Le Dragon qui Rêvait de Crépuscule

Chapitre 3 : Chapitre 2

3436 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 21:36

Le bébé de Koyomi

 

Kiya dormait paisiblement, flottant dans l'eau tiède, jusqu'à ce que l'air ne remplace peu à peu le liquide. L'ouverture de sa capsule le tira du sommeil. Il était sous forme humaine.

« Bonjour, Kiya ! Viens t'essuyer, dit joyeusement Koyomi, une serviette à la main. »

La présence et le regard de Koyomi le gênaient. Il se recroquevilla sur lui-même et cacha son corps derrière ses jambes.

« Je peux m'essuyer tout seul. Retourne-toi.

— Qu'y a-t-il ? Tu ne te sens pas bien ? »

Elle s'approcha, inquiète, et tendit la main vers Kiya, trop près de Kiya... Il la rejeta violemment d'un coup de bras en s'écriant :

« Laisse-moi  !

— Tu vois bien qu'il n'est pas à son aise... dit Hirasawa à sa fille. Éloigne-toi. »

Koyomi recula de quelques pas, encore plus soucieuse pour lui.

« Je ne comprends pas... Il était si gentil tout à l'heure...

— Kiya grandit chaque fois qu'il dort. Il n'est déjà plus le petit garçon que tu as connu. »

 

Après cet incident, Kiya s'était rendu sur la plage. Il avait besoin d'être seul.

Il aimait la mer, l'impression d'infini et de liberté qu'elle lui offrait tandis que son existence en était dépourvue. L'air était doux. L'azur se reflétait dans la mer limpide et dans ses yeux verts. Le vent marin lui apportait mille odeurs inconnues et lointaines, tout en secouant doucement ses cheveux et caressant sa peau. Le bruit régulier des vagues l'apaisait... mais pas aujourd'hui. En effet, il était préoccupé des sensations nouvelles qu'il avait expérimenté pour la première fois il y a quelques heures seulement.

Pourquoi ? Pourquoi quand je suis à l'état primitif, ça ne me gêne pas ? Et pourquoi j'ai honte de ma nudité quand je deviens humain ? J'ai l'impression depuis quelques temps que je suis en train de changer. Ça me fait peur...

Il fut interrompu par une voix familière :

« Kiya !

— Koyomi...

— Je suis désolée pour tout à l'heure, dit-elle avec un sourire gêné.

— Ne t'inquiète pas.

— Je devrais être heureuse que tu grandisses aussi vite Je suis juste un peu triste que tu évolues plus vite que moi, parce que je m'occupe de toi depuis que tu es bébé... »

Un silence s'installa. Kiya regardait la mer, Koyomi fixait Kiya. C'est à ce moment qu'elle réalisa que son père avait vraiment raison : ses traits avaient mûri, il était plus grand et plus musclé... C'était elle qui l'avait élevé avec tant d'amour, en prenant soin de lui... et maintenant, il semblait avoir le même âge qu'elle...

Il aperçut au loin une silhouette allongée. Il se mit à courir vers elle, jusqu'à ce que l'eau salée lui atteigne les genoux. Un sourire rêveur se dessina sur ses lèvres :

« Regarde, Koyomi, un bateau ! s'écria-t-il avec enthousiasme. Jusqu'où il va à ton avis ? J'ai lu dans un livre du laboratoire de Papa que sur la planète, il y a plein de "territoires"... J'aimerais bien voir un jour les mondes au-delà de cette île... »

L'expression de son visage et sa façon de parler ont complètement changé, pensa Koyomi avec tristesse.

Elle détourna la tête et marmonna :

« Kiya, tu ne devrais pas trop t'intéresser à ce qui se passe hors de cette île... Je dis ça pour ton bien.

— Pourquoi ?

— Parce que tu... appartiens à cette île.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? » demanda Kiya en inclinant la tête de surprise.

Elle resta silencieuse. Sa frange recouvrait ses yeux. Elle s'exclama soudain :

« Kiya, et si on quittait cette île à jamais, sans rien dire à Papa ? Juste toi et moi ? »

 

« "Chasse au Dragon" en position pour atterrir. Procédez à l'atterrissage. »

La voix provenait d'un haut-parleur non loin de la cour d'atterrissage. Les hélices d'un hélicoptère approchant bourdonnaient. Tj se tenait debout, prêt à exécuter la mission à contre-cœur. L'hélicoptère s'était posé dans un grand souffle. Il s'approcha de la machine, quand il fut interpellé.

C'était Scud. Il était accompagné d'un homme robuste aux yeux bruns chaleureux et aux cheveux courts. Deux autres personnes s'approchèrent. La première était un jeune homme à la peau et aux cheveux pâle, et des yeux de jade surprenants. Il avait un visage très doux, portait des santiags et un chapeau de cow-boy. Une fille aux yeux gris métalliques se tenait derrière lui.

« On croyait que tu avais jeté les gants mais tu es toujours en forme ! dit Scud.

— Ta jambe est guérie ? s'inquiéta l'homme aux yeux bruns. Tu ne nous as même pas laissé te féliciter pour ton retour ! Tu n'as vraiment pas de cœur !

— Tu ne peux vraiment pas tenir ta langue, Scud, je viens tout juste d'arriver, souffla Tj.

— J'ai rien dit, moi, personne ne va se fatiguer à annoncer ton retour, mon vieux.

— C'est pourtant toi qui l'as fait, murmura l'homme, je ne te comprends pas...

— Ton retour parmi les trappeurs n'a pas encore été approuvé, dit la fille, parce qu'on ne sait pas si tu peux nous servir ou pas.

— Si ce n'est pas le cas, je prendrai ta place de meilleur trappeur, plaisanta le cow-boy. Dépêche-toi de prendre ta retraite !

— "Chasse au Dragon". Le personnel est prié de monter dans l'hélicoptère, annonça la voix déformée par le haut-parleur. "Chasse au Dragon", je répète, ramenez-le vivant. »

Tj lança un dernier regard aux trappeurs qui étaient venus le féliciter pour son retour, puis se détourna d'eux pour se concentrer sur sa mission. Une autre voix parlait dans le casque qu'il venait d'enfiler, une voix plus grave et plus familière :

« Tj, sois à la hauteur de ta réputation de meilleur trappeur, dit le patron. Fin du message.

— Je peux vous dire quelque chose ?

— Quoi donc ?

— Ne vous foutez pas de ma gueule. » dit le trappeur d'une voix meurtrière.

Ce n'est pas son genre de se mettre en colère, songea le chef. Il doit vraiment être à bout de nerfs.

 

« Tu veux qu'on quitte l'île tous les deux... Pourquoi tu ne veux rien dire à Papa ? demanda Kiya, inquiet.

— Papa veux te retenir ici pour toujours ! Il ne doit rien savoir ! Moi, je veux te montrer que le monde ne s'arrête pas ici, qu'il est plus vaste ! On va partir pour Tokyo ! Maman a de la famille là-bas, et moi j'y ai vécu jusqu'à l'âge de neuf ans. Pour tout te dire, j'ai déjà envoyé une lettre à ma grand-mère pour la prévenir. »

Elle lui prit les mains et se rapprocha de son visage.

« Tu ne trouves pas que c'est une bonne idée que de partir en voyage tous les deux ?

— Mais, moi... je veux qu'on soit tous les trois. Je partirai si Papa vient avec nous !

— Combien de fois faut-il te le dire ? s'emporta-t-elle. Papa ne doit pas le savoir ! »

Kiya recula avec stupeur. Il la regarda droit dans les yeux et dit, avec innocence :

« C'est bizarre... Koyomi, tu parles toujours comme si tu voulais mon bonheur, mais en fait, tu détestes Papa. Tout ce que tu veux, c'est lui causer des problèmes. »

Le regard de la jeune fille s'assombrit soudain. Elle semblait aveuglée, se mentant à elle-même :

« Que... Qu'est-ce que tu racontes ? Moi, je pense toujours à toi. Tout ce que je fais, je le fais pour toi. »

L'agacement de Kiya prit le dessus. Il la regarda droit dans les yeux, d'un regard fixe, inflexible, et lui lança d'une dureté qu'il ne se connaissait pas lui-même :

« Pour moi ? Mais je sais très bien m'occuper de moi... articula-t-il. Il faut que tu le comprennes : je ne suis pas ton bébé. »

C'est à l'instant où il prononça ces mots qu'il réalisa leur violence. Il mit ses mains devant sa bouche, comme pour retenir une vérité qui ne devait pas être dite, mais le mal était déjà fait. Les yeux noirs et bridés de Koyomi, ceux qu'il trouvait si beaux d'ordinaire, se remplirent de larmes. Elle enfouit son visage dans ses mains avec un sanglot et chancela légèrement.

C'en était trop pour Kiya. Il s'enfuit vers la jungle du plus vite que ses jambes le permettaient.

 

 

 

Chasse au Dragon

 

Il se faufila parmi les arbres et les fourrés, opprimé par la culpabilité. Il voulait revenir quelques minutes en arrière, remonter le temps et refuser simplement sa proposition... Ou l'accepter. Il ne s'était pas contrôlé, il avait découvert une nouvelle facette de son être, une facette qu'il voulait à tout prix confiner.

Il se demandait pourquoi, pourquoi est-ce qu'il avait été aussi cruel envers elle. Pourquoi l'avait-il fait pleurer, elle qu'il aimait tant.

Il continua à sprinter, sautant par dessus les troncs renversés, esquivant les arbres, puis il grimpa à un arbre comme un chat, en escaladant le tronc à toute vitesse. Il s'assit en haletant. Sa poitrine l'étouffait, elle était serrée comme un étau. Elle lui faisait mal, terriblement mal, si mal... Il hésitait même à en parler à Papa, comme d'une maladie dont il pourrait le soigner.

Il respirait bruyamment, des larmes au bord des yeux. La forêt tout autour de lui bruissait. Maintenant, elle lui semblait hostile et étrangère, à lui, Kiya, qui si souvent avait erré dans ces bois apaisants et familiers...

Il reprit son souffle. Il devait s'excuser, lui dire combien il l'aimait. Il voulait la prendre dans ses bras, humer son doux parfum... Il descendit de l'arbre en un bond. Il marcha doucement en suivant l'odeur de la maison. Koyomi devait sûrement y être retournée pour s'enfermer dans sa chambre...

Il était à l'orée des bois, il la voyait maintenant, sa maison sur le sommet de la petite colline. Dans quelques minutes, il y sera, et toutes ses douleurs seront calmées. Il entendit un bruit régulier de quelque chose qui tourne. Des odeurs inconnues parvinrent à son odorat. Il aperçut l'étrange machine noire survolant sa maison. Un cliquetis se fit entendre, sa maison explosa dans un nuage de cendres qui balaya toute la végétation alentours.

Kiya fonça du plus vite qu'il put vers son foyer, terriblement inquiet et confus. Il arriva en un rien de temps vers l'amas de débris qui remplaçait sa maison, ce lieu si chaleureux où il avait vécu avec les gens qu'il aimait. Il regarda sous les morceaux de murs, chercha en vain le corps de Koyomi et de Papa, les appela désespérément. La fumée noire lui brûlait les yeux et lui brouillait les sens. Il n'entendit qu'a peine le bruit de pas irrégulier de l'homme derrière lui.

Il se retourna. Devant lui, se dressait un grand homme aux cheveux noirs, vêtu d'un trench coat, de gants et d'un pantalon noirs eux aussi. Une béquille était accrochée à son bras gauche. Il portait des lunettes fumées qui empêchait de voir son regard. Il avait un visage fin et bellement sculpté, mais il était tendu. Il semblait de très mauvaise humeur. Derrière lui, des soldats armés de mitraillettes continuaient de descendre de l'hélicoptère noir.

Qui... Qui est cet homme ?

Il s'approcha et saisit le visage de Kiya ahuri dans sa main et le rapprocha brusquement de son propre visage. Kiya resta tendu, mais ne bougea pas. L'homme susurra :

« C'est toi que je cherchais. Sale cobaye. »

Un silence s'installa. De cette distance, Kiya pouvait voir ses yeux gris au travers des verres sombres de ses lunettes. Il le fixait avec un regard dur et satisfait à la fois. Le vert des yeux effrayés de Kiya renforçait la froideur de son regard. Tous les deux s'observaient longuement, la proximité de l'autre leur donnait à chacun une sensation étrange.

Des yeux... cruels... et sans couleur... C'est la première fois que je vois un regard aussi froid et pénétrant...

Il saisit Kiya par les épaules et le traina à son insu vers l'hélicoptère. Kiya se débattait en hurlant :

« Papa ! Koyomi !

— Tiens-toi tranquille ou ça va mal aller ! » menaça l'homme.

Ce dernier entendit comme un grognement de la part de Kiya. Il n'y fit pas attention jusqu'à se qu'il sente une bosse grandissante contre son entrejambe. Le short de Kiya se déchira et laissa sortir sa queue d'écailles jaunes. Ses dents s'étaient allongées, ses ongles de mains et de pieds s'étaient muées en griffes. Il gifla d'un coup de queue la joue droite de l'homme et se détacha de son étreinte. Ses lunettes volèrent et atterrirent quelques mètres plus loin. Quant à l'homme, il tomba sur un genou, et se releva aussitôt en hurlant :

« Ne le laissez pas s'enfuir ! »

Le dragon se jeta dans les hautes herbes en ondulant comme un serpent. Les soldats le cherchaient entre les débris de bâtiments et les herbes sauvages. L'homme qu'il avait giflé était le plus agité d'entre eux. Sa joue égratignée laissait voir sa chair à vif, mais il était tellement concentré qu'il semblait ne pas en sentir la douleur. Kiya tenta tant bien que mal de se camoufler en calmant du mieux sa respiration haletante. La fumée aveuglante et les bruits de l'hélicoptère à côté d'eux jouaient en la faveur de Kiya. Un des hommes repéra sa queue qui dépassait sur le chemin. Il pointa son arme sur Kiya, apeuré.

« Ta queue t'a trahi, mon garçon. La partie de cache-cache est terminée. »

Il s'avançait pour se saisir de lui. Kiya joua sa dernière chance. Il bondit à deux mètres de hauteur et fondit sur le soldat. Ses yeux brillaient d'une lueur féroce et sauvage. Il attrapa le bout de son arme entre ses griffes puissantes si fort qu'il en déforma le métal. L'homme aux yeux gris l'avait remarqué.

« Burk, ne tire pas ! » hurla-t-il.

C'était trop tard. Burk avait déjà tiré la gachette. Kiya ayant déformé l'embout, la balle ne fusa pas hors du fusil, ce dernier explosa violemment. Les deux furent éjectés à terre dans un grand bruit. Le garçon s'en sorti indemne, seules quelques traces noires striaient son visage, tandis que le soldat ne se releva pas.

Trois autres personnes se jetèrent sur le dragon qui esquiva en zigzagant à quatre pattes. Ils se prirent chacun plusieurs coups de queues au visage ou à l'épaule. Le spectacle était désolant : des ruines encore brûlantes recouvertes d'un épais voile d'une opaque fumée noire. Des corps gémissant et sanglants parsemaient le sol... Il se remémora les paroles de Koyomi : "pas les humains, d'accord, Kiya ?" Il avait agressé  des humains, mais c'était pour sa survie. Était-ce vraiment mal ?

Il regarda autour de lui : certains soldats étaient à terre, blessés, d'autres toussaient ou se masquaient les yeux avec des cris de douleur, mais aucun ne se trouvait en travers de son chemin. La voie était libre ! Il sprinta vers l'horizon, mais il n'avait pas vu l'homme qui surgit des ténèbres, un fusil à la main. Il tira sans pitié. Ce n'était pas une balle, mais un long fil de métal terminé par une pointe aiguisée. Il s'enroula autour de la jambe du jeune garçon et la pointe se planta dans sa cheville. Il l'avait senti, mais il continua à courir. Le fil se resserra. Il se sentit tiré en arrière et s'écroula en pleine foulée.

Haletant et paniqué, il entendit les pas se rapprocher de lui tandis que son ravisseur le jaugeait de son regard méprisant. Il retira la fine lame de sa cheville et rembobina le fil à l'intérieur de son arme. Kiya n'avait plus la force de se lever : la lame était enduite de poison soporifique très puissant. Il lança un dernier regard à l'homme et se heurta à son regard gris toujours aussi inflexible.

« Koyo... mi... »

Il sombra immédiatement dans un sommeil profond.

Tj se détourna du jeune homme blond, aida ses soldats à se lever. Il marcha lentement vers un coin d'herbe et récupéra ses lunettes. Il les enfila avec un calme apparent. Il était d'humeur exécrable. Sa joue le faisait souffrir et ses hommes étaient tous touchés d'une façon ou d'une autre. Hirasawa et ses recherches leur avaient glissé entre les doigts. Et enfin, son cauchemar allait commencer, à cause de ce cobaye méprisable...

« Chargez le dans l'hélico. » dit-il durement.

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