Woes Chapter

Chapitre 2 : Révélations de la Contrée Mystique.

Shun ouvrit brutalement les yeux.

— Kiki, Mii ! Prêtez-moi main forte ! envoya-t-il par télépathie aux chevaliers d’or du Bélier et des Poissons.

Sentant que ses amis se mettaient à l’œuvre en suivant ses instructions, Shun déploya son cosmos vers Star Hill, des chaînes dorées évanescentes jaillissant du temple de la Vierge.

— Buddh Kee Raksha Atmak Janjeer ! [la chaîne protectrice de Bouddha]

Au même moment, le cosmos cristallin du chevalier du Bélier émana de la première maison du Zodiaque et des milliers de roses d’un bleu aquatique s’élevèrent de la dernière maison.

— Cristal Sphere ! [sphère de cristal]

— Aquamarine Roses ! [roses aigues-marines]

Soutenu par la forte télékinésie de Kiki qui projeta son mur de cristal en parallèle des chaînes de la Vierge et des roses bleues que Mii avait mises au point comme roses de défense, Shun tenta de réduire au mieux l’impact qui s’apprêtait à détruire Star Hill. Comment cette météorite avait-elle pu franchir le bouclier athénien qui faisait du Sanctuaire une zone protégée de tout phénomène naturel dangereux ? Cela aurait dû être impossible ! De mémoire de chevalier, jamais le Sanctuaire n’avait été en proie à un séisme ou à une quelconque autre Calamité. Il s’agissait d’un lieu sacré, en dehors de certaines lois naturelles, comme le temple de Poséidon, le château d’Hadès ou même la forteresse d’Asgard.

— Chevaliers d’argent et de bronze ! ordonna Shun en étendant sa télépathie à tout le Sanctuaire. Le Grand Pope et le chevalier du Télescope sont à Star Hill. Venez-leur en aide !

Le chevalier de la Vierge sentit se réveiller les cosmos de tous les chevaliers encore présents au Sanctuaire. Les esprits étaient en ébullition. Star Hill détruite ! Par une météorite ! Le Grand Pope en danger ! Shun sortit sur le perron de sa maison et regarda en direction de la colline aux étoiles. Le paysage était défiguré. Un pan entier de cette excroissance rocheuse avait été arraché, la partie restante en passe de s’écrouler. Un panache de fumée s’élevait d’un cratère d’impact que Shun ne pouvait voir. Il aurait voulu y aller, mais les chevaliers d’or étaient cantonnés à leurs temples. Suspicion d’attaque, la pire raison pour ne pas bouger de leurs maisons. Ne pas savoir si le Sanctuaire était vraiment sous le coup d’une offensive et ne pas pouvoir venir en aide eux-mêmes à leur frère… Shun percevait la frustration et la colère de ses pairs.

Shun, Mii et Kiki détournèrent leurs défenses pour en recouvrir tout le Sanctuaire. Le nouveau chevalier de la Vierge était à l’origine de ce système défensif. Préférant protéger qu’attaquer, il avait trouvé logique de s’associer aux chevaliers d’or de la première et de la dernière maison du Zodiaque. Kiki avait peaufiné l’ancienne technique des chevaliers du Bélier jusqu’à lui faire prendre la forme d’une sphère. Mii avait cultivé une nouvelle sorte de rose, non offensive et de couleur bleue. Les trois chevaliers d’or passèrent donc leur frustration dans cette action qui protégerait le plus grand nombre. C’était la seule chose qu’ils pouvaient faire à distance, et au moins pouvaient-ils agir là où leurs compagnons devaient se contenter d’assister de loin.

— Shiryu, entendit-il Kiki prier, j’espère que tu vas bien…

— Ne t’en fais pas, le rassura Shun. Il a l’armure la plus solide du Sanctuaire. Il s’en sera sorti, j’en suis sûr.

Shun nota l’assentiment de Kiki et reporta son attention vers Star Hill, ou ce qu’il en restait.

**

— Timio ! Tu vas bien ? s’enquit Shiryu, alarmé par le silence de son compagnon.

Le jeune chevalier de bronze sortit de sa torpeur.

— Grand Pope ! s’écria-t-il en commençant à s’agiter.

— Ne bouge pas, lui intima Shiryu avec autorité.

Timio s’arrêta net et prit le temps d’évaluer la situation. Les décombres les recouvraient, seulement maintenus par le bouclier immatériel invoqué par Shiryu dont le cosmos d’or se diffusait par l’intermédiaire des deux boucliers de la Balance maintenus à quelques centimètres au-dessus d’eux. La protection formait ainsi comme un toit qui retenait les rochers et autres éboulis accumulés par-dessus. Le chevalier de bronze ne douta pas un seul instant de ce rempart doré, mais il s’inquiéta du problème de l’air qui allait vite se raréfier.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il.

— Une météorite, énonça Shiryu calmement.

— Mais com… Et vous m’avez protégé ? Grand Pope, ce n’était pas…

— Assez, Timio. Ne va pas plus loin dans ton raisonnement. Le Grand Pope doit avant tout protéger le Sanctuaire, pas l’inverse. Je suis un chevalier d’Athéna comme toi. Mais ne bouge pas, ta jambe…

Timio porta le regard sur sa jambe droite. Dans sa stupeur de se découvrir enseveli sous un tas de roches, il ne s’était pas aperçu que sa jambe était coincée. Il tenta un mouvement délicat, testant la résistance du rocher. Mauvaise idée, estima-t-il en grimaçant de douleur sans faire ciller la roche le moins du monde.

— Maintenant que tu es réveillé, il faut que je nous sorte de là. Nos compagnons sont à notre recherche mais nous sommes profondément enfouis. Il va falloir que je lance une attaque et pendant une fraction de seconde, je ne pourrai pas maintenir en place la protection. Tu vas devoir brandir les boucliers de la Balance et y infuser ton cosmos pour nous protéger le temps que je nous dégage une sortie. Tu as compris ?

— Je vais devoir saisir les boucliers de la Balance ? Mais je n’en suis pas digne !

— Je n’étais pas plus âgé que toi quand j’ai utilisé les armes de la Balance pour la première fois. Et je ne te demande pas de les utiliser. Juste de leur transmettre suffisamment de cosmos pour maintenir leur protection. Tu vas devoir y parvenir malgré ta jambe.

— Bien, Grand Pope, je ne vous décevrai pas.

— Sois prudent, ça ne prendra pas longtemps, mais les boucliers risquent de beaucoup puiser dans tes réserves d’énergie. Ne te permets pas de mourir d’épuisement.

Timio prit sur lui. Le moindre mouvement réveillait la douleur de la compression de la jambe et il allait lui falloir lever les deux bras pour maintenir et écarter les boucliers.

— Courage, chevalier… Sur mon ordre…

Shiryu poussa son cosmos, évaluant avec soin sa puissance. À la surface, ses compagnons devaient déjà être à leur recherche et il ne pouvait pas se permettre de les mettre en danger. Il souhaitait simplement projeter les éboulis qui les recouvraient, Timio et lui, en évitant aux secours d’être eux-mêmes ensevelis ou blessés par les éclats. Il augmenta progressivement sa cosmo-énergie, pour avertir ses amis de son action tout en les aidant à les localiser.

— Maintenant, Timio ! fit-il quand il eut atteint le niveau désiré.

Le jeune chevalier saisit les boucliers au moment où Shiryu les lâchait. Il poussa son cosmos de bronze à son paroxysme alors que le Grand Pope se relevait, projetant son propre cosmos doré à la verticale.

— Rozan Sho Ryu Ha ! [la colère du dragon de Lushan] rugit-il.

Le puissant cosmos capable d’inverser le courant de la cascade de Lushan pulvérisa les rochers. Un immense dragon doré s’éleva dans le ciel, évitant les chevaliers d’argent et de bronze avertis par l’augmentation de cosmo-énergie qu’ils avaient perçue. Shiryu reprit dans la foulée les deux boucliers de la Balance et s’apprêta à repousser tout projectile qui pourrait les atteindre. Mais d’eux ne restaient que de la poussière. Des têtes apparurent au sommet du trou béant qu’il avait créé.

— Grand Pope ? Timio ? entendirent-ils.

Deux chevaliers d’argent descendirent d’un bond. Arkon de la Boussole et Saïla de l’Horloge.

— Vous allez bien ? s’enquit Arkon.

— Je n’ai rien, répondit Shiryu, mais Timio a besoin de soins. Occupez-vous de lui, je dois vérifier quelque chose.

— Bien, Grand Pope, obéirent-ils.

Shiryu se retourna vers Timio.

— Tu as été très courageux, jeune chevalier. Je n’aurais pas pu réussir aussi efficacement sans ton aide.

— Merci, Grand Pope, souffla-t-il avant de perdre connaissance.

Shiryu ne lui en tint pas rigueur. Ces jeunes gens n’avaient après tout jamais connu de véritable danger depuis qu’ils avaient été sacrés chevaliers. Et manier les deux boucliers de la Balance en même temps avait coûté beaucoup au pauvre garçon. Ça, et la douleur.

— Sécurisez le périmètre, empêchez tout civil de s’approcher de Star Hill. S’il le faut, abattez le pan restant s’il s’avère qu’il risque de tomber. Maintenez les défenses du Sanctuaire et postez des sentinelles. Que tous les soldats et les apprentis chevaliers se rendent disponibles de suite. Prévenez tous les chevaliers en mission de la possibilité d’être rapatriés sous peu. Qu’ils s’apprêtent à rentrer au Sanctuaire au moindre mot d’ordre, lança Shiryu à la cantonade lorsqu’il se fut sorti de l’excavation.

Il interpella Toki, chevalier de bronze du Burin.

— File prévenir Kiki. Je m’absente quelque temps pour confirmer mes soupçons. Que les chevaliers d’or restent sur le qui-vive.

— Tout de suite, Grand Pope, répondit la jeune fille en s’éloignant déjà, porteuse du message.

Shiryu quitta les protections du Sanctuaire et put se déplacer à la vitesse de la lumière. Il suivit son instinct, se connectant à l’héritage de son maître Dohko et à son enseignement. Si ses intuitions étaient bonnes… Non, il n’osait y penser. Si elles s’avéraient exactes, la situation serait bien pire que n’importe quelle Guerre Sainte. Il serra les dents.

Arrivé sur les contreforts du Kilimandjaro, il s’ouvrit aux esprits de la Nature. Il n’avait pas en sa possession le miroir des sennins qui lui aurait permis d’accéder directement à la Contrée Mystique. L’entrée officielle changeait de localisation tous les ans et c’était ici qu’il la sentait. Le Vieux Maître lui avait appris à la percevoir. L’ancien apprenti Taonia avait toujours pressenti que ses disciples pourraient un jour avoir besoin de joindre Hakuryu, le dragon blanc et meilleur ami du dragon millénaire gardien de Lushan.

Il sentit qu’il pénétrait dans le domaine des Taonias avant de le voir. L’entrée était perdue dans la brume d’un précipice du volcan africain, Quelqu’un dénué du cosmos averti de Shiryu se serait simplement senti si mal à l’aise qu’il aurait rebroussé chemin sans insister, et probablement de façon inconsciente. Il s’agissait là d’une protection subtile contre le commun des mortels, empêchant toute intrusion inopinée dans ce lieu hors du temps qui existait entre le monde réel et celui de l’occulte. Quand la brume se dissipa, il écarquilla les yeux et comprit pourquoi il n’avait pas encore croisé ou perçu un seul guerrier de la Nature.

Le paysage qui se dévoilait sous ses yeux manqua le faire pleurer. Un territoire ravagé, la Contrée éventrée, balayée, recouverte de fleuves de lave, les habitations englacées, les rivières asséchées, les forêts inondées et l’air empestant la maladie et la mort. Des cratères d’impact jalonnaient le domaine, comme autant de preuves d’un coup de grâce impitoyable et d’une violence extrême.

— Maître, murmura-t-il. Jamais je ne connaîtrai la beauté que vous m’avez décrite de cet endroit.

Et il avança, enrobé de son cosmos d’or comme halo de protection, bien décidé à trouver un survivant. Ses soupçons se confirmaient mais il voulait en avoir le cœur net. Il se rendit dans le temple de Hakuryu. Le dragon blanc gisait, baignant dans une mare de sang… le sien ou celui des cadavres innombrables qui l’entouraient ? Les guerriers de la Nature avaient très certainement défendu leur dirigeant jusqu’à leur dernier souffle… ou bien étaient venus chercher protection auprès de lui. Cela n’avait apparemment pas été suffisant. Soudain, le Grand Pope perçut comme un chuintement de cosmos. Une chaleur agonisante, une nostalgie profonde…

— Dohko ? entendit-il murmurer.

Hakuryu. Cela venait de lui ! Shiryu se précipita auprès du dragon blanc.

— Non, répondit-il. Je m’appelle Shiryu, je suis un disciple de Dohko.

Le grand dragon huma profondément l’air. Shiryu espéra que ce ne fût pas sa dernière inspiration tant elle était longue.

— Vous dégagez presque la même aura, mon garçon. Excuse ma méprise, expira-t-il enfin.

Il ouvrit lentement les yeux et se redressa un peu.

— Ne bougez pas, je vous en prie, l’incita Shiryu. Que puis-je faire pour vous ? Je peux faire venir des soigneurs du Sanctuaire, je peux…

— Chut, jeune guerrier. Tu es plus mesuré que ton maître, je le sens. Alors, ne perds pas cette qualité sous l’effet de l’émotion. Je sens la longanimité en toi. Mon existence touche à sa fin, je le sais, rien de ce que tu pourras tenter ne fonctionnera.

Sa respiration siffla et il râla.

— Cette armure… reprit-il. C’est la même que celle de Dohko… mais différente. Quelle étrangeté…

— Je suis l’héritier de Dohko comme chevalier de la Balance. Mais mon ancien totem ne m’a pas abandonné pour autant. Les dragons ont la dent dure. L’armure de bronze du Dragon m’a accompagnée dans tellement de combats qu’une portion de ce totem a influencé la forme qu’a prise sur moi l’armure de la Balance. Athéna appelle cela une armure authentique.

— Elle est… magnifique.

Hakuryu toussa. Il ferma les yeux et prit une inspiration.

— Je n’ai plus beaucoup de temps. Écoute-moi attentivement. La Contrée Mystique a été attaquée par les forces mêmes de la Nature. Je ne parle pas de l’essence de la Nature, mais des Calamités qu’elle peut engendrer. Elles se sont personnifiées, incarnées si tu préfères. La Contrée a été ravagée par les incarnations de ces Calamités. Éruption volcanique, séisme, pandémie, sécheresse, inondation, cyclone et glaciation. Ces catastrophes naturelles issues de la dynamique terrestre nous ont assaillis. Mes guerriers n’ont pas fait le poids. Trop respectueux des forces naturelles, ils n’ont pas osé répliquer. L’ordre des Taonias est décimé. Les Tattoos se sont brisés contre leurs Woes, le nom qu’ils donnent à leurs armures. Ils s’apprêtent dorénavant à décimer la biodiversité actuelle. Une sixième extinction de masse est sur le point de se produire… Jeune dragon doré, il faut protéger les espèces actuelles d’une extinction totale. Si tu es le digne héritier de Dohko, comme lui-même a pu l’être du dragon millénaire, tu sais à quoi je fais allusion.

Shiryu se sentit testé. Hakuryu ne voulait pas remettre sa dernière volonté, même à l’orée de la mort, à un être dont cela dépasserait les compétences.

— Je comprends, Grand Maître, si je puis me permettre de vous appeler ainsi. Il est temps pour les porteurs des Shields d’endosser de nouveau leur rôle.

Hakuryu réussit à sourire en soupirant.

— Dohko t’a bien formé. Il a réussi à élever un disciple au-dessus de lui-même.

Shiryu crut que le dragon blanc avait rendu son ultime soupir et s’apprêta à lui rendre les derniers hommages, lorsqu’il reprit la parole.

— Je dois quand même te prévenir. Nous avons subi une ultime attaque… je crois du moins que c’en était une… à l’échelle de la Contrée toute entière. Une pluie de météorite s’est abattue sur nos domaines, faisant plus de ravages que n’importe quelle autre Calamité si c’est possible. Je crains qu’une Calamité de plus ne se soit incarnée. Une Calamité non terrestre. Je n’ai pas de preuve de ce que j’avance, mais un guerrier d’une puissance sans précédent dirige certainement les actions des autres. Sois prudent…

Une mimique de douleur, une pointe de tristesse et de regrets. Shiryu comprit que c’était la fin.

— Ça a été un plaisir de te connaître, jeune Shiryu, souffla-t-il presque imperceptiblement.

— Tout l’honneur fut pour moi, déclara le Grand Pope.

Le corps du dragon blanc s’évapora et un souffle chaud et bienveillant enveloppa le chevalier de la Balance, l’adoubant comme Taonia. Shiryu perçut son tatouage apparaître dans son dos et sentit qu’il se modifiait. Il s’agissait de sa troisième évolution. La première fois, suite à l’affrontement qui avait opposé l’ancien chevalier du Dragon à Écarlate du Scorpion, le dragon pers s’était vu doter de la perle de longanimité. La deuxième fois, lorsque le disciple de Dohko avait officiellement hérité de l’armure de la Balance, le tatouage avait pris une teinte dorée et s’était mis à brandir une balance d’or. Cette fois, une paire d’ailes se dessina, de longues ailes dorées, d’apparence plumeuse, mais chaque plume étant en réalité une écaille reptilienne oblongue.

Le dragon jaillissant des eaux se mua en dragon parcourant les cieux et Shiryu sut qu’il était devenu le dernier Taonia. Grand Pope, Saint de la Balance garant de l’équilibre des forces d’Athéna et maintenant dernier représentant des guerriers de la Nature. Pourtant, le chevalier comprit également qu’il ne serait rien de cela dans les temps à venir. Il était avant tout et jusqu’à nouvel ordre le premier porteur de Shield contre la sixième extinction. Un Pic.