Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 8 : ADIEU, TEMPS DE L'INNOCENCE

2329 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/12/2023 13:20

Disclaimer : cf. chapitre1

CHAPITRE 8

ADIEU, TEMPS DE L’INNOCENCE

 

         Daphné ouvrit lentement les yeux et les cligna pour ajuster sa vision et reprendre pied dans la cruelle réalité. Il faisait presque sombre dans la pièce. Elle réalisa qu’elle était restée inconsciente presque deux heures ! Tout était calme dans la maison. Etrangement calme. Seules la table et une chaise renversées témoignaient du passage d’Ixion. Où était-il d’ailleurs ? Probablement sorti puisque la jeune femme n’entendait plus rien et que la porte d’entrée était fermée.


         Daphné se leva péniblement encore étourdie par le violent coup du soldat. D’abord à quatre pattes, elle prit appui sur le mur et réunit ses forces pour se redresser totalement. Elle se passa machinalement la main sur le visage comme pour se débarrasser des vestiges de son sommeil : elle sentit des croutes de sang séché. Cette fois, Ixion n’y était pas allé de main morte !


         Il était arrivé sur le coup de midi, son estomac plus que son cœur lui intimant l’ordre de se rendre chez sa cantinière. Il entra sans frapper, dégoulinant de pluie. Comme tout bon rustre qui se respecte, il prit soin de garder ses bottes auxquelles une bonne couche de boue s’était accrochée. Il fit le tour de la table, salit délibérément le sol puis daigna prendre une chaise pour s’y installer en attendant que la jeune femme finisse de préparer le repas.


         Plusieurs récipients qui avaient servi à la confection du repas étaient en train de sécher sur l’évier. Daphné demanda à son hôte de bien vouloir les essuyer afin qu’elle puisse les réutiliser pour y transvaser d’autres aliments. Les ustensiles de cuisine du médecin se limitaient au minimum vital. Elle lui indiqua où se trouvait la serviette pour exécuter cette tâche. Curieusement, il vint lui apporter son aide sans émettre un grognement de protestation. Il devait être dans un de ses rares jours de bonté. Mais la jeune femme s’aperçut bien vite du contraire.


         Ixion s’approcha de l’évier qui jouxtait la cuisinière, s’apprêta à empoigner une casserole quand il stoppa net son geste. Daphné tourna légèrement la tête pour comprendre ce qui avait immobilisé le soldat. Elle ne vit qu’un regard sombre et menaçant dans sa direction. Elle comprit aussitôt la raison de sa colère : il venait de voir les deux verres à vin qu’elle avait utilisés la veille avec Polydeukès et qu’elle avait laissé traîner dans l’évier jusqu’à la vaisselle suivante.

—  Apparemment, tu n’étais pas seule hier soir ou ce matin, constata-t-il froidement en désignant les éléments à charge.


Daphné ne dit mot, persuadée que si elle prenait la parole, le ton monterait immédiatement. Ixion poursuivit.


—  Je dirais plutôt hier soir : vous avez dû prendre du bon temps pendant que je n’étais pas là.


La logique de son raisonnement policier effraya la jeune femme. Elle ne disait toujours rien mais commença à trembler.


—  Tu ne dis rien ? Ton silence confirme mes soupçons ! Avec qui étais-tu, hein ? Réponds !


Il ne lui laissa même pas le temps d’ouvrir la bouche : une gifle magistrale sur la joue droite l’empêcha de prononcer une excuse.


—  Alors ?! Qui est-ce ?!


Une autre gifle, tout aussi violente que la première vint cette fois s’écraser sur l’autre joue. Mais Daphné, au lieu de baisser le regard piteusement, soutint celui de son tortionnaire. A quoi bon expliquer que Polydeukès était simplement venu pour discuter et que, par politesse, elle lui avait offert un verre de vin ? Qu’est-ce que cela aurait pu changer ? Ixion était résolu à se défouler, peu importe ce qu’elle lui dirait, vérité ou mensonge. Ses poings le démangeaient furieusement. Ce n’était donc pas la peine d’user de diplomatie pour calmer la grosse brute.


—  Je crois que je sais : c’est ce chevalier qui te fait les yeux doux derrière mon dos !

—  Il n’a jamais rien tenté, répondit-elle calmement.

—  Dans ce cas, c’est toi qui le provoques ! Combien sont déjà venus à part lui ?


Expliquer à Ixion qu’il se faisait des idées déplacées sur le comportement de la jeune femme pendant ses campagnes était inutile. Daphné se préparait psychologiquement à subir l’inéluctable. Un coup de poing dans l’abdomen fit se plier la jeune femme de douleur. Elle était recroquevillée et pensait que cette posture rendrait la souffrance plus tolérable. Ixion ne répliqua pas. Il recula même. La jeune femme crut qu’il venait de réaliser la gravité de son acte mais elle se trompait lourdement. Ses yeux reflétaient la cruauté et son sourire narquois lui firent comprendre qu’il était déterminé à aller jusqu’au bout. Il se dirigea vers la table et la renversa dans un excès de rage. Il fit de même avec une chaise. Puis, il sembla se calmer.


—  Et à part boire, qu’avez-vous fait d’autre ?


Bien que courbée par la douleur, Daphné se releva légèrement. Son regard perça celui de l’homme. Elle n’avait plus rien à perdre ; elle était déterminée à lui raconter la stricte vérité et lui envoyer à la figure sa façon de penser sur son attitude. Il la battrait à mort mais il fallait qu’elle se soulage. Et puis, il y a quelques années, elle avait fait preuve de plus de témérité, ou plutôt d’inconscience, face à un homme encore plus puissant qu’Ixion. Elle retrouva son audace et son impertinence.


—  On s’est embrassés tout naturellement puis il est rentré. Polydeukès est un être sensé, généreux et doux. Jamais il n’abuserait de son rang envers des êtres plus faibles. C’est un homme d’honneur et tout le monde l’admire et le respecte, même ses ennemis. Il m’a toujours rendu service quand tu n’étais pas là malgré les lourdes exigences de sa charge et sans arrière pensée. Tu ne lui arrives vraiment pas à la cheville ! Toi, tu n’es qu’un ivrogne et un lâche qui préfères se venger sur une femme plutôt que d’attaquer un chevalier ! Si tu avais été différent et surtout plus respectueux, je ne serais pas tombée amoureuse de lui !


Ixion avait écarquillé les yeux mais demeurait incrédule. Daphné renchérit bien que toujours souffrante.


—  Oui ! Je l’avoue, je l’aime ! Il a su me montrer plus de respect et d’affection que toi, même si son devoir de chevalier exige de lui un certain détachement. Même son élève avec qui il se montre particulièrement sévère le voit comme son propre père. Et Iris également. Si je le pouvais, ce serait avec lui que je fonderais une famille ! Tu m’entends ?! C’est lui et lui seul que j’aime !

—  Je ne t’en laisserai pas le temps ! rétorqua Ixion devenu désormais fou furieux. Si je ne peux pas t’avoir, lui non plus ne t’aura pas !


Et tel un rapace, Ixion fondit sur Daphné et la frappa à plusieurs reprises, lui cassant le nez et lui fendant la lèvre. Il l’empoigna par les cheveux et lui cogna la tête contre le mur jusqu’à ce que le sang commence à couler. Puis, il la traîna comme une carcasse d’animal mort dans la pièce. Daphné cherchait pitoyablement à se libérer de son emprise quand elle le vit lever encore une fois le poing sur elle. C’est alors que la porte s’ouvrit et qu’Iris intervint …


IRIS ! Daphné venait de recevoir un électrochoc. Elle parcourait nerveusement la pièce mais ne voyait la fillette nulle part. Elle se précipita tant bien que mal dans la chambre que la petite occupait tout en l’appelant : vide. Puis, vers la sienne dont la porte était fermée.


—  IR … !

Daphné demeura sur le pas de la porte, le souffle coupé. Ce qu’elle vit devant elle l’acheva davantage que les coups qu’elle avait reçus. Iris se trouvait dans sa chambre et plus précisément allongée sur son lit, les yeux rivés au plafond, les vêtements déchirés. En s’approchant du petit corps, Daphné put distinguer une tache sur le lit. Instinctivement, elle porta sa main à sa bouche en réalisant ce qui s’était passé. Elle eut un haut le cœur. Elle était à deux doigts de vomir tellement le comportement d’Ixion l’écœurait. Elle tâcha de se ressaisir et prit le corps souillé de son petit ange entre ses bras.


—  Iris … ? Tu m’entends ?


La fillette ne répondit pas, probablement encore sous le choc. Elle la souleva de son lit et l’amena dans la salle de bain pour la recouvrir d’une serviette. Elle s’assit au sol, Iris dans ses bras.


—  Iris … Réponds-moi, je t’en prie ! supplia Daphné en serrant la petite toujours plus fort contre elle, en la berçant et en lui caressant ses longs cheveux. Si tu savais comme j’ai honte ! Je n’ai même pas pu te protéger ! Pardonne-moi ! Si j’avais su …


Miraculeusement, Iris commença à bouger. Elle fit tomber le drap de bain qui la recouvrait, se désolidarisa de l’étreinte de sa mère et observa cette dernière. Elle put voir que Daphné avait été sévèrement retouchée elle aussi. Elle serra la jeune femme de ses petits bras et Daphné éclata en sanglots. Puis, elle se recula pour la considérer entièrement, lui sourit faiblement mais ne lui dit toujours rien. Un comble ! C’était Iris qui venait de se faire souiller et c’était Daphné qui était consolée. Les pleurs de l’adulte redoublèrent. Les deux s’étreignirent à nouveau.


         Au bout d’une demi-heure de crises de larmes de l’une et l’autre, Iris se détacha enfin de sa mère pour faire couler l’eau chaude de la baignoire. Plus cette dernière se remplissait, plus la vapeur devenait dense. Trop dense. Iris se débarrassa des loques qui lui cachaient vainement le reste du corps et mit un pied dans la baignoire fumante. Daphné se releva d’un bond, craignant pour la sécurité de la fillette.

—  Mais arrête, Iris ! L’eau est bouillante !


Au moment où elle voulut s’approcher d’elle pour la retenir, une force invisible et colossale la cloua sur place. D’où venait cette énergie ? Emanait-elle d’Iris ? Daphné ne savait le dire mais elle avait la sensation que c’était la même que celle de Polydeukès ou de Saga en plus faible. C’était véritablement étrange. Iris lui était devenue étrangère, presque menaçante. Comme elle ne pouvait plus bouger, immobilisée par cet étrange pouvoir, elle ne put qu’assister à l’étrange rituel qui se déroula devant elle.


Iris immergea à présent son second pied dans cette mer de feu, visiblement très déterminée. Mais elle ne sourcillait absolument pas au contact de la chaleur intense, comme si la température était tout à fait normale. Qu’avait-elle l’intention de faire ? Se donner la mort après ce drame ? Puis, le plus naturellement du monde, elle coupa l’eau, se glissa dans son bain et se saisit d’une brosse et du savon pour se frotter vigoureusement le corps mais surtout l’entrejambe.


Daphné comprit ce qui motivait Iris à s’infliger un tel traitement : elle voulait se nettoyer, se purifier physiquement de la salissure que lui avait infligée Ixion. Mais psychologiquement, elle était anéantie et rien ne pourrait laver cette offense, sauf peut-être le temps. Elle continuait à frotter avec toujours plus d’entrain, allant même jusqu’au sang : sa peau habituellement si blanche avait adopté une teinte écarlate sous l’effet conjugué de la chaleur et de cette abrasion volontaire. On voyait même quelques gouttes de sang faire leur apparition. Iris était en train de se mutiler et Daphné ne pouvait toujours pas bouger. Mais la fillette ne disait rien et son visage n’exprimait aucune douleur. Daphné était médusée par son attitude.


Enfin, l’éprouvant spectacle toucha à sa fin. Iris se leva, se rinça, toujours à l’eau bouillante et sortit de la baignoire rouge comme une écrevisse et lézardée de quelques traces plus écarlates. A la grande surprise de la jeune femme, cette dernière put enfin se mouvoir. Elle s’empressa alors d’envelopper l’enfant dans sa serviette et la prit dans ses bras. Mère et fille restèrent encore plusieurs heures ainsi sans échanger une seule parole.


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