Chevalier, mais pas trop ...
Disclaimer : cf. chapitre 1
CHAPITRE 12
LAZARE
Elle aimait rester dans l’obscurité. Ses journées finissaient par ressembler à ses nuits mais elle ne s’en plaignait pas. Au contraire. Il lui semblait qu’elle était protégée dans la nuit, que plus personne ne pouvait la voir, qu’elle n’existait plus aux yeux des autres et, par conséquent, qu’on ne pouvait plus lui faire de mal, que plus rien ne pouvait l’atteindre. C’était sans compter sur l’acharnement bienveillant de Saga.
Cette nuit-là, Iris était assise sur son lit, le dos au mur. Elle ne parvenait pas à dormir. Non pas parce qu’il faisait chaud car elle avait laissé ses fenêtres ouvertes derrière les volets clos, mais parce qu’elle éprouvait des regrets. Elle s’en voulait d’avoir engendré la colère et l’indifférence chez son meilleur ami et la tristesse et la fatigue chez celle qui avait eu la bonté de la recueillir. C’est vrai qu’elle avait subi un acte innommable mais cela n’excusait pas son comportement.
Daphné et Saga s’étaient montrés très attentionnés envers elle et plus que patients. Tous deux tentaient désespérément de lui faire reprendre goût à la vie en lui racontant leur journée et en lui faisant comprendre qu’ils ne vivraient désormais que pour assurer sa sécurité et son bonheur. Un tel acte d’abnégation aurait dû la faire réagir. Mais au lieu de cela, Iris refusait la main tendue. Au final, le monstre, c’était elle ! Un monstre d’ingratitude. Elle faisait souffrir les deux personnes qu’elle aimait le plus au monde. Et en cela, Saga avait raison : elle n’était qu’une petite peste capricieuse, un despote en culotte courte et qui se considérait comme le centre de l’univers autour duquel toutes les planètes devaient graviter sans fausse note. A cause de son entêtement, elle avait bêtement perdu des personnes merveilleusement chaleureuses et aussi affectées qu’elle par son accident.
Merci Saga de m’avoir ouvert les yeux ! Ta colère était justifiée car j’ai vraiment abusé de la situation. J’aurais pu connaître pire : être mutilée ou même tuée. J’aurais pu être handicapée suite à des mauvais traitements mais j’ai de la chance d’être toujours en vie. Physiquement, je n’ai pas changé mais intérieurement, je ne peux pas en dire autant. Je me sens sale : j’ai beau me nettoyer, me frotter au point de m’arracher la peau, je n’arrive pas à enlever cette tache. Comme ces cicatrices après une opération. Et le viol, j’ai l’impression qu’il se voit comme une balafre sur le visage. Bien que je n’aie pas été aussi marquée que Daphné, qui, elle, a subi une déferlante de coups, j’ai la sensation étrange que tout se voit à l’extérieur. Jamais je ne pourrai sortir et me mêler à la foule sans avoir la désagréable impression que tout le monde sait ce qui s’est passé alors que Daphné et toi avez été muets comme des tombes et que moi aussi je ne pouvais plus émettre un son. J’espère que l’on mettra mon mutisme sur le compte d’un mauvais coup porté à la gorge ou bien sur la grave maladie dont Daphné avait parlé. Et mes camarades chevaliers qui …
Des bruits de pas. Elle entendit des bruits de pas à l’extérieur et qui se rapprochaient dangereusement de sa chambre et non pas de la porte d’entrée comme cela aurait été normal. Ce n’était donc pas quelqu’un venu réclamer l’aide de Daphné en pleine nuit. Iris commençait à s’inquiéter. Et si c’était un voleur ? Non. Il prendrait la peine de faire moins de bruit surtout en cette période de l’année où les gens dorment les fenêtres ouvertes. Les pas se faisaient plus pressants à présent. Cette personne ne cherchait même pas à être discrète. Des gouttes de sueur perlaient sur le front d’Iris. IL était là ! Il osait revenir malgré la menace du Sanctuaire qui pesait sur lui. Il était complètement inconscient !
Iris était tétanisée. Au lieu de prendre la fuite et de se réfugier chez Daphné, la peur la clouait sur place. Inutile de compter sur sa voix pour donner l’alerte. Mais les pas avaient cessé et le malfrat devait se trouver pile devant sa fenêtre. Il était prêt à passer à l’offensive. C’en était donc fini d’elle ! C’était trop bête de mourir alors qu’elle avait encore tellement de choses à faire, notamment demander pardon à Daphné et Saga et puis …
Un bruit contre les volets. Que se passait-il là-dehors ? Que voulait-il faire ? Toujours l’oreille bien affûtée, Iris attendit sans broncher la suite des événements et se ressaisit : elle n’avait pas oublié que depuis sa naissance, elle était en possession d’une magnifique dague. Bien qu’elle ne s’en soit jamais servie pour se défendre, il lui semblait opportun d’honorer ce présent par le sang d’une personne malfaisante. Doucement, afin de faire croire à l’agresseur qu’elle dormait toujours, elle tenta de saisir le précieux objet qui trônait sur sa table de chevet.
Une fois entre les mains de la fillette, cette dernière tint la lame dangereusement pointée en direction de la fenêtre, ses deux petites menottes fermement serrées sur le manche. Qu’il entre s’il ose ! Elle se chargerait de lui fournir un accueil qu’il ne serait pas prêt d’oublier. Un deuxième coup fut porté contre les volets. Plus fort cette fois. On aurait dit un caillou venu heurter le bois des cloisons. Puis, ce fut un grattement. Qu’est-ce que cela …
— Iris ! Tu dors ? C’est moi !
Iris tomba littéralement à la renverse. Un énorme soupir de soulagement s’exhala de sa poitrine et elle lâcha sa dague des mains. L’arme émit un léger claquement métallique quand elle heurta le sol.
— Iris ? Que fais-tu ? Tu t’es blessée ? Ouvre-moi ! Ouvre-moi ou je défonce les volets. A trois, je rentre de force ! Un … deux …, Saga s’arrêta de compter lorsqu’il entendit le froissement des draps et le bruit de pas de pieds nus marchant sur du bois.
Alors il était venu ! Et le bruit du dehors n’était autre que celui de ses pas ! Jamais elle n’aurait cru cela possible. C’était comme s’il avait entendu la prière qu’elle avait formulée. Les dieux avaient donné à Iris la chance de renouer le « dialogue » avec Saga et espérer son pardon. La petite s’approcha des volets et les gratta légèrement. Saga ne dit plus un mot, surpris lui aussi de cette soudaine et inespérée marque d’attention.
— Iris, s’il te plaît, sois gentille ! Je voudrais tellement te parler mais aussi te voir. Il me semble que tu es enterrée vivante. Je ne sais même plus à quoi tu ressembles ! Non … Excuse-moi … Je ne dois pas te forcer si tu estimes que tu n’es pas encore prête à sortir. J’attendrai, mais j’estime que j’ai déjà beaucoup de chance que tu veuilles entendre ce que j’ai à te dire. Je suis venu pour que tu me pardonnes, c’est pour ça que je suis venu tellement tard. Je n’arrivais pas à dormir et il fallait que tu saches combien je regrette la manière dont je me suis conduit tout à l’heure. Tant pis si je t’ai réveillée mais je vois que tu es aussi debout … drôle de coïncidence !
En écoutant ses paroles, Iris pouvait deviner que Saga souriait légèrement, le regard rêveur. Même si une mince fente séparait les battants de ses volets, elle ne le voyait pas. Connaissant Saga comme son frère, elle pouvait quasiment anticiper ses réactions, sauf celle du matin qui la laissa « sans voix ». Elle l’encouragea à parler davantage en reproduisant le même bruit que précédemment ce qui rendit la voix de Saga grave et chevrotante : l’adolescent était ému et elle pouvait presque entendre les larmes rouler le long de ses joues.
— Si tu savais comme je suis heureux que nous ayons enfin fait la paix ! Ça fait des semaines que je ne suis plus moi-même : je ne mange plus beaucoup, je dors mal et Polydeukès me fait bien sentir que je ne suis plus vraiment apte à m’entraîner.
Saga lui raconta alors le conseil que lui avait prodigué son mentor concernant les conditions de réussite d’un chevalier. Cela surprit énormément la ressuscitée et la plongea dans une tristesse inexprimable. Mais soit ! Si son salut dépendait de la réussite de Saga, elle était prête à se faire beaucoup plus discrète et ne plus l’importuner pour des raisons futiles. Elle devait cesser de se conduire comme la petite fille sans défense et lui montrer qu’il n’avait plus de souci à se faire pour elle. Ainsi, il serait plus concentré et performant. Cette idée ne fut pas particulièrement agréable à accepter. Mais puisque l’honneur de Saga l’exigeait … Elle avait du mal à retenir ses larmes et se mit à renifler.
— Mais … tu pleures ? Pourquoi ? Est-ce que j’ai dit quelque chose de mal ?
Elle répondit en frappant un léger coup sur le volet.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? Oui ou non ? Si c’est non, tu cognes une fois ; pour oui, deux fois.
Un coup.
— Entendu. Me voilà rassuré. Mais alors pourquoi pleures-tu ? Tu t’es blessée avec ta dague ?
Un coup.
— Tu es triste ?
Deux coups.
— A cause de quoi ? De moi ?
Deux coups.
— C’est ce que j’ai dit au sujet de l’entraînement ?
Deux coups.
— Ne t’en fais pas. Plus vite je deviendrai chevalier, plus vite je pourrai m’occuper de toi. Mon maître a dû endurer les mêmes épreuves à mon âge pour devenir le chevalier des Gémeaux, tu sais. Et maintenant, il peut veiller sur Daphné …
Saga s’interrompit. Iris profita de son silence pour aller chercher de quoi écrire et revint près de la fenêtre. Lorsqu’il l’entendit griffonner sur du papier, Saga sortit de ses pensées.
— Très bonne idée que l’écriture. Ce sera un peu plus long de ton côté mais moins limité.
Les minutes passèrent. Iris écrivait toujours.
— Tu en mets du temps ! Tu écris un roman ? Ah ! Tout de même ! dit-il en apercevant un bout de papier qu’elle tentait de faire passer par l’interstice des volets.
Il s’empara si fiévreusement du billet qu’il faillit le déchirer. Il lut entre ses lèvres puis s’exclama :
— Quoi ! Tu veux vraiment que je … ?
Deux coups.
— Très bien. Si c’est la seule condition pour que tu sortes … Je serai là avant mon entraînement avec ce que tu demandes en espérant que tu sois aussi ponctuelle que moi. A demain !
A peine prit-il congé d’elle, qu’Iris l’entendit courir comme un dératé rejoindre sa cabine. La demande d’Iris l’avait complètement secoué et elle était prête à parier qu’il attendrait devant sa chambre avec deux bonnes heures d’avance sur le soleil ce qui ne lui laissait que quatre heures tout au plus pour se reposer et se remettre de ses émotions. De son côté, Iris avait également des détails à régler. Sa dague gisait toujours à terre. Avant de la ranger, elle devait procéder à une petite opération.