Woes Chapter

Chapitre 27 : La résolution de la vouivre.

2621 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/12/2022 18:16

Chapitre 27 : La résolution de la vouivre.


Les jours précédant les émanations de Planitaíos sur le Sanctuaire, en Chine, Qi Lao Feng, Mont de l'Arbre, cascade de Shù Yè.


Shunreï se laissait baigner par la sérénité qui semblait avoir envahi Lushan depuis que Shiryu, Okko, Genbu et ses enfants s'étaient mis à méditer face à leurs cascades respectives. Habituée à cet état d'ouverture à la Nature, de par ses innombrables prières des années durant, elle avait attendu que tous les Pics soient immergés dans leurs pensées avant de s'y remettre. La première fois, elle avait commencé à percevoir la Quiddité de l'Arbre et en avait déjà retiré de nombreux bénéfices. Mais elle avait dû s'arrêter de communier en ressentant le désarroi de Shiryu face aux premiers morts. Elle avait réussi à le rassurer, inversant fièrement les rôles. Elle se sentait forte maintenant, elle se sentait enfin capable de soutenir réellement son mari, de le soutenir physiquement et pas uniquement par des prières ou une acceptation docile de son statut de chevalier et son obligation de partir au combat en la laissant en arrière. Et elle en était soulagée.

— Les femmes sont fortes, fit une voix tranchante et impérieuse derrière elle.

Shunreï se retourna, surprise. Une femme régale, vêtue d'une longue robe sombre, un diadème obscur ornant sa longue chevelure argentée se tenait bien droite et la lorgnait d'un regard à la fois méprisant et appréciateur. Sa Shield ne revenant pas la couvrir, Shunreï comprit que la femme ne représentait pas un danger… du moins immédiatement. Car elle était dangereuse assurément.

— Qui êtes-vous ? Demanda la femme de Shiryu.

— Celle qui t'a envoyé ta Fane, Shunreï. Celle qui a reconnu ta puissance de femme désireuse de protéger ta descendance. Je suis Éris, déesse de la discorde et je n'aime pas les femmes assez pitoyables pour ne savoir se défendre seule. Même la plus conciliante des femmes ne devrait pas avoir à accepter sans contrepartie que son homme la laisse en arrière. Ta place aurait dû être depuis longtemps à ses côtés, en égale au combat.

Shunreï commença par baisser les yeux devant ce constat mais les releva aussitôt en fronçant les sourcils.

— Je n'ai pas à rougir de ce que j'ai été ni de la façon dont j'ai vécu mon amour pour Shiryu, répondit-elle. Tu as l'air de me croire docile ou soumise. C'est peut-être l'impression que je donne… que j'ai donné… j'en suis consciente, mais je sais surtout que je lui ai sauvé la vie à plusieurs reprises, même sans combattre. J'ai suffisamment perturbé Masque-de-Mort pour permettre à Shiryu de le vaincre, j'ai soigné ses blessures, morales ou physiques, je lui ai permis d'aller au combat sans avoir à s'inquiéter en acceptant ses départs successifs et en l'encourageant malgré la peur qui me tenaillait de ne jamais le revoir.

— Masque-de-Mort s'est servi de toi pour atteindre Shiryu et tu as trop souvent commencé par pleurer ou essayé de le dissuader de partir, railla Éris.

— Parce que je n'avais pas la puissance nécessaire à ma propre défense ou à le défendre ! Et qui encouragerait d'emblée son aimé à aller risquer sa vie ? Les larmes que j'ai versées n'étaient que le reflet de ma frustration et de mon impuissance, mais pas un aveu de faiblesse d'esprit. C'est grâce à moi que Shiryu a survécu à son entraînement, ses combats et ses blessures. Ça, personne ne pourra dire le contraire !

La déesse la contempla. Shunreï enchaîna.

— Je ne suis pas une faible femme. Je suis forte ! Qui ne le serait pas en vivant en permanence auprès du Vieux Maître ? Je suis forte et il ne me manquait plus que la puissance d'assumer cette force !

— Tu oses me contredire ? Tu oses entrer en conflit avec une déesse ?

Le ton d’Éris était menaçant mais la fille adoptive de l'ancien chevalier d'or de la Balance ne se laissa pas démonter.

— Déesse ou non, je ne peux pas te laisser mentir ou te méprendre à mon sujet. Je n'ai jamais eu peur de m'exprimer et j'ai trop souvent dû le faire face à des gens bien plus puissants que moi pour que tu m'impressionnes au point de me taire.

Shunreï défia du regard la déesse de la discorde… qui éclata d'un rire tonitruant.

— Effectivement, tu n’es pas faible, femme et mère de chevaliers. Et tu as cela dans le sang, descendante de la Taonia Mudan du Moineau. 

Shunreï resta interdite un instant. Elle ne connaissait pas vraiment son histoire familiale.

— Tu ne le savais pas ? La raison pour laquelle Dohko t’a accueillie toutes ces années ? Tu es une descendante de son amie Mudan qui, avec son frère Feiyan, se sont installés sur Terre après la défaite d’Hakutaku qui avait pris le contrôle de la Contrée Mystique. Ils ne pouvaient pas rester dans la contrée des sennins, aussi ont-ils choisi de s’installer dans un village proche de Lushan pour y vivre simplement et retrouver le vrai lien à la Nature. C’était leur rédemption et tu es de la lignée de Mudan, une Taonia toi-même. 

— Je ne le savais pas… souffla la femme de Shiryu.

Tout prenait place dans sa tête. Bon nombre de ses interrogations, qu’elle avait fini par enfouir avec le temps, trouvaient enfin une réponse.

— La Fane de la Vouivre t'ira à la perfection. Sais-tu que, dans les légendes, la vouivre est un animal vivant dans les bois et prend l'allure d'une femme lorsqu'elle est sereine et d'un dragon lorsqu'elle est en colère ? Je n'ai jamais rencontré de femme capable de la revêtir et quand j'ai senti que la Fane m'implorait férocement de la laisser te rejoindre, j'ai sauté sur l'occasion. À ton contact, elle a évolué en Shield et cela m'a confirmé dans ma décision. J'ai toujours aimé offrir aux femmes les moyens de déployer leur plein potentiel et d'assouvir leurs désirs. Comme tu dis, personne ne peut être faible en suivant les préceptes du Vieux Maître. C'était un guerrier exceptionnel et tu as été sa disciple non avouée. Le cosmos n'est pas tout, tu l'as bien compris. Et la discorde entre ta force intérieure et ton manque apparent de cosmos sera la source de ta puissance.

Shunreï resta sous le coup de la réaction d’Éris. Elle avait enfin une partie de l'explication qui lui manquait sur sa légitimité de Pic.

— Merci, déesse Éris, fit-elle humblement.

— Ne me remercie pas, renchérit brutalement la déesse en changeant de ton. Même si j'aime les conflits, le combat n'est pas forcément ce que tu pourrais rêver de mieux. Je ne t'aurais pas fait ce cadeau de moi-même si la Fane ne m'avait pas forcé la main. Tu m'as convaincue de ta force, mais tu n'as jamais connu le champ de bataille. Impossible de savoir comment tu vas gérer les blessés et les morts. Je n'irai pas à l'encontre de la Shield, mais j'émets encore des doutes. Je voulais quand même voir qui elle avait choisi. Je ne suis pas particulièrement déçue, mais tu dois encore faire tes preuves.

Shunreï fut piquée au vif.

— Je suis une Pic, choisie par la Quiddité de l'Arbre elle-même. Je ne dois de preuve qu'à elle, déclara-t-elle fièrement. Et à la biodiversité !

— Nous verrons bien, estima Éris. Les dieux eux-mêmes sont impuissants face aux Calamités, de toute façon. Nous sommes bien obligés de placer nos espoirs en vous, les Pics. Je suppose que je peux déjà m'estimer heureuse de ne pas aider directement Athéna.

Sur ces entrefaites, la déesse de la discorde salua Shunreï d'un dernier signe de tête et, sans lui laisser le temps de répondre, se volatilisa, sa présence disparaissant dans le néant de l'hyperespace divin. La femme de Shiryu prit le temps de se calmer et se tourna vers sa cascade. Elle se rassit et se remit en position de méditation. Sa Shield reposait sous le courant presque sirupeux de la chute du Mont de l'Arbre. Elle entra de suite en communion avec elle, sa mémoire atavique se transférant une fois de plus dans sa propre mémoire.

Elle se trouva une fois encore face à ses souvenirs. Elle se retrouva en train de se cacher derrière un rocher en train d'observer Shiryu lorsque celui-ci ne connaissait pas encore son existence. Elle se revit face aux méandres du fleuve au pied des Wu Lao Feng, discutant avec Shiryu de la bonté du Vieux Maître. Elle se remémora en train de prier pour son salut durant la bataille des douze maisons, l'affrontement d'Asgard et l'assaut du temple de Poséidon. Elle se souvint du dévouement dont elle avait fait preuve lors de sa cécité après son combat contre Argol, son déchirement lorsqu'Okko l'avait sauvée de la noyade pour ensuite attaquer Shiryu et son apitoiement lorsqu'il était parti en guerre contre Hadès. Elle se surprit aux côtés d'un Genbu troquant son entraînement contre une sieste improvisée, tentant de l'inciter à poursuivre l'enseignement de Dohko. Elle se vit recueillir Shoryu qu'elle trouva abandonné dans les monts de Lushan. Elle revécut la naissance de Ryuho et de Ryufeng. Elle se retrouva mère de trois adorables garçons et femme d'un mari aimant. Elle assista de nouveau à l'entraînement de ses fils, les soutenant comme elle avait soutenu leur père. Elle connut une fois encore ses inquiétudes, ses moments de tendresse, ses peurs, ses joies, ses peines et ses soulagements… tous les moments de sa vie de femme et de mère. Ces moments d'impuissance et de frustration, ces moments où elle admit son impossibilité d'agir, ces moments où elle eut honte de n'avoir que les larmes comme arguments avant de se ressaisir et de faire preuve d'une résolution implacable.

— Tu as toujours assisté aux entraînements que j'ai prodigués à Shiryu, fit remarquer tendrement une voix qu'elle ne reconnut pas.

Un homme aux cheveux bruns, revêtu d'une tenue conventionnelle brodée de tigres et de dragons et coiffé d'un traditionnel chapeaux de paille chinois, se tenait face à elle dans son inconscient.

— Vieux Maître ? Tenta-t-elle.

L'homme eut un sourire espiègle.

— Il est vrai que tu ne m'as jamais connu sous cette apparence. Le Misopethamenos octroyé par Athéna a épargné mon coeur toutes ces années mais pas mon apparence. Je n'ai retrouvé mon corps de jeune homme qu'après t'avoir quittée. 

Il la contempla.

— La maturité et la maternité te vont bien, ma fille. Shiryu et toi avez de merveilleux enfants. Je suis heureux de les avoir connus, bien qu'uniquement à travers les limbes de la méditation de Lushan. Vous les avez bien formés et accompagnés…

Il s'arrêta, Shunreï le serrant soudainement dans ses bras virtuels. Chaleureusement, il lui rendit son étreinte.

— Vous m'avez tellement manqué, Vieux Maître ! 

— Je suis désolé, mais je devais te laisser. Je ne m'attendais juste pas à ce que Shiryu me suive. Je voulais que vous viviez une vie normale, une vie de jeunes de votre âge.

— Je le voulais aussi. Mais y croyiez-vous vraiment ? Shiryu n'était pas un jeune normal. Vous l'avez formé pour être chevalier. Espériez-vous vraiment qu'il reste en arrière là où son maître allait risquer sa vie dans sa deuxième guerre sainte ?

— Oui, il l'espérait vraiment, dans sa plus grande candeur, précisa une forme sombre qui s'avéra être un dragon noir à l'aspect féroce. Il a toujours été très… optimiste.

— Maître, fit Dohko. Vous ne pouvez pas vous empêcher de tout dévoiler de votre ancien disciple ? Se plaignit faussement Dohko.

Le dragon millénaire sourit ironiquement.

— Il n'est pourtant pas si immature que tu le laisses penser, Sennenryu, le réprimanda un immense dragon blanc en apparaissant. Je te l'ai envoyé depuis la Contrée Mystique car il était prêt à suivre ton enseignement.

— Hakuryu, répliqua Sennenryu, tes critères ne sont pas les miens. Malgré son âge avancé pour un humain, Dohko ne peut pas comparer son expérience à la nôtre.

Shunreï assista à l'échange, muette et impressionnée par ces trois présences séculaires. Elle se reprit pourtant.

— Le Vieux Maître est un grand sage, dragon noir, affirma-t-elle avec aplomb. Aussi peu mature soit-il à vos yeux, il l'est bien assez et bien plus que de raison pour enseigner à des humains tels que nous. Vous ne pouvez pas appliquer les mêmes objectifs ni les mêmes exigences à des existences dont la durée de vie est bien inférieure à la vôtre.

Il y eut un bref silence. Puis les deux dragons éclatèrent de rire. Dohko fut plus réservé mais observa sa fille adoptive avec une fierté non dissimulée.

— Les mêmes objectifs non, Shunreï, fit-il néanmoins. Mais les mêmes exigences oui.

Les deux dragons se reprirent de leur hilarité.

— Voilà un bel enseignement à retenir, jeune femme, déclara Hakuryu.

— J'aime ton honnêteté, renchérit Sennenryu. Et pour le coup, je comprends que mon point de vue était peut-être trop étriqué. Dohko t'a bien apprise.

Shunreï se redressa non sans une légère pointe d'orgueil dans son attitude. Mais elle ne se reconnut pas et répondit :

— Je ne voulais pas vous manquer de respect, seigneurs dragons. Vous avez été les maîtres de mon maître. Je n'aurais pas dû vous faire la leçon, ce n'était pas ma place.

— Le véritable enseignement est réciproque, la rassura le dragon noir. Tu n'as pas à rougir de la justesse de tes paroles. C'est moi qui devrais avoir honte si je décidais de ne pas en retenir la sagesse.

Shunreï rougit du compliment.

— Elle est forte, Dohko, fit Hakuryu. Elle a bien profité de ton enseignement, même si celui-ci ne lui était pas destiné, elle a bien su tirer profit de ce qu'elle a entendu et vu.

— Je suis d'accord, déclara une voix puissante.

Les trois maîtres de Lushan se regardèrent et lancèrent un dernier regard approbateur à Shunreï avant de se laisser effacer par la nouvelle présence.

— Tu fais vraiment preuve d'une force de caractère inattendue par tes pairs, poursuivit la Quiddité de l'Arbre. 

— Grâce à vous, j'ai l'occasion cette fois de participer activement au combat. Je ne m'y destinais pas, mais je pourrai au moins être enfin auprès de mon compagnon et de mes fils. Je ne resterai plus en arrière et je serai là pour protéger les miens. Je vous en saurai éternellement gré.

— Je sens la résolution qui t'anime. Je n'attendais que ça depuis que tu as commencé à communier avec moi. Je te confie donc mon essence, jeune vouivre, bruissa la voix de la Quiddité de l'Arbre avant d'être dissipée dans la brise fondatrice qui soufflait sur les Qi Lao Feng.

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