Pour une seconde chance
Chapitre 3 : Le sang est infiniment rouge
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Dernière mise à jour il y a environ 6 ans
Chapitre 3 : le sang est infiniment rouge.
Hall de l’aéroport de Narita à Tokyo. Japon.
Le bras en écharpe et le visage livide, Hyoga Gretchenko marchait comme un lion en cage, dans le terminal, sous le regard agacé de son double, calmement adossé contre un mur près de lui.
- Détends-toi un peu. Faire les cent pas ne le fera pas arriver plus vite…
- Je ne le connais pour ainsi dire pas… Je ne l’ai pas vu depuis des années… La dernière fois c’était lors des funérailles de notre père…
Il se souvenait de ce jour d’hiver. Après une cérémonie religieuse où il avait été relégué au dernier rang, il était allé présenter ses condoléances à son demi-frère qui, froid et distant, lui avait répondu de façon laconique. Son beau-père Kolia l’avait accompagné car sa mère était souffrante et ils avaient reçu un accueil plus que glacial dans la maison familiale. Le majordome les avait laissé attendre pendant vingt minutes dans une antichambre avant de leur dire d’un air pincé que : « Monsieur ne pouvait pas les recevoir ».
Hyoga Gretchenko s’arrêta de marcher brutalement :
- Maintenant que j’y pense, c’est étrange, il ne semblait même pas surpris de mon appel. Qu’est-ce que cela veut dire à ton avis ?
Le chevalier du cygne ne répondit pas et posant doucement la main sur l’épaule valide de son alter ego il murmura :
- Allez, maintenant assied-toi et essaie de te calmer.
- Me calmer ?! Explosa son double. Comment veux-tu que je me calme après ce qui vient de m’arriver ! Il y a trois jours tout allait pour le mieux. J’étais le fils adoptif de l’un des dignitaires du régime et un brillant élève dans une école prestigieuse. Après les vacances je devais rentrer tranquillement à la maison puis retrouver ma copine Yulia et mes amis ! Alors que maintenant…
- Baisse d’un ton tout le monde nous regarde…
En effet, les gens présents dans le grand hall de l’aéroport regardaient d’un air surpris ces deux jeunes gens si identique dans leur apparences et si différents dans leurs réactions.
- Qu’est-ce que cela peut faire ? De toute façon ma vie est fichue ! Mon beau père est mort en essayant de me sauver ; j’ai des « spectres des enfers », ou peu importe le nom que tu leur donnes, à mes trousses qui essaient de me tuer ; je suis perdu au beau milieu du Japon ; tous mes amis me croient mort ou alors ils doivent penser que j’ai participé à un assassinat ou que je suis un traître qui est passé à l’ouest ! Ma mère aura sans doute de gros ennuis à cause de moi ! Et en plus, je suis contraint de demander son aide à un soi-disant demi-frère que je n’ai vu qu’une seule fois ! Sans compter que je ne sais pas ce qu’il va penser en nous voyant tous les deux…
- Il va peut-être se dire que tu es dans le même cas que lui… Déclara le chevalier du cygne en souriant, le regard fixé sur le fond de la salle.
Hyoga Gretchenko se retourna dans la direction que fixait son alter égo et vit un petit groupe d’hommes fendre la foule dans leur direction. A leur tête, il reconnut son demi-frère Shiryu Kido accompagné d’un autre garçon qui lui ressemblait trait pour trait malgré une coiffure et des vêtements différents.
***
Manoir Kido.
Après les salutations d’usage et un rapide trajet en limousine, les jeunes gens s’étaient réunis sur deux banquettes confortables, dans le vaste bureau du maître du manoir Kido et partageaient leurs expériences respectives. La table basse entre les banquettes était encombrée de documents et d’artefacts divers que Shiryu désirait leur montrer. Tatsumi frappa et entra discrètement. Après avoir échangé quelques mots à voix basse avec son maître, il introduisit dans la pièce deux adolescents.
- Shun ! s’écrièrent ensemble Hyoga et Shiryu en voyant entrer leur compagnon. Il était suivi d’un garçon qu’ils reconnurent immédiatement comme étant le double d’Ikki. Il portait un blouson de cuir noir et une sacoche sur laquelle s’affichait le symbole d’une grande marque américaine.
- Je vois que je ne suis pas le seul à avoir trouvé un « jumeau »… commenta Ikki Haneda en regardant les garçons présents dans la pièce. Dommage que le mien ait pris le large le lendemain de notre rencontre.
- Il nous rejoindra bientôt, expliqua Shun, il est parti en disant qu’il avait une affaire personnelle à régler, mais je n’en sais pas plus. »
- Je vois, fit Hyoga en souriant, on va devoir, commencer sans lui comme d’habitude !
Shiryu Kido avaient communiqué à ses compagnons les informations dont il disposait à propos des « tueurs fantômes » et les chevaliers de bronze lui avaient rapidement présenté la situation.
- Si je comprends bien je suis pour l’instant le seul à avoir survécu à ces tueurs… Murmura Hyoga Gretchenko qui semblait ébranlé.-
- Oui, tu as eu beaucoup de chance. C’étaient des spectres d’Hadès, pas de simples tueurs et seuls des chevaliers pourront en venir à bout, ajouta le chevalier du cygne.
- Mais, ce poignard, dit Ikki Haneda en soulevant entre ses mains la dague d’or ouvragée du grand Pope, s’il peut tuer des dieux il devrait aussi nous permettre de venir à bout de ces spectres non ?
- Peut-être répondit Shun, mais même avec cette dague, un humain ordinaire aurait peu de chance d’y parvenir.
- Je vais me rendre aux Cinq Pics, intervint Shiryu, si Dokho est toujours en vie dans cette dimension, il pourra certainement nous dire si Hadès a pu se réincarner et ce qu’il en est du sanctuaire.
Les autres approuvèrent cette idée et le chevalier du dragon partit aussitôt.
Après son départ Shun qui était demeuré songeur se tourna vers le jeune héritier.
- Shiryu, ton père t’a-t-il dit où se trouvait la tombe de la petite Saori ? Si cela se passe comme pour moi, Athéna arrivera dans ce monde près de la sépulture de son double. Vivants ou non c’est comme si les doubles étaient attirés l’un par l’autre comme deux aimants.
- En fait, la mort de Saori, est un sujet que j’abordais rarement avec mon père…
Shiryu se revit des années plus tôt aux côtés de son père. C’était lors des dernières vacances qu’ils avaient passé ensemble. Ils avaient visité l’Europe puis étaient resté plusieurs semaines en Grèce chez la famille Solo, des partenaires commerciaux et des amis proches de son père. Matsumasa Kido lui avait fait découvrir des ruines antiques et de nombreux musées. Il avait environ dix ans à l’époque et les anciennes civilisations étaient loin de le passionner. Il aurait nettement préféré nager dans la piscine ou faire de la voile avec son ami Julian Solo. Malgré tout, il avait suivi son père parmi les ruines et les colonnes usées des temples de l’antiquité.
- Je sais que tout cela ne te passionne pas Shiryu, avait soudain déclaré le vieil homme alors qu’ils visitaient un énième temple antique, mais il fallait absolument que tu viennes ici.
- Je suis toujours heureux de passer du temps avec vous père.
Le vieil homme sourit et lui mit une main sur l’épaule.
- Regardes autour de toi Shiryu. C’est ici que tout a commencé il y a des années. C’est là qu’Aiolos, le chevalier du Sagittaire, m’a confié son armure d’or et Athéna.
- Athéna ?
- Oui, c’est…c’était le véritable nom de Saori.
- Comme la déesse grecque de la guerre et de la sagesse ?
- C’est tout à fait ça. Mais ce que tu ignores encore mon fils, c’est qu’elle était véritablement la réincarnation de cette déesse.
- Mais que voulez-vous dire ?
- Athéna devait protéger la terre d’une grande menace. Il y a des années de cela, un jeune homme mourant, le chevalier du Sagittaire, m’avait confié la tâche de veiller sur elle jusqu’à sa majorité mais j’ai échoué.
- Mais père, vous n’êtes pas responsable ! Elle a été assassinée par un fou…
- Non, elle a bel et bien été tuée par un chevalier. Celui-là même qui a tenté de la faire mourir lorsqu’elle n’était qu’un bébé. Et mon échec aura sans doute un retentissement pour le reste de la planète.
- Mais tout n’est pas forcément perdu. Il y a peut-être un autre moyen de protéger le monde…
- J’admire ton optimisme Shiryu. J’ai pris des dispositions pour que l’armure d’or et toutes les connaissances que j’ai accumulées sur Athéna et les chevaliers soient préservées. Plus tard, c’est toi qui en seras le gardien. Je suis désolé de te laisser une si grande responsabilité mais je ne serais plus à tes côtés très longtemps.
- Père ne dites pas cela !
- Tout ce que je peux faire avant de partir mon fils, c’est rendre Athéna à la terre qui l’a vu naître et espérer que de là où elle est, elle entendra mes prières et protégera cette planète.
Mitsumasa Kido sortit avec précaution une petite urne d’albâtre de la sacoche qu’il portait et déversa les fines cendres qu’elle contenait. Emportées par le vent, elles se dispersèrent entre les colonnes en ruines. Pendant une fraction de seconde, il sembla à Shiryu que ces cendres grisâtres s’étaient mises à briller comme de l’or.
Shiryu Kido émergea de ses pensées et répondit :
- En fait Saori a été incinérée donc il n’y a pas de tombe à proprement parler. Cependant, je sais où ses cendres où ont été répandues. Tatsumi, rangez la dague et ces documents puis faites préparer mon jet privé : nous partons pour la Grèce le plus tôt possible.
- Dois-je également prévenir monsieur Solo ? S’enquit le majordome.
- Inutile, je m’en occuperai moi-même pendant le voyage, répondit Shiryu en se levant.
- Très bien monsieur.
Le majordome sortit emportant les documents, le coffret contenant la dague et d’autres artefacts.
- Attends une minute Shiryu ! S’écria Ikki Haneda. Tu veux que nous te suivions tous en Grèce ?!! Comme ça, sans même nous demander notre avis ?
- Evidemment. Il faut bien que quelqu’un coordonne notre action et…
- Et il faut bien sûr que ce soit toi seul qui décide de tout, monsieur l’héritier de la prestigieuse la famille Kido ! Coupa Ikki Haneda.
- Non, ce n’est pas cela, protesta Shiryu. Les chevaliers de bronze doivent retrouver Athéna et les accompagner est la meilleure chose que nous puissions faire, je te rappelle que des spectres d’Hadès veulent nous éliminer. Hyoga en a réchappé de justesse. Toi et moi sommes également des cibles potentielles. De plus, tes parents ont déjà perdu Shun et…
- Je t’interdis de parler de mon frère ! Tu ne le connaissais même pas ! S’écria Ikki Haneda.
- Détrompes-toi je vous connais tous. Répliqua calmement Shiryu Kido. J’ai des dossiers très complets sur tous les enfants que la fondation Kido a fait adopter et sur leur famille. Au lieu d’apaiser les choses, cette remarque mit le feu aux poudres.
- Quoi ?!! Tu as des dossiers sur nous ? Et tu crois que cela te permet de nous juger et de prendre des décisions à notre place ?!! Mais tu es encore pire que ce que je croyais !
- Ne t’énerve pas. C’est peut-être un peu maladroit mais tout ce qu’il essayait de faire c’était de vous protéger, tenta d’expliquer Shun.
- C’est vraiment réussi, ironisa Ikki, il y a déjà eu des dizaines de morts !
- Mes amis et moi devons retrouver Athéna au plus vite, reprit Shun, et en vous gardant près de nous nous pourrons plus facilement assurer votre sécurité contre les spectres.
- Il a raison, intervint Hyoga Gretchenko. Maintenant qu’ils sont là, les choses peuvent peut être changées. Ces spectres vont payer ce qu’ils ont fait à mon beau-père.
- Crois ce que tu veux, mais je ne vois pas pourquoi je lui obéirais au doigt et à l’œil comme un toutou, affirma Ikki en adressant un regard méprisant à Shiryu Kido. Faites ce que vous voulez mais moi je n’ai pas d’ordres à recevoir de lui. N’oubliez pas d’ajouter ça à mon « dossier » monsieur Kido : je retourne chez moi et ne vous avisez pas de m’en empêcher !
Il se leva brusquement et sortit en claquant la porte derrière lui.
- Quelle tête de mule… J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi borné… soupira Shiryu Kido.
Shun et Hyoga échangèrent un regard entendu, car connaissant son double, Ikki Haneda était plutôt modéré. La porte s’entrouvrit doucement et Tatsumi passa la tête dans l’entrebâillement :
- Tout va bien Monsieur ?
- Oui, ne vous inquiétez pas.
- Si vous le souhaitez, je peux demander à la sécurité de l’intercepter, proposa Tatsumi, prêt à faire arrêter de façon musclée celui qui venait de se montrer si irrespectueux envers son maître.
- C’est inutile. Je ne tiens pas à le retenir contre son gré.
***
Un quartier résidentiel d’Osaka :
Ikki Haneda, regarda furtivement autour de lui, le quai du métro vibrait de l’agitation habituelle de la fin de la journée, hommes d’affaires pressés, étudiants au look insolite, groupes de lycéens qui riaient et bavardaient bruyamment. Apparemment, aucun des sbires de Shiryu Kido ne l’avait suivi. Quelque peu rassuré, il s’engouffra dans la rame en serrant nerveusement sa sacoche contre lui. A travers la toile, il sentait les arêtes de la dague d’or. Il n’avait plus qu’à attendre l’arrivée des spectres pour mettre son plan à exécution et son instinct lui disait que c’était pour bientôt.
Quelques heures plus tard, le jeune homme se tenait dans le salon de l’appartement de ses parents quand un violent courant d’air ouvrit la porte fenêtre et sembla traverser toute la pièce. Il sursauta. Glissant la dague d’or sous son tee-shirt, il entreprit de refermer les battants de la fenêtre. Un rire cristallin retentit soudain derrière lui.
Le garçon surpris, se retourna vivement et vit une belle jeune femme à la longue chevelure couleur de jai. Elle portait une élégante robe noire aux reflets moirés qui faisait ressortir son teint d’une extrême pâleur. Son allure baroque détonait avec les sièges en cuir blanc et le mobilier ultra moderne du salon. Il repensa à la description que Hyoga Gretchenko avait faite de la femme qui dirigeait les spectres et en conclut que c’était elle.
- Comment es-tu entrée… Pandore ?
- Tu te souviens de mon nom… Intéressant. Dit la jeune femme en avançant lentement vers lui. Je pensais pourtant avoir effacé tous tes souvenirs de notre première rencontre.
- Notre rencontre ? Que veux-tu dire ?
La jeune femme haussa les épaules et eut un sourire condescendant :
- Je me disais aussi…
- Que comptes-tu faire ? Me tuer comme tu as tué mon frère et les autres ?
Pandore s’immobilisa en entendant ces mots et un éclair de surprise traversa son regard :
- Mais je n’ai pas tué ton frère et j’ai d’autres des projets pour toi…
Voyant que le jeune garçon la regardait sans comprendre, elle poursuivit :
- Ton petit frère Shun avait été choisi pour accueillir l’âme d’Hadès et mon rôle était de le protéger.
Voyant le doute dans le regard du jeune homme, Pandore tendit la main et lui effleura le front :
- Regarde, je vais te faire voir ce qui s’est vraiment passé ce soir-là.
Une lueur violacée l’entoura et les images de la funeste soirée défilèrent alors dans l’esprit de l’adolescent.
Son frère Shun, rentrait à vélo le long d’une petite rue déserte. C’était le soir et il était pressé car les barrières du passage à niveau qui se trouvait au bout de la rue allaient bientôt se baisser. Pandore apparue et s’immobilisa au milieu de la route devant lui. Surpris, l’adolescent freina violemment. Son vélo fit une embardée et le jeune garçon fut projeté au sol. Pandore s’était précipitée pour l’aider à le relever : « Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous blesser… ».
Shun s’était redressé et la regardait étonné :
- C’est vous, vous êtes réelle… Je vous ai vu dans mes rêves, mais je croyais que tout cela n’était que le fruit de mon imagination….
Pandore, s’inclina respectueusement devant lui :
- Ces rêves prouvent que votre esprit et votre corps demandent à être réunis.
- Mais… Que voulez-vous dire ? Demanda, Shun en reculant de quelques pas.
Pandore se redressa et posa les yeux sur le pendentif en forme d’étoile que le garçon portait autour du cou :
- Il est vrai que lors de notre dernière rencontre vous n’étiez qu’un bébé et que votre frère ne nous a pas facilité la tâche… Je suis Pandore. C’est moi qui vous ai laissé ce pendentif autrefois car vous êtes l’être humain qu’Hadès a choisi entre tous pour renaître en ce monde.
- Mais… Comment est-ce possible ? Demanda Shun qui semblait calme malgré ce discours des plus surprenants.
- J’ai si longtemps attendu ce moment. Je suis venue vous chercher pour vous conduire dans votre royaume vous êtes la réincarnation d’Hadès. Cela fait plusieurs siècles que nous attendons votre retour…
- Mais je ne veux pas être un dieu, encore moins Hadès le dieu de la mort…
- C’est votre destin, dit doucement Pandore en lui prenant la main. Vous n’avez pas le choix…
L’adolescent qui affichait un regard indéchiffrable murmura : « Chaque homme est libre de ses choix…» avant de lâcher brusquement la main de Pandore et de se jeter sur les rails…
Debout dans le salon plongé dans une semi obscurité, Pandore faisait toujours face à Ikki Haneda. Ce dernier, adossé au mur, se tenait la tête dans les mains :
- Ça suffit ! Arrête… Je ne veux plus voir ça !
- A présent, tu connais la vérité… Dit Pandore, en souriant d’un air condescendant.
D’un geste du doigt elle mit fin à la vision qui torturait le jeune homme. Devant le regard apathique de son interlocuteur, elle ferma les yeux et continua doucement comme pour elle-même :
- Je ne voulais pas que cela se termine ainsi… Mais tu comprends qu’après avoir connu les affres de la mort dans de telles conditions, le corps de Shun n’était plus digne d’accueillir l’âme immortelle d’Hadès sama et…
Une vive douleur à la poitrine l’interrompit. Ikki Haneda avait profité de son inattention et venait de la poignarder.
- Tout ce que je comprends c’est que sans ton intervention, mon frère serait toujours en vie…
- Comment oses-tu triste mortel ?! Hurla Pandore, ivre de rage. Une aura violacée se forma autour d’elle et d’un simple geste de la main elle projeta violemment le jeune homme à travers la baie vitrée qui explosa dans une pluie de verre brisé.
Pandore se laissa tomber sur le sol et avec un gémissement de douleur arracha la dague en or qui avait failli la tuer. La pointe acérée s’était fichée à quelques centimètres de son cœur. Troublée, elle regarda le sang qui ruisselait de sa blessure, souillait sa robe et coulait à présent sur sa peau pâle… Il était si rouge…
- Pandore sama ! Hurla Minos en entrant en trombe dans la pièce.
La jeune femme se souvenait vaguement lui avoir demandé de ne pas interférer.
Il l’aida à se relever avec précaution attendant les ordres. Elle se dirigea lentement vers la fenêtre brisée et jeta un dernier regard sur le corps inerte d’Ikki Haneda gisant sur le sol plusieurs étages plus bas.
- Quel gâchis, murmura-t-elle, dans d’autres circonstances, ce garçon aurait pu faire un spectre acceptable... Elle chancela et Minos s’approcha pour la soutenir.
- Souhaitez-vous que j’envoie des spectres pour terminer notre mission initiale
- Non, nos alliés devraient pouvoir s’en charger seuls et si d’aventure ils échouent, nous nous en occuperons nous-même, un peu plus tard.
Elle allait tourner les talons quand son regard tomba sur la longue dague ouvragée que le garçon avait utilisée pour tenter de la tuer. Elle sentait qu’il y a avait quelque chose d’étrange dans cet objet… Prise d’une soudaine inspiration elle ordonna :
- Minos ! Emporte cette dague, Hadès sama pourrait en avoir besoin.
***
Un temple d’Élision.
Pandore regarda la plaie que ses servantes avaient panser. Quelques centimètres de plus et la blessure lui aurait été fatale. Elle frissonna. Jamais elle n’avait envisagé sa propre mort. Pourquoi penser à la mort ? Les dieux jumeaux lui avaient promis la vie éternelle dès que l’avènement d’Hadès sama aurait été prononcé. Prise d’une soudaine mélancolie, elle s’assit devant la coiffeuse de bois noir délicatement ouvragée et en ouvrit le tiroir. Il contenait une petite miniature peinte à l’huile qui représentait une fillette brune rieuse, entourée de ses parents. L’un des seuls souvenirs qu’elle ait conservé de son enfance. Elle ne la regardait pas souvent mais ce soir elle en avait besoin. Elle se souvenait avoir posé plusieurs heures pour que le peintre réalise cette œuvre. Son père lui avait promis de lui donner des sucreries si elle était sage jusqu’à la fin… Elle se souvenait même de l’intonation de sa voix, elle se souvenait aussi de la douceur de la main de sa mère dans la sienne…
Elle réajusta autour d’elle son long peignoir de soie noire. Les babillages et les rires cristallins des nymphes qui lui parvenaient du couloir, lui indiquèrent qu’Hypnos était dans les parages. Elle ne fut donc pas surprise quand la voix doucereuse du dieu du sommeil retentit derrière elle :
- Puis-je entrer ?
La question était de pure forme. Comme à son habitude, Hypnos n’avait pas attendu sa réponse pour franchir le seuil de la pièce. Pandore se leva lentement et s’inclina devant lui avec déférence.
Il s’adressait à elle avec une grande douceur mais ses yeux d’or brillaient de colère :
- Mes nymphes m’ont dit que tu étais rentrée sans avoir rempli ta mission.
- Ce… Ce n’est qu’un contre temps Hypnos sama… Murmura Pandore. Je vous ai rapporté un objet qui pourrait vous intéresser…
- Voyons cela, dit Hypnos d’un ton lourd de menace.
Pandore déballa d’une main tremblante la dague d’or et en tendit le manche à Hypnos qui s’en saisit vivement entaillant légèrement la paume de la jeune femme au passage. Elle tressaillit mais ne dit rien. Pendant de longues minutes, le dieu aux cheveux d’or examina la dague avec intérêt. L’arme brillait d’un étrange éclat et il pouvait ressentir sa puissance. Cette lame avait baigné dans le sang d’un dieu…
- Tu as bien fait de me la rapporter.
La jeune femme s’inclina respectueusement. Une goutte de sang, tomba sur le marbre blanc qui recouvrait le sol. Hypnos la vit et s’emporta :
- Je t’ai déjà dit qu’Élision était une terre sacrée, Pandore ! Comment oses-tu la souiller de ton sang ?!
- Je suis désolée, Hypnos sama…
- Pff ! Je t’accorde ma clémence pour cette fois mais que cela ne se renouvelle pas.
Le dieu du sommeil se retourna avec mépris et quitta la pièce en emportant la dague. Pandore, soulagée de s’en être sortie à si bon compte, enveloppa sa main blessée dans un mouchoir. Elle laissa son regard errer sur la vaste pièce à la décoration somptueuse. L’immense lit à baldaquin et ses tentures de satin gris pâles, le couvre lit de brocart assorti, les splendides armoires d’ébène, l’immense harpe noire et son siège ouvragé... Ses yeux tombèrent ensuite, sur la petite tâche écarlate qui semblait si incongrue dans cet univers gris et triste. Pour la seconde fois de la journée, la jeune femme se dit que le sang était infiniment rouge.