Woes Chapter

Chapitre 14 : Les froids d'Asgard

6032 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 18/11/2022 06:38

Chapitre 14 : Les froids d'Asgard.


Katya et Hyoga profitaient agréablement de la douce chaleur qui émanait de la cheminée. La chambre dans laquelle ils étaient logés au Palais du Valhalla, à Asgard, avait été finement apprêtée. Freyja et Hilda les avaient accueillis avec une joie non dissimulée. Katya des Gémeaux était arrivée la première, porteuse de la missive de Shiryu pour Odin. Les deux sœurs prêtresses avaient soumis la demande à leur dieu et celle-ci avait été accordée sans contrepartie, octroyant aux chevaliers un droit de passage et d’action sur les terres asgardiennes. Malheureusement, aucune promesse d’aide n’avait été faite, le royaume n’ayant que sa quinzaine de Guerriers Divins pour se défendre en cas d’attaque des Calamités. Hyoga avait rejoint la Saintia d’or après avoir porté la lettre au dieu Ulgan de Sibérie et fait un rapide passage par les terres de Blue Graad. Il voulait s’assurer que leurs alliés du Nord ne souffraient pas trop des Calamités. Et il avait découvert des terres encore plus en proie aux glaces qu’habituellement.

La population d’Asgard était venue chercher asile dans le palais d’Hilda et Freyja de Polaris. Les domaines des habitants n’étaient plus seulement recouverts de neige, mais de véritables glaciers qui continuaient de gagner du terrain. Des murs de glace avançaient inexorablement vers la clé de voûte des terres d’Odin. Tout individu qui se retrouvait pris ne pouvait pas en réchapper. Comme animés d’une volonté propre, ils emprisonnaient les membres et les corps, se dirigeant semblait-il délibérément vers tout être vivant à leur portée. Les deux chevaliers d’or observaient cette progression depuis la fenêtre de leur chambre. Il n’y avait aucune ambiguïté, l’objectif était bien d’atteindre le cœur du royaume. Hyoga était persuadé que si la statue d’Odin se faisait recouvrir, c’en serait fini d’Asgard.

— Que pouvons-nous faire ? s’enquit Katya, les bras croisés.

— Hilda y travaille. Elle m’a avoué avoir une idée. Ils ont apparemment un moyen de rendre le climat asgardien plus favorable. 

Katya le regarda. 

— Crois-tu que nous pourrons être utiles ? demanda-t-elle.

— Je ne sais pas, répondit le chevalier d’or du Verseau. Mais je les ai assurés de notre soutien s’il devait s’avérer nécessaire.

La Saintia des Gémeaux opina. Elle n’aimait pas se sentir inutile. Elle avait la ferme intuition que Hyoga et elle devaient rester pour le moment, malgré la sensation d’urgence qu’elle percevait. Le Sanctuaire était en danger, elle le savait, mais une incitation la retenait en ces terres, comme si Odin lui-même la lui avait mise en tête. Un soldat vint les chercher, leur annonçant que les sœurs prêtresses voulaient les voir. Ils le suivirent, impatients d’apprendre ce que les héritières de la maison Polaris avaient à leur annoncer. Quand ils arrivèrent dans la salle de cérémonie, ils s’agenouillèrent respectueusement devant les maîtresses des lieux.

— Relevez-vous, chevaliers. Pas tant de protocole entre nous, fit Freyja amicalement.

Hilda prit la parole :

— Katya, Hyoga, merci d’être restés parmi nous. Nous avons trouvé le moyen de lutter contre l’avancée des glaciers, mais il se peut que cela fasse réagir nos ennemis. Nous aurions besoin de votre assistance pour défendre les endroits stratégiques. Pouvons-nous compter sur vous ?

— Comme je vous l’ai déjà annoncé, dit le chevalier d’or du Verseau, nous nous tenons à votre disposition. Le Sanctuaire a juré de combattre les Calamités et leurs Aléas. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour vous aider.

— Je vous remercie chaleureusement. Freyja, peux-tu leur expliquer ?

— Nous allons réveiller Yggdrasil, l’arbre sacré, annonça la sœur cadette. Il a la faculté de rendre nos terres plus prospères et nous sommes convaincues qu’il saura stopper la progression de l’englacement qui nous menace. Il y a trois Racines Primordiales et sept Halls à défendre. Vous deux et le plus puissant de nos Guerriers Divins protégerez chacun une Racine. Nous enverrons aussi un binôme de Guerriers Divins défendre chacun de sept Halls. Il ne faut pas que les Racines et les Halls soient détruits ou Yggdrasil s’effondrera, et tous nos espoirs avec.

Sur ces paroles, quatorze Guerriers Divins d’Asgard apparurent en rang de part et d’autre des deux chevaliers d’or. Parmi eux, les chevaliers d’or reconnurent les survivants de leur dernière guerre : Fafner, qu’Erda avait libéré du Yomotsu Hirasaka en guise d’acte de paix, Frodi, Hercule, Surd et Sigmund. Un quinzième, le guerrier d’Alpha, se plaça à leur côté, en égal. Katya tiqua imperceptiblement. Hyoga jeta un regard autour de lui. Ils ne les avaient pas sentis avant leur apparition. Le chevalier d’or du Verseau garda son sang-froid. Ils étaient alliés et n’avaient rien à craindre. La confiance avait atténué leurs capacités de perception. Il ne faudrait pas que ça se reproduise. Il sentit sa compagne se résoudre à ce qu’une telle négligence ne se répète pas. Hilda poursuivit :

— Quand Freyja et moi commencerons nos prières, Yggdrasil poussera tout autour de la statue d’Odin et l’enveloppera. S’il tombe, la statue sera détruite et la protection de notre dieu disparaîtra. La Robe d’Odin nous serait perdue à jamais. Voici la façon dont vous serez répartis. Guerriers de Beta et de Grani, vous serez postés dans le Hall du Brouillard, Niflheimr. Guerriers de Delta et de Hræsvelg, vous vous chargerez du Hall de la Lumière, Alfheimr. Guerriers de Gamma et de Tanngrisnir, vous défendrez le Hall des Géants, Jötunheimr. Guerriers d’Epsilon et de Garm, vous protégerez le Hall des Morts, Helheimr. Guerriers de Zeta principal et de Nidhögg, vous garderez le Hall du Savoir, Svartalfheimr. Guerriers de Zeta secondaire et de Gullinbursti, vous vous occuperez du Hall des Braves, Vanaheimr. Enfin, guerriers d’Eta et d’Eikthyrnir, vous couvrirez le Hall du feu, Muspelheimr. Guerrier d’Alpha, tu seras le gardien de la Racine Primordiale de la source de Hvergelmir. Hyoga et Katya, vous serez respectivement les garants de la Racine Primordiale de la fontaine de Mímir et de la Racine Primordiale du puits d’Urd. Ma sœur et moi-même nous relayerons en prières pour maintenir le pouvoir d’Yggdrasil.

Les quinze Guerriers Divins acquiescèrent en s’inclinant. Hyoga et Katya se contentèrent de hocher la tête.

— Un labyrinthe de brumes, Fimbulwinter, apparaîtra tout autour d’Yggdrasil pour le protéger. Vous serez gardés de ses illusions par le pouvoir de nos prières, précisa Freyja. Nous espérons que celles-ci vous garderont en vie. Guerriers divins, faites votre devoir pour notre royaume. Chevaliers d’Athéna, recevez les remerciements de tout notre peuple pour l’aide précieuse que vous nous apportez.

Les deux prêtresses se retirèrent pour commencer leurs suppliques à l’arbre-monde.

— Rassemblons-nous au pied de la statue d’Odin, guerriers, ordonna le Guerrier Divin d’Alpha.

Tous les combattants d’Asgard disparurent, sauf lui. Il se tourna vers Katya et Hyoga et leur tendit la main en souriant.

— Je m’appelle Týr, Guerrier Divin d’Alpha. Au nom de mes frères et sœurs d’armes, je tiens à vous présenter également notre gratitude. Je sais que vous avez eu maille à partir avec nos prédécesseurs, seigneur Hyoga du Verseau, et je souhaite de tout cœur que nous effacions ces différends. Œuvrons ensemble pour le royaume d’Asgard.

Hyoga lui rendit sa poignée de main.

— Je ne suis pas un seigneur, Týr d’Alpha. Et le passé est le passé. Nous œuvrerons ensemble pour le royaume d’Asgard et pour la Terre.

Ces modalités clarifiées, les trois combattants rejoignirent leurs camarades au pied de la statue géante d’Odin veillant sur son domaine. Ils sentirent l’énergie à l’œuvre avant d’en observer les effets. Une chaleur douce et compassionnelle les envahit. Puis, au fil des heures qui suivirent, ils assistèrent à la germination et au développement d’Yggdrasil, peu à peu écrasés par la majesté de sa croissance. Il ne fallut pas longtemps avant qu’une douceur printanière ne se propage de l’arbre immense qui englobait la statue d’Odin. La neige et la glace qui recouvraient le palais du Valhalla se mirent à goutter et une sensation de prospérité se propagea. 

— Impressionnant, commenta Katya.

— Je ne peux pas te contredire, lui répondit Hyoga.

Puis ils allèrent prendre position auprès des Racines Primordiales dont ils auraient la garde. 


**


Katya ne savait pas où cela allait les mener. Elle ne doutait pas qu’un affrontement allait avoir lieu. Les Calamités ne pourraient laisser une force s’opposer impunément à leur progression. Elle ne doutait pas qu’Yggdrasil allait être la proie d’attaques. Mais elle ne savait pas ce qui les attendait réellement. L’ennemi était terrible. Ils avaient mis à mal Shiryu lui-même. Allait-elle être à la hauteur de son armure héritée de Saga et Kanon eux-mêmes ? Elle ressentait leurs vies dans cette armure et avait la ferme volonté de concilier leur dualité. Les Gémeaux étaient d’une nature double, marqués par des générations de chevaliers avec dédoublement de personnalité, de chevaliers possédés par des esprits ou de chevaliers jumeaux. En héritant de cette armure, Katya s’était promis de fusionner ces divisions. Là où il y avait eu des générations de dichotomie, elle ferait en sorte de prouver qu’un pouvoir plus puissant que la simple somme des dualités pouvait rejaillir de la réunion des deux faces des Gémeaux.

Une perturbation dans les volutes de Fimbulwinter la coupa de ses pensées. Sensible aux fluctuations dimensionnelles, elle avait une bonne conscience du fonctionnement de ce brouillard d’illusions. C’est ainsi qu’elle perçut l’intrusion avant tous les autres défenseurs d’Asgard. Fimbulwinter était entré en action, signe indiscutable d’une invasion du territoire d’Yggdrasil. Elle se concentra pour percevoir ce qu’il se passait. La brume nébuleuse gelait. Les infimes gouttelettes qui la constituaient se transformaient en sphères de glace, donnant corps à la brume, la rendant cassante, séparable. De nombreux chemins s’ouvraient ainsi, laissant passer une armée d’êtres aux armures de neige et de glace. Trois individus d’une puissance impressionnante allaient en tête, leurs émanations étant à l’origine de la destruction progressive de Fimbulwinter. D’un geste de chaque main, elle traça une porte avec chacune d’elles.

— Gemini Icy Mirror. [Miroir de glace des Gémeaux]

Une fois tracées, les fenêtres de glace se craquelèrent et l’espace-temps se rompit, rejoignant par un trou de ver les endroits où Týr et Hyoga étaient postés. 

— Ils arrivent, annonça-t-elle. Tenez-vous prêts.

Et elle referma ses portes dimensionnelles. Elle perçut l’armée de la glaciation se séparer en trois groupes, chacun d’eux se dirigeant vers une Racine Primordiale. Elle ne dut pas attendre très longtemps avant que le groupe qui se dirigeait vers la Racine du puits d’Urd ne se présente devant elle.

— Vous n’irez pas plus loin tant que je serai là, déclara-t-elle aux intrus qui s’arrêtèrent en l’apercevant.

Celui qui dirigeait ce groupe s’avança.

— Tu n’as pas besoin de te sacrifier pour un royaume qui n’est pas le tien, Saintia. Laisse-nous passer et tu seras épargnée, je te le promets, moi Aléa majeur du glacier Baltoro.

— Asgard est un allié du Sanctuaire et plus largement un domaine de la Terre. Il est de mon devoir de le défendre.

— Et qui donc allons-nous avoir l’honneur d’éliminer ? s’enquit Baltoro.

— Je suis Katya, chevalier d’or des Gémeaux et Saintia d’Athéna.

Il s’inclina respectueusement.

— Katya des Gémeaux, ta protectivité t’honore, mais elle causera ta perte. 

Un rictus de glace illumina son visage.

— Tuez-la, ordonna-t-il froidement.

Une portion de son armée fusa vers elle.

— Je vous ai dit que vous ne passeriez pas ! clama-t-elle férocement. Jewelic Tears ! [Les larmes des joyaux]

Une pluie de cristaux de glace s’abattit sur ses assaillants, les recouvrant d’une couche approchant le zéro absolu. Le froid de Katya surpassa celui des guerriers de Baltoro qui se fissurèrent en des milliers de petites larmes.

— Pourquoi n’as-tu pas tenu ta promesse ?

La question de Baltoro la prit de court. Elle remarqua qu’il ne restait plus que lui. Jetant un œil derrière elle, elle aperçut le reste de l’armée ennemie entrer dans la Racine dont elle devait protéger l’accès.

— Ce n’est pas prudent de détourner son attention de son adversaire, susurra Baltoro à son oreille.

Elle n’eut pas le temps de s’écarter.

— Ice Crevasse ! [Crevasse de glace]

Katya sentit son armure et son corps geler le long d’une fine ligne. La fissure s’ouvrit douloureusement, fendillant son armure d’or et sa peau. Elle ne saigna pas, son sang ayant lui aussi gelé profondément. Elle tomba sur un genou, haletante. Pour traverser sa protection, l’Aléa majeur avait dû développer une température monstrueusement négative. Baltoro s’éloigna nonchalamment, fier de lui et peu pressé d’en finir. La mort dans un glacier pouvait être très lente et il incarnait visiblement cette cruauté.

— J’ai fait couler le premier sang, si je puis me permettre d’utiliser cette expression consacrée, fort mal à propos dans le cas présent, ricana-t-il.

— Ne crois pas t’en être sorti indemne, le prévint-elle en se relevant.

Le sourire de l’Aléa s’effaça et il flancha subitement. Des pointes de glace étaient fichées dans son corps. Il la regarda avec effarement.

— Jewelic Daggers [les dagues des joyaux], précisa Katya. Tu te surestimes trop. Je suis un chevalier d’or, mes attaques sont portées à la vitesse de la lumière.

— Bien joué, Saintia. Je savais que tu ne me décevrais pas. J’espère que mes subalternes s’amuseront tout autant que moi.

— Les Guerriers Divins les arrêteront. Ce sont de fiers et de valeureux combattants, proches de la puissance des chevaliers d’or.

— Nous verrons. En attendant, nous devons jouer, fit-il en se frottant les mains.

— Je t’attends !

— Glacial Erosion ! [Érosion glaciaire] lança Baltoro.

Une pression capable de creuser les montagnes s’abattit sur Katya. Elle sentit la force érosive s’attaquer à son armure. Elle devait repousser cette pression. Elle se concentra, rassemblant sa cosmo-énergie.

— Saga, prête-moi ta puissance ! Galaxian Explosion ! [Explosion galactique]

Les effets de l’attaque ennemie s’estompèrent aussitôt.

— Impossible, eut le temps de s’étonner Baltoro.

La puissance de l’attaque de Katya l’atteignit et le faucha. Son armure explosa et il s’écrasa sur le sol. Katya expira de soulagement. Son armure portait des traces de fragilisation inquiétantes. Elle n’osait pas imaginer ce qui lui serait arrivé si elle n’avait pas réussi à repousser la technique de Baltoro. Quels adversaires redoutables ! Elle allait s’engager à la suite des Aléas mineurs, lorsqu’un mouvement brisa son élan. Baltoro se relevait. Il émanait de lui une énergie intrigante.

— Tu ne me briseras pas aussi facilement, je réussirai au moins à t’emmener dans le néant avec moi, grinça-t-il.

Son énergie forma la silhouette d’un immense glacier bordé de sommets montagneux gigantesques.

— Je suis l’un des glaciers les plus imposants, pépinière de quatorze géants de plus de huit mille mètres. Ma présence est colossale… et toi, tu n’es qu’une existence insignifiante.

Katya fut submergée par l’omniprésence de son adversaire. Il semblait dégager toute l’énergie qui se cachait derrière la formation du glacier qu’il incarnait. Elle se retourna et lui fit face.

— Insignifiante, dis-tu ? Je suis l’héritière de l’armure des Gémeaux, portée par d’illustres guerriers à travers les âges, parmi les plus puissants du Sanctuaire à chaque génération. J’incarne les espoirs de ces guerriers capables de pulvériser des étoiles. Et dans cet univers ont existé deux étoiles sœurs. À la mort de l’une d’elles, sa puissance fut aspirée par la seconde, empêchant son énergie de se dégager sous forme de chaleur. Il en a résulté l’endroit le plus froid de l’univers connu. La nébuleuse du Boomerang. La dualité n’est pas toujours une division. Elle peut être source d’une puissance sans précédent.

Katya se mit en position. Cette attaque, elle la dédiait à tous les doubles chevaliers des Gémeaux que le destin avait séparés au lieu de les unir. Baltoro sourit :

— Confrontons nos cartes maîtresses, alors, Katya des Gémeaux. Fourteen Ice Giant Teeth ! [Quatorze dents de glace géantes]

— Boomerang Nebula Cold ! [Froid de la nébuleuse du boomerang]

Les quatorze coups magistraux que l’Aléa majeur lança furent annihilés par la vague glaciale de Katya qui traversa Baltoro dans un sens avant de revenir le faucher dans l’autre. L’incarnation du glacier fut emportée dans une myriade de poussières de glace. Katya sourit faiblement et tomba sur ses deux genoux.

— Hyoga, Guerriers Divins, fit-elle, désolée, je vous laisse la suite.

Et elle s’affala, incapable du moindre geste.


**


Týr contempla bravement l’armée qui venait vers lui à la Racine Primordiale de la source de Hvergelmir dont il avait en charge la protection. Il pensa à son modèle, le grand Siegfried de Dubhe, qui avait été son maître et dont il héritait la Robe. Il se promit d’être aussi droit et honorable que lui, à l’instar du dieu dont il portait le nom, le dieu manchot de la guerre juste. Il savait son ennemi puissant, notamment celui qui était à la tête du groupe qui se déployait devant lui. Non loin de là, il sentait l’âpre combat qui se déroulait du côté de Katya et la résistance que ses frères d’armes menaient déjà dans les Halls d’Yggdrasil. Tous les envahisseurs n’avaient pas été arrêtés par la Saintia. Et vu le nombre qui se déployait face à lui, il ne pouvait pas lui en vouloir d’en avoir laissé passer. Il avait pleinement confiance en ses camarades pour les vaincre. Il fallait au moins se débarrasser des trois meneurs.

Le Guerrier Divin d’Alpha laissa passer les Aléas mineurs qui le contournaient. Voyant qu’il ne réagissait pas, ils foncèrent vers l’entrée de la Racine qu’ils franchirent sans encombre. L’Aléa majeur n’avait pas bougé d’un iota, acceptant le défi silencieux de Týr qui ne le quittait pas des yeux. Au fond de lui, le guerrier demanda pardon à ses confrères pour le nombre d’adversaires qu’il leur laissait, mais il devait se concentrer sur l’ennemi principal. Il se mit en position, l’assaut n’allait pas tarder. Pas besoin de long discours.

— Original Ice Accumulation ! [Accumulation de glace originelle] lança l’Aléa majeur sans plus de cérémonie.

— Dragon Braveth Blizzard ! [Le dragon bravant le blizzard] répondit Týr.

La force donnant naissance aux glaciers rencontra la double détermination de Fafnir face au froid. Les attaques s’annulèrent… et s’enchaînèrent.

— Psyche Icing Waves ! [Vagues gelant la psyché]

— Dragon's righteousness ! [La droiture du dragon]

L’attaque psychologique de l’Aléa se brisa sur la défense mentale insurmontable du Guerrier Divin. Les deux adversaires se toisèrent. Enfin, l’assaillant prit la parole :

— Impressionnant, Guerrier Divin. Je ne pensais pas trouver quelqu’un de ton niveau parmi les défenseurs d’Asgard.

— Et pourtant, Aléa, il va falloir faire mieux que ça pour me terrasser !

— Intéressant. Je me présente, Viedma, glacier majeur de Chióni, maîtresse des Glaciations. À qui ai-je l’honneur ?

— Týr, Guerrier Divin d’Alpha, chef de l’armée d’Asgard et protecteur personnel des sœurs prêtresses.

— Ravi de t’avoir connu, illustre guerrier. Ne t’inquiète pas, je te promets une mort rapide. Truncated Spur ! [Éperon tronqué]

Une crête glaciaire acérée jaillit de la main de Viedma et percuta Týr à une vitesse ahurissante. Il n’eût pas le temps de réagir. Aucune douleur, aucune sensation, aucune perception si n’est le bruit sourd que son bras fit en touchant le sol comme au ralenti. Impossible, pensa Týr. Il agrippa fermement son moignon en un réflexe salvateur et y fit brûler sa cosmo-énergie, le cautérisant douloureusement. Il vacilla mais se retint de tomber. Son regard se voila. Non, il n’allait pas échouer ainsi, pas lui, pas le disciple de Siegfried l’invincible. Une scène lui revient en mémoire.


[– Týr, relève-toi ! lui disait Siegfried.

L’apprenti reposait, face contre terre, sur le sol du terrain d’entraînement du palais du Valhalla. Siegfried de Dubhe observait son élève d’un œil sévère.

— Pourquoi hésites-tu à me frapper ? Je ne suis pas ton maître lorsque nous nous affrontons. Je dois être ton pire ennemi, celui qui te pousse dans tes derniers retranchements, celui contre lequel tu brûleras ta vie elle-même, contre lequel tu puiseras au plus profond de toi-même la puissance nécessaire pour réveiller ton arcane.

— Impossible, maître. Je vous respecte trop. Je ne voudrais pas vous blesser.

— Týr, tes parents t’ont attribué un prénom lourd de sens et de devoir. Et je suis celui qui te donnera accès à ton héritage. Tu dois trouver au fond de toi la force de rendre justice à tous ceux qui font de toi ce que tu es et ce que tu seras. Týr est le dieu de la guerre juste mais pour prouver sa droiture, il n’hésita pas à mettre sa main dans la gueule de Fenrir, le loup géant du Ragnarok. Crois-tu qu’il fut moins puissant avec une seule main ? Non, il puisa dans cette blessure l’honneur et la justice qui lui valurent le respect de tous les dieux et tous les hommes. Si tu veux gagner le mien, oublie que je suis ton maître. Sacrifie la vision que tu as de moi et attaque-moi. Si tu ne me respectes pas, je mettrai fin à ta vie !

Siegfried concentra toute sa puissance dans son doigt et traça un cercle autour de Týr. Ce dernier sentit une violente décharge d’énergie s’accumuler dans le cercle. Odin Sword [l’épée d’Odin], l’arcane qui lui avait valu sa place de plus fort des Guerriers Divins. Cet arcane inspiré de Balmung elle-même, l’épée du seigneur des Ases. 

— Trouve ton inspiration, Týr. Si tu veux me succéder, brise mon arcane. Aucun de mes élèves n’a jamais réussi avant toi. Et je ne peux plus attendre. Une guerre va bientôt éclater et il est toujours possible que je n’y survive pas. Je ne peux pas laisser Asgard sans un dernier rempart. Tu es mon seul espoir, Týr. Ne me déçois pas !

Týr renonça. Il renonça à sa répulsion de blesser son maître. Il admit la justesse des mots de Siegfried et concentra son énergie dans son bras. Il avait trouvé son arcane depuis longtemps, inspiré par la légende de l’ancêtre de son mentor. 

— Maître, je vais vous montrer aujourd’hui la plus belle marque de respect que vous puissiez espérer de moi. Et si cela ne suffit pas, je serai honoré de mourir de vos mains.]


Týr raffermit sa volonté face à Viedma. Ce dernier s’apprêtait à relancer son attaque précédente. Le guerrier d’Alpha savait que s’il la prenait de nouveau de plein fouet, il mourrait. Et il ne pouvait pas laisser un ennemi de cette trempe entrer dans les Halls d’Yggdrasil. Il porta son cosmos à son paroxysme, le condensant au maximum et le laissant glisser le long de son bras sectionné. Son arcane ne souffrirait pas de l’absence de ce membre, au contraire, cela la forcerait à être davantage concentrée et tangible.

— Viedma, je te remercie. Tu as été certes un adversaire vaillant et redoutable. Mais c’est terminé. Siegfried, le héros invincible qui occit Fafnir, répara pour cela l’épée de son père Sigmund. La meilleure des épées, forgée par le nain Völund. Mon maître Siegfried de Dubhe, mon prédécesseur comme guerrier d’Alpha, répara en moi de la même façon ma vision de la justice et de la justesse. Mon arcane incarne tout cela.

Sa lame de cosmos prolongea son moignon et se mit à briller de mille feux. Viedma ne prit pas le temps de dialoguer, comme s’il ne daignait pas reconnaître la légitime et soudaine peur que son adversaire lui inspirait. Il devait en finir. Il leva ses deux bras :

— Ice Cliffs Jagging ! [Déchiquetage des falaises de glace]

Une série de volées déchirantes se précipitèrent vers Týr.

— Gram’s Heiress ! [L’héritière de Gram] hurla le Guerrier Divin d’Alpha.

Les lames affûtées de l’Aléa majeur furent sectionnées nettes, par la lame de cosmos développée par Týr. Celle-ci trouva son chemin jusqu’à Viedma qu’elle trancha impitoyablement. Sans un mot, fidèle à lui-même, l’Aléa majeur s’effondra. Le sang se remit à couler du bras de Týr qui ne parvenait plus à produire suffisamment de cosmos pour le stopper de nouveau. Il sentit la vie le quitter et glissa doucement contre la Racine Primordiale qu’il protégeait.


**


— Freezing Coffin ! [Cercueil de glace] lança Hyoga, scellant ainsi l’entrée de la Racine Primordiale dont il avait la garde.

— Tu comptes donc nous arrêter tous en même temps, chevalier ? railla l’Aléa majeur.

Ses soldats ricanèrent derrière lui. Le chevalier d’or du Verseau avait senti l’intrusion dans Yggdrasil depuis les autres Racines. Il avait compris que ses compagnons avaient préféré laisser passer quelques ennemis pour se concentrer sur leurs meneurs. Mais cela faisait plusieurs dizaines d’Aléas mineurs contre quatorze Guerriers Divins.

— J’agirai comme s’il s’agissait de ma propre maison, Aléa, annonça-t-il de marbre. Je ne vous laisserai pas davantage passer que si vous tentiez de traverser le Sanctuaire.

— Présomption et abnégation, déplora l’Aléa majeur en levant la main.

— Maître Upsala, l’interrompit un de ses sbires, ne vous abaissez pas à vous en occuper vous-même. Laissez-nous nous charger de cet impudent.

Upsala hésita un instant et annula son geste. Hyoga avait perçu l’incroyable pression glacée qu’il avait commencé à émettre et s’était tendu. Aucun flocon, aucun cristal de glace, aucune brume givrée ne s’était manifesté, comme si le froid intense qu’il avait ressenti n’avait provoqué aucun changement d’état dans l’humidité environnante. Comment était-ce seulement possible ? Cet adversaire ne serait pas à prendre à la légère. Le chevalier d’or ne pouvait pas en dire autant des soldats qui s’avançaient vers lui. Des incarnations de glaciers mineurs, comme il en avait brisé des dizaines de fois lors de son entraînement dans les plaines de Sibérie. Ils se ruèrent d’un seul bloc sur lui, leurs cosmos fusionnant en un seul.

— Inexorable avancée glaciaire ! hurlèrent-ils.

— Vous croyez m’impressionner avec une attaque combinée ? C’est à votre tour d’être présomptueux. Pour vous, une seule technique suffira.

Hyoga amplifia sa cosmo-énergie et d’innombrables flocons rutilants tombèrent de nulle part.

— Diamond Dust ! [Par la poussière de diamants] clama le chevalier d’or.

Le vent glacé et coupant comme des milliers de lames de rasoir eut raison de la nuée ennemie en un rien de temps. Déchiquetés, les Aléas mineurs furent transformés en poussière glacée qui se mêla à l’attaque de Hyoga. Ce dernier la redirigea vers Upsala. La vague de froid se volatilisa à quelques centimètres de l’Aléa majeur, comme n’ayant jamais existé. 

— Je ne comprends pas, tiqua le chevalier d’or du Verseau. J’ai affronté des adversaires contrôlant le froid. Je suis moi-même un maître de la glace. Mais ton pouvoir semble différent.

— Quantum Cold [le froid quantique], expliqua Upsala. Ce n’est pas une attaque, mais une capacité. Je ne contrôle pas le froid lui-même. Je contrôle le statut des éléments de mon environnement. Soit il est froid, soit il ne l’est pas. Si je décide que l’air qui m’entoure n’est pas froid, alors il ne le sera jamais, quelle que soit l’attaque qui me vise. Mais si je décide qu’un élément de mon environnement proche est froid, il le devient.

L’armure d’or de Hyoga fut soudainement envahie d’un froid profond et transperçant. Le Saint d’Athéna, élevé au septième sens, fit flamber son cosmos et l’armure se réchauffa immédiatement.

— Il me suffira alors de modifier le statut que tu auras induit en un froid que je peux maîtriser.

Upsala ne fit montre d’aucun signe d’agacement, ni d’un quelconque autre sentiment par ailleurs.

— À la seule condition de pouvoir percevoir cet état à temps, chevalier.

— Il suffit, Upsala. Mon maître et prédécesseur du Verseau m’a appris à contrôler le mouvement même des atomes. Je ne te laisserai pas sous-estimer son enseignement. Voici un froid que je te mets au défi d’annuler : Kholodnyi Smerch [Tourbillon de glace] !

Un courant glacial s’éleva du sol sous l’Aléa majeur et l’enveloppa, tourbillonnant violemment.

— Suis-je gelé ou ne le suis-je pas ?

La voix blasée de l’Aléa se fit entendre depuis l’intérieur du vortex. 

— Schrödinger's Cold [le froid de Schrödinger]... Bravo, chevalier. Mais oseras-tu jeter un œil dans ta propre technique pour vérifier mon état ? Tant que tu ne vérifieras pas, je serai à la fois gelé par ton froid, et à la fois je ne le serai pas. Quel dilemme pour toi…

L’attaque de Hyoga s’estompa, révélant un Aléa intact.

— Quel dommage. Aurais-tu pris la peine de constater la réussite de ton attaque que je serais mort. Mais tel le chat prisonnier de sa boîte et considéré vivant tant que sa mort n’a pas été constatée, me voilà bien vivant.

Hyoga ne put empêcher le trouble de l’envahir. Camus lui avait toujours appris à analyser froidement les choses, à ne pas se laisser perturber par ses sentiments et ses émotions, mais jamais il n’avait affronté de telles capacités. Il paroxysa son cosmos, bien décidé à en finir avec cet adversaire trop redoutable pour être laissé en vie.

— Alors je dois geler les atomes mêmes, déclara-t-il. Quelles que soient tes compétences, tu ne pourras pas affronter le zéro absolu. Reçois la technique héritée de mon maître au prix de sa vie ! Aurora Execution ! [L’exécution de l’aurore]

— Tu n’as toujours pas compris. Les propriétés quantiques sont d’autant plus fortes que le froid est intense. Tu auras beau t’approcher ou atteindre le zéro absolu, jamais tu ne pourras me vaincre par ce biais. À mon tour de passer à l’offensive, je vais te faire connaître mille états de froids en même temps… Coherent Quantum Superposition of Colds ! [Superposition quantique cohérente de froids]

L’exécution de l’aurore n’atteignit même pas Upsala. L’attaque quantique de l’Aléa majeur effaça la technique de Hyoga et l’enveloppa. Le chevalier d’or sentit son corps subir en même temps tous les degrés de froid existants. Son armure n’y changea rien. Il s’effondra, tremblant jusqu’au plus profond de son être. Il voyait trouble et tous ses organes criaient leur agonie. Il perçut plus qu’il n’entendit ou ne vit son adversaire se rapprocher de lui. 

— Tu vas mourir, chevalier d’Athéna. Ton corps n’aura pas supporté cette multitude d’états synchrones. Tu auras été un adversaire vaillant, n’en doute pas, mais un adversaire totalement inapte à me vaincre.

Il posa sa main sur l’épaule de Hyoga… et la retira aussitôt.

— Que… Quelle est cette température ? Cette… chaleur ?

Hyoga souffla… un nuage de vapeur s’échappant de sa bouche. Chancelant, il se releva néanmoins.

— Tu m’as sous-estimé, Upsala. Je suis un maître de la glace… mais il n’y a pas qu’une seule forme de glace dans l’univers. Je devais surpasser mes prédécesseurs et suis passé maître dans l’art de contrôler toutes les formes d’eau solide.

Douze symboles apparurent en cercle autour de lui. Ic, Ih, II, III, V, VI, VII, VIII, IX, X, XI et XV. 

— Il existe douze variétés de glaces. Certaines sont chaudes. Toi qui maîtrises l’état du froid, tu ne pourras pas résister à ma prochaine attaque. Elle dépasse ton domaine de compétences.

Upsala recula, la peur se lisant enfin sur son visage.

— Prends ça et disparais ! cria Hyoga. Dvenadtsat' Ledyanykh Chasov ! [L’horloge des douze glaces]

L’Aléa majeur fut assailli par les douze variétés d’eau solide de l’univers. Des glaces froides, chaudes, à haute et à basse pression. Son corps n’y résista pas et il se vaporisa. Hyoga mit un genou à terre pour récupérer. Jamais il n’aurait cru avoir à user de sa nouvelle technique aussi vite dans le conflit qui les opposait aux Calamités. Shiryu et sa famille allaient avoir bien du mal.

Il n’y avait plus aucune trace d’affrontement à l’intérieur d’Yggdrasil. Et l’arbre-monde était toujours debout. Ils avaient réussi. Il ne savait pas quelles seraient les victimes de cet assaut du côté des Guerriers Divins, mais sa priorité alla à sa sœur d’armes. Titubant malgré lui, il partit rejoindre Katya.

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