Woes Chapter

Chapitre 3 : Calamités et quiddités.

2782 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 17/10/2022 07:53

Chapitre 3 : Calamités et quiddités.


Shiryu sentit la porte d’entrée de la Contrée Mystique se refermer derrière lui. Une fermeture définitive, lui sembla-t-il. Mais il se jura que s’il en avait un jour la possibilité, il la rouvrirait. Se détournant, il était sur le point de quitter le Kilimandjaro lorsqu’une vague de chaleur le nappa.

— On m’attaque, pensa-t-il en poussant son cosmos.

Un soufflé glacé prit le relais et il sentit ses poumons et sa peau se rétracter. Puis son corps fut emporté par un tourbillon de vent et il crut que ses membres allaient lui être arrachés. Tout s’enchaîna trop rapidement. Une cataracte s’abattit sur lui et la pression le paralysa, une vibration profonde se propagea dans ses os, manquant les fendre comme des brindilles, une éruption brûlante le projeta et une fièvre bouillonnante le fit frémir au plus profond de lui-même. Avant même de s’en rendre compte, il était à terre, incapable du moindre mouvement, simplement protégé de la mort par son armure d’or, son cosmos de vétéran inutile face à un tel acharnement. Des rires autour de lui. Sept silhouettes l’entouraient.

— Alors c’est ça un chevalier d’or ?

— Rien de bien impressionnant si c’est la barrière la plus puissante qui tentera de nous arrêter.

— Il a à peine survécu à nos simples émanations.

— Qu’en serait-il s’il s’était agi d’attaques en bonne et due forme ?

— Il aurait été pulvérisé.

— Cette fois, l’extinction ne fait plus aucun doute.

— Rien ne pourra nous arrêter.

Shiryu gémit, serra les poings et rassembla ses forces. Depuis combien de temps n’avait-il pas ressenti cette sensation d’impuissance, ce sentiment de devoir se relever et vaincre son adversaire quelles que soient la difficulté et les souffrances engendrées ? Il sentit son cosmos s’élever du plus profond de son être. Pas de déesse à protéger, pas d’Athéna à sauver, pas de dieu ennemi à vaincre mais la Terre à protéger et sa biodiversité à préserver. Plus un objectif pour un Saint, mais une mission pour un Pic.

Son cosmos se connecta à son armure d’or qu’il avait baignée dans la cascade de Lushan durant ces vingt dernières d’années. Il avait développé une véritable harmonie en ramenant l’armure héritée de son maître sur les lieux de son entraînement. L’armure de la Balance s’était imprégnée des propriétés inhérentes aux Cinq Pics et elle réagit à l’abnégation de son porteur. Shiryu se releva, à peine conscient des affres que son corps avait subies.

— J’ai vaincu des dieux, commença-t-il en poussant son cosmos à son paroxysme. Que sont des Calamités telles que vous face à de telles existences ? Je vous vaincrai, ici et maintenant, moi Shiryu de la Balance authentique, Grand Pope du Sanctuaire, je m’élèverai contre vous !

Les voix autour de lui se turent. Shiryu se concentra. Il pourrait utiliser une de ses techniques de Saint, mais une autre s’imposa. Son armure d’or réveilla un souvenir enfoui depuis des temps immémoriaux. Un souvenir n’existant que dans les atomes qui la constituaient, atomes plus vieux que la fabrication de la toute première armure. Shiryu ayant accepté d’endosser le rôle de protecteur de la Nature en plus de celui de protecteur exclusif d’Athéna, son armure s’éveillait à une autre condition. L’armure d’or elle-même endossait le rôle de son porteur et s’éleva au rang de Shield. L’armure d’or authentique transmit à son porteur une technique enfouie dans les profondeurs de la légende des Shields. Une technique qui pourrait atteindre les Calamités.

Il regarda ses adversaires. Quatre femmes et trois hommes, porteurs d’armures d’un type qu’il n’avait jamais vu. Ils le regardaient d’un œil intéressé, absolument pas apeurés par ce revirement qu’ils semblaient juger au mieux intempestif. Mais il ne leur laissa pas le temps de changer d’état d’esprit. Même un tant soit peu, ils étaient vulnérables par leur suffisance.

— Rozan Kin De Keryo ! [le pesant d’or de Lushan] s’exclama-t-il.

Sa cosmo-énergie enfla puis implosa, créant une gravité qui plaqua ses adversaires au sol. Une lueur d’inquiétude passa sur leurs visages avant que leurs êtres commencent à se ratatiner sous la pression incommensurable que Shiryu avait produite.

— Imposs… entendit-il avant que ses assaillants ne disparaissent.

Shiryu contempla le résultat puis s’écroula de nouveau. Son corps semblait avoir subi seul ce que la Contrée avait enduré avant lui. Il vacilla en tentant de se relever. Il n’y parvint pas. Un claquement sec se fit entendre et un pied apparut devant son visage. Cette sensation écrasante… une Calamité. Impossible, il s’était débarrassé de tous ses…

— Débarrassé ? fit une voix d’une profondeur sépulcrale mais d’une douceur impressionnante. Mais pas du tout. Comment aurais-tu pu défaire à toi seul mes sept compagnons ? Tu présumes trop de tes capacités, Shiryu de la Balance, Grand Pope du Sanctuaire.

Une forme s’accroupit à ses côtés mais Shiryu ne put toujours pas distinguer son visage.

— Tu pourrais peut-être t’avérer une menace pour notre incarnation si tu étais accompagné de tes semblables. Mais, vois-tu, j’ai pris le temps de parcourir la planète et aucune Quiddité n’est venue me barrer la route. À part l’Or qui s’est éveillé en toi, je n’ai rien ressenti du tout. La Nature elle-même ne semble pas vouloir défendre sa biodiversité contre ses propres Calamités. Les humains lui sont devenus insupportables et elle semble prête à sacrifier tous ses enfants pour éliminer une seule espèce. C’est une grande première. Chaque fois que nous nous sommes incarnés, notre Mère a trouvé le moyen de minimiser notre action en réveillant ses chers défenseurs. Chacune de nos crises biologiques s’est vue stoppée avant son achèvement, laissant le champ libre aux radiations évolutives. Calamités destructrices contre Quiddités fondatrices… Mais notre défaite ne fut jamais totale pour autant… et cette fois-ci, il semblerait que nous puissions nous en donner à cœur joie.

Une main vint lui saisir le menton et le releva. Un homme, dans une armure à la fois majestueuse et macabre, le dominait.

— La Nature veut changer. Vous l’avez trop abîmée, trop blessée, trop usée. Nous provoquerons une sixième extinction et celle-ci sera totale. Nous passerons ensuite le flambeau aux Quiddités et la Vie reprendra. Sans les humains ni toutes les espèces qui vous ont côtoyés.

Une secousse souleva la terre à l’endroit où Shiryu avait déchaîné sa nouvelle technique et les sept Calamités qu’il pensait avoir vaincues se relevèrent, indemnes. Toutes vinrent rejoindre celui qui devait être leur maître. Shiryu ne pouvait qu’écouter, toute force l’avait abandonnée. Le nouveau venu les regarda en souriant avant de reprendre la parole.

— Quant aux dieux que tu t’es targué d’avoir vaincus, ils ne sont rien quand nous échappons à leur contrôle. Les dieux ne sont que des êtres à qui nous prêtons nos pouvoirs, des vecteurs par lesquels nous pouvons agir lorsque nous ne nous incarnons pas. Gaïa elle-même n’est qu’une existence qui se fait appeler Nature mais qui n’est pas notre Mère. Les dieux ne sont que des utilisateurs de lois naturelles, leur hiérarchie ne dépendant que de la profondeur de leur compréhension de ces lois. La vraie Nature est l’ensemble personnifié de ces lois. Les Calamités en sont les manifestations destructrices, les Quiddités les manifestations fondatrices. Alors crois-moi, les dieux n’ont actuellement plus aucun pouvoir à nous opposer.

Shiryu ne comprenait pas tout à ce monologue. Mais plus il écoutait, plus il maudissait son impossibilité d’agir, sa propre faiblesse et son impuissance manifeste. Il tremblait de frustration et de honte.

— Que fait-on de lui ? demanda l’une des Calamités.

— Laissons-le en vie. Seul, il ne représente rien de plus qu’un frein et nous ne sommes pas pressés. Peut-être s’avérera-t-il même un certain divertissement.

Le chef des Calamités se pencha sur Shiryu et murmura :

— En vie à la seule condition que tu résistes à mon émanation. Mais garde espoir car, après tout, tu as déjà survécu à celles de mes camarades.

Les rires s’élevèrent et s’éloignèrent. Un impact dislocateur ne tarda pas à percuter le Grand Pope. Il sentit ses os et ses organes éclater malgré son armure d’or baignée des bienfaits de Lushan. Au-delà de la douleur, devoir résister à une huitième Calamité le vida de ses dernières forces. Shiryu perdit connaissance.


**


Dans les limbes de son inconscience, le chevalier d’or de la Balance flottait dans un vide insondable. Il dérivait, sans sensation, sans sentiment. Une lueur et une voix tentèrent d’attirer son attention, mais Shiryu n’y répondit pas. La lueur et la voix insistèrent. Les lueurs et les voix, trois pour être exact, se mêlèrent et accrochèrent son esprit vagabond.

— Shiryu… Shiryu… SHIRYU !

Le vide vola en éclat et trois silhouettes entourèrent l’esprit du chevalier qui mit du temps à focaliser son attention sur ses interlocuteurs. Des larmes virtuelles lui montèrent aux yeux lorsqu’il reconnut l’une d’elles.

— Vieux Maître ! Vieux Maître, c’est bien vous ?

La forme de Dohko se précisa et dans le néant de son âme son maître lui apparut, dans sa prime jeunesse, coiffé de son chapeau de paille et revêtu de sa tunique chinoise. Un magnifique tigre draconien était brodé sur l’avant et se poursuivait dans son dos, certainement la forme qu’aurait pris son tatouage s’il avait fini d’évoluer.

— Shiryu, mon cher disciple. Reste avec nous, ne va pas plus loin dans le néant, l’incita l’ancien Saint de la Balance.

Les deux autres silhouettes se précisèrent également. Hakuryu apparut, aux côtés d’un être mi-homme mi-dragon, recouvert d’écailles d’un noir de jais. Ce dernier empoigna fermement mais délicatement les épaules virtuelles de Shiryu et arrêta sa dérive.

— Disciple de mon disciple, Dohko a raison. Ne pousse pas plus avant dans les limbes ou tu parviendras aux collines du Yomotsu Hirasaka d’où tu ne pourras pas revenir.

Shiryu ferma les yeux et ses larmes disparurent. Il connaissait le nom de cet être : Sennenryu, le dragon millénaire ami du dragon blanc de la Contrée Mystique. Il raffermit sa résolution. Comment pouvait-il abandonner face à ses mentors. Dans le vide de son âme, il se redressa et fit face à ses visiteurs.

— Bien, Shiryu, le complimenta Hakuryu. Digne d’un dragon.

— Je ne mérite pas cet éloge, Grand Maître. J’ai été vaincu, incapable de me défendre face aux Calamités, incapable également de les blesser. Je ne les ai même pas inquiétés. J’ai failli en tant que Saint.

Ses trois aînés se regardèrent gravement. Dohko prit la parole.

— Tu ne dois plus te considérer comme un Saint, Shiryu. Plus pour le moment. Tu es l’imprégnation de la Quiddité de l’Or, porteur de sa Shield. Accepte pleinement ce rôle pour en obtenir la totale puissance. Les Quiddités ne sont en rien inférieures aux Calamités.

Shiryu secoua la tête.

— L’un d’eux usait des mêmes termes que vous, Vieux Maître. Mais je ne comprends pas. Je fais face à mon ignorance. Vous ne m’aviez parlé que de la légende des porteurs de Shields, des armures transcendant les Clothes, Fanes, Surplis, Scales, Robes, Dresses, Tattoos et autres armures des armées divines. Ces porteurs censés protéger les enfants de la Nature qui se révèlent lorsqu’ils sont en danger d’extinction. Mais j’ai du mal à joindre les deux bouts. J’ai l’esprit embrouillé…

— Laisse-nous t’éclairer, jeune dragon, le coupa le dragon millénaire. Ta Cloth s’est éveillée au statut de Shield, débloquant une partie de sa mémoire atavique, ce qui nous permet de nous rencontrer. Comprends-tu, les Shields sont constituées en partie d’atomes plus vieux que les temps mythologiques, aussi âgés que les premières formes de vie sur Terre. Ces atomes sont imprégnés de la volonté des Quiddités, des entités fondatrices, manifestations du côté créateur de la Nature. À l’insu des dieux, et nonobstant leur appartenance panthéique, ces atomes sont entrés dans la composition de certaines armures lorsqu’est venue l’ère mythologique. Les armures qui en comportent présentent toutes un bouclier réputé indestructible, symbole de leur rôle protecteur. Chaque Quiddité protège son représentant par une Shield.

— Il existe ainsi sept Shields, poursuivit Hakuryu, chacune imprégnée de l’une des sept Quiddités : l’Or, l’Eau, le Feu, le Vent, l’Arbre, la Terre et l’Éther. Les guerriers qui les revêtent sont les seuls capables de défaire les Calamités lorsqu’elles s’incarnent. Ces guerriers ne peuvent pas se faire appeler Quiddités car, à l’inverse des Calamités qui sont de véritables personnifications, ils ne sont qu’imprégnés de celles-ci. On les appelle les Pics… et à raison.

Shiryu commençait à reconstituer le puzzle malgré quelques zones d’ombre. Les Pics, les boucliers, ses trois mentors, les essences fondatrices de la Nature…

— Lushan ! s’exclama-t-il.

La fierté rayonna sur le visage de Dohko.

— Exactement, approuva-t-il. Les pics de Lushan abritent les Quiddités. Souviens-toi de la façon dont tu as défait Albérich de Megrez en Asgard. Tu as communié avec les esprits de la Nature. Tu as cette capacité car tu baignes dans cette atmosphère depuis tes huit ans. Lushan est un lieu sacré pour les Quiddités. C’est là qu’elles attendent leur heure. Tu y as rapporté l’armure de la Balance, probablement par incitation tacite de la Quiddité de l’Or.

— Mais, fit Shiryu, vous parlez de sept Quiddités. Or, il n’y a que cinq pics à Lushan !

— Le temps joue son œuvre, jeune dragon. Deux pics ont été érodés, les pics de l’ombre. Mais leur héritage est toujours là et il se révélera au moment opportun. Les Quiddités ne laisseront pas les Calamités agir à leur guise. Fais-leur confiance.

— Alors, les autres Pics…, non, ce n’est pas possible. Pas eux ! C’est bien trop dangereux ! Si jamais…

Les trois mentors posèrent main et pattes sur les épaules de Shiryu.

— C’est leur destin, Shiryu. Tu ne pourras l’empêcher. Ce sont actuellement les seuls dignes de devenir des Pics. Tu leur as tellement transmis, plus que nous ne l’avons fait envers toi.

— Non, non… s’il leur arrivait le pire…

— Trop de temps a passé, jeune dragon, interrompit Sennenryu. Nous ne pouvons pas interrompre ta conscience plus longtemps.

— Je crains même que nous ayons parlé trop longtemps, renchérit subitement Hakuryu. Nous nous effaçons… Les collines…

Yomotsu Hirasaka… Shiryu reconnut immédiatement l’endroit. Le Grand Pope perçut l’inquiétude de Dohko.

— Ne vous en faites pas Maîtres, les rassura-t-il, confiant. Je sais parfaitement comment me sortir de cet endroit.

Les trois mentors de Shiryu contemplèrent leur héritier.

— Nous nous reverrons dans les limbes, mon jeune disciple, déclara Dohko, acceptant le manque d’information. Communie avec ta Shield, sa mémoire atavique nous réunira.

— Je ne faillirai plus, Maîtres. Et quand le temps viendra, je vous rejoindrai. Je vous remercie pour votre guidance.

Dohko, Sennenryu et Hakuryu s’effacèrent et Shiryu se détourna. Il savait où attendre Erda, chevalier d’or du Cancer.

Laisser un commentaire ?