Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 11 : IRA FUROR BREVIS EST

2669 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/01/2024 15:28

Disclaimer : cf. chapitre 1

CHAPITRE 11

           IRA FUROR BREVIS EST

 

         Cela faisait plusieurs jours maintenant que le terrible drame avait eu lieu. Iris ne daignait toujours pas sortir de sa chambre et ses repas lui étaient apportés par Daphné qui était la seule personne qu’elle semblait encore tolérer. Même Saga qu’elle considérait pourtant comme son frère n’était autorisé à lui parler que par mur ou porte interposés. Cette situation commençait à être intolérable au garçon qui se sentait également coupable de son accident.


         Lorsqu’il rentrait de son entraînement pour se rendre comme à l’accoutumée chez Daphné, il ne voyait ni n’entendait Iris. L’absence de ses rires et de ses babillages se faisait cruellement ressentir. Saga avait beau lui raconter sa journée et lui demander comment s’était passée la sienne, il ne recevait comme réponse que l’écho que produisait sa voix contre la paroi sur laquelle il s’adossait pour parler à la petite. Il savait qu’Iris était devenue muette suite au choc de son agression et qu’elle restait claquemurée dans sa chambre. Il tentait de se faire à cette idée d’absence de parole mais ne supportait pas qu’elle refusât délibérément de communiquer avec lui par quelque moyen que ce soit : billets glissés sous la porte ou la fenêtre, coups frappés contre le mur ou la porte. Quand donc allait-elle sortir de sa claustration ?


         L’absence d’Iris dans les ruelles du sanctuaire n’était malheureusement pas passée inaperçue. Quand certains commerçants voyaient passer Daphné, les questions concernant sa fille ne manquaient pas de fuser. Sans se laisser abattre et afin de ne pas révéler la tragédie qui l’avait frappée, Daphné répondait de manière évasive en prétextant surtout quelques ennuis de santé qui nécessitaient l’alitement d’Iris. Si la curiosité s’était uniquement emparée des villageois, tout serait allé pour le mieux. Mais les camarades de Saga aussi trouvaient étrange qu’Iris n’apparût plus à ses côtés.


—  Alors, les amoureux ? Vous vous êtes disputés pour qu’on ne voie plus Iris à tes côtés ? lança joyeusement Milo.


Evidemment, il ne manquait plus que le futur chevalier du Scorpion pour ternir davantage le tableau. Malgré son âge, le même qu’Iris, Milo était d’une intelligence rare, d’une finesse d’esprit assez redoutable, et déjà doué pour lancer des piques. Il savait manipuler les autres pour obtenir ce qu’il voulait et se soustraire à ses questions était devenu une obsession pour Saga. Malheureusement, il était clair que le futur chevalier des Gémeaux ne pourrait échapper éternellement à ses inquisitions. Saga était acculé et il fallait faire en sorte que Milo ne sache rien. Il devait protéger Iris. L’adolescent prit son courage à deux mains et lui répondit aussitôt en essayant de reprendre les excuses de Daphné.


—  Milo, je suis désolé de te décevoir mais Iris ne m’a pas flanqué à la porte. Alors si tu espérais une rupture entre nous, tu t’es trompé. Iris est simplement malade et alitée. De plus, son mal est si contagieux que je n’ai pas le droit de la voir. J’ai tout juste la possibilité de lui parler à travers la porte. Est-ce que cela répond à tes questions ? répondit Saga en singeant l’ironie de Milo.


L’autre chevalier fut d’abord interloqué par l’aisance dont son aîné faisait preuve. Il ne s’attendait pas à ce que le calme Saga rétorque ainsi. Mais ce dernier éprouvait une certaine fierté à lui avoir cloué le bec sans recourir à la force et en le battant de surcroît sur son propre terrain. Puis, soudain, Milo esquissa un sourire de contentement. Saga pensait qu’il aurait été mort de honte et aurait cherché à s’enquérir davantage de l’état d’Iris qu’il lui disputait déjà jalousement. Mais au lieu de cela, Milo se tenait face à lui, sans mot dire, avec son rictus si particulier.


—  Merci ! C’est tout ce que je voulais savoir, déclara-t-il tranquillement en le dépassant.


Saga tombait des nues. Savoir Iris malade n’émouvait pas plus son cadet que cela ? Etait-il si insensible ? Non, connaissant Milo, il était très possessif vis-à-vis d’Iris même si cela n’était pas réciproque. Alors pourquoi ce sourire ironique ? Soudain, un éclair de lucidité frappa Saga. Ce diable de Milo avait réussi à lui faire avouer ce qu’il avait du mal à admettre lui-même. Non seulement il n’avait pas contredit Milo quand il avait utilisé le terme « amoureux » mais il avait lui-même évoqué une absence de « rupture ». Le mensonge s’était retourné contre Saga. Et contre toute attente, cet aveu tacite soulageait l’adolescent.


Après avoir secrètement rendu grâce au futur chevalier du Scorpion, Saga se rendit d’un pas léger mais néanmoins anxieux chez Iris. En s’approchant de la maison, il vit Daphné assise sur le pas de la porte, la tête entre ses mains. S’était-il passé quelque chose de grave pour qu’elle fût dans cet état ? La jeune femme le rassura en lui avouant qu’elle tombait simplement de sommeil à force de veiller sur Iris dont les nuits se résumaient à de courts épisodes de sommeil. Ses excuses l’avaient partiellement convaincu.


—  Il y a du neuf concernant ses sorties ou bien elle est toujours enterrée dans sa chambre ?

—  Non. Hélas, soupira longuement Daphné en levant les yeux au ciel. Elle refuse obstinément de sortir alors que je lui ai assuré qu’elle ne risquait absolument plus rien. Je ne sais plus quoi faire. Et si un jour elle décidait de…


Des larmes vinrent mouiller ses yeux noisette avant même qu’elle n’eût fini sa phrase. Pour une fois, Saga comprit ce qu’elle insinuait. Lui non plus ne voulait pas qu’Iris disparaisse, surtout quand il savait ce qu’il éprouvait pour elle. Il fallait faire réagir la petite d’une manière ou d’une autre. Saga lui avait sauvé la vie à sa naissance ; il pouvait bien réitérer cet exploit. Le garçon se précipita aussitôt vers la porte de sa chambre qu’il trouva bien évidemment close. Il commença à lui parler à travers cette cloison de bois qui lui était d’autant plus pénible à supporter qu’elle était mince et qu’Iris s’y trouvait peut-être accolée. Il lui parla doucement, presque suppliant.


—  Iris, c’est moi. Il faudrait que tu penses à sortir. Tu ne peux tout de même pas passer ta vie dans cette pièce ! Tout le monde se fait du souci pour toi, surtout moi. Même Milo s’étonne de ne plus te voir à mes côtés ; il pense qu’on s’est disputés. Pour éviter d’aborder le sujet, j’ai raconté la même version que Daphné. Mais il faudra bien que tu sortes un jour. Daphné commence à ne plus savoir que raconter aux villageois qui s’inquiètent de ton état. Je ne sais pas si tu te rends compte de la situation dans laquelle tu nous mets mais ça devient de moins en moins supportable. Et puis il n’est plus là maintenant. Je serai à tes côtés. Tu m’entends, Iris ?


Aucune manifestation de l’autre côté de la porte. C’était à en devenir malade ! Elle l’avait entendu, il en était certain. Pourquoi refusait-elle de communiquer avec lui ? Lui en voulait-elle de ne pas avoir été présent ce fameux jour et le lui faisait-elle payer ? Si c’était le cas, c’était réussi. Mais Daphné n’avait rien à voir là-dedans ! C’en était trop. Saga d’habitude si serein était excédé par ce caprice. Si elle ne voulait plus lui parler, entendu ! Mais qu’elle ne lui reproche jamais de ne pas avoir voulu l’aider !


—  Pour la dernière fois, Iris ! Je t’ordonne de sortir. Si tu ne le fais pas pour moi, fais-le pour Daphné qui sacrifie ses jours et ses nuits à te veiller et à te nourrir !


Saga attendit quelques instants pour laisser le temps de réfléchir et voir enfin la porte s’ouvrir. En vain. Iris ne daignait toujours pas accéder à sa requête. Soudain, Saga s’emporta vivement et s’en prit à la porte qu’il faillit défoncer. Daphné d’ailleurs s’en étonna.


—  Ah ! C’est comme ça ! explosa-t-il en frappant la porte du poing. Et bien restes-y dans ta chambre et surtout n’en ressors jamais ! Je ne veux plus jamais te revoir, tu entends ? Tu as beaucoup trop mauvais caractère ! Même Daphné finira par t’abandonner ! On s’échine à te dire que tout va bien mais tu n’en fais qu’à ta tête ! Je sais que ce que tu as subi est terrible ; mais tu persistes à jouer les victimes ! Tant pis pour toi ! J’étais la dernière personne qui voulait t’aider mais je ne supporte plus tes caprices de petite fille gâtée pourrie ! Adieu ! Et ne cherche plus à me parler !


Sur ces paroles, Saga se détourna de la chambre et courut à toute allure vers la sortie, la tête baissée, sans même regarder Daphné qui n’avait pas bougé lors de son arrivée. Il courut aussi vite qu’il le pouvait pour s’éloigner le plus rapidement possible de celle en qui il avait mis toutes ses espérances. De loin, il entendit Daphné qui le suppliait :


—  Saga ! Non ! Reviens ! Tu ne sais plus ce que tu dis ! Que va-t-elle devenir sans toi ?


Malgré les pleurs et les supplications de la jeune femme, Saga ne se retourna pas et continua sa course effrénée sans but précis. Il ne sut combien de temps il garda le rythme mais il commençait à fatiguer. Il y avait bien longtemps qu’il ne s’était plus déplacé « normalement », sans avoir recours à sa cosmo-énergie. Il s’arrêta donc, à bout de souffle, courbé en deux. En relevant la tête, il s’aperçut qu’il était arrivé dans un endroit qui lui était familier : la cascade. Toujours aussi épuisé mais sous le coup de la surprise, il décida de s’adosser contre un arbre pour recouvrer ses esprits et ses forces. En regardant le paysage qui l’environnait, il sentit quelque chose d’humide et chaud descendre le long de ses joues.


Des larmes coulaient le long de son visage, des larmes de colère et de peine. La colère parce qu’il n’avait pas pu éviter le pire, parce qu’il reconnaissait son impuissance et le résultat de cette dernière : Iris ne voulait plus le voir. Mais sa lâcheté ne se résumait pas à ce douloureux épisode : il n’avait jamais osé lever la main sur un de ses jeunes camarades qui prenait plaisir à faire sentir sa différence à Iris ou à la narguer sur leurs rapports plus qu’amicaux. C’était Iris, seule, qui s’était défendue, avec ses propres poings, alors qu’il était tout à côté. Iris semblait être née sous une mauvaise étoile.


Outre la colère, la tristesse martelait son cœur. Saga venait de perdre une personne qui lui était chère à cause de la dureté de ses propos. Sous le coup de l’exaspération, il l’avait accusée d’enfant capricieuse alors que ce dont elle avait besoin en ce moment, c’était d’une épaule sûre et ferme sur laquelle s’appuyer. Une fois encore, il l’avait trahie mais cette fois, elle lui en tenait rigueur. Il venait de détruire une belle amitié. Soudain, les paroles de son maîtres surgirent dans son esprit. Il prit conscience, avec horreur, que ce que Polydeukès avait dit dans la maison de Daphné quelques semaines auparavant était d’une sagesse exemplaire : la colère n’engendre que le malheur. Saga venait d’en faire la triste expérience.


Les pleurs de l’adolescent redoublèrent lorsqu’il fit le constat de son emportement. Plus jamais il ne pourrait regarder Iris en face, si elle daignait toutefois sortir un jour. Plus rien ne serait comme avant. Comment avait-il pu en arriver là ? Comment affronter Milo qui profiterait certainement de la situation et le ferait passer pour un monstre sans cœur devant tous leurs compagnons d’entraînement.


Les étoiles commençaient à maculer le ciel. Saga ne s’était pas aperçu qu’il avait passé plusieurs heures à cet endroit depuis la fin de son entraînement. Il y a longtemps qu’il aurait dû être rentré chez son maître. Il allait certainement avoir droit à des remontrances mais il s’en moquait. Il fit néanmoins l’effort de se relever du tronc qui lui avait servi de confident et d’appui alors qu’il s’épanchait sur sa future misérable existence et se mit en marche, péniblement, la tête basse, prêt à recevoir la foudre comme châtiment divin.


Au moment où Saga franchit le seuil de sa cabine, Polydeukès occupait déjà la sienne. Pas de blâme à venir. L’adolescent referma violemment la porte derrière lui et après s’être changé et avoir effectué un bain de toilette, il se mit au lit, du moins il s’allongea, les bras croisés sous la nuque, les yeux rivés au plafond.


Il savait pertinemment qu’il ne pourrait pas dormir. Trop d’événements disputaient la place qui devait normalement revenir au sommeil. Il ressassait les paroles, ou plutôt les injures, qu’il avait proférées à l’encontre d’Iris : elles se heurtaient si anarchiquement qu’il en eut mal à la tête. Les minutes, puis les heures passèrent. Saga échafaudait des scenarii qui lui auraient permis de rentrer en contact avec Iris et de lui faire ses plus plates excuses mais rien ne prenait forme. Il se torturait, il se mutilait intellectuellement, il suppliciait tout son être pour entrer à nouveau dans les grâces de sa camarade sans que cela pût lui apporter un quelconque réconfort. Son lit ressemblait plus à un champ de bataille qu’à un lieu dédié au repos : il se retournait sans arrêt pour chasser toutes les pensées qui l’assaillaient. Peut-être qu’en se levant et qu’en marchant un peu dans l’air frais de la nuit il trouverait la quiétude qu’il recherchait.


Il ouvrit la porte et resta sur le pas quelques instants. Au lieu de faire le tour de sa cabine ou de celle de son maître, il se mit à marcher dans une direction bien précise. Puis, le rythme de ses pas se fit plus rapide et déterminé. Il courait non pas pour s’oxygéner le cerveau mais plutôt pour soulager sa conscience.


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