Woes Chapter

Chapitre 28 : L'hégémonie de la Balance.

2809 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 20/12/2022 23:10

Chapitre 28 : L'hégémonie de la Balance.


Les jours précédant les émanations de Planitaíos sur le Sanctuaire, en Chine, Qi Lao Feng, Mont de l’Or, cascade de Jīn Xuè.


Une brise fondatrice animait les Qi Lao Feng et charriait les voix des Quiddités qui reprenaient consistance dans leur domaine de villégiature pour la première fois depuis des millions d'années. Shiryu distinguait leurs essences comme autant de cosmos dépassant l'entendement. Partout où la brise soufflait, la vie se développait, s'adaptait, évoluait. Les forces génitrices de la Nature se mêlaient et consolidaient les fondations du nouvel environnement de Lushan. Dans l'inconscient de sa méditation, le Grand Pope discernait la moindre étincelle de vie. Les Quiddités avaient formé une barrière inviolable englobant leur domaine, le temps que chacun des Pics s'imprègne d'elles. Lorsque cette imprégnation s'était terminée, la barrière avait disparu, mettant fin à l'isolement de Lushan et permettant de percevoir de nouveau le monde entier. Shiryu ressentait également une autre présence aux limites de sa perception personnelle. Il ne savait comment elle s'appelait, mais il savait qui elle était. La Balance d'ébène veillait sur lui. Il décida de poursuivre sa méditation pour se familiariser avec l'essence de la Quiddité du Métal.

— Je te confie mon essence, balance d'or, lui avait-elle dit.

Son essence. L'énergie primale qui constituait les Quiddités. Cette énergie qui n'était pas du cosmos mais qui était canalisable pour peu qu'on en soit imprégné. Contrairement à l'utilisation du cosmos, qui consistait à extérioriser l'énergie de son univers intérieur, l'usage de l'essence revenait à intérioriser l'énergie de l'univers environnant, pour peu que celle-ci correspondait à la Quiddité dont on était imprégné. Les potentialités qui s'ouvraient à eux, Shiryu en était encore à seulement les imaginer. Il était certain qu'il s'agissait de la seule manière de réellement atteindre les Calamités. Il le découvrirait bien assez tôt de toute façon.

Les catastrophes naturelles succédaient aux catastrophes naturelles partout dans le monde. Par l'intermédiaire de la Quiddité qu'il représentait, il pouvait le sentir. Les morts s'accumulaient par millions et, alors qu'il aurait dû envoyer ses chevaliers pour sauver les populations, il n'osait pas leur demander le sacrifice ultime pour une guerre qui ne relevait pas du rôle du Sanctuaire. Malgré ce qu'il avait annoncé, le Grand Pope espérait que la chevalerie d'Athéna ne serait pas impliquée. Il espérait que les Pics seuls suffiraient. Il lui suffisait probablement d'attendre que l'imprégnation soit terminée et alors le Sanctuaire serait épargné et ses chevaliers resteraient sains et saufs. Il était loin d'imaginer que son inaction apparente était mal interprétée par certains Saints d'Athéna qui brûlaient d'en découdre afin de venir en aide à ceux qu'ils avaient juré de protéger au nom d'Athéna. Tous avaient pourtant accepté la perspective de se sacrifier pour éviter à leur déesse, et aux humains qu'elle protégeait, de périr. Que valait leur vie face à des dizaines, des centaines ou même des milliers d'autres ? Le Grand Pope sous-estimait-il ou avait-il oublié cette abnégation ? Pêchait-il par orgueil ? Surprotégeait-il ceux qui étaient sacrifiables et remplaçables depuis les temps mythologiques ? Au fond de lui, Shiryu percevait leurs doutes, mais les refoulait, et leurs refusait toujours le droit de quitter le Sanctuaire. Il ne savait pas encore que cela s'avérerait une grave erreur. Les affres du commandement le déchiraient.

— Vieux Maître, que feriez-vous à ma place ? Que ferait un Grand Pope digne de ce nom ? Suis-je réellement qualifié pour cette fonction ? Et mérité-je vraiment l'armure de la Balance et sa fonction d'arbitre du Bien et du Mal ? J'ai recouvré la vue, mais j'ai l'impression d'être aveugle… ou aveuglé… je ne sais plus.

— Shiryu, fit une voix calme et profonde. N'as-tu pas pourtant rassuré ton propre fils ?

Dohko lui apparut. Il semblait soucieux de voir son disciple en proie à une telle tempête d'incertitudes.

— Ce n'est pas la même portée, Vieux Maître. J'ai entre mes mains la vie de centaines de chevaliers. Comment puis-je leur commander de mourir pour la cause des Pics ?

— Qu'est-ce que commander pour toi, Shiryu ? Lui demanda Dohko assez brutalement. Réponds !

— Commander ? Ce n'est pas imposer ses idées mais plutôt amener ses subalternes à adhérer à ses décisions, par la justesse et le bien-fondé de celles-ci.

— Excellente définition ! Approuva Hakuryu en apparaissant à côté de Dohko. 

— Maître Hakuryu, fit Shiryu. Merci pour votre approbation, mais ça ne rend pas les choses plus faciles.

— Crois-tu que tu pourrais imposer aux chevaliers de mourir sans qu'ils ne le veuillent ou qu'ils n'acceptent la situation ? Demanda Sennenryu en se manifestant à son tour.

— Honnêtement, non. Je sais qu'ils donneraient leur vie sans y réfléchir à deux fois pour défendre la Terre. Mais ce n'est pas une guerre sainte et la raison d'être de la chevalerie est de combattre les dieux au nom d'Athéna. J'ai engagé le Sanctuaire, mais ai-je bien fait ? Ai-je pris la bonne décision ?

— Quelqu'un s'est-il opposé à cette décision au Sanctuaire ? Un Saint a-t-il rejeté la légitimité de cet engagement ? Reprit le dragon blanc.

— Non, mais…

— Alors tu as pris la décision que tout le monde attendait de toi, assura le dragon noir.

— Shiryu, poursuivit Dohko. Tu es le Grand Pope, l'héritier de la Balance et le disciple le plus abouti de Lushan. Tu es l'hégémon de cette lutte menée par les Pics. 

Shiryu se revit alors à sa prise de fonction, juste après la guerre contre Hadès et le retour sur Terre. Athéna lui avait confié le Sanctuaire, sa direction et sa reconstruction. Il se serait attendu à ce que ce soit Seiya, mais il était trop impulsif, Ikki trop violent, Hyoga trop froid, Shun trop pacifique… Il n'y avait même pas eu de débat, personne ne remettant en question les qualités de Shiryu comme meneur du Sanctuaire. Il était posé et réfléchi, mais aussi féroce et implacable lorsqu'il le fallait. L'armure de la Balance avait remplacé la Cloth du Dragon. Et la charge du Grand Pope avait commencé. D'autres conflits s'étaient déclarés. Pallas, Saturne et les Gladiateurs pour les plus violents. Mais aussi d'autres plus mineurs contre certaines divinités enhardies par la faiblesse apparente de l'armée d'Athéna. Il avait également laissé ses amis mettre en oeuvre leurs propres projets, les soutenant de toutes les ressources possibles du Sanctuaire. La proposition de Seiya et Saori de développer les armures d'acier, le projet de Shun, Kiki et Mii de mettre en place une défense du Sanctuaire, la réouverture de l'Académie Sacrée par Marine et Shaïna, l'idée d'Erda de surveiller les âmes des chevaliers au Yomotsu Hirasaka en vue d'acquérir une sorte de capacité résurrectrice comme l'armée d'Hadès, l'ambition d'Ikki de rassembler les apprentis déchus et les aspirants rejetés pour en faire des chevaliers noirs… Et ses propres projets : les deux maisons perdues, les quatre-vingt-huit Clothes… Et tout le reste… Oui, sans fausse modestie, il avait réussi à fédérer convenablement le Sanctuaire. Il raffermit son assurance.

— Tous les chefs sont amenés à prendre des décisions parfois difficiles et tu n'as pas à rougir de celles que tu as prises. Sans compter tout ce que tu as entrepris et qui a mené le Sanctuaire là où il en est aujourd'hui, combien d'Aléas sont morts grâce à tes chevaliers ? Combien de vies ont ainsi été épargnées ? Ne vois pas les millions de morts que tu n'as pas su éviter… étaient-elles seulement évitables ? Vois les millions d'autres que tes subordonnés ont empêchées.

— Comme toujours, vous avez raison Vieux Maître. Je ne peux qu'admettre la justesse de vos paroles. Je ne puis ignorer la volonté des Saints plus longtemps et je vais devoir accepter de les envoyer au combat, qu'importe les risques pour leurs vies, par respect pour eux. De la même façon que vous n'avez pas pu me retenir de vous suivre contre Hadès, Vieux Maître, et que vous avez accepté que je meurs avec vous.

Dohko ricana légèrement, visiblement gêné et touché par ce souvenir. Sa présence commença à s'évanouir, accompagnée de celles d'Hakuryu et de Sennenryu. Shiryu avait exorcisé les démons de son fort intérieur.

— Nous sommes fiers de toi, dirent-ils avant de disparaître complètement.

Shiryu s'éveilla de sa méditation. D'instinct, il sut qu'il en allait de même pour sa famille et ses condisciples. Chacun avait trouvé les réponses qu'ils recherchaient et atteint un état de paix intérieure qui les ouvrait à l'essence de leur Quiddité respective. Le Grand Pope se sentit investi d'une puissance qu'il n'avait jamais connu.

— Grand Pope ? Interrogea une voix inconnue.

Une femme aux cheveux blonds cendrés, les yeux bandés, revêtue d'une armure noire ornée d'armes, se tenait à genoux devant lui.

— Enfin tu te présentes devant moi, sourit-il à celle qu'il comprit être son alter ego d'ébène. Comment te nommes-tu ?

— Gyun-Hyeong, pour vous servir et vous défendre Grand Pope, répondit-elle avec déférence. 

Shiryu l'observa avec attention. Son armure d'ébène de la Balance avait quelque chose de différent de la sienne, comme si elle incarnait une justice tranchante. Il compta sept armes différentes des siennes, probablement doubles comme celles de l'armure d'or de la Balance. De quoi armer les quatorze chevaliers d'ébène comme il pouvait armer lui-même les chevaliers d'or qui ne possédaient pas déjà une arme, tels Seiya et l'arc du Sagittaire ou Shaïna et le bâton d'Asclépios. 

— Pourquoi te révéler maintenant ? Demanda-t-il curieux.

— Pour vous prévenir que je repars au Sanctuaire. Maître Ikki nous fait mander et je perçois comme une sombre menace qui se dirige vers le domaine d'Athéna.

Shiryu se concentra. Elle avait raison. L'avait-elle perçu avant lui par simple intuition ou sa cécité lui permettait-elle d'accéder à des informations hors de sa portée ? Il avait lui-même pu modifier ses perceptions lorsqu'il était aveugle, notamment lors de la bataille des douze maisons où il avait permis à Seiya et lui d'échapper à l'illusion des Gémeaux.

— Va, Gyun-Hyeong. Je rassemble les Pics. Tu as toute ma confiance.

— Je vous remercie, Grand Pope, fit-elle avant de se volatiliser à la vitesse de la lumière.

Un mauvais pressentiment s'empara de lui. Il alla chercher ses compagnons, ne se doutant pas des atrocités qui suivraient, ni de ce qu'il découvrirait en revenant au Sanctuaire. 


**

Afrique du Sud, Dôme de Vredefort. Le jour de l'attaque des sept Ceintures calamiteuses, après la résurrection des chevaliers morts par Shun et le retour de Kiki avec ses renforts.


Quatre-vingt-huit chevaliers. Non, cent-quarante-trois maintenant avec l'avènement des chevaliers de laiton. Non plus, deux-cent-quatre-vingt-six en prenant en compte les chevaliers noirs. Shiryu n'en croyait pas ses sens. Jamais dans ses rêves les plus fous il n'aurait imaginé une telle puissance pour la chevalerie d'Athéna. Il était à la tête du premier Sanctuaire complet, et même plus, depuis les temps mythologiques. Tous les espoirs étaient permis dorénavant. Face à la plus grande menace que la Terre et ses habitants aient connu depuis des millions d'années, Shiryu était le Grand Pope qui pouvait y opposer une chevalerie dépassant les plus folles espérances d'Athéna elle-même. La déesse qui avait toujours compté sur autant de chevaliers que de constellations dans le ciel, sans jamais les atteindre, pouvait maintenant prétendre à une armée de cent-quarante-trois guerriers officiels grâce à l'héritage de son propre fils, et autant d'officieux grâce à Ikki et Mavry. Et c'était Shiryu qui en était à la tête pour cette génération. À lui de faire en sorte que cela ne soit pas la dernière.

— Chevaliers ! Clama-t-il en attirant l'attention de tout le monde. L'heure de la véritable bataille a sonné. Il est temps pour le Sanctuaire de mener l'offensive qu'il aurait dû entamer depuis bien longtemps. Vous êtes les protecteurs de la Terre et je n'aurais pas dû vous déposséder de ce statut, aussi temporairement l'ai-je fait. Je voulais vous protéger. Je voulais vous empêcher de souffrir… pour le résultat que vous connaissez. Beaucoup d'entre vous sont morts déjà une fois par mon inconséquence. Certains d'entre vous mourront une deuxième fois, je le crains. Néanmoins, je vous fais le serment que vous mourrez en Saints défenseurs de la planète confiée à Athéna. Le combat sera rude et impitoyable. Mais, je vais vous confier un enseignement de mon estimé Vieux Maître Dohko… un chevalier doit avoir un cœur comme un plant de yuzuriha !

Son visage aveugle parcourut l'assemblée.

— Oui mes amis, mes frères, mes disciples, vous devez avoir un cœur comme un plant de yuzuriha. Car un tel plant perdra toutes ses feuilles avant que les nouvelles ne se développent. Les Saints qui protègent la Terre doivent devenir plus forts à chaque génération. Un jour, vous devrez dépasser vos aînés. Et un autre jour encore, vos enfants et vos élèves vous dépasseront. Ainsi, au fur et à mesure des générations, nous nous renforcerons jusqu'à ce que finalement, l'un de nous au moins s'éveille à l'ultime cosmos. Pour cela, nous ne devons craindre aucun sacrifice !

Il regarda ses frères d'armes parmi les chevaliers d'or et d'argent.

— Comme un plant de yuzuriha, les vieilles feuilles doivent tomber afin que les nouvelles poussent.

Et il contempla alors tous les chevaliers qui n'étaient pas survivants de la dernière guerre sainte.

— Pour ça, je sacrifierais ma vie avec joie. Pour que la nouvelle génération développe une puissance sans précédent. Un pouvoir que tous les Saints… non, que tous les humains possèdent d'une certaine manière. Les cœurs des gens peuvent se connecter entre eux et nous pouvons prendre soin les uns des autres. Les chevaliers doivent veiller sur tous les habitants de la Terre, sans distinction aucune. Cette empathie est ce qui permet à l'âme, et donc au cosmos, de s'élever. Et quand l'amour de votre prochain se combine à ce cosmos, un pouvoir infini naît.

Il pouvait percevoir l'émotion dans les rangs des chevaliers. Il porta son attention vers les autres Pics. Shunreï et leurs enfants brillaient d'admiration. À leurs côtés, Okko et Genbu respiraient la fierté pour leur condisciple qui reprenait à bon escient les paroles de leur maître défunt.

— Chevaliers, vous n'êtes pas seuls aujourd'hui. Et je ne parle pas des Pics.

Il lança un regard d'excuse à Ikki. Je suis désolé mon frère, pensa-t-il. Il sentit l'approbation du chevalier d'or du Lion. Il comprenait que, de toute façon, avec la résurrection des chevaliers, son secret était en passe d'être éventé.

— Chacun d'entre vous est accompagné depuis longtemps d'un alter ego, d'une étoile protectrice pour ainsi dire.

Un remous incertain dans les ombres. Shiryu n'en tint pas compte. Il était temps que la vérité éclate et que les honneurs soient partagés.

— Apparaissez, chevaliers noirs. Prenez officiellement la place qui est la vôtre à nos côtés et en pleine lumière !

À côté de chaque chevalier d'or, d'argent, de bronze et de laiton apparut un chevalier d'ébène, de charbon, de cendre ou de suie. L'hésitation qui s'empara des Saints officiels d'Athéna fut vite remplacée par la reconnaissance envers ceux qu'ils avaient ressentis derrière eux dans les derniers moments et qui étaient parfois morts à leur place. Shiryu sentit l'unification se répandre comme une traînée de poudre. Le Grand Pope se tourna vers les Ceintures calamiteuses et pointa le doigt vers elles. Tous les chevaliers se tournèrent d'un bloc dans la direction indiquée.

— En avant, chevaliers, ordonna le chevalier d'or de la Balance en invoquant toute l'hégémonie dont il était capable. Suivez-moi. Suivez les Pics au combat. Et ensemble et sans peur, protégeons la Terre !

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