Woes Chapter

Chapitre 22 : Le serment du Tigre.

2414 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/12/2022 21:50

Chapitre 22 : Le serment du Tigre.


Les jours précédant les émanations de Planitaíos sur le Sanctuaire, en Chine, Qi Lao Feng, Mont de l'Éther, cascade de Hǔ Xiào.


Okko s'était retiré sur le Mont de l'Éther. Ce mont l'appelait, attirait sa Shield qui lui transmettait cette invitation à se recueillir dans ce paysage qu'il n'avait plus connu depuis qu'il avait été défait par Shiryu et était passé pour mort, bien des années auparavant. Les souvenirs étaient encore vivaces. Son village natal, le massacre de ses parents et de ses frères et sœurs par des bandits, le Vieux Maître l'accueillant comme disciple. Dohko… combien de fois le Vieux Maître l'avait-il tancé pour sa férocité et sa recherche de la force brute ? Combien de fois avait-il défié Shiryu, tentant de lui faire perdre calme et patience ? Combien de fois avait-il désobéi au Vieux Maître en se rendant au village voisin pour se battre et tester ainsi l'évolution de ses capacités contre des adversaires humains, lassé de cogner contre des troncs et des rochers ? Les questions et les réminiscences envahissaient son esprit au fur et à mesure qu'il arpentait les chemins qui le menèrent vers un surplomb rocheux à côté de la grande chute d'eau de la cascade de son mont. Il stoppa net et admira les alentours. La cascade était large et trois rochers dépassaient du rideau d'eau. Deux étaient de taille modeste, à l'aplomb l'un de l'autre. Le troisième, plusieurs niveaux en dessous, formait une énorme protubérance au centre de la cataracte et la séparait en deux cascades plus étroites. Le tout, associé au grondement de la chute, donnait l'impression d'une tête de fauve rugissant.

Il avait atteint son objectif. Sa Shield le quitta et se reconstitua sous l'eau, dans les remous au pied de la cataracte. Pris d'une inspiration soudaine, il s'assit en tailleur et prit la position séculaire que le Vieux Maître avait adoptée pendant près de deux-cents ans. Fermant les yeux et se concentrant sur les sons, les odeurs et les sensations de sa peau, il se laissa envahir par d'autres souvenirs. Le Vieux Maître le mettant au défi de stopper le courant d'une rivière avec son poing. Son échec cuisant malgré son assurance d'en être capable. Sa frustration et sa colère, refusant de croire et d'accepter que la force physique ne permettait pas de répondre à cet ordre. Son expulsion, Dohko refusant de poursuivre son enseignement.

— Il est vrai que tu es supérieur en force et en technique à Shiryu, mais si tu crois que la force brute te hissera au sommet, alors tu n'as pas compris où réside la vraie puissance d'un chevalier sacré. Je ne peux pas te garder comme disciple. Tu es renvoyé de Lushan.

À ce moment, Okko avait fait la promesse de revenir et d'affronter Shiryu pour prouver qu'il était digne de recevoir l'armure du Dragon. Il avait quitté les Cinq Pics et avait entrepris de voyager pour affronter tous les guerriers qu'il croiserait et s'entraîner sans relâche. Il ne supportait pas l'idée que quelqu'un de plus puissant que lui existe. Il avait vaincu maints adversaires, les combats se succédant aux combats. Ses pérégrinations l'avaient ramené à Lushan. Il avait sauvé Shunreï de la noyade et affronté Shiryu alors que celui-ci était aveugle des suites de son combat avec Argol de Persée. Son agression avait tourné court lorsqu'il s'était aperçu que son condisciple avait perdu sa combativité. Dégoûté, il avait décidé de surseoir à son défi pour réfléchir à la suite des événements. Il pensait qu'achever le chevalier du Dragon était l'ultime service à lui rendre.

Cette nuit-là, le Vieux Maître était revenu le voir… pour le sermonner une fois encore… une fois de trop. Okko n'était pas parvenu à le persuader du bien-fondé de son point de vue. Il s'était même énervé et avait voulu lever le poing contre son ancien maître. Mais la profondeur du cosmos d'or, pourtant calme, qui avait enveloppé Dohko l'avait arrêté, tétanisé.

— Après toi, un autre disciple a pris ta place, lui avoua le Vieux Maître sans se retourner. Un élève talentueux, mais d'un dilettantisme fâcheux que seule ta recherche de puissance brute égalait. Je n'ai pas eu besoin de renvoyer Genbu, c'était son nom. Il a abandonné de lui-même mon enseignement. Vois-tu jeune tigre, je ne suis pas épargné non plus par l'échec. Shiryu est le seul disciple que j'ai réussi à former jusqu'au bout.

Le Vieux Maître s'était alors tourné vers son ancien disciple.

— Bien que Shiryu ait toujours été le plus à l'écoute, c'est aussi grâce à mes échecs vis-à-vis de Genbu et toi que j'ai fait évoluer mon enseignement. On peut toujours se remettre en question, Okko.

Dohko l'avait laissé sur ces entrefaites et, peu après, Shiryu avait accédé à son défi, sa combativité retrouvée. Sous les yeux de Shunreï et du Vieux Maître, Shiryu l'avait vaincu et il avait alors compris que la volonté de protéger les êtres chers était la source de la puissance véritable. Le Vieux Maître l'avait alors repris comme disciple, mais il était trop tard. Okko était tombé dans un état qui lui avait valu d'être considéré comme mort. Il avait même été enterré.

Mais sa vitalité sauvage, celle-là même qu'il avait acquise lors de ses voyages de part le monde, l'avait sauvé de l'emprise de la faucheuse. Quand il s'était réveillé, la première chose qu'il vit fut une étoile filante s'élevant vers la constellation du dragon. Il avait ressenti la détresse de Shunreï et la tristesse de Dohko et avait compris que Shiryu se sacrifiait au Sanctuaire pour défendre son idéal. Il avait pleuré l'ultime dragon de son frère d'entraînement et avait quitté Lushan. C'est alors qu'Arès, le vrai et non pas le lémure qui avait été leurré par la déesse Éris de la discorde après la bataille des douze maisons, l'avait trouvé. Séduit par son passé de sauvageon, le dieu de la guerre lui avait proposé une place de choix dans son armée. Okko avait accepté, trop pressé de fuir ce sentiment de perte dont il n'était pas coutumier.

Des années durant, il avait combattu pour le compte du dieu de la guerre. Arès lui avait confié l'Armour du Byakko et avait obtenu le rang de Cardinal de l'armée du feu. La guerre sainte contre les armées d'Héphaistos avait duré longtemps. Il avait noyé son désarroi dans le sang de ses ennemis, pas loin de renouer avec son ancien lui-même. Il recherchait des ennemis de plus en plus puissants, se portant volontaire pour les missions les plus dangereuses. Mais ce qui le différenciait de son passé, c'était cette recherche de quelque chose de suffisamment précieux à défendre. Il voulait ressentir ce que Shiryu avait fait sien. Et il poursuivait dans ses combats l'espoir de découvrir une telle motivation.

Cet espoir l'avait amené à renouer avec les arcanes de Lushan et à renommer sa technique en l'honneur de sa réintégration comme disciple du Vieux Maître. Son attaque en avait été renforcée, comme légitimée… le pouvoir des mots… Approfondissant sa compréhension des enseignements de Dohko, il avait maîtrisé le Rozan Mōko Ha [colère du tigre féroce de Lushan] et son pouvoir avait encore grandi. Mais ça n'était pas encore suffisant pour honorer son maître qu'il avait tant méprisé.

— Okko, lui avait dit Arès un jour. Tu es un excellent combattant. Ta férocité et ton acharnement sont de magnifiques armes. Mais je ressens une retenue, comme si tu n'étais pas toi-même persuadé de ces atouts.

Okko avait hésité, ne désirant pas dévoiler son statut d'ancien aspirant chevalier d'Athéna. Il avait développé un grand respect envers Arès, pourtant violent et sanguinaire et ennemi déclaré d'Athéna dont il ne partageait pas la conception de la guerre, et il ne voulait pas le décevoir.

— Seigneur, les paroles d'un homme que j'ai connu ne cessent de tourner dans mon esprit. Je recherche encore la preuve de ce qu'il avançait, répondit-il prudemment.

— Dohko, chevalier d'or de la Balance, Saint d'Athéna ?

Okko avait frémi et s'était tendu.

— Je connais ton passé, Okko. Mais rassure-toi, je ne juge mes soldats que sur leurs victoires. J'ai entendu parler de ce chevalier. À vrai dire, je me tiens au courant de chaque chevalier de la Balance de chaque génération. Les armes qu'ils portent m'ont valu un échec cuisant la première fois que je me suis attaqué à ma sœur. Mais qu'importe, je t'ai convoqué aujourd'hui pour te signifier que je romps notre contrat. J'ai obtenu la victoire, en grande partie grâce à toi. Conformément au pacte de mercenariat qui nous lie, je te libère de ton engagement. Je te souhaite de trouver ce qui te fait défaut. Libère ton potentiel… et si j'ai de nouveau besoin de tes services, j'aime à croire que tu sauras te rappeler qui t'a motivé à vivre toutes ces années.

Okko s'était incliné et s'était préparé à ce que son Armour le quitte. Quand Arès voulut la rappeler à lui, elle émit un bourdonnement s'apparentant au grondement contenu d'un grand félin. Elle venait de refuser l'ordre d'Arès.

— Le Byakko semble s'être attaché à toi… fit le dieu de la guerre. Eh bien soit, garde cette Armour. Je n'irai pas à l'encontre de la volonté d'une armure aussi féroce, elle risquerait de rejeter tout candidat futur. Quand tu mourras, bien assez tôt à l'échelle de vie d'un dieu, elle me reviendra.

Okko avait ainsi quitté le domaine d'Arès. Quelques semaines plus tard, son Armour avait évolué en Shield et il s'était senti appelé au Kilimandjaro.

Le Pic de l'Éther en était là de son introspection lorsqu'une voix lui parla.

— Enfin un guerrier qui respire la violence et la sauvagerie à Lushan. Cela faisait longtemps que j'attendais mon successeur.

Dans les limbes de sa retraite intérieure, Okko se retourna. Un être sombre comme la nuit, mi-homme mi-dragon, l'observait avec appréciation.

— Qui êtes-vous et que faites-vous dans mon esprit ?

— Je suis le dragon millénaire, Sennenryu. Je suis celui qui entraîna Dohko lorsqu'il quitta la Contrée Mystique.

— Et en quoi cela fait-il de moi votre successeur ? Demanda Okko, méfiant.

— Dohko t'a renié un peu trop vite et son enseignement manquait de maturité. Il ne t'a jamais raconté qu'il avait été entraîné par un humain tombé dans la voie de la violence et des combats au point d'en perdre son humanité et de se transformer en dragon noir ?

Okko n'eut pas le temps de répondre qu'une autre voix s'éleva.

— Cela faisait plus de deux-cents ans, soupira Dohko en apparaissant, dans sa forme jeune, aux côtés de Sennenryu.

— Était-ce pour autant une excuse pour oublier l'un de tes maîtres, le réprimanda un troisième nouveau venu, un dragon d'une blancheur immaculée. C'est donc lui ton disciple déchu et réintégré ? 

— Oui, maître Hakuryu, répondit Dohko avec déférence.

Le Vieux Maître se tourna vers Okko.

— J'ai été un mauvais mentor pour toi, Okko. La férocité n'est pas forcément un défaut, ni même un frein à la chevalerie. Il y a bien des manières de parvenir au statut de Saint. Avec le recul, si j'ai été promu chevalier de la Balance en mon temps, c'est bien parce que j'ai pu bénéficier des enseignements de deux êtres opposés mais partageant la même ambition de m'élever au plus haut rang. Hakuryu le dragon blanc et Sennenryu le dragon noir. Le yin et le yang. L'équilibre du bien par le mal et la balance du mal par le bien. Si je m'en étais inspiré lorsque tu étais mon élève, je n'aurais jamais eu besoin de te renvoyer.

— Vieux Maître, fit Okko, votre rejet m'a ouvert d'autres perspectives que je ne regrette pas. J'ai été jaloux de Shiryu, mais je n'ai plus aucune raison de l'être.

— As-tu trouvé quelque chose ou quelqu'un de cher à ton cœur à protéger ? S'enquit Hakuryu.

— La Terre, la Vie, la biodiversité… tout cela mérite d'être protégé avec férocité. Je ne suis pas Shiryu. Je n'ai pas vocation à défendre des personnes en particulier. Je suis un sauvageon depuis l'enfance et pour cela je défendrai la vie sauvage. Je dois rester fidèle à moi-même, être honnête avec ma nature.

— En fais-tu le serment ? Questionna une nouvelle voix.

Les quatre présences éthérées sursautèrent dans l'inconscient d'Okko. Cette présence était sans commune mesure avec leurs existences. Même des êtres millénaires comme Hakuryu et Sennenryu parurent insignifiants. Okko comprit aussitôt. La Quiddité de l'Éther. Il s'inclina respectueusement.

— J'en fais le serment, confirma-t-il solennellement.

La présence enfla, se propageant dans les moindres recoins de l'inconscient, s'installant dans les tréfonds de son esprit, en occupant tout l'espace sans pour autant l'envahir. Okko sentit une énergie folle se déverser dans son cosmos. L'essence de l'Éther l'imprégna pour de bon et il s'aperçut que la quantité d'essence qu'avait abrité sa Shield n'était que l'étincelle d'un brasier. Le déferlement souffla les manifestations de Dohko, Hakuryu et Sennenryu qui s'évanouirent lentement, prenant acte fièrement de l'engagement d'Okko. Ce dernier ouvrit les yeux. Toujours en tailleur devant sa cascade, il s'aperçut que sa Shield était venu le recouvrir et étincelait comme jamais.

— Je te confie mon essence, tigre féroce de Lushan, fit la voix de la Quiddité de l'Éther avant d'être emportée par la brise fondatrice qui soufflait sur les Qi Lao Feng.

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