La Menace de Chronos

Chapitre 5 : Partie I ~ Remonter dans le temps – Chapitre IV –

7369 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/03/2023 23:31

– Chapitre IV –

 

« La vie est une comédie aux cents actes divers, et dont la scène est l’univers. » – Jean de La Fontaine.


J’analysai la situation. Émilie possédait encore son ballon. Sa mère marchait plusieurs mètres devant elle, et se retournait en lui demandant d’accélérer le mouvement car elles risquaient de se perdre. Je bougeai la tête, pour apercevoir Raphaël – l’incompréhension et l’inquiétude se lisaient sur son visage – qui arrivait, Fondue à ses côtés. Traduction : le moment approchait.

L’enfant agita les bras, et courut pour rejoindre sa maman, lorsque soudain, quelqu’un en sens inverse la bouscula, sans pour autant se retourner et s’excuser. Surprise et déséquilibrée, elle lâcha son ballon mauve, qui s’envola avec grâce et s’accrocha à la branche d’un arbre voisin. La fillette sauta pour tenter de le récupérer, mais ne réussit pas à le reprendre en raison de sa petite taille. Les larmes la submergèrent tandis qu’elle constatait son échec. Personne dans les alentours ne lui prêtait attention, du moins, presque personne : Marie s’approchait d’elle avec son violon, bien qu’Émilie, ses yeux noyés par ses pleurs, ne la remarquât pas tout de suite.

Prenant les devants, tandis que Fantôme R marchait à quelques dizaines de mètres derrière moi, les mains dans les poches, je filai vers l’arbre qui m’intéressait pour y grimper au mieux de mes capacités, et décrocher la ficelle prisonnière des branches. Par chance, dénouer le nœud ne s’avéra pas difficile.

Le ballon désormais dans mes mains, je profitai de la situation pour observer le panorama et obtenir une vue d’ensemble. À ma gauche, un rouquin accompagné de son cabot et perdu dans un autre monde, préoccupé : il ne comprenait sûrement toujours pas son échec par rapport à la récupération du bracelet de Tiamat. À ma droite, Émilie pleurait à chaudes larmes, tandis que Marie s’apprêtait à la consoler. Oh, le beau tableau ! Et en fond de toile, des voitures qui circulaient à fond la caisse sur la route proche, et la grande roue qui tournait sans s’arrêter.

–       Mon ballon ! Mon ballon ! sanglota la petite brune en se frottant les yeux, attristée.

Marie lui sourit – bon Dieu, je ne supportais pas cette tendresse, ça frôlait la niaiserie – et se pencha pour lui caresser avec affection la tête, dans une sorte d’élan maternel qui me dépassait. Non mais, franchement…

–       Allons, ne pleure pas, la calma-t-elle d’une voix douce.

Je secouai la tête, tandis qu’elle positionnait son violon contre sa clavicule et entamait un morceau. Ah là là, mais dans quoi je me suis embarquée moi ? Cette innocence avec laquelle elle agissait, ça me provoquait des nausées. Finalement, j’aurais peut-être dû la laisser avec Raphie ; leur crédulité à l’un comme à l’autre m’exaspérait, et cette entente si parfaite entre eux l’an passé ne m’étonnait pas. De vrais idiots tous les deux, songeai-je en levant les yeux au ciel. Mais qui se ressemble s’assemble, comme on dit.

Le plan prévoyait néanmoins un protocole différent : je devais mettre la main sur Marie dès maintenant, et gagner sa confiance – en clair, le truc hyper compliqué – pour ensuite la manipuler à ma guise. De toute façon, Jean-François abusait déjà d’elle, alors un de plus ou un de moins, ça ne changeait pas grand-chose, du moment que Raphaël n’interférait pas dans nos projets ; ce qui, à mon avis, paraissait plutôt bien parti, vu le trouble qu’il éprouvait en ce moment. Je n’aurais pas imaginé que l’absence du bracelet de Tiamat provoquât une telle angoisse en lui, mais je ne crachais pas dessus. C’est à mon avantage.

Tandis que l’avenue s’illuminait de mille feux suite à la mélodie de Marie – je reconnaissais que ce numéro de magie qu’elle réussissait à exécuter m’impressionnait – je redescendis de l’arbre. Je perçus les bruits de pas très proches de Fantôme R, mais je ne m’embêtai même pas à le regarder et me dirigeai sans hésiter vers une Marie emportée par la mélodie de son instrument, et une Émilie qui tournoyait sur elle-même, au comble de la joie. Il ne me restait plus qu’à lui restituer le ballon. Je profitai du fait qu’elle réalisait une pirouette, et m’avançai vers elle. Elle tomba nez à nez avec moi, et s’arrêta, étonnée.

–       Tiens, il s’était accroché à une branche, expliquai-je gentiment en m’accroupissant.

Elle me regarda comme si je venais de lui décrocher la lune, avant de reprendre son jouet, radieuse. Quelle chance pour elle, d’être si jeune ! Elle vivait sans que la dure réalité de la vie ne l’atteignît. Tant mieux, après tout ; mais elle finirait bien par comprendre un jour que le plus grand drame dans une vie ne se résumait pas à perdre un morceau de plastique flottant au vent.

–       Merci beaucoup ! s’exclama-t-elle, avant de filer rejoindre sa parente dans une démarche insouciante.

Du coin de l’œil, j’aperçus Fantôme R qui continuait sa route – sans doute pour se rendre chez lui –, Fondue trottinant à ses côtés. Eh bien, je pouvais me féliciter de cette rencontre évitée. Bon débarras pour cet idiot de rouquin, et je disposais du champ libre avec la petite blonde crédule, même si cela ne m’autorisait pas à relâcher mes efforts. En effet, si je ne modifiais rien, la fille et le criminel se recroiseraient au pont Alexandre III. Or, je devais m’y trouver seule ; il allait falloir, par n’importe quel moyen, modifier l’itinéraire de l’adolescent afin qu’il n’empruntât pas le pont, et que son chemin divergeât du nôtre.

Je me relevai, et croisai le regard bleu lumineux de Marie qui pencha la tête et me sourit avec une innocence qui me frappa à un tel point que je lui rendis ce sourire. Elle m’inspirait de la pitié, même si je savais que je devais éviter de m’attacher à elle.

Derrière moi, j’entendis jurer, tandis qu’une troupe de policiers vêtus d’uniformes bleus traquait un certain voleur, ce qui donna lieu à une véritable course-poursuite à travers la plus belle avenue du monde. Marie jeta un bref coup d’œil aux gendarmes courant derrière l’adolescent, intriguée, mais cela ne retint pas son attention outre mesure. De toute façon, elle ne reverrait jamais Raphaël ; inutile qu’elle s’attardât sur le groupe. Elle se tourna vers moi, tandis qu’une foule de ballons multicolores s’envolait avec légèreté dans les airs. Je les regardai disparaître peu à peu dans le noir du ciel. Ça me rendait un brin nostalgique, quand même, toute cette ambiance de fête. Ça m’aurait presque donné envie de retourner en enfance.

–       Merci beaucoup d’avoir récupéré le ballon d’Émilie, déclara-t-elle, dans un sourire.

–       Mais c’est tout naturel, répondis-je. Je n’aime pas voir les gens tristes, alors quand je le peux, c’est un plaisir d’apporter mon aide.

Ouah, j’ignorais que je pouvais aussi bien simuler la bienveillance. Quelle belle hypocrisie ! Ça mériterait un Oscar. Raphaël disparu au bout de l’allée, cela me rappela le fait que je devais encore m’occuper de changer son trajet. J’aurais pu proposer tout de suite à Marie de retourner avec moi au couvent – la pauvre, si naïve, aurait aussitôt accepté – mais mieux valait qu’elle croisât Bonar dès ce soir, histoire que je gagnasse encore un peu plus sa confiance, et puis…

… ça m’amusait, de l’effrayer en laissant les Chevaliers lui courir après. Et je ne doutais pas que ça passionnerait aussi Léon – son moment de détente, en quelque sorte : en somme, cela sonnait le quart d’heure de divertissement. Chose promise, chose due ! Une pauvre blondasse à terroriser, une ! Pas le temps de bavarder davantage, sinon tous les événements menaçaient d’échapper à mon contrôle, et ça, hors de question. Je me débattais comme une lionne pour changer l’enchaînement des faits, alors personne ne viendrait tout gâcher maintenant.

–       Bon, eh bien, je dois te laisser : il faut que je rentre chez moi, et toi aussi, d’ailleurs, non ?

–       Oh, oui, c’est vrai, confirma Marie, il se fait déjà tard.

–       Passe une bonne nuit, lançai-je en m’éloignant d’un pas vif dans l’avenue. Et, au fait – je me retournai vers elle –, sois bien prudente, sur le chemin du retour ; les rues ne sont pas sûres, la nuit.

Je ne voudrais pas qu’il t’arrive malheur… songeai-je en éclatant de rire intérieurement.

Je quittai les Champs-Élysées, mais dans le sens inverse de celui emprunté par Fantôme R. Je savais qu’un barrage de police plus loin bloquait la route, et qu’une vieille dame du nom de Sarah, cherchant son bulldog Saphir, quémanderait de l’aide à ce trouillard de policier appelé Éric. Inutile de demander à ce dernier de rester ; dès qu’il entendrait l’enregistrement de l’aboiement du chien, même s’il ne s’agissait que d’un son, il s’enfuirait à toutes jambes. Il fallait agir d’une autre façon. Et pour ça, je savais comment procéder.

À la place de la Concorde, je me dirigeai vers la fontaine la plus au nord, magnifiquement réalisée et qui déversait des flots d’eau pure. Que de monde se promenait dans le coin ! Je reconnus vers la droite Charles, un chef d’orchestre responsable de l’entrée de Marie et Raphaël au château de Versailles, par le passé ; mais je cherchais quelqu’un d’autre. À quelques mètres devant moi, en sueur dans son survêtement vert, un joggeur, Mathias, regardait, inquiet, à l’autre bout de la fontaine. Il rajustait sa casquette verte qui dissimulait ses yeux, et il craignait comme la peste Saphir, qui se baladait dans le coin. Il allait m’être utile.

Je touchai ma poche, et en sortit mon porte-monnaie. Je regardai à l’intérieur. Il ne contenait pas une somme extravagante, mais ça suffirait pour ce soir. Je dispose d’assez de liquide pour couvrir mes frais éventuels. Tant que les dépenses supplémentaires restaient infimes, en tout cas : je ne considérais pas Jean-jean comme un radin, mais il ne me prêterait sûrement pas de l’argent juste parce que je le lui demanderais. Je m’approchai donc du joggeur, mon portefeuille fermement serré dans ma main. Quelle merveilleuse invention que de soudoyer quelqu’un ! En avant pour les négociations.

–       Bonsoir monsieur, je–

–       Reste pas là, petite ! Va du côté droit de la fontaine, il y a un bulldog enragé dans le coin ! Où est sa laisse ?

Non mais, qui tu appelles « petite » ?! En m’interrompant, en plus ! On ne t’a pas appris à traiter les femmes comme des princesses ?!

–       Merci pour ce conseil, répondis-je, en cachant mon agacement, mais justement, vous pourriez éloigner ce bulldog d’ici ?

–       Ça ne va pas, la tête ? Cette bête est un démon ! Et d’abord, qu’est-ce j’y gagne, moi, hein ?

Et c’est parti, songeai-je en soupirant, face à un Mathias paraissant douter de ma santé mentale. Je sortis un billet de dix euros de ma bourse et le lui tendis. L’argent pouvait tout acheter, et il fallait que ce clebs disparût du secteur, aussi loin que possible. Si Fantôme R ne trouvait pas le chien, il ne franchirait pas le barrage de police en traumatisant Éric, et n’accèderait par conséquent pas au pont. Ce qui empêcherait pour de bon la rencontre, et règlerait mon principal souci. J’aurais bien distrait ce chien moi-même, mais je devais impérativement être à l’heure au rendez-vous : Léon ne m’attendrait pas, s’il ne me voyait pas me pointer à l’horaire convenue. Et impossible de compter sur une seconde chance. Timing, tout repose sur le timing.

–       Ce n’est pas beaucoup, m’excusai-je, tandis qu’il acceptait malgré tout le billet, mais ce chien effraye vraiment tous les citoyens. Un joggeur aussi courageux et aussi rapide que vous pourrait sûrement aider une jeune fille comme moi, non ? Vous savez qu’il a failli me mordre ?

Tant qu’on y est, autant utiliser la carte de la flatterie et des sentiments. Ça fonctionnait à chaque fois. Tout flatteur vit au dépend de celui qui l’écoute. Mais Maître Renard peut garder son fromage. Je n’avais plus qu’à croiser les doigts pour que le joggeur m’aidât. Par souci de réalisme, j’essuyai même une fausse larme au coin de mon œil et reniflai. Si avec ça mon plan échouait…

–       Très bien, soupira Mathias. Après tout, il n’y a rien de plus efficace qu’un bulldog sur les talons pour courir à toute allure, lança-t-il sur un ton qui se voulait humoristique. Je peux au moins essayer de l’attirer dans un endroit moins fréquenté.

Il s’approcha lentement de Saphir, espérant l’amadouer avec des mots gentils, sous mon regard amusé. La bête réagit sans tarder : elle grogna sourdement, avant d’aboyer avec violence et de se lancer aux trousses du joggeur qui disparut de la place en une fraction de seconde, une créature féroce sur ses talons. Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire face à cette scène burlesque ; elle demeurerait gravée à jamais dans ma mémoire.

Et voilà, plus la moindre chance pour le rouquin d’interférer dans nos plans : j’avais supprimé toutes les causes susceptibles de lui permettre de rencontrer Marie ; pour ce soir, il ne nous gênerait pas, même si garder un œil sur lui restait impératif. Juste au cas où. Il faudrait que je pensasse à le faire coffrer au plus tôt par l’inspecteur Vergier. Éviter qu’il ne croisât la route de Charlotte m’assurerait aussi un certain avantage. En dépit de leurs rares rencontres, elle l’avait aidé à mettre un terme aux jardins. Une puissante inimitié opposait ces deux ados, et conserver cette haine entre eux jouerait en ma faveur. Je me prends trop la tête, j’aurais tout le loisir de m’occuper de ça en temps voulu.

Mains dans les poches, je quittai la place de la Concorde, puisque je venais d’achever mon travail ici. Même si quiconque informait Raphaël du départ du joggeur avec le chien sur ses talons, le rouquin pouvait toujours courir lui aussi pour obtenir son enregistrement d’un aboiement de bulldog. En clair, pour reprendre ton expression, Fantôme R : fin du spectacle !

Ce petit contretemps réglé, j’empruntai à nouveau l’avenue des Champs-Élysées, et veillai à ce que l’adolescent et son chien qui cheminaient en sens inverse ne me remarquassent pas. L’ayant aperçu de loin, je me réfugiai derrière l’un des nombreux arbres de l’avenue, et attendis qu’il passât. Pas question qu’il me repère.

Plus aucune trace de la violoniste ; peut-être que Bonar la poursuivait déjà ? Raison de plus pour ne pas s’éterniser. Mon hypothèse se confirma lorsque j’aperçus l’étui de la blonde demeuré ouvert sur le sol, seul et rempli d’accessoires, sans sa propriétaire aux alentours. Je le fermai et le ramassai, avant de glisser mes bras dans les sangles pour pouvoir le transporter avec facilité dans mon dos. Ensuite, je continuai mon chemin jusqu’au barrage.

Sarah – d’une laideur effrayante, avec sa tartine de maquillage et ses vêtements de grand-mère – appelait son chien tout en regardant les alentours, se demandant ce qu’elle allait faire sans sa pauvre Saphir. Éric tremblait encore à l’idée qu’il aurait pu avoir à rechercher ce bulldog, mais me souhaita néanmoins un bonsoir poli tandis que je passais à côté de lui. Ah là là. Je sais pas pourquoi, mais cette soirée s’annonce bien. Bon, reste plus qu’à atteindre le pont Alexandre III, et à devenir une héroïne aux yeux de Marie, et c’est dans la poche. Ce n’est pas tout ça, mais je commence à être fatiguée, moi. Vivement le retour au couvent ! Toutes ces manipulations me vidaient de mon énergie. Quel épuisement, de changer le cours du temps !

Beaucoup moins de lumières éclairaient la station Roosevelt que les Champs-Élysées. J’y croisai une fille terrorisée à l’idée que Fantôme R la séduisît, elle, une pauvre demoiselle sans défense. Pff, comme s’il pouvait s’intéresser à une gamine aussi insignifiante que toi. Ne rêve pas trop, ma pauvre. Et puis, pourquoi traîner dans les rues le soir, si la terreur l’assaillait à ce point ?

Un hibou perché sur une simple pancarte indiquant « METRO » hulula avec force, en battant des ailes, alors qu’une douce brise agitait des banderoles françaises suspendues entre les arbres.

Sans m’attarder davantage dans le coin, je poursuivis vers le nord. En me retournant, je n’aperçus aucune trace de Fantôme R – sans doute encore à la recherche de Saphir, à moins qu’il n’eût dégoté un autre chemin –, et tant mieux. Caramba, j’assure à fond !

Dernière étape avant mon objectif : l’avenue Roosevelt. Peu de voitures circulaient dans le coin. Je croisai près d’un banc de couleur bleu électrique un gars louche, qui me marmonna quelque chose à propos de révolution et de types en armures médiévales, et me demanda de garder le secret. La folle envie me brûla de lui rétorquer que je savais de quoi il retournait, puisque je travaillais avec eux, mais tout compte fait, inutile de perdre du temps.

Toujours vers le nord, j’empruntai d’un pas calme et assuré le pont, tout en m’étirant. L’eau de la Seine coulait avec tranquillité en-dessous de moi. Et l’impatience commençait à me gagner. Bon, Léon, mon chou, c’est quand tu veux pour m’amener Marie, j’aimerais bien pouvoir me reposer, moi !

–       À l’aide ! résonna, l’instant d’après, un cri dans la nuit.

Enfin. Ce n’est pas trop tôt. Quand on parle du loup…

Moteur, et… action ! Inutile de posséder un don de voyance pour déterminer à qui appartenait ce vibrant appel au secours. Je me retournai, et croisai sans surprise une charmante blonde qui sprintait à en perdre haleine dans ma direction, serrant dans ses bras un violon. C’est ça, viens voir maman, mon ange. J’entendais la ferraille de l’armure des Chevaliers qui s’entrechoquait. Ils couraient pour attraper Marie, et parmi eux, Léonard Bonar, déterminé à la capturer afin qu’elle révélât les jardins suspendus, cachés sous la place de la Concorde. Peut-être que s’il avait gentiment demandé à Marie de jouer la mélodie, elle aurait accepté, elle qui veut tout le temps aider le monde entier ! Quel dommage, ces gars-là ne possédaient vraiment aucun sens de la courtoisie. Ils la brusquaient trop, avec leurs armures du Moyen-âge ! Heureusement que je me trouvais là pour sauver cette jolie demoiselle en détresse. On se demandait bien qui d’autre l’aurait fait, sinon…

Je regardai l’adolescente se précipiter vers moi, ses grands yeux bleus terrorisés, et la respiration saccadée. De quoi se plaignait-elle ? Bonar lui faisait faire de l’exercice, elle aurait perdu quelques kilos d’ici demain, elle pouvait le remercier ! Et puis, pour une fois qu’il lui arrive quelque chose en dehors de son couvent à la noix…

Enfin, elle, elle considérait les événements d’un point de vue différent. Elle arriva à ma hauteur, et me contourna sur ma gauche, avant de se réfugier derrière moi. Je ressentais son corps entier trembler, mais également le bracelet et mon collier réagir avec le violon de manière intense. Je soupirai. Les jeunes filles de nos jours paniquaient vraiment pour un rien, c’était affligeant.

–       S’il vous plaît, aidez-moi ! implora-t-elle.

Du vouvoiement, rien que ça ! Ma petite chérie, j’ai le même âge que toi, tu sais. Bon, un an de plus en réalité. Mais je ne méritais pas que l’on me considérât comme une dame ! D’autant que le titre royal revenait à Marie, pas à moi. Le désespoir s’emparait vraiment de la pauvre fille, pour qu’elle demandât de l’aide à la première venue, une parfaite inconnue peut-être pas digne de confiance ; elle ne doutait absolument de rien, à ma grande consternation. Moi : une fille lambda, seule. Napoléon et sa horde de soldats : des hommes surentraînés et nombreux. Je sais qu’elle est blonde, mais elle capte pas qu’il y a comme un problème dans les rapports de force, là ?!

Je me concentrai sur les Chevaliers, qui s’arrêtèrent juste devant nous. Bigre, ils en imposaient, avec leur armure grise, leurs doigts griffus et leur cape rouge. Heureusement qu’ils ne nous attaqueront pas. Qu’est-ce que ce serait, lors du retour du vrai Napoléon au pouvoir !

En attendant, la tâche me revenait encore d’arranger les problèmes. Et dans tout ça, quand est-ce qu’on m’autorisait à aller dormir ? Bon, tant qu’à jouer mon rôle, pensai-je, autant le jouer jusqu’au bout. Ma crédibilité restait ma principale préoccupation. J’étendis les bras devant Marie, pour faire style « celle qui la protège » et clamai haut et fort la réplique formulée par Fantôme R à cet instant précis, l’an passé. Non mais, je n’allais pas en plus réécrire tous les dialogues ! J’estimais avoir plus qu’exécuté ma part du travail pour aujourd’hui.

–       Qui êtes-vous ?

Tous les Chevaliers nous encerclaient ; Bonar se démarqua en émergeant de la troupe dans une démarche assurée, sa cape mauve flottant dans son sillage, et sa lame « qui en avait puni plus d’un » accrochée à sa ceinture, en compagnie d’un révolver. Quelle prestance ! Et quelle allure ! Ça m’émouvait de le voir là, debout, en face de moi. Je sus à son regard, et cela me soulagea, qu’il ne lancerait pas ses troupes contre nous, et qu’il savait que j’appartenais à son camp – en même temps, Jean-François l’avait prévenu – tout se résumait donc à jouer la comédie. Et à fond, pour que cela parût crédible aux yeux de Marie, inutile de répéter que l’avenir de Paris se décidait ce soir.

Léon et moi hochâmes la tête d’un air entendu, et commençâmes la représentation : il ne s’agissait que d’une mise en scène, une mise en scène de théâtre, filée de A à Z depuis le début, et la violoniste tomberait les deux pieds dans le panneau. On allait bien s’amuser. Quelle naïveté… Rien que pour la sensation de plaisir procurée, j’aimais le théâtre.

–       Napoléon, ton empereur. Allez, mets-toi à genoux devant moi, ordonna-t-il dans un sourire qui dévoilait toutes ses dents.

–       Tu plaisantes ? Tu ne peux pas être Napoléon. Il est mort il y a deux siècles ! protestai-je avec vigueur.

Oh là là, je suis trop fatiguée pour changer complètement le script. J’espère que ça ne te dérange pas si je t’emprunte tes répliques, mon cher R. Libre à toi de te plaindre des problèmes de copyright. J’avais l’impression d’incarner une actrice sous le feu des projecteurs, et ça m’amusait comme une petite folle. Léonard aussi : il jouait à fond son personnage. Vive le quatorze juillet ! Quelques voitures circulaient sur la route à côté de nous, et la rambarde du pont accueillait des pigeons perchés dessus. Un décor parfait. Quel dommage que personne ne nous filmât !

La seule à ne pas profiter du spectacle restait Marie, quelle tension dingue dans son corps ! J’aurais peut-être dû lui rapporter du pop-corn de la fête foraine, plutôt que son étui, songeai-je en tournant la tête pour lui jeter un bref coup d’œil. Relax, ma belle, il ne t’arrivera rien. Reprends-toi et arrête de te crisper, tu n’es pas du tout dans ton rôle, là ! Moi, mon but ne consistait pas à distribuer des câlins et rassurer les petites violonistes paniquées. Et elle avait soi-disant détruit les jardins suspendus avec Fantôme R, l’an passé ? La bonne blague.

Je reportai mon attention sur Léon, qui me sourit, et je lui adressai un clin d’œil malicieux. Vu qu’il se situait en face de moi et de Marie, il voyait à coup sûr la détresse dans ses grands yeux bleus, et ça le satisfaisait et lui plaisait beaucoup. Petit veinard, va ! Je t’aurais bien laissé repartir avec miss chochotte dès ce soir, mais je vais encore avoir besoin d’elle quelques temps. T’inquiète, je te promets que dès que j’en aurai terminé avec elle, tu l’auras tout à toi pour t’amuser ; chacun son tour, d’acc ? Les bons comptes font les bons amis !

Bon, en attendant, à son tour de prononcer sa réplique. Je réprimai un bâillement. Et toute cette comédie rien que pour une petite musicienne ! Mais quand il faut y aller, faut y aller. Je me demandai où se promenait Fantôme R, à présent ; l’idée qu’il retrouvât le bulldog et débarquât d’un instant à l’autre me hantait.

Je secouai la tête, tâchant de rester concentrée. Une demoiselle en détresse se reposait toujours sur moi pour la sauver, quand même ! Elle demeurait ma priorité numéro une. Tout ça parce qu’elle pouvait pas ramener ses fesses de princesse au commissariat le plus proche, non… Il fallait qu’elle attire l’attention en ameutant tout le quartier avec ses cris…

C’est à se taper la tête contre les murs, je vous jure…

–       Il y a, dans ce monde, un pouvoir qui défie ton imagination, ma jeune amie. Maintenant, ma petite chérie, déclara-t-il en se tournant vers la blonde, tu vas rendre la couronne du dragon à son propriétaire !

–       Mais enfin, de quoi vous parlez ?! demanda-t-elle derrière moi en secouant la tête.

Marie, si tu possèdes des objets qui ne t’appartiennent pas, ne t’étonne pas qu’on te les réclame après. Si tu étais allée gentiment avec tonton Napoléon pour lui redonner ce diadème, t’aurais pas autant de problèmes, louloute.

Et encore une fois, je me trouvais là pour tout arranger. Qu’est-ce que la petite blonde deviendrait, sans moi ! Sauf que je ne pourrais pas tout le temps assurer ses arrières et la secourir, ni la tirer sans arrêt d’un mauvais pas, ça m’épuisait. Bon, ça passait pour cette fois, mais il fallait vraiment que Marie évitât d’être mêlée à des affaires louches, dorénavant. Elle devait cesser de jouer les godiches et s’affirmer un peu. Et c’est pas gagné pour qu’elle quitte son rôle de pot de fleur, soupirai-je en levant les yeux au ciel, blasée.

Léon ricana – sans doute se moquait-il de la crédulité de sa victime – et j’esquissai un sourire, amusée moi aussi. Cette petite confrontation nocturne respirait vraiment, vraiment le fun. Jamais rien ne m’avait autant divertie dans toute ma vie, ça changeait tellement ! Laisser Bonar endosser le rôle du méchant de service me fendait le cœur, mais il paraissait profiter à fond du moment. On tenait le bon bout. Et grâce à qui ?

À moi, bien sûr. Non pas que me lancer des fleurs comptât parmi mes habitudes, mais depuis le début, j’assurais grave. Et je comptais bien que ce succès durât jusqu’à la fin de mon séjour dans le passé. Mais bon, du calme : il s’agissait juste du début de l’histoire. D’ici à ce que les jardins émergeassent, un certain nombre d’épreuves me restait encore à endurer. Cependant, je me sentais prête à affronter tous les dangers ce soir. Une énergie folle bouillait en moi ! Napoléon m’accordait sa confiance ; dans le cas contraire, il cachait bien son jeu.

Il haussa les épaules, ce qui agita les franges de ses épaulettes, et plissa les sourcils, l’air mauvais. Quelle crédibilité de dingue ! Je ne parvenais pas à savoir s’il feignait la colère, ou s’il la ressentait réellement.

–       Les temps changent, mais les gens ? Jamais, constata l’empereur d’une voix froide. Toujours les mêmes crétins qui se mettent en travers de la grandeur !

Euh… Je sais que tu es à fond dans ton rôle, Léon, mais évite de me ranger dans le même sac que Marie et Raphaël, s’il te plaît. Eux sont des crétins, pas moi ! songeai-je, à moitié ennuyée, à moitié contrariée. Je ne leur ressemble pas, alors ne confonds pas tout. Sans blague ! Je différais complètement de ces deux-là moi.

Je maintins mes bras étendus devant Marie, et regardai Bonar qui rajustait sa cape d’un mouvement de main, tandis que mon cerveau fonctionnait à plein régime. Dans le cas de Raphaël, Bonar lui aurait déjà envoyé ses sbires sans hésiter, mais je le remplaçais, et nous appartenions au même camp, Léon et moi ; impossible pour lui d’agir ainsi.

Ok, donc à mon tour de lancer la réplique suivante, si je saisissais bien… Que pouvais-je lui rétorquer ? Conserver la perfection de mon texte jusqu’au bout promettait un sacré challenge. Léon devait certes partir, mais il ne fallait pas que cela parût déjà programmé, déjà prévu. Si Bonar délivrait l’impression de s’en aller trop facilement personne n’y croirait ; cela éveillerait les soupçons de Marie, même si sa naïveté atteignait des sommets. Bref, en clair, je dois dire quelque chose, n’importe quoi, qui tienne la route et convainque. Et soit intelligent, par-dessus le marché. Quelle merveilleuse chose que l’improvisation ! Ça rendrait du tonnerre de Dieu… ou pas.

–       Ça suffit, Napoléon ! Ne t’approche pas d’elle, sinon j’appelle la police et ils t’arrêteront ! menaçai-je en dégainant mon téléphone.

Si avec ça, Hollywood ne m’ouvre pas ses portes en grand… Bon, j’aurais peut-être pu trouver mieux, mais, aucune idée ne me traversait l’esprit, pour le moment, alors je me contenterais de ça. Pas question qu’on m’en demande trop, non plus.

–       Pauvres ignorantes, rétorqua Napoléon dans un rire moqueur. Je vous épargne pour ce soir, mais nous nous reverrons…

Bonar devrait postuler pour devenir acteur de cinéma, lui aussi. On possède un talent fou, tous les deux ! Trop de stars dans un seul endroit.

Je baissai les bras et le regardai s’éloigner, satisfaite, avec son armée groupée autour de lui. Et… coupez ! C’est dans la boîte, et en plus, même pas besoin d’une nouvelle prise ! Voilà du professionnalisme, et du vrai. L’empereur ne daigna même pas se retourner, et tant mieux dans un sens. De toute façon, on se retrouverait demain à Notre-Dame.

Je levai la tête, pour observer la pleine lune et les étoiles briller dans le ciel, avant de consulter mon portable. En parlant de cathédrale… Devais-je le prévenir, à propos du pouvoir du bracelet ? Il n’apprécierait pas de flotter dans les airs avec sa horde de Chevaliers, mais d’un autre côté, lui expliquer la situation risquait de compromettre le plan. Il lui faudrait tolérer cette situation pénible, parce que de toute façon, il ne récupérerait pas Marie tout de suite. Il ne récupérerait pas la clé avant au moins trois jours – le treize au soir, à Versailles. Bon sang, encore un événement de plus à gérer pour moi ! Bref, je savais qu’il mourait d’envie de s’amuser avec elle, mais pour le moment, ce jouet m’appartenait, à moi et personne d’autre.

Je frissonnai en raison de la légère brise, tandis que Napoléon et sa troupe s’estompaient à l’horizon. Bon, eh bien voilà, programme fini, du moins pour ce soir. Je me retrouvais seule, prête à profiter d’un repos bien mérité : dans tout ce bazar, je n’avais pas encore eu la moindre minute à moi ! Je rêvais d’un bon bain brûlant et de draps soyeux. Simplement penser à la journée de demain m’exténuait déjà. Et en plus, il fallait encore regagner le couvent !

Je me massai les tempes avec force. Avancer d’un seul pas relevait de l’effort surhumain, mais je ne pouvais décemment pas dormir dehors. Jean-jean avait intérêt à m’avoir préparé un lit, sinon je ne jurais plus de rien. J’en profitai pour lui envoyer un petit texto, afin de l’avertir de mon arrivée prochaine au couvent avec Marie.

Je rangeai mon smartphone, et sursautai en entendant la voix de la blonde. Je me retournai ; elle serrait toujours son instrument contre elle et me contemplait de ses yeux bleus brillants.

–       Merci beaucoup, déclara-t-elle dans un sourire, encore toute chamboulée. Tu m’as sauvé la vie.

Oh, n’exagère pas s’il te plaît, pensai-je, désabusée face au dramatisme de la fille. Léon est vraiment sympa, tu sais. Et puis, il ne s’agit que d’une période de sursis : dans trois jours, à Versailles, l’organisation te kidnappera, et plus personne ne volera à ton secours, cette fois. Profite bien de cette période de repos, elle ne durera pas.

Et puis, bon, ça restait moins romantique que si ça avait été le rouquin qui l’avait transportée dans ses bras en sautant d’une péniche à la suivante au clair de lune, pour atteindre l’autre rive de la Seine. D’autant plus qu’elle n’aurait pas subi tous ces ennuis en consentant à suivre l’empereur sans poser de questions : elle les avait cherchés.

Enfin, ce besoin de résister jusqu’au bout et de ne pas céder coulait dans ses veines. Pour ça, elle ressemble bien à sa mère, tiens. Si elle souhaitait à ce point jouer l’obstinée face à Napoléon, il me faudrait un tout petit peu de temps pour la dresser, mais j’y arriverais, et dans le temps imparti. J’ôtai doucement l’étui de mon dos et le soulevai à son attention.

–       Ce n’est rien ; je ne pouvais pas laisser ces individus s’en prendre à toi. J’ai trouvé ça sur les Champs-Élysées, il t’appartient, je crois ?

Elle reprit sa boîte, très soulagée, elle me remercia à nouveau avec tant de sincérité que mon cœur en saigna presque. Pitié, je n’ai absolument pas besoin de cette compassion. Par ailleurs, je ressentis le collier, le violon et le bracelet résonner de manière intense – comment de simples artéfacts pouvaient-ils se comporter ainsi ? Ils paraissaient détenir une âme alors qu’il ne s’agissait que d’objets. Un réel mystère.

La musicienne s’agenouilla, et je lui octroyai quelques minutes de répit, le temps qu’elle rangeât son instrument, et qu’elle récupérât des fortes émotions emmagasinées par la confrontation avec celui qu’elle considérait comme le vrai Napoléon. J’en profitai pour me détendre en admirant la Seine, sachant qu’il nous restait une bonne trotte à parcourir pour pouvoir retourner au couvent. Nous ne craignions plus rien, mais autant ne pas s’attarder plus que nécessaire à l’extérieur. Tous ces efforts fournis m’avaient lessivée, et miss potiche aussi souhaitait sans doute se coucher, après ce qu’elle venait de subir.

La pauvre devrait s’accrocher, dans les jours à venir : les sensations fortes n’attendaient plus qu’elle. J’hésitais d’ailleurs toujours sur la manière de l’appeler. Préférait-elle mademoiselle, duchesse, ou bien princesse ? Ah, mais que je suis bête, elle ne sait même pas encore qu’elle est la fille d’Élisabeth. En effet, elle ignorait quand même beaucoup d’éléments, dans cette affaire. Et moi, je perdais vraiment le sens de la politesse, à ne pas me présenter dans les règles : qu’étaient donc devenues mes bonnes manières ?

Le groupe de pigeons s’envola d’un coup dans la nuit, tandis que l’adolescente, son instrument  à l’abri dans son étui, se redressait. Elle s’avança vers moi dans un sourire radieux – une véritable pathologie, chez elle.

–       Enchantée de te rencontrer. Je m’appelle Marie.

 

***

 

Fantôme R rajusta avec nervosité son chapeau, tandis qu’il empruntait une petite ruelle sombre censée le ramener chez lui, en toute tranquillité, sans qu’il ne croisât de policiers.

Quelque chose avait dysfonctionné, ce soir.

Et ça ne lui plaisait pas.

D’autant plus qu’il ne comprenait pas l’origine du problème. Il se récapitula dans sa tête les événements : une promenade sur les bords de la Seine, avant de se diriger en tant que Fantôme R vers le musée du Louvre, pour y dérober le bracelet de Tiamat.

Sauf qu’il n’y avait pas eu de bracelet.

Il avait d’abord pensé à une ruse de l’inspecteur Vergier pour le coincer, mais ensuite vite écarté cette théorie. Depuis trois ans, il connaissait assez Paul pour savoir que recourir à des tactiques pareilles ne collait pas au personnage. Renforcer le système de sécurité, oui, mais rien d’autre, surtout pas un tel coup bas. En outre, en interpellant le voleur, le gendarme avait cru que Fantôme R possédait le bracelet – ce qui aurait dû être le cas, si l’artéfact s’était trouvé là. Qui s’était amusé à le voler ?

Le rouquin frissonna. En ce qui le concernait, il subtilisait les œuvres pour une bonne raison : il échangeait les contrefaçons contre les originaux qu’il retournait à leur place dans les musées. Mais ce quelqu’un, peu importait son identité, avait chapardé le bracelet, et la malveillance de ses intentions ne permettait aucun doute : il s’agissait d’un vrai criminel, et cela ne présageait rien de bon. L’adolescent avait bien ressenti comme une sorte de présence, au Louvre, et regrettait son manque de méfiance à ce moment-là.

Autre point troublant : il n’avait pas non plus réussi à retrouver le bulldog de cette femme maquillée à l’excès. Un homme âgé l’avait informé que la chienne avait poursuivi un pauvre joggeur, juste après une discussion entre ce dernier et une jeune fille du même âge environ que Raphaël. D’après la description, il s’agissait de cette même jeune fille aperçue par le rouquin alors qu’elle restituait son ballon à une fillette en pleurs.

Fantôme R esquissa un sourire. Sans l’intervention de cette adolescente, il aurait lui-même ramené son bien à la gamine.

Peut-être aurait-il eu l’occasion de discuter avec la violoniste aux cheveux dorés qui jouait là ; il aurait apprécié, tant elle lui était apparue agréable. Par malheur, elle avait disparu sans qu’il n’eût pu lui parler ou découvrir son nom. Et il éprouvait cette très désagréable impression que les événements auraient dû s’enchaîner d’une façon différente.

Qu’est-ce qui avait cloché ?

Fondue aboya, extirpant son maître de ses réflexions. Le duo quittait la petite allée sombre pour se retrouver dans la très animée rue des Saints-Pères, où l’ambiance, comme partout ailleurs dans la capitale, respirait la fête : odeurs mettant l’eau à la bouche, banderoles tricolores agitées par la douce brise, et tous ces autres indices qui annonçaient les festivités prochaines du quatorze juillet.

Après quelques mètres, Raphaël gagna le carrefour où se situait son appartement, et songea aux actions qu’il entreprendrait demain. D’abord, commencer par tirer cette histoire de bracelet au clair : l’inspecteur Vergier croyait que Fantôme R détenait bel et bien ce bijou, et s’il n’agissait pas pour laver son honneur, alors on le considérerait comme un criminel malfaisant, et il pourrait dire adieu à son avenir.

Il était un voleur, certes, mais un voleur honnête.

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