Le Dragon qui Rêvait de Crépuscule
L'île où vit le Dragon
Cinq ans plus tard, au milieu de la forêt luxuriante d'Aka Island, se promenait un jeune garçon blond accompagné d’un bœuf qu’il tenait au bout d’une corde. Le garçon appréciait cette nature sauvage qui laissait à peine filtrer la lumière du Soleil. Les bruissements des feuilles et les cris des oiseaux emplissaient la jungle. Les multiples odeurs comblaient son plaisir. Malheureusement, la faim qui le tiraillait gâcha son plaisir d’un gargouillement bruyant.
Mais qu’est-ce que Koyomi peut être en train de faire ? pensa-t-il. Elle avait pourtant bien dit que l’on mangerait tous les deux… J’ai vraiment faim, moi…
Il caressait doucement le bœuf à ses côtés. Après une courte attente, son estomac fit un nouveau bruit dérangeant. La tentation était trop forte, même s’il devait désobéir à Koyomi. Avec un regard triste, il embrassa le mufle du bœuf tendrement…
Non loin de là, une jeune fille du même âge que ce garçon explorait la forêt à sa recherche. Elle avait de longs cheveux noirs et des yeux noirs et bridés. Elle portait une petite robe à carreaux rouges, et tenait un panier à pique-nique au bras.
« Kiya ! appelait-elle. Kiya, où es-tu ? »
Elle approchait d’un étang, quand elle marcha sur quelque chose de dur… Elle regarda à terre : c’était une patte de vache, à moitié dévorée et sanglante. Paniquée, elle s’approcha de l’étang devant elle : l’eau était trouble et rouge. Une tête jaillit d’entre les flots et se mit à flotter. C’était la tête du bœuf que Kiya était censé promener. La peur l’envahit quand un homme surgit de l’eau. Quand elle aperçut sa queue de dragon, elle se calma aussitôt.
Kiya, nu et couvert de sang, tenait dans sa main une autre patte du bœuf. Une grande queue couverte d’écailles jaunes se mouvait derrière lui. Koyomi avait un air triste et déçue.
« Tu l’as complètement dévoré, Kiya… C’est pas vrai… »
Kiya se couvrit d’eau afin de retirer le sang sur sa peau. La rédemption brillait dans ses yeux verts. Il n’osait regarder la jeune fille dans les yeux et dit :
« Excuse-moi, Koyomi, j’avais trop faim… Je sais que tu m’as dit plusieurs fois de ne pas manger seul hors de la maison. Je t’ai déçue et tu dois me détester… »
Ce dernier mot attira l’attention de Koyomi et elle répondit doucement :
« Tu sais bien que je t’adore. Mais tu ne dois pas tuer les humains. Tu dois me promettre de laisser les humains en-dehors de ça, d’accord ?
— Si je te le promets, tu ne me détesteras pas ?
— Bien sûr, dit-elle tendrement, je ne pourrais jamais te détester. »
Ses yeux s’illuminèrent de bonheur. Ses dents pointues s’étirèrent en un large sourire. Il poussa un cri de joie tout en se jetant sur elle pour la serrer entre ses bras.
« Kiya ! s’écria-t-elle en riant. Tu es trempé ! »
Koyomi se détacha de l’étreinte pour récupérer le short et le tee-shirt du jeune garçon.
« Je ne dis rien à Papa, d‘accord ? dit-elle gravement. Maintenant, il faut rentrer et traire les chèvres. »
Ils repartirent de la jungle en courant. Cette dernière lui jeta ses vêtements en rétorquant :
« Habille-toi ! Je t’ai déjà dit mille fois de ne pas te balader tout nu ! »
Il continua de courir tout en enfilant son pantalon, ce qui le ralentissait beaucoup. Elle arrivait à peine à atteindre sa vitesse.
« Rentre ta queue avant de mettre ton short ! Tu vas le déchirer ! »
Kiya, mon beau petit Kiya… Tu es l’amour de ma vie. Je t’adore. Reste près de moi, pour toujours…
Le lendemain, Kiya fut réveillé par Koyomi. Il dormait dans un arbre, juste à côté de sa maison. Sa queue était enroulée autour de la branche. L’extrémité de sa queue, ornée de quelques poils blonds, ondulait même pendant son sommeil.
« Debout, Kiya ! s’exclama-t-elle. Descends de cet arbre et vient prendre ton petit-déjeuner ! »
Il ouvrit les yeux lentement. Le Soleil venait de se lever. Une odeur de sel et d‘écume venait de la mer visible d’ici. La verdure recouvrait tout le reste de l’île, de profondes forêts qui regorgeaient d’animaux divers, même à cette heure tôt dans la matinée.
Kiya descendit de sa branche située à trois mètres de hauteur en un bond. La maison était un petit pavillon confortable et plutôt récent. Ils entrèrent dans la cuisine. À droite, il y avait la cuisinière et le plan de travail. En face de la porte, s’alignaient plusieurs grands réfrigérateurs. À gauche, un couloir côtoyait un escalier vers le sous-sol. Au milieu de la pièce, une table et trois chaises occupaient l’espace. Un homme d’une quarantaine d’années avec des cheveux noirs longs attachés en un rapide chignon, habillé de pantoufles, jeans et chemise à fleurs, était assis en leur tournant le dos. C’était Hirasawa. Il buvait un café, tout en lisant des documents compliqués. Il ne fit pas attention à eux.
Selon le jeune garçon, toute la famille Hirasawa était alors réunie : le père scientifique, la grande sœur, et enfin, lui-même.
Kiya s’assit face à lui. Une grande assiette deux fois plus grande qu’une assiette normale était posée devant lui. Koyomi ouvrit un des réfrigérateurs qui était rempli de gros morceaux de viande. Elle sortit un jambon et le posa devant lui. Il se précipita immédiatement sur la viande et la déchira à l’aide de ses crocs acérés. En voyant une telle attitude, sa sœur se leva.
« Kiya tu ne peux pas manger proprement ? lui reprocha-t-elle. Tu as un couteau et une fourchette, non ? »
La bouche pleine de viande, Kiya pensa qu’il voulait que Koyomi le laisse respirer, pour une fois. Hirasawa lança un regard exaspéré à sa fille qui l’ignora. Elle prit les mains du garçon afin de les guider. Sa délicieuse odeur emplit ses narines.
« La viande, ça se coupe comme ça, et ça se mange une bouchée à la fois. »
Elle découpait la viande tout en le félicitant de son attention.
Quand Koyomi me touche, sa peau douce me rassure, pensa-t-il. Je suis prêt à tout pour lui faire plaisir.
Il porta le morceau de chair planté sur la fourchette. Il retrouva ce goût de sang et de viande délicieux. La fierté et le plaisir se lisait sur son visage et celui de sa sœur qui bondit en le félicitant.
Hirasawa se tapa le front et soupira bruyamment :
« Pas besoin de connaître les bonnes manières pour manger de la viande crue, rétorqua-t-il. Tu ne peux pas t’empêcher de jouer à la maman.
— Ce que je fais, je le fais pour Kiya ! s’énerva-t-elle. Toi, tu as toujours le nez dans tes recherches et tu ne lèves jamais le petit doigt pour lui ! Tu as quelque chose à dire ?
— Ko… Koyomi… hésita Kiya.
— Nous avons déjà eu une discussion à ce sujet, répondit-il durement .Essayer d’éduquer Kiya ne peut avoir qu’une influence néfaste sur son comportement… Il n’a pas besoin de vivre comme un humain !
— Tu crois que tu peux le cacher à la société toute sa vie ? hurla-t-elle. Il ne sera pas e seul à souffrir de vivre complètement coupé du monde ! Si tu es vraiment son "père", tu devrais y réfléchir !
— Arrêtez, tous les deux ! s’interposa désespérément Kiya. Je ne veux pas que vous vous disputiez à cause de moi !
— Ce n’est pas de ta faute Kiya, dit Koyomi doucement.
— Bon, moi, j’ai fini de manger. »
Hirasawa se leva et disparut dans l’escalier. Kiya comprit qu’il devait avaler le reste de sa viande en vitesse, puis le rejoindre.
Au sous-sol, il y avait le laboratoire. Il y avait un bureau et un ordinateur, de nombreuses bibliothèques et de grandes machines, dont l’utilité était inconnue. Au centre, une grande capsule cylindrique couchée. Elle s’ouvrait par le haut, comme un lit qu’on pouvait recouvrir de verre. Elle était bordée de tuyaux et de vannes pour amener l’eau directement de la mer.
Kiya se rapprocha de son père affairé sur son ordinateur. Il lui demanda :
« Pourquoi tu ne t’entends pas avec Koyomi ? Elle dit que ce n’est pas vrai, mais je sais que vous vous disputez à cause de moi. Dis, Papa… C’est pour ça qu’elle est en colère ?
— Les femmes sont hystériques, ne t’en fais pas, répondit-il d’un air détaché.
Il ne faut pas dire ça de Koyomi, la pauvre… Moi, je crois qu’elle est en colère parce que tu es méchant avec elle.
— Ça suffit, maintenant. Déshabille-toi et entre dans la capsule. »
Kiya obéit immédiatement et commença à enlever son tee-shirt, comme d’habitude. Hirasawa se tourna vers lui, remit ses lunettes en place et fit tournoyer son stylo entre ses doigts.
« Se disputer n’a pas que des mauvais côtés, expliqua-t-il, sûr de lui. Ça permet de comprendre les véritables intentions de ton interlocuteur.
— Ça veut dire quoi, "véritables intentions" ?
— Quand les gens deviennent adultes, ils cachent ce qu’ils pensent, mais lorsqu’ils se disputent, ils ont du mal à camoufler habilement leur vrai visage. Souvent, les mots les trahissent. On appelle ça la "peau du visage", tu comprends ?
— Rien du tout, avoua Kiya, gêné.
— Endurer la souffrance… a de bons côtés. La souffrance est une graine de croissance.
— Une "graine de croissance" ? »
À présent, il était nu. Le scientifique passa sa main dans les cheveux blonds de manière affective. Kiya lui arrivait peine à l’épaule. Ils se regardaient dans les yeux.
« Mon rôle est de surveiller que ta croissance se passa bien. Je ne suis pas là pour t’empêcher de grandir, au contraire. Bientôt, tu seras capable de faire ce que tu veux. Quand ce moment arrivera, si tu te sens perdu, tu devras écouter attentivement ce que diras ta conscience. Tu te laisseras guider sur le chemin le plus fort, le plus grand. C’est comme ça que Papa est arrivé à faire ce qu’il voulait, mais le nombre de ses ennemis a augmenté.
— Moi, je déteste me battre, dit le garçon d’un air triste.
— Un jour ou l’autre, tu devras montrer les dents et te battre, Kiya. C’est parce que les membres de ton espèce ne l’ont pas fait auparavant qu’elle a disparu. »
Les yeux verts vifs se détachèrent des noirs, Kiya s’allongea dans sa capsule. Hirasawa referma le couvercle. Kiya lança un regard inquiet.
« Je remplis d‘eau, détends-toi. Tu peux reprendre ta forme d’Archétype. »
L’espèce de bocal de verre dans lequel il était enfermé se remplit entièrement d’eau. Le jeune garçon blond commença à se muer en une créature étrange…
Ses doigts s’allongèrent et se munirent de griffes épaisses et dures. Des pics osseux sortirent de sa colonne vertébrale, celle-ci s’allongea en une queue d’écailles jaunes. Ses membres devinrent épais, grands et des écailles apparurent à quelques endroits. Des cheveux blonds poussèrent sur son dos maintenant deux fois plus grand qu’auparavant. Ses crocs et ses yeux grandirent beaucoup. Des cornes semblables aux pics sur son dos surgirent de son crâne, puis son nez s’allongea en un museau. Son corps était à présent recouvert d’écailles jaunes foncées. Ses bras et ses jambes étaient quatre pattes puissantes. Des arabesques bleues couvrirent ses flancs, ses bras, ses cuisses et sa queue qui était enroulée sur elle-même. Il mesurait au moins cinq mètres de long. Rien aurait pu mieux le décrire que le mot "dragon".
Koyomi entra dans le laboratoire. Son père regardait attentivement la transformation du dragon. Celui-ci tait en train de réfléchir : Tu ne peux pas vivre sans l’eau de cette île. Si tu quittes cette île, ce sera la fin de ta vie, et de l’expérience de la cellule-primitive.
La jeune fille l’interrompit dans le cours de ses pensées :
« Tu es prêt à tout sacrifier pour l’expérience, Papa, reprocha-t-elle. Tu as utilisé Maman pour donner naissance à Kiya. Maintenant, c’est moi que tu utilises, mais je ne te laisserai pas l’utiliser comme un vulgaire objet de ton expérience. dit-elle avec colère. Je le protégerai, tu m’entends ? »
Elle s’approcha de la vitre et posa doucement ses doigts contre le verre froid. Kiya ouvrit les yeux, et ils s’observèrent longuement.
Pour arriver à faire ce que je veux, il faut que je me batte contre quelqu’un ? Mais… ça ne me rassure pas. Ce que je veux faire, ce n’est pas me battre ou attaquer les autres. Ce que je veux faire, c’est prendre quelqu’un dans mes bras, rire avec cette personne… Ce que je veux, c’est aimer quelqu’un… Koyomi… Ne te dispute jamais avec moi…
L'homme à la jambe d'acier
Pendant ce temps, à l'autre bout de la planète, au beau milieu de la ville de Londres, un homme en béquilles passa le pas de cette porte, cette porte qui le mènerait à un tournant de sa vie. Le cliquetis de ses appuis de métal sur le sol accompagnait ses pas d'un bruit régulier. Un homme l'attendait à côté d'une table grise, où était posé un long objet en acier.
« Elle est prête, Tj, indiqua l'homme à côté de la table. Votre nouvelle jambe gauche. C'est un ancien modèle, mais je vous garantis sa grande robustesse.
— Génial, murmura Tj. Avec ça, je vais pouvoir me remettre au travail. »
L'objet était une jambe artificielle. Une béquille était posée contre le bord de la table. Tj posa son long trench coat noir sur une chaise placée à côté. C'était un jeune homme aux cheveux corbeau qui recouvraient ses yeux gris d'une mèche désordonnée. Son pantalon était noué là où aurait dû se trouver sa jambe. L'homme le laissa essayer sa prothèse et sortit de la salle.
La table était basse, afin de lui permettre de l'enfiler. Il glissa sa cuisse dans le creux présent au sommet de la jambe et commença à régler les nombreux rouages servant à l'adapter à la forme de son moignon, ainsi que ses préférences en matière d'équilibre. En effet, il ne ressentait aucune sensation, ce qui était fortement perturbant. Tj enfila son bras dans la béquille qui encerclait l'avant-bras, elle restait donc accrochée, même lorsque la main était levée. Il essaya quelques pas, manqua de trébucher, puis s'habitua et fit des tours de la salle. La fausse jambe avait exactement la même silhouette que la vraie. Son genou et sa cheville laissaient entrevoir des câbles gris qui coulissaient en fonction de ses mouvements.
La porte par laquelle Tj était entré s'ouvrit à nouveau. Un homme du même âge que lui apparut dans le cadre. Il était blond, avec des yeux marron pâle tombants qui lui donnait un air désinvolte. Il portait un uniforme à motif camouflage, ainsi que des rangers militaires. Il s'exclama fortement :
« Ah ! Il est de retour, ce visage que je ne voulais pas voir !
— Scud, c'est toi ? Tu m'enlèves les mots de la bouche, répliqua Tj, rien de mieux que ta tronche pour me pourrir la journée.
— Désolé d'avoir une sale gueule, cracha-t-il méchamment. C'est quoi cette jambe ? Tu ne peux pas te payer quelque chose de mieux ? »
Un silence s'installa. Scud haussa les épaules et s'exclama :
« Les autres trappeurs vont être surpris ! »
Tj le regarda avec un air de défi, mais il semblait songer à des souvenirs lointains. Il répondit :
« Cette jambe... est marquée de mon empreinte... »
Il quitta la salle sous le regard hautain de Scud, et se rendit au bureau où il était attendu avec hâte.
Tj poussa la lourde porte de bois. Il se trouvait dans une grande salle décorée luxueusement. Le sol était recouvert de bois sombre ciré, le plafond ainsi que les murs étaient ornés de motifs ouvragés. Trois grandes fenêtres recouvertes de lourds rideaux rouges jetaient des raies de lumières au sol. Sur le mur de droite, deux grandes statues argentées représentaient des tigres et un ange sur un cheval cabré. En face, une peinture antique encadrée d'or représentait une sorte d'homme-lézard avec une crête hérissée de pics. Au centre, il y avait un large bureau en bois travaillé, recouvert de papiers en différentes langues. Un homme d'une quarantaine d'années était assis dans un grand fauteuil de velours noir. Son costume trois-pièces gris cendré appuyait sa grande taille qui forçait au respect. Il avait un menton fin et un nez en bec d'aigle. Il portait ses cheveux courts, avec des favoris d'un blond pâle. Son regard bleu givre était difficile à soutenir.
Le bruit de la porte le tira des documents qui, jusqu'à présent, absorbait toute son attention. Son regard se porta alors vers Tj, et un sourire étrange se dessina sur son visage. Il commença :
« Tj, ça faisait longtemps... Tu sais pourquoi tu es ici, n'est-ce pas ? »
Le jeune homme acquiesça.
« Bien. Alors sais-tu ce qu'est une cellule primitive ?
— Une "cellule primitive" ? Non, Patron.
— Il s'agit d'une cellule redoutable qui a été achevée par l'académie scientifique de notre organisation, Illumine, et qui est portée par un Archétype.
— Un Archétype ?
— Oui, dit-il en se tournant vers l'étrange œuvre accrochée à son mur, on peut en voir sur les peintures murales des vestiges d'une cité antique. Un "être humain clairvoyant qui porte un tête de serpent". On pourrait croire à une fantaisie, mais cet être a bel et bien existé. Laisse-moi te parler du projet "Prédation" qui vise à faire renaître cet Archétype au 21ème siècle...
— Pourquoi voulez-vous ramener cette créature à la vie ?
— Tu le sais, l'humanité entière ignore que, parmi les hommes, vivent des monstres, les Digabeast, des bêtes ignobles et maudites. Depuis des centaines d'années, l'organisation se bat contre ces ennemis mortels pour les hommes. Sans que personne ne le sache, nous apportons notre pierre à l'édifice de l'histoire. Mais les hommes sont de très loin dépassés par les capacités physiques et intellectuels de ces monstres. Le nombre de trappeurs morts au combat augmentent chaque année, sans qu'il n'y ait un quelconque impact sur la prolifération des Digabeast. »
A cette dernière phrase, Tj baissa les yeux. Sans afficher aucune émotion le patron reprit :
— C'est pourquoi nous devons prendre le contrôle d'une "arme" plus forte que les Digabeast, une arme fatale qui soit plus efficace que tous les trappeurs de la Terre... En Orient, on l'appelle "l'âme de Dieu", et en Occident, il est craint comme le Démon : le Dragon. Le projet "Prédation" a pour objectif de contrôler la force de ce Dragon.
— Vous parlez sérieusement ? dit Tj d'un air incrédule.
— Bien sûr, enfin, de façon imagée... Je veux dire par là qu'il faut soigner le mal par le mal. L'Archétype est un Dragon qui a existé en des temps immémoriaux. L'équipe du professeur Hirasawa, un japonais, a découvert dans les neiges éternelles de Sibérie la partie d'un corps d'Archétype. Elle a ajouté aux parties manquantes de son ADN celles d'un être humain, et a créé une "cellule primitive". Cette cellule dépasse de très loin les capacités des cellules-souches. Elle est capable de se reproduire seule, à une vitesse qui dépasse l'imagination. En bref, nous avons affaire à un être humain capable de se transformer en dragon à volonté. »
Le regard de Tj s'assombrit subitement. On pouvait déceler dans son regard un mélange de mépris et d'incrédulité.
« Le problème, continua le boss d'un air contrarié, est que notre ami le professeur s'est enfui avec la cellule fécondée, il y a cinq ans. Nous l'avons cherché pendant tout ce temps. »
Il ouvrit un de ses tiroirs et en sortit une petite pile de photos qu'il tenda à Tj.
« Nous l'avons localisé il y a tout juste une semaine. »
On distinguait sur ces photos la silhouette de Kiya et de Koyomi. Le visage de Kiya apparaissait très nettement sur l'une d'elles. La dernière, prise de nuit, représentait un étang. Une queue écaillée dépassait des eaux troubles.
« Tu as vu la dernière photo ? Il fait nuit, mais on la voit très nettement, n'est-ce pas ?
— Ce garçon est le porteur de la cellule primitive ? Il n'a pas plus de treize ou quatorze ans...
— Je veux que tu me le ramènes, Tj. C'est la première mission de ton grand retour.
— Bien, Patron.
— Mais tu dois impérativement le ramener vivant, car c'est ton nouveau partenaire. »
La stupeur se lisait sur le visage de Tj. Ses yeux gris étaient glacés d'effroi et de dégoût.
« Vous faites de l'humour noir ? » s'exclama-t-il d'un air cynique.
Il tapa du poing sur la table et articula chaque mot :
« Ce garçon n'est qu'un cobaye ! De plus, je n'ai pas besoin d'un nouveau partenaire ! »
Le patron resta indifférent au haussement de ton de Tj.
« Je comprends que la mort d'Heidi a été un grand choc pour toi et j'en suis désolé, mais tu n'échapperas pas à la règle : les trappeurs travaillent toujours en équipe de deux. De plus, tu ne peux pas continuer à travailler seul, dans l'état où tu es, dit-il en désignant sa jambe gauche.
— Hors de question !
— Très bien, tu prends ta prime et tu pars à la retraite ou tu te fais à l'idée de travailler avec un nouveau partenaire. L'organisation te laisse le choix.
— Co...comment ? dit-il d'un air décontenancé. Je vous ai donné sept ans de ma vie, corps et âme, et c'est comme ça que vous me remerciez ?
— Avec la prime, tu pourras t'acheter une jambe plus perfectionnée » répondit-il avec un petit sourire provocateur.
Le trappeur baissa les yeux et serra les poings. Il était dans une impasse, et il le savait. Le boss savait déjà quel choix il allait faire, peu importe les conditions.
« Je vous déteste. »
Quelques minutes plus tard, après le patron ait expliqué à Tj le déroulement de la mission, il lui indiqua :
« Tu te rendras sur Aka Island, dans la province d'Okinawa. Le nom de code de ta mission est "Chasse au dragon". »