Woes Chapter
Chapitre 23 : L'engagement de la Tortue.
2373 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 11/12/2022 08:26
Chapitre 23 : L'engagement de la Tortue.
Les jours précédant les émanations de Planitaíos sur le Sanctuaire, en Chine, Qi Lao Feng, Mont de la Terre, cascade de Biē Jiǎ .
La méditation face à la cascade de la Tortue, qui tenait son nom de l'énorme rocher en forme de dôme sur lequel l'eau chutait, emporta immédiatement Genbu dans le flot de ses pensées. La première qui lui revient fut son séjour à Lushan. Il avait fait une partie de son entraînement avec Shiryu, élève du Vieux Maître depuis quelques années déjà au moment de son arrivée. Il s'était avéré talentueux, mais les longs discours de Dohko l'avaient vite ennuyé. Genbu était devenu dilettant et, honnête face à son manque d'assiduité, avait préféré abandonner, conscient qu'il n'était pas fait pour satisfaire aux exigences du Vieux Maître. Il n'en avait pas conçu de regret particulier, ayant pris sa décision en tout état de cause. Mais les enseignements reçus restèrent gravés dans son esprit de façon indélébile.
L'atmosphère de Lushan autour de lui le berça. Il avait conscience de la Nature autour de lui, même perdu dans ses pensées. Sa Shield était allée s'immerger au pied de la chute d'eau du Mont de la Terre, se renforçant dans les eaux vives et pures des Qi Lao Feng. Jamais il n'avait connu une telle sérénité sur les lieux de son entraînement. Il avait flâné, paressé, procrastiné des heures durant dans cet environnement sans atteindre une telle quiétude. Il découvrait cette sensation avec délectation. Genbu se replongea dans le torrent de son inconscient, puisant en Lushan le calme et la tranquillité indispensables à une retraite méditative.
Son esprit fut renvoyé dans son passé, quelques années après la victoire contre les armées d'Hadès. À cette période, et malgré le temps écoulé, le Sanctuaire se relevait encore avec peine des pertes innombrables et du peu de survivants de cette guerre sainte. Les nouveaux disciples n'avaient pas encore terminé leur apprentissage de chevalier et les Saintias ne s'étaient pas encore réveillées de leur stase lunaire dans laquelle Artémis les avait plongées afin qu'elles récupèrent de leur affrontement contre Éris. C'est aussi à cette période que Saturne, le dieu du Temps, inquiet de la puissance développée par les humains ayant vaincu des dieux, choisit de passer à l'offensive. Ne désirant pas agir directement, il manipula la déesse de l'amour, Pallas, en attisant les griefs que celle-ci avait envers Athéna. En effet, les deux déesses avaient été tellement proches dans leur jeunesse que la déception avait été à la hauteur de cet amour lorsqu'Athéna avait choisi de se consacrer aux humains et à la Terre. Pallas s'était sentie abandonnée et lésée, accumulant dès lors son ressenti contre la déesse de la guerre.
Saturne avait octroyé une armée à Pallas, les pallasites. Si Pallas avait le commandement, le dieu du Temps avait nommé à leur tête ses quatre plus puissants guerriers : Hypérion, Titan, Égéon et Gallia qui avaient reçu de la part de leur seigneur leurs épées divines et l'ordre de contrôler la déesse de l'amour. Avant que cette dernière n'use de son armée, Saturne tenta d'éliminer la menace humaine en figeant dans le temps les chevaliers survivants. Mais les armures d'or en décidèrent autrement et elle se choisirent des porteurs temporaires pour défendre le Sanctuaire et le futur de la chevalerie. Choisissant parmi les disciples les plus prometteurs ou recrutant des guerriers de part le monde, les armures d'or, animées de leur volonté propre, réussirent à trouver des porteurs suffisamment dignes d'elles. L'armure de la Balance avait choisi Genbu.
Les enseignements du Vieux Maître ayant fait leur chemin en lui, il avait de suite mis tout son cœur à l'ouvrage, se plaisant à se considérer comme le Saint légitime de la Balance, défenseur d'Athéna et de la Justice, régnant sur l'équilibre des douze Temples. Derrière cette prétention apparente se cachait en réalité un engagement profond et sincère qui voulait faire honneur à ses deux prédécesseurs, Dohko et Shiryu, dont il s'inspira pour affirmer sa position au sein des nouveaux Saints d'or. Ainsi, Kiki, Harbringer, Paradox, Intégra, Schiller, Mykène, Fudō, Sonia, Ionia, Tokisada et Amor se rassemblèrent autour de lui et combattirent les armées de Pallas. Ensemble, et malgré le fait que certains d'entre eux trahirent leur cause, ils vainquirent les pallasites, y compris les quatre guerriers d'élite de Saturne. Pallas reprit ses esprits et repoussa les velléités du dieu du Temps qui abandonna son projet, préférant laisser aux humains, maintenant soutenus également par la déesse de l'amour, une seconde chance. Saturne leva sa malédiction et se retira hors du temps. Kiki fut le seul survivant de cette guerre parmi les nouveaux porteurs des armures d'or et conserva celle du Bélier depuis lors.
Genbu fut tué lors de son affrontement contre Hypérion dont il détruisit l'épée sainte avec son Rozan Shō Ten Ha [Ascension suprême de Lushan], affaiblissant suffisamment leur ennemi pour offrir la victoire à ses camarades. Son âme avait erré longtemps sur les collines du Puits aux âmes avant de tomber dans les Enfers où elle fut enfermée dans le Cocyte, comme celle de tout chevalier d'Athéna. Genbu resta de nombreuses années prisonnier de cette étendue de glace, enfoncé presque entièrement dans cette prison gelée, visage émergé, aux prises avec le blizzard mordant du monde des morts. La souffrance fut cruelle, implacable et inextinguible. À ses côtés, des centaines, des milliers de chevaliers souffraient leur calvaire pour l'éternité, leur seul tort étant d'avoir défié un ou des dieux pour l'amour de leur déesse. Il ressentait un certain soulagement dans le fait de ne pas être seul, mais cela n'apaisait en rien sa douleur.
Et un jour, l'âme d'Hadès en personne vint le trouver. Il fut extrait de sa gangue de glace sans ménagement. Le réchauffement immédiat s'avéra aussi douloureux que le froid de la mort. Le dieu des Enfers resta silencieux un long moment, le toisant et l'inspectant intensément. Genbu finit par se relever péniblement, se dressant fièrement face à l'ennemi ancestral d'Athéna. Une Surplis apparut à ses côtés.
— Si tu veux passer un marché avec moi, seigneur des ténèbres, sache que tu peux m'emprisonner tout de suite à nouveau. Jamais je ne trahirai Athéna, déclara Genbu à brûle-pourpoint.
Hadès renifla avec dédain.
— Nécessité fait loi, chevalier. Les Pics de Lushan doivent s'imprégner des Quiddités et combattre les Calamités. Je n'obéis qu'à cette obligation. Je te remets cette Surplis. Si tu es celui que je crois, elle deviendra ta Shield.
Genbu ne comprenait rien. Mais il n'eut pas le temps de poser la moindre question que la Surplis du genbu le revêtit et changea immédiatement de forme. La mémoire atavique de la Shield se déversa en lui et il appréhenda la portée de sa mission. Cela transcendait les dieux eux-mêmes.
— Je dois te réincarner, Genbu. Même si ton allégeance va à celle qui m'a défait, je ne peux aller à l'encontre de ce que me dicte la nécessité. Les forces de la Nature sont au-dessus de nous autres, dieux. Si tu dois être le représentant de l'une d'elles, je dois tout mettre en œuvre pour te permettre de mener à bien ta mission.
Le pouvoir du seigneur des Enfers enveloppa Genbu qui se sentit comme projeté d'une dimension à une autre. Il se réveilla sur Terre, bien vivant. Aussitôt il se sentit attiré vers le Kilimandjaro. Obéissant à cette injonction instinctive, il y retrouva un guerrier à l'allure féroce, à la peau mâte et aux iris noirs. Il ne le connaissait pas mais, pourtant, il ressentait une étrange familiarité envers cet individu. Des paroles du Vieux Maître lui revinrent en tête et il comprit. Un éclair sembla passer dans le regard de l'homme. Lui aussi savait. Un respect mutuel naquit instantanément entre eux et quand ils sentirent que Shiryu était en danger, ils n'hésitèrent pas une seconde. L'avenir dépendait des disciples de Dohko… non, des disciples de Lushan, qui que puissent être les autres.
Ils initièrent la guérison de leur condisciple et prirent le chemin de leurs origines, les Wu Lao Feng. Sur la route, Okko et lui se racontèrent leurs histoires respectives. Ils parvinrent à destination à temps pour venir en aide à ceux qui s'avéreraient être les autres Pics de Lushan : Shunreï le Pic du Bois, Shoryu le Pic du Feu, Ryuho le Pic de l'Eau et Ryufeng le Pic du Vent. Ils percevaient leurs interconnexions sans pour autant avoir pleinement conscience de toutes les conséquences. Shiryu leur apporta une partie des réponses à leurs questions, mais Genbu savait au fond de lui qu'il leur faudrait finir de s'imprégner des Quiddités aux dorénavant Sept Pics de Lushan. Revoir Shunreï et faire connaissance des enfants de leur camarade d'entraînement les avait marqués au plus profond de leur être. L'accueil avait été si chaleureux qu'ils avaient eu peine à le croire. Genbu se dit que s'il en avait l'occasion, il partagerait son expérience avec les enfants de Shiryu afin de leur éviter de faire les mêmes erreurs.
— Tu seras plus puissant que moi un jour, Genbu, lui avait dit Dohko. Et il en sera de même avec ceux dont tu feras profiter ton enseignement.
Ce jour-là, Genbu avait baillé et avait à peine cru le Vieux Maître. Mais dès qu'il avait vu la résilience des fils de Shunreï et Shiryu, il s'était dit que s'il pouvait leur apporter quelque chose, il en allait de son devoir d'aîné de Lushan.
— Comprends-tu ce que je voulais te dire à l'époque ? Demanda une voix dans les limbes à l'arrière de son esprit.
Genbu dirigea son inconscient vers la présence qui était apparue en lui. Le Vieux Maître, dans sa forme rajeunie, se tenait face à lui.
— Roshi, fit-il en s'inclinant. Je vous ai mis en échec en abandonnant votre enseignement. Sachez que le peu que je vous ai laissé m'inculquer a mûri. J'ose croire que j'ai fini par vous faire honneur. J'espère que vous excuserez mon manque d'assiduité.
— Dohko aussi a fait preuve de dilettantisme en son temps, se moqua gentiment une voix.
Un dragon blanc se manifesta derrière Dohko qui réussit à prendre un air presque penaud. Genbu ressentit le poids de sa présence. Son existence était bien antérieure à celle du Vieux Maître.
— Quand je disais que son enseignement était immature. Deux-cents ans, c'est beaucoup trop jeune !
Cette fois, ce fut un dragon noir qui apparut dans son inconscient.
— Maîtres, commença Dohko. Je ne peux me comparer à vous, mais j'aime à penser que j'ai réussi à former de bons disciples qui ont honoré les principes de Lushan.
— Nous ne remettons pas cela en cause, jeune Taonia. Nous remarquons juste que tu as critiqué, voire rejeté, des défauts que tu avais toi-même.
— Maître Dohko ne m'a jamais rejeté, intervint Genbu. J'ai abandonné son enseignement, pensant n'en être pas digne. Mais il a vécu et grandi en moi malgré tout. Roshi est un maître admirable.
Une pointe de fierté s'empara de la manifestation du Vieux Maître.
— Ses élèves l'adorent, Hakuryu, fit remarquer le dragon noir.
— À juste titre, Sennenryu, répondit le dragon blanc
Les deux présences millénaires observèrent Dohko qui posa ses mains sur les épaules de Genbu.
— Je ne t'ai jamais perdu de vue, mon ultime disciple, déclara le Vieux Maître. Sans savoir où cela allait te mener, j'ai toujours veillé sur l'évolution que suivait mon enseignement chez toi. J'ai toujours su que tu renouerais avec la chevalerie un jour ou l'autre. J'aurais dû te convaincre de rester plus de temps avec moi, le jour où tu es parti. Car il ne manquait que cela… du temps.
— J'ai fini par comprendre les tenants et aboutissants de vos discours, Roshi.
— Ce qui confirme ton talent naturel, Genbu. Tu as réussi seul, sans guide. C'est impressionnant, lui avoua Dohko.
Hakuryu et Sennenryu opinèrent. Mais leur présence même fut reléguée au second plan lorsqu'une autre se manifesta, éclipsant tout.
— Que feras-tu de ce talent ? Demanda une voix sépulcrale.
Sans remettre en question le respect qu'il devait instinctivement à cette présence inconnue, Genbu s'inclina.
— Si talent il y a, je le mettrai à disposition des valeurs des maîtres de Lushan : la défense de la Nature, son équilibre, sa pérennité, sa richesse et sa générosité.
— T'y engages- tu ? Insista la voix.
— Je m'y engage, confirma Genbu sans même avoir besoin de réfléchir à l'évidence.
Sa méditation vola en éclat, balayée par la vague d'énergie qui se déversa en lui depuis la terre sur laquelle il était assis en tailleur. Les présences de Dohko, Hakuryu et Sennenryu restèrent un instant perceptibles comme des images rémanentes qui lui communiquèrent tout le contentement qu'ils ressentaient envers lui. Quand il revint totalement à lui, ce fut pour s'apercevoir que sa Shield le recouvrait, radieuse comme jamais.
— Je te confie mon essence, tortue gardienne de Lushan. Puisses-tu combattre les Calamités avec autant d'abnégation, lui intima la voix de la Quiddité de la Terre avant de se disperser dans la brise fondatrice qui soufflait sur les Qi Lao Feng.