Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 9 : LA VENGEANCE EST UN PLAT QUI SE MANGE FROID

2788 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/12/2023 09:50

disclaimer : cf. chapitre 1

CHAPITRE 9

LA VENGEANCE EST UN PLAT QUI SE MANGE FROID

 

La nuit tomba plus tôt que prévu car le ciel avait été couvert toute la journée. Saga fut étonné de ne pas voir la frimousse d’Iris qui venait l’attendre quel que soit le temps. Lui réservait-elle une surprise dans sa cabine ? Non. Même si cela avait été le cas, elle aurait été là, comme d’habitude, à le traîner tout le long du chemin alors qu’il était mort d’épuisement. Etait-elle simplement en retard de sorte qu’il l’entendrait crier et la verrait dévaler la falaise à bout de souffle ? Non plus, car Iris était un prodige de ponctualité. Malade alors ? Même à l’article de la mort, elle aurait rampé. Son absence commençait à inquiéter le garçon et même son maître trouvait cela étrange :


—  Tiens ? Notre tornade n’est pas là aujourd’hui ? Pourtant même les bourrasques ne l’arrêtent pas. C’est étrange.

—  Vous trouvez aussi ? Je vais voir à la cabine. Peut-être que je la rencontrerai en chemin … à moins qu’elle n’ait eu un accident !


Polydeukès sourit en voyant combien son élève se préoccupait du sort de sa camarade. Il savait qu’il n’arriverait pas à corriger cet excès de sentimentalisme car, à bien y réfléchir, il était dans la même situation que Saga. A la seule différence qu’il était un chevalier accompli et non pas un novice. Le jeune homme prit donc congé de son maître après l’avoir salué puis se dirigea à grands pas vers l’humble bâtiment qui lui servait de maison. Il l’appela de loin dans l’espoir de la voir se manifester à une fenêtre ou à la porte.


—  Iris ! C’est moi ! Tu es là ?


Mais seule la pluie lui répondit. Intrigué et bientôt inquiet de cet insupportable silence, Saga fit le tour de la maison pour vérifier si elle ne gisait pas inconsciente au sol. Aucune trace d’elle. Avec appréhension, il ouvrit lentement la porte de la cabine et l’appela doucement comme s’il avait peur de la réveiller. Toujours pas d’écho. Cette situation devenait franchement angoissante. Mais où diable était-elle ? Si elle avait été chevalier, il aurait pu la localiser grâce à son cosmos mais dans le cas présent, l’apprenti devait s’en remettre aux connaissances qu’il avait d’elles, à ses habitudes, aux les lieux qu’elle aimait fréquenter. Soudain, une idée : la cascade. Elle adorait cet endroit plus que la plage. Saga allait se mettre en route quand il réalisa le ridicule de la situation : il pleuvait.


Il eut soudain une sensation étrange au point que ses membres en frémirent et partit à toute vitesse dans une autre direction. Elle savait qu’elle ne devait pas y aller quand il était là. La veille, elle avait eu de la chance car Polydeukès occupait la place de l’être honni. Mais à présent… Saga était intimement convaincu qu’elle était tombée sur lui et que … Il fit le trajet à la vitesse de la lumière pour arriver en un battement de paupières devant la maison de Daphné. On n’entendait rien. Aucune lumière n’était allumée. Saga était mort d’angoisse. Où était passé tout le monde ? Même la vue d’Ixion qu’il abhorrait en temps normal l’aurait rassuré. Il devait entrer et tant pis s’il tombait sur le soldat : peut-être qu’il se montrerait coopératif pour une fois.


Il enfonça la porte plus qu’il ne l’ouvrit mais il demeura sur le pas : il n’osait plus parler. C’était un spectacle de désolation qui l’accueillit : la table et une chaise étaient renversées. Il avança prudemment pour allumer la lumière et constata qu’il n’était pas au bout de ses surprises : des gouttes de sang maculaient le sol, agrémentées de quelques touffes de cheveux. Le garçon se baissa pour en ramasser une et soupira d’aise. Ce n’étaient pas les cheveux d’Iris. Par conséquent, c’était Daphné qui avait eu des problèmes et cela ne le rassura pas davantage. Si Daphné avait été agressée, Iris avait certainement voulu lui porter secours. Mais pourquoi n’y avait-il aucun indice de sa présence ? Il regarda autour de lui et vit la porte de la chambre de Daphné entrouverte.


—  Daphné ! hurla Saga à pleins poumons en se précipitant dans la pièce.


Là non plus, personne. Il alluma la lumière et vit que le lit de la jeune femme était défait. De sa position, Saga put distinguer une tache au milieu des draps. En s’approchant, il vit qu’il s’agissait de sang séché. Celui de Daphné ? Mais que s’était-il donc passé pour que cette maison devienne celle de l’horreur ?


—  Daphné ! Iris !

—  C’est toi, Saga ? Nous sommes là !


Enfin une réponse ! Le cœur de Saga faillit lâcher. La voix de Daphné provenait de la salle de bain. Sans même se tenir sur ses gardes au cas où Ixion surgirait d’on ne sait où, le garçon courut jusqu’à la salle de bain qui était la seule pièce éclairée et qui semblait apporter un peu de vie dans cet endroit qui respirait désormais la mort.


—  Ah ! soupira Saga. Daphné ! Ir …


Il ne put finir. Il vit Daphné agenouillée qui tenait fermement Iris contre elle, enveloppée dans un drap de bain. Il regarda la jeune femme, les yeux exorbités, craignant le pire.


—  Qu’est-ce que se passe ? Qu’est-ce qu’elle a ? Est-ce qu’Iris est … ?


Daphné secoua doucement la tête et fixa le garçon qui eut un mouvement de recul. Le visage de Daphné était couvert de bleus et de croutes de sang, ses lèvres et ses yeux étaient enflés à cause des coups répétés. Néanmoins, ses yeux se remplirent de larmes.


—  Non, rassure-toi. Elle est bien vivante mais son esprit est bien mort, lui.

—  Elle est évanouie ? Dans le coma ?


Elle secoua la tête mais n’en dit pas plus. Que signifiaient ces paroles sibyllines ? Il voulut l’interroger davantage quand une main se posa sur son épaule. Saga sursauta et se retourna brusquement, prêt à défier son adversaire. Il relâcha bien vite sa garde en constatant qu’il s’agissait de son maître et non pas d’Ixion qu’il se serait fait une joie d’affronter. Il ne l’avait pas entendu ou senti venir tant il était préoccupé par la mésaventure d’Iris. Polydeukès était maussade.


—  Viens. Laisse-les seules et aide-moi plutôt à mettre un peu d’ordre dans cette maison.


Saga referma la porte des bains à contrecœur et aida Polydeukès dans sa mission. La curiosité du garçon reprit le dessus et tout en remettant les meubles à leur place pendant que son professeur nettoyait, il lui demanda :


—  Excusez-moi, maître, mais est-ce que vous avez compris ce que Daphné a dit ? Je m’inquiète pour Iris. Elle est … morte ou pas ?


Le chevalier finit de balayer les cheveux puis nettoya le sol avec Saga mais ne répondit pas immédiatement. Une fois sa tâche terminée, il se planta devant son élève. Son regard était encore plus sombre qu’à son arrivée. Sans un mot, il lui prit la main et l’emmena dans la chambre de Daphné. Puis, il s’approcha du lit et lui désigna la tache de sang.


—  Ceci représente la pire chose qu’un homme puisse faire à une femme et la plus lâche.


Saga le regarda, incrédule, toujours aussi peu éclairé sur le drame qui venait de se produire. Voyant qu’il ne saisissait pas ses propos, Polydeukès s’agenouilla devant son élève, le prit par les épaules et lui parla comme un père à son fils, sans détour.


—  Je sais que tu comprends ces choses-là. Tu n’es pas ignorant des relations qu’il y a entre les hommes et les femmes, même les relations sexuelles qui ont lieu quand deux êtres s’aiment réellement. Mais Ixion a abusé d’Iris : il a eu des rapports avec elle alors qu’il ne l’aime pas. Il l’a forcée : c’est un viol.


Saga resta interdit. Bien sûr qu’il connaissait par ouïe dire et par coup d’œil furtif ce qui se passait dans une chambre. Mais là, ce fut un choc. Le garçon se jeta contre la poitrine de son maître en pleurant à chaudes larmes, presque au bord de la nausée. Il serra les poings et martela le plastron de son maître.


—  Mais pourquoi il a fait ça ? Dites-moi ! Pourquoi. Il n’avait pas le droit de lui faire mal ! Il l’a salie ! Elle a dû avoir mal et crier et …


Polydeukès releva la tête de son disciple pour le forcer à se calmer. Il lui sécha ses larmes.


—  Tu vois, Saga, l’être humain commet parfois des actes insensés et immoraux qu’on ne peut pas expliquer. Personne ne saura jamais pourquoi il a violé Iris. Peut-être que lui-même ne pourrait pas expliquer son geste ! Il a agi sous le coup de la folie.

—  Vous lui trouvez des excuses, maître ! s’indigna Saga. Bien que vous m’ayez enseigné qu’un chevalier ne doit pas agir pour son bien personnel, je vous fais le serment de venger Iris et de tuer cet homme qui répand le malheur autour de lui.


C’est alors que Polydeukès gifla Saga et reprit son élève dévoré par la colère.


—  Ecoute-moi bien ! Tes paroles sont le reflet d’une colère irraisonnée. Je comprends que tu souffres. Moi aussi j’ai mal pour Iris et Daphné ! Mais ne laisse jamais tes sentiments aveugler ta raison. Tu ne dois pas agir inconsidérément. Je crois qu’Ixion vient de signer lui-même son arrêt de mort et que son bourreau lui fera certainement subir, tôt ou tard, le châtiment qu’il mérite. Les dieux ne lui pardonneront pas son crime.


Saga regardait son maître, persuadé que pour une fois il faisait fausse route malgré tout le respect qu’il lui devait. Il fallait absolument mettre la main sur cet homme avant qu’il ne commette d’autres méfaits. Et si la justice ne faisait pas son travail, Saga s’en chargerait personnellement, quitte à être damné ! Il se fit la promesse de ne pas laisser Iris sans la venger. Il sécha ses larmes tant bien que mal et posa une autre question :


—  Maître, vous dites qu’un chevalier doit avant tout servir Athéna et aider ses semblables. Mais comment peut-il s’occuper du reste de l’humanité s’il n’est même pas capable d’assurer la protection de ceux qui lui sont chers ?


Polydeukès resta un long moment sans lui répondre. Son élève était très éveillé et son raisonnement avait de bons arguments.


—  Vois-tu, les malheurs qui jalonnent la vie des hommes sont autant d’épreuves qui nous permettent de nous fortifier moralement pour faire de nous des êtres dotés d’une certaines capacité de détachement. En temps de guerre, si tu montres tes faiblesses à ton ennemi, tu risques de te faire battre même si tu es beaucoup plus puissant que lui. Ce que je vais te dire va te paraître dur et cruel mais il faut que tu fasses abstraction de tes sentiments pour atteindre un degré de concentration optimal pour vaincre tes opposants. Tu es jeune, tu as acquis des grandes capacités mais il te reste encore du chemin pour devenir le chevalier des Gémeaux. Je veux dire par là que pour atteindre ton but, tu dois oublier Iris et les sentiments qui te lient à elle. Si tu n’en es pas capable, tu dois oublier tout ce que je t’ai appris et renoncer à devenir chevalier.


Ce fut une seconde gifle pour Saga. Renoncer à Iris pour devenir fort ! C’était complètement paradoxal et inenvisageable. Diminuer la fréquence de leurs rencontres, oui ! Mais pas la chasser de son existence. Elle était maintenant devenue une raison supplémentaire de parvenir à ses fins. Et après ce qu’elle avait vécu, la considérer comme une paria était inhumain. Saga se résolut à devenir le plus puissant chevalier d’or pour protéger son amie, chose qu’il n’était malheureusement pas parvenu à réaliser pour le moment. Il se résigna, les larmes dans les yeux.


—  Entendu, maître. Je ferai comme vous l’exigez même si ça me fait vraiment mal.


Polydeukès sourit faiblement comprenant le douloureux choix de son apprenti, qui, tacitement, jura solennellement : « Iris, c’est pour toi que je fais ça. Je te jure de devenir le plus fort. Je ne laisserai plus jamais personne te faire le moindre mal. Auquel cas, il mourra de ma propre main. Je m’engage à rendre ta vie meilleure. Et si jamais j’ai le malheur de te faire souffrir, de lever la main sur toi, d’attenter à ton honneur ou même d’y penser, que les dieux me foudroient sur le champ. »


Maître et élève sortirent de la chambre. Au même moment, Daphné émergea avec Iris toujours emmitouflée dans ses bras. Les deux binômes se retrouvèrent face à face. La jeune femme regarda le chevalier, lui adressa un timide sourire car sa lèvre la faisait souffrir et inclina la tête en signe de reconnaissance. Polydeukès lui rendit son salut.


—  Tu devrais aussi prendre soin de toi maintenant. Il ne t’a pas ménagée. Il faudra aussi avertir les autorités le plus vite possible afin de pouvoir l’incarcérer.


Le chevalier ne prononça pas le nom du scélérat car il savait tout le mal que cette évocation pouvait engendrer. Il était d’une discrétion et d’une diplomatie absolues. Il pria également Saga de taire cet incident afin d’épargner sa camarade.


—  As-tu besoin d’aide ? Tu veux que je reste au cas où il reviendrait ?

—  J’allais te le demander, si ça ne te dérange pas. Mais je voudrais aussi que tu fasses autre chose.


Le regard de la jeune femme fixa sa propre chambre. Polydeukès saisit immédiatement où Daphné voulait en venir alors que dès le début, Saga était dans l’incapacité la plus totale d’interpréter leurs sous-entendus ou leurs silences. Le chevalier pénétra dans la chambre de Daphné puis réapparut avec les draps. Il sortit de la demeure et jeta le linge de lit quelques mètres plus loin. Il reproduisit l’opération avec le matelas et même le lit en pièces détachées. Bien que la pluie au dehors fût moins dense, Polydeukès se concentra pour former une boule d’énergie qu’il dirigea sur le monticule.


Daphné entra dans son cabinet avec Iris qu’elle déposa sur la table d’examen. La jeune femme n’en crut pas ses yeux quand elle put se voir dans le miroir. C’est lorsqu’elle s’oignit d’un onguent apaisant et désinfectant qu’elle retint des sifflements de douleur en ne perdant pas Iris des yeux. Puis elle s’occupa de sa petite. Les deux femmes sortirent enfin pour se cloîtrer dans la chambre de la petite sous la garde alternée du chevalier et de son disciple.


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