de poing démoniaque était trop dangereux pour un novice. Le chevalier qui utilisait cette technique se rendait maître de la volonté de son adversaire et pouvait lui ordonner n’importe quoi. Pour sortir de l’état d’hypnose dans lequel elle était plongée, la victime devait tuer une personne et la voir mourir sous ses yeux. A ce moment, et seulement à ce moment, elle se libérerait de l’envoûtement et retrouverait ses esprits. Saga réalisa toute la responsabilité qu’il devrait endosser s’il devait utiliser une telle arme. Pas étonnant que les chevaliers d’Athéna étaient triés sur le volet. Si des personnes malintentionnées détenaient un tel pouvoir, la stabilité du Sanctuaire et sa crédibilité seraient remises en question et de terribles conflits mondiaux risqueraient de se produire.


Saga comprenait pourquoi les chevaliers d’or devaient être irréprochables. Ils étaient vénérés comme des saints sur l’île du Sanctuaire et craints de leurs ennemis. Mais disposer d’une telle puissance ne risquait-il pas de faire tourner des têtes ? L’adolescent n’ignorait pas que s’il avait été choisi, c’était parce que le destin et surtout Athéna en avaient décidé ainsi. Mais confier de tels pouvoirs à des gamins, des adolescents ! Un chevalier d’âge respectable et détenteur d’une certaine sagesse eût été plus judicieux. Saga se surprenait parfois à douter du choix que les dieux avaient pu faire. Même les pouvoirs des chevaliers de bronze étaient déjà dévastateurs ! Saga se sentait néanmoins investi d’une mission divine et devait se montrer digne de la confiance qui avait été placée en lui.


—  Allez ! C’est bon pour aujourd’hui ! Tu es en bonne voie pour projeter ton adversaire dans une autre dimension maintenant que tu as compris comment esquiver cette attaque. Après l’effort, le réconfort. Quelqu’un nous attend !


—  Je vous remercie, maître.


Saga n’avait même pas remarqué que, depuis qu’il avait été surpris par l’offensive de Polydeukès, pas une seule fois il n’avait pensé à Iris. C’était peut-être pour cette raison que son maître lui avait enseigné la deuxième attaque. Mais au lieu de le calmer, le compliment auquel eut droit Saga ne fit qu’exciter l’envie de retrouver Iris. Il avait une terrible envie de courir jusque chez elle mais l’estime que lui portait son professeur le força à aligner son pas sur le sien. Quelle torture ! Etre si proche de sa camarade et ne s’en approcher qu’à un rythme d’escargot ! En chemin, il croisa Milo qui venait lui aussi de terminer son entraînement. Il tombait à pic ! C’était le moment de lui montrer que tout allait s’arranger dans quelques minutes.


—  Salut Milo ! fit gaiement Saga. Tu as l’air sur les rotules, mon pauvre ami. Ton maître ne t’aurait-il pas ménagé ? Au fait, tu sais qu’Iris est sur pied : elle semble en pleine forme !


Le futur chevalier du Scorpion le regarda, incrédule, tandis que Polydeukès et son apprenti passèrent leur chemin. Saga le regarda hausser les épaules puis il se retourna en riant sous cape. Mais son maître intervint.


—  Il me semble que tu t’avances un peu vite sur l’état d’Iris. Certes, elle semble vouloir retrouver la civilisation mais qui nous dit qu’elle est en pleine forme et qu’elle est telle que nous la connaissons ?       

 

Saga se rendit compte de la bêtise de son empressement. Il passa le reste du chemin en prières et implorations afin que ce qu’il venait de dire à Milo ne se retournât pas contre lui. Enfin, ils arrivèrent.


—  Iris ! C’est nous ! cria Saga alors qu’il n’était plus qu’à quelques mètres de chez elle.


La porte s’ouvrit. Daphné sortit, l’air content, presque soulagée, comme si une chape de plomb venait de lui être retirée des épaules.


—  Alors ? Elle est sortie ? s’enquit Saga.

—  Non. Pas encore. Elle attendait votre venue. Je n’ai même pas pu lui apporter son repas comme je le fais d’habitude : sa porte est restée fermée toute la journée. Mais elle m’a glissé un billet expliquant son attitude et ce qu’elle voulait que nous fassions. Je suis tellement heureuse qu’elle se décide enfin ! Mais je n’arrive pas à m’expliquer ce brusque changement d’attitude.

—  Moi non plus ! s’exclama Polydeukès en lançant à son disciple un clin d’œil complice qui échappa à Daphné.

Tous les trois rentrèrent pour assister au huis clos qu’Iris allait leur proposer, en prenant soin de refermer la porte d’entrée derrière eux.

—  Iris ! Tout est bon ! Tu peux sortir maintenant.


Ils entendirent un bruit derrière la porte. Saga ignorait totalement ce qu’elle leur réservait. La porte de sa chambre ne daignait toujours pas s’ouvrir. Il soupirait d’impatience. Son maître lui mit la main sur l’épaule et lui sourit.


—  Allons Saga ! C’est normal qu’elle tarde à ouvrir : le trac de l’artiste qui entre en scène !


La poignée de la porte s’abaissa lentement, très lentement, beaucoup trop lentement au goût de Saga pourtant calme et patient. Puis, la porte elle-même s’ouvrit tout aussi « rapidement ». Iris jouait avec leurs nerfs : elle semblait aimer soigner ses entrées et plonger son public dans une attente fiévreuse. Les spectateurs retenaient leur souffle et ce fut la stupeur dans l’assistance.


Ils étaient tous abasourdis par la personne qui se trouvait devant eux quoique la personne la plus impassible demeurait toujours Polydeukès. Daphné, en revanche, manqua défaillir. Sous le choc, elle tomba à genoux mais conserva toute sa lucidité. Quant à Saga, il resta bouche bée, les bras ballants, face à une personne qui lui était devenue étrangère. Iris était totalement métamorphosée.


En guise de vêtements, elle portait d’anciens vêtements que Saga ne mettait plus étant donné sa taille. C’était ceux qu’il avait mis dans le baluchon, ceux dont il ignorait qu’elle allait s’en servir à des fins personnelles. Le haut se composait d’une tunique marron, le bas d’un vieux pantalon écru qui semblait beaucoup trop large pour elle bien que le tout fut maintenu par une large ceinture noire autour de laquelle Iris avait noué sa dague. Des bottes marron venaient compléter cette panoplie d’Amazone. Si la transformation d’Iris s’était bornée à quelques vieux chiffons, Daphné aurait sans doute supporté la vue. Mais la petite ne s’était pas ménagée. Voulant certainement rompre avec son image de petite fille, Iris s’était coupé les cheveux, ou plutôt, se les était tailladé de façon anarchique. Le seul détail qui restait encore de l’enfant que Saga avait connu avant sa période de claustration, restait sa frange d’où une mèche toujours rebelle parce que plus longue que le reste échappait aux lames les plus affûtées.


Iris était morte. C’était un nouveau personnage que Saga avait devant les yeux. Il s’effondra et fondit en larmes, lui qui pensait que cette journée resterait mémorable ! Il s’était tellement réjoui à l’idée de retrouver Iris et voilà qu’il était face à un être androgyne. A bien regarder Iris, il s’aperçut qu’elle avait quelque chose de dur et de sévère dans le regard. Elle semblait porter la haine dans son cœur.


—  Mais enfin, Iris ! tenta d’articuler Saga entre deux spasmes. Qu’est-ce qui t’arrive ? Pourquoi ? Pourquoi tu es devenue comme ça ? Hier soir tu étais encore en train de pleurer et maintenant, on dirait que tu en veux à la terre entière !


Iris le regarda longuement puis porta son regard sur Daphné, toujours à genoux, et s’arrêta en dernier lieu sur le chevalier d’or. Elle s’avança dans sa direction et lui remit un papier qu’il s’empressa de lire. Après quelques instants, Polydeukès soupira et secoua la tête.


—  Qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qu’elle t’a écrit ? implora Daphné.

—  Ce que je redoutais qu’elle demande, dit-il d’un air dépité.

—  Quoi donc ? insista Daphné qui se relevait.

—  Elle veut que je l’entraîne afin qu’elle puisse se défendre et aussi se venger.


Daphné se dirigea vers Iris, se mit à son niveau et la tint fermement par les épaules.


—  Pourquoi tu veux faire une chose pareille, ma chérie ? Toi qui ne supportes pas que Saga rentre couvert de blessures, tu veux à présent subir les mêmes choses que lui ?


J’imagine sans peine que tu veux qu’Ixion paie pour ce qu’il a fait. Mais c’est à la justice de faire son travail : il est interdit de la suppléer. Tu te rends compte que si tout le monde agissait ainsi, on ne verrait que des morts joncher les rues. Et puis tu es une fille ! Et le rôle d’une femme n’est pas de tenir les armes !


Iris se dégagea violemment de l’étreinte de sa mère et regarda Polydeukès. Elle s’approcha de lui et adopta un regard suppliant. Mais la réponse du chevalier était toujours la même. Alors Iris se jeta contre lui et pleura à chaudes larmes en martelant son plastron. Aucun cri ne sortit de sa gorge ; seul un hoquet avorté.


—  Ecoute bien ce que je vais te dire. Si tu veux apprendre à te battre uniquement dans le but de te venger, tu risques d’être très déçue. Non seulement l’entraînement sera pénible, mais lorsque tu retrouveras Ixion et que tu te feras justice, que se passera-t-il ensuite ? Tu ne seras pas soulagée pour autant, tu conserveras cette souillure et tu finiras en prison pour crime prémédité malgré ton jeune âge : la justice du Sanctuaire ne reconnaît pas la minorité pour les crimes et délits. Crois-moi : pour le bonheur de tout le monde, renonce à cette idée et attend patiemment que le jour de son châtiment arrive.


Iris recula, dépitée. Mais elle insista. De sa main droite, elle fit mine de se cacher le visage et de la gauche, elle donna quelques coups de poing dans le vide.


—  Ne compte pas non plus là-dessus, dit le chevalier d’un ton posé. Les femmes chevaliers sont, tout comme nous autres, choisies par les dieux via le Grand Pope. De plus, un chevalier se bat pour protéger et servir sa déesse, pas pour assouvir sa soif de vengeance. Je suis désolé, Iris, mais je dois refuser une telle demande.


Sur ces mots, il déchira la lettre et sortit de la maison. Iris s’effondra sur le sol, incomprise.


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