Chevalier, mais pas trop ...
Disclaimer : cf. chapitre 1
CHAPITRE 3
LE NOM DE LA ROSE
Saga arriva enfin devant la porte de Daphné, le bébé fermement serré contre sa poitrine et emmailloté tant bien que mal dans sa tunique. Une fois sur le pallier, il s’assura que la fillette respirait toujours et il soupira d’aise. Il frappa rapidement à la porte de la main gauche pour pouvoir soutenir le mieux possible le petit fardeau dont il venait d’hériter.
— Entre Saga ! C’est ouvert.
Daphné n’avait même pas pris la peine de se retourner, habituée aux visites quotidiennes du garçon. Mais elle ignorait totalement les raisons qui l’amenaient ce soir-là chez elle.
— C’est du docteur dont tu as besoin ou bien de la …
Elle s’arrêta net lorsqu’elle se retourna vers l’apprenti, intriguée par ce qu’il portait. Lui, referma la porte, s’approcha de la jeune femme, tendit les bras vers elle et elle le déchargea. Ses yeux s’écarquillèrent à la vue du bébé grossièrement emmitouflé. Sans même poser une question, l’atmosphère ressembla vite à une situation d’urgence sur un champ de bataille.
— Vite ! Une bassine d’eau tiède pour le réchauffer et des serviettes ! Ah … c’est une fille. Et elle a encore son cordon.
En moins de temps qu’il ne fallut pour le dire, Daphné avait plongé le nouveau né dans un bain et procédé à l’ablation du cordon. D’ici quelques jours, on verrait le nombril. Une fois nettoyée de ses miasmes, réchauffée et séchée, la petite chose avait enfin pris figure humaine : un beau bébé bien joufflu dont le teint de porcelaine désespérément pâle contrastait avec le hâle habituel des peuples méditerranéens.
Daphné effectuait maintenant le nettoyage de sa gorge ce qui provoqua quelques larmes et cris aigus chez le nourrisson : ce fut la première fois que Saga prit conscience que son ancien paquet était un être vivant. Ensuite, Daphné testa les reflexes moteurs et fut soulagée de constater que la petite n’avait aucun handicap. Puis elle chercha de quoi la vêtir comme il sied à un nouveau né. Mais comme elle-même n’avait pas d’enfant, elle dut se satisfaire d’une chemise en flanelle qu’elle ne mettait que lorsque le temps était très frais.
— Où l’as-tu trouvée ? demanda enfin la jeune femme.
Saga lui raconta sa folle épopée.
— Je vois, fit-elle dépitée. Le plus dur sera de retrouver sa mère maintenant.
Saga présenta la dague.
— Ça va bien nous aider. En attendant, je la garde ici pour cette nuit. J’irai dès demain voir les autorités pour leur demander d’effectuer des recherches sur la mère, même si cette dernière ne souhaite plus voir son enfant : l’île du Sanctuaire abrite beaucoup trop d’orphelins à mon goût.
Daphné regarda pensivement Saga en prononçant ses derniers mots. Inconsciemment, le garçon souhaitait du plus profond de son âme que la démarche échouât. Soudain, ce fut un cri du cœur :
— Tu pourrais l’adopter ! Tu n’as pas d’enfant !
Cette remarque abrupte tira Daphné de la rêverie dans laquelle elle était plongée quand elle berçait le bébé. Un sourire teinté d’amertume se dessina sur son visage.
— Figure-toi que la même idée a germé dans mon esprit. Mais as-tu pensé à ce que dirait Ixion ou même à ce qu’il pourrait faire s’il apprenait que j’ai adopté un bébé ?
Ixion. Jamais Saga ne pourrait s’habituer à ce nom. Celui d’un simple soldat, rustre et brutal, qui brillait plus par ses absences et ses beuveries, les rares fois où il se trouvait au Sanctuaire, que par l’aide matérielle qu’il était censé prodiguer à Daphné. Son compagnon officiel … malheureusement.
— Non. Jamais il ne voudra d’elle, même comme fille adoptive. En plus, il risquerait de me rejeter par la même occasion !
— Justement ! C’est l’occasion de le quitter pour …
Daphné regarda Saga d’un air désespéré, lisant clairement dans les pensées du petit. Elle savait ce que souhaitait Saga mais elle changea brusquement de sujet, probablement gênée d’avoir à confesser devant l’apprenti chevalier ce qu’elle ne pouvait dire à son maître.
— Mais tu es couvert de blessures ! Tiens la petite un instant pour que j’aille chercher de quoi te soigner.
Aussitôt, Daphné déposa délicatement et convenablement le bébé dans les bras de Saga et elle s’en alla dans le petit cabinet qui jouxtait sa maison. Dans le laps de temps qui suivit, le garçon fit alors véritablement connaissance avec celle qui allait devenir la plus chère à ses yeux. Aussi peu consciente du monde dans lequel elle venait d’arriver, le bébé semblait sourire délibérément à son porteur. Mais la surprise de Saga ne s’arrêta pas là : le bébé ouvrit les yeux pour laisser voir deux magnifiques joyaux d’une rare intensité, deux pierres d’un bleu glacial, presque gris, accentuaient encore cette soudaine explosion de bonheur. Charmé par cette créature qui avait déjà un noir début dans l’existence, le garçon lui rendit son sourire.
— Je vois que vous avez fait connaissance et que tu lui plais beaucoup ! railla Daphné qui revenait de sa pharmacie, les mains remplies de bandages et de désinfectants. C’est visiblement elle qui t’a adopté.
— C’est … c’est pas ça, bredouilla l’enfant. C’est juste que … ses yeux !
La jeune femme se pencha pour voir des yeux à demi fermés mais à la couleur intense.
— Dans ce cas, son nom est tout trouvé ! Tu m’as bien dit que sa mère ne lui en a même pas donné un, n’est-ce pas ? Et bien nous l’appellerons Iris !
— Iris …, répéta rêveusement le garçon. C’est vrai que ça lui va bien.
Mais tout à coup, sans raison apparente, Iris se mit à pleurer.
— Donne-la-moi ! Je crois savoir ce qu’elle veut. Moi non plus je ne pourrai pas dormir le ventre vide, dit la jeune femme en caressant le duvet gris qui parait le crâne du nourrisson.
— J’ai compris ! Je vais chercher du lait !
— Mais … et tes blessures ?! Maternisé, le lait !!
Elle n’eut même pas le temps de s’expliquer davantage que Saga se retrouvait à nouveau dehors, sous la pluie qui n’avait toujours pas cessé. Ses blessures ? Oubliées ! Il fallait maintenant se mettre en quête de lait mat… quelque chose. Chez qui ? Une nourrisse ? Une pharmacie ?
Ne connaissant pas de nourrice, Saga se dirigea logiquement vers une pharmacie qui était de garde cette nuit-là. L’apothicaire regarda le garçonnet de manière incrédule puis lui remit ce qu’il demandait maladroitement après quelques questions et rectifications. Mais étant parti à la hâte, Saga avait complètement oublié de prendre de quoi payer. Il fit noter la somme au nom de Daphné ce qui fit sourire le pharmacien, étonné que sa collègue pût avoir un enfant. Elle viendrait régler son ardoise ultérieurement.
Sur le chemin du retour, il croisa un convoi de secours qui ressemblait plus à un cortège funéraire. Intrigué, il s’approcha pour savoir ce qui se passait bien que l’urgence de la situation exigeât qu’il ramenât au plus vite de quoi nourrir Iris.
— Elle est tombée du haut de la falaise alors qu’on n’y voit pas clair avec ce sale temps. Morte sur le coup, conclut une voix.
Le cadavre étendu sur le brancard, couvert de sang, n’était malheureusement pas inconnu à Saga. Quand il arriva chez Daphné, celle-ci berçait paisiblement Iris qui s’était finalement endormie, malgré la faim.
— Eh bien ! Tu en fais une tête ! Tu n’as pas pu avoir de lait ?
Le jeune garçon lui présenta la boîte de lait mais articula péniblement sans pour autant fondre en larmes.
— Ils l’ont retrouvée : elle est morte.