Quand Sonne le Glas

Chapitre 10 : – Chapitre IX –

5261 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/07/2019 06:13

Chapitre IX –



La pièce était assez petite, ou bien était-ce là la taille moyenne d'un bureau dans un commissariat parisien, les deux Japonaises l'ignoraient. Une autre idée fut que l'espace semblât si restreint pour la simple raison que les murs étaient pour la quasi-totalité d'entre eux recouverts jusqu'au plafond d'étagères, lesquelles étaient pleines à en craquer de libres et de dossiers, ces derniers étant sûrement eux-mêmes plus remplis qu'il ne le fallait.


C'était là le repaire de l'inspecteur Vergier.


Ce dernier s'installa à son bureau, qui n'avait pas connu de rangement depuis de longs mois et les invita à faire de même en leur montrant des chaises pliées qui reposaient contre un mur. Kirika en tendit une à Shirabe avant de poliment en proposer une à Raphaël, qui refusa. Il alla s'installer au fond du bureau, adossé à une des étagères, prétextant ne pas être concerné par leur arrestation. Ce n'était pas faux, dans le fond, mais il était lié à elles d'une manière ou d'une autre. Et de surcroît, Vergier était bien trop ravi de l'avoir enfin arrêté, depuis le temps qu'il le pourchassait, et il ne souhaitait aucunement qu'il quittât son bureau. À leur suite, contre toute attente, Charlie vint fermer la porte, et s'y adosser, les bras croisés, et le visage tourné vers le sol, muette.


« Bien, fit-il, brisant l'étrange silence qui s'était installé dans la pièce, je vais commencer par prendre vos noms.

– Il vaudrait mieux qu'on vous les écrive. Ils sont... un peu compliqués, » justifia la brunette avec une gêne difficilement dissimulée.


L'adulte leva un sourcil d'un air intrigué, mais céda néanmoins, en tendant à chacune un post-it et un stylo. Si la plus jeune des deux écrivit rapidement son nom, la seconde, la blonde, eut plus de mal, et dut finalement demander à son amie à ce qu'elle l'écrivît à sa place.


« J'ai toujours eu du mal avec l'alphabet latin, death, soupira-t-elle d'un air penaud. Désolée, Shirabe. »


Lorsqu'il récupéra les post-its, Vergier fut quelque peu consterné, et dut leur demander d'où elles venaient. En somme, ce n'était pas rare de faire face à des Japonais, la France – et surtout Paris – accueillait un bon nombre de touristes, Européens, Américains, Asiatiques, et bien plus encore ; il avait déjà eu affaire à des voyageurs qui parlaient nettement moins bien français que ces deux adolescentes.

Il s'estimait cependant chanceux de faire face à deux étrangères maniant aussi bien le français, cela lui faciliterait grandement la tâche.


« Je voudrais votre âge, adresse, et votre carte d'identité ou votre passeport. »


Elles répondirent à la première question sans aucun problème, et hésitèrent quant à la seconde – elles n'avaient aucun lieu de résidence officielle en France – d'autant plus qu'elles n'avaient pour seuls papiers que leurs cartes d'identité japonaises, qu'il ne pourrait donc aucunement lire, ni recevoir. Elles se doutaient bien que cela ne suffisait pas comme justificatif d'identité pour passer la frontière française. Que pouvaient-elles bien faire...?


« Nous n'avons que ceux-là sur nous, balbutia Shirabe en tendant sa carte d'identité marquée de nombreux caractères. Désolée... »


Vergier leva un sourcil, et leur demanda avec étonnement et incompréhension comment avaient-elles pu entrer sur le territoire français.


« C'est-à-dire que... nous-même l'ignorons, death...

– Vous l'ignorez ?

– Fantôme R doit bien savoir quelque chose là-dessus, non ? Après avoir parlé pendant longtemps, tous les cinq. »


Raphaël sursauta presque face à la déclaration pleine de sous-entendus de Charlie, qui le regardait d'un air narquois en retenant un rictus amusé et sournois. Qu'est-ce qu'elle insinuait par là ?


« Pardon ? releva-t-il en feignant l'ignorance.

– Pardon ? répéta après lui Vergier, qui ne comprenait pas non plus ce qu'elle laissait entendre par là.

– Tu sais très bien de quoi je veux parler. Tu croyais vraiment que ton déguisement allait marcher ? Je sais que Paris est immense, mais un rouquin comme toi au visage aussi agaçant, il n'y en a pas beaucoup ! »


Elle avait haussé le ton, agacée, et était au bord de piétiner le parquet et de faire les cents pas dans le bureau. Elle finit par expirer un grand coup, avant de dire ce qui lui hantait l'esprit.


« L'autre jour, je t'ai vu, avec la duchesse Marie, dans un café. Vous étiez accompagnés de trois filles, dont ces deux-là. La troisième est visiblement absente, on se demande bien pourquoi. Alors ne viens pas dire que tu ne les connaissais pas, puisque je vous ai vus partir tous ensemble !

– Cela ne prouve pas que j'aie plus d'attaches que ça avec elles. Vraiment, je ne les connais pratiquement pas.

– Si seulement c'était vrai, » ricana-t-elle.


Ses yeux bleu-vert percèrent ceux de Raphaël, avec l'air de dire qu'il devait profiter de ses derniers instants de répit avant qu'elle ne poursuivît. Il fronça les sourcils et soutint son regard. Qu'allait-elle bien pouvoir ajouter ?


« Je ne vais pas vanter mes capacités, mais ça a été franchement facile de vous prendre en filature tout du long sans que vous ne me remarquiez !

– Jusqu'où—

– Jusqu'au manoir d’Élisabeth. Et puisque vous discutiez tout de même sur le chemin, n'ose pas me dire que vous ne vous connaissez presque pas ! »


Merde, pesta Raphaël intérieurement alors qu'il luttait pour ne pas montrer de signe de faiblesse. Il n'aurait jamais cru que Charlie l'eût pris en filature, en civil. Était-ce par pur hasard ? Il était maintenant trop tard pour ça. Merde, merde et encore merde. Il était fait comme un rat. Il n'avait aucune carte pour s'en sortir.


« Certes, nous avons discuté. Ces filles ont croisé notre route alors que la duchesse Marie et moi étions en train de fuir le bruit. Je dois dire qu'elles nous ont bien aidé. Alors nous les avons invitées à boire un verre en ville, avant que la duchesse ne leur propose de venir dîner chez elle. J'ai moi aussi été convié, mais je n'ai fait que les raccompagner jusqu'au manoir, et suis resté un peu plus longtemps pour régler quelques affaires avec la duchesse. Je n'en sais pas plus que ce que je vous ai raconté. »


Charlie afficha une mine déçue, comme si elle avait espéré qu'il en dît plus. Elle garda tout de même ses bras croisés sur sa poitrine, n'en démordant pas.


« C'est ta parole. Rien ne nous affirme que tu ne mens pas.

– Quel bénéfice pourrais-je en tirer ? Je ne suis pas en position de force, je ne peux pas me permettre de mentir – et encore moins devant des représentants de la loi. »


Derrière son bureau, Vergier les observait en silence. Il y gardait ses coudes posés sur la surface, ses mains jointes soutenaient son menton à la barbe de trois jours mal rasée. Les deux adolescentes japonaises restaient silencieuses. N'avaient-elles pas leur mot à dire dans tout ça ? Visiblement non. Il sentait que quelque chose pesait entre eux, comme s'ils refusaient de se dénoncer les uns les autres.


« Et qui est cette troisième personne ? » finit-il par demander, provoquant le silence des quatre jeunes gens – bien que les deux Japonaises fussent déjà muettes avant son intervention.


Raphaël s'interrompit. Il eut comme un déclic, un appel d'un sixième sens. Quelque chose approchait. Quelque chose de dangereux. Il ne lui fallut pas plus de temps pour s'approcher de Charlie, et de la tirer vers lui d'un coup sec en lui saisissant le bras. Elle manqua de tomber dans ses bras, se rattrapant de justesse et, avant même qu'elle ne proférât la quelconque insulte ou menace envers le rouquin, la porte s'ouvrit dans un vacarme fracassant.


Une adolescente se tenait dans l'encadrement. Elle portait, à l'instar des deux Japonaises présentes, un uniforme scolaire peu commun en France. Sa poitrine se soulevait et s'abaissait rapidement, alors que son visage aux sourcils froncés affichait une mine épuisée, mais hargneuse. Quelques mèches mauve pâle étaient collées à son front à cause de la sueur ; elle avait couru de toutes ses forces, semblait-il. Ses yeux violets balayèrent la pièce, ignorant Raphaël et Charlie, qui restait contre toute attente immobile. Lorsque son regard se posa sur Kirika et Shirabe, son visage s'attendrit quelque peu, mais en voyant Vergier la dévisager sans broncher, elle perdit patience.


« C'est vous qui—

– Chris ! Arrête, on ne rentre pas comme ça— »


Raphaël reconnut immédiatement la voix de Marie qui courrait après Chris pour la rattraper. Grands Dieux, cela ne lui inspirait rien de bon.

La jeune femme se stoppa lorsqu'elle eût rattrapé la Japonaise, et interrompit sa phrase en voyant tout le beau monde qui se tenait dans une si minuscule salle.


« Oh. »


Ce maigre son lui avait échappé alors qu'elle remarqua la présence de Raphaël. Habillé en Fantôme R. Que cela voulait-il dire ?


« Fantôme R ? Pourquoi es-tu là ?

– Je te raconterai plus tard. Pour l'heure, il vaudrait mieux raisonner mademoiselle, avant que ça n'alourdisse nos problèmes.

– Eh, qui est-ce que tu appelles mademoiselle !? Je vais t'en donner, moi, du mademoiselle !! »


Les doigts de Chris se refermèrent en un poing serré qu'elle s'apprêta à enfoncer dans le visage de Raphaël alors qu'elle s'avançait vers lui.


Ce fut la voix grave et tonnante de l'inspecteur qui mit un terme à tout ce bazar.


« Vous êtes ici dans un commissariat de police ! Si vous ne vous calmez pas tout de suite, je vous mets en garde à vue ! »


Chris se stoppa net, et le fixa d'un air mauvais. Elle n'aimait pas ce type, mais alors vraiment pas. Pourquoi avait-il arrêté ses cadettes !? Elles n'avaient rien fait de mal, elles n'avaient fait que suivre l'autre têtu en douce. Et si... Le doute s'installa en elle. Et s'il les avait prises sur le fait alors qu'elles se battaient ? Elle serra les dents, et grogna. Rah, qu'est-ce qu'elle devait faire ?


« Qui êtes-vous ? Pourquoi avez-vous fait irruption dans mon bureau comme ça !? tonna-t-il.

– Chris-senpai, il est de notre côté, death ! Enfin, je crois...

– Il cherche juste à protéger la ville, comme nous ! »


L'adolescente posa un regard bienveillant sur ses deux cadettes, avant de faire face à l'homme qui se tenait assis, toujours dans la même position, à son bureau. Son visage devint alors cramoisi, et elle s'inclina face à lui, son corps formant un angle droit presque parfait.


« Veuillez m'excuser pour ma conduite, balbutia-t-elle, le visage tourné vers le sol. Je m'appelle Yukine Chris, et j'accompagne Kirika et Shirabe. Moi aussi possède le pouvoir de me battre contre le noise. Je pensais que vous les arrêtiez, alors qu'elles n'ont rien fait qui aille à l'encontre des lois. Je vous prie de m'excuser. »


Raphaël la fixa avec étonnement. Était-ce réellement possible que cette fille pût être aussi polie ? Il ne l'aurait jamais cru. Cela sembla aussi surprendre les deux autres. Comme quoi, les occasions où elle démontrait de sa politesse devaient être particulièrement rares.


« J'accepte de vous laisser vous en tirer comme ça, grommela Vergier. Mais seulement si vous acceptez de répondre à toutes mes questions. Vous trois, Fantôme R et la duchesse. »


Les cinq concernés se dévisagèrent à tour de rôle d'un air intrigué, ne comprenant pas pourquoi les deux Français se retrouvaient impliqués.


« Très bien, soupira Raphaël. J'accepte de répondre à vos questions sur cette histoire. »


Chris prit place aux côtés de ses cadettes, assise sur la troisième chaise, tandis que Raphaël et Marie se tenaient debout derrière eux, faute de matériel supplémentaire. Elle glissa à l'oreille de Raphaël quelques mots, lui demandant ce qui les avait menés là. Il lui expliqua brièvement qu'il avait eu à parler de Vergier au sujet du Symphogear, et que par manque de chance, une attaque était survenue à ce moment-là. Kirika et Shirabe avaient pu régler ça rapidement, mais ils avaient dû suivre Vergier de force à la suite de ces événements.


« Il y a encore une dernière chose, mais je t'en parlerai en privé, » ajouta-t-il finalement, avant d'être interrompu par une Charlie qui se raclait la gorge pour les faire taire.


Marie porta sur lui son adorable regard inquisiteur, quoi qu'un peu perdu, auquel il ne pouvait résister, bien qu'il fallût qu'il gardât le silence. Pourtant, l'envie de lui dévoiler tout ce qui lui trottait en tête le démangeait violemment.


« Donc. Je repose ma question. Comment êtes-vous entrées sur le territoire français sans passeports ?

– Eh bien, commença Chris en cherchant quelque peu ses mots, pour tout vous dire... nous venons d'un autre univers que le vôtre. »


Il la regarda d'un air mauvais, l'air de dire que si elle continuait à se payer sa tête, il l'arrêterait pour outrage à agent.


« Non, c'est vrai, death, insista Kirika, l'air quelque peu paniqué. Nous venons du Japon, dans un univers parallèle, et Gjallarhorn – une relique – nous a alertés que votre monde est en danger...

– Nous sommes venues vous aider car cela a aussi des répercussions sur le nôtre. Le noise se manifeste aussi chez nous.

– Pourquoi il n'y a que vous trois alors ? fit Charlotte en fronçant encore un peu plus ses sourcils blonds. Il devrait y avoir des adultes avec vous, non ? »


Les deux plus jeunes baissèrent les yeux. Si elles n'avaient pas autant insisté pour faire partie de cette mission, peut-être que Maria ou encore Tsubasa auraient pu leur faire entendre raison... Après tout, elles étaient adultes, elles...


« Il n'y a que nous trois qui pouvons nous battre contre le noise. Les autres doivent rester en renfort au cas où une attaque a lieu dans notre univers, annonça froidement Chris, avant de se mordre la lèvre inférieure. Il faut nous faire confiance si vous voulez que tout rentre dans l'ordre.

– Et comment vous comptez vous y prendre ? ricana nerveusement Charlotte. Personne ne sait d'où ils viennent.

– Il faut tout simplement trouver l'origine de l'émergence du noise, puis la détruire.

– Et comment vous allez la trouver ? Paris est immense, et rien ne dit que votre « origine » s'y trouve ! »


Décidément, Charlie était en forme. Cela amusait Raphaël de la voir se prendre la tête face aux Japonaises. Quelque chose lui disait que ce spectacle allait être des plus agréables.


« Les portails que crée Gjallarhorn mènent forcément près du lieu d'émergence. C'est donc logique que ce soit à Paris que tout se passe.

– Et qu'est-ce donc que ce... Gjallarhorn, si je ne me trompe pas ? interrogea Vergier, qui ne perdait pas une miette de la conversation, son menton posé sur le dos de ses mains jointes devant lui.

– C'est une relique, un héritage ancien de technologies particulières, presque magiques, expliqua Chris. Contrairement à nos reliques, nos Symphogears, ces reliques n'ont pas besoin d'un utilisateur pour fonctionner. Dans le cas de Gjallarhorn, elle s'éveille d'elle-même lorsqu'elle lie un monde au nôtre. Ce n'est pas la première fois que ça arrive, et à chacune de ces liaisons d'univers parallèles, le monde cible avait besoin de notre aide pour être sauvé.

– Pourrions-nous rendre visite à vos comparses dans votre univers d'origine ?

– Malheureusement, seules les personnes possédant un Symphogear peuvent traverser ces portails...

– Évidemment, grommela Charlotte. Comme c'est pratique. »


Raphaël se racla la gorge. Il avait envie de pimenter un peu la chose.


« Excusez-moi, mais... pourquoi tenez-vous à ce que nous restions ici, Marie et moi ? Nous n'avons aucun lien avec votre enquête.

– Au contraire, Fantôme R, grogna Vergier. Tu es celui qui nous a révélé leur existence dans un premier temps, je te le rappelle. »


Marie se tourna vers lui, un air d’incompréhension mêlée à de l’agacement dessiné sur son visage. Il l’avait visiblement contrariée – c’était logique, il s’y était attendu – il espérait seulement pouvoir se faire pardonner après.


« Certes, rétorqua-t-il en secouant la tête, mais je ne faisais que mon devoir de citoyen. J’avais connaissance d’une solution pour nous sauver, je ne faisais que prévenir les autorités compétentes. À moins que vous ne soyez pas assez compétent pour sauver la ville, inspecteur ? »


Son regard en coin appuyait sa remarque désobligeante qui piqua Vergier au vif, ce dernier luttait contre lui-même pour ne pas sortir de ses gonds et enfermer le voleur une bonne fois pour toute. Non, il devait se retenir ; il ne l’avait pas amené là pour l’arrêter, seulement pour avoir plus d’informations sur cette situation qui le dépassait. Si seulement il pouvait avoir la réponse de chacune de ses questions…


« Je pense que le noise est apparu suite au vol du bâton de Solomon, finit par admettre Chris en soupirant quelque peu nerveusement. À vrai dire, j’en suis même plutôt convaincue. Voyez-vous… »


Elle se mordit à nouveau la lèvre inférieure. Ses poings étaient serrés fermement sur ses genoux, elle sentait les ongles lui entrer dans la peau. Et comble de tout cela, ses jambes tremblaient. Elle ne parvenait plus à contrôler son corps tant ses odieux souvenirs refaisaient surface. Ces démons revenaient toujours aux pires des moments.


« Qu’entendez-vous par là ? »


La curiosité de Vergier était piquée au vif. Il tapota nerveusement du bout des doigts sur son bureau.


« Dans notre univers, nous avons nous aussi connu ce fléau, poursuivit-elle en tentant de maîtriser les tremblements de sa voix. En réalité, notre monde était lui aussi paisible, disons, dans la mesure du possible, jusqu’à ce que le bâton de Salomon soit activé… Comme Gjallarhorn, c’est une relique complète. Il a fallu que quelqu’un l’active pour que le trésor de Babylone – la dimension parallèle coexistant avec notre monde – s’ouvre et laisse passer ces monstres de notre côté… »


Shirabe et Kirika glissèrent un regard inquiet en direction de leur aînée, qui endossait toute la responsabilité de la situation, sans pouvoir être aidée d’aucune manière.


« C’est pour ça que je pense que la même chose s’est produite chez vous. Ce n’est pas impossible. Le bâton a été découvert il y a quelques mois, non ? Je n’en ai malheureusement pas entendu toute l’histoire, mais si vous nous montrez à quoi il ressemble… alors j’aurais la certitude que notre histoire ne fait que se répéter dans des univers parallèles. »


Les quatre Français dévisagèrent Chris, abasourdis par son histoire. Si cela était vrai… alors peut-être étaient-elles bien la solution qu’ils cherchaient !

Charlotte s’empressa de chercher sur le net des articles de presse parlant de cette découverte phénoménale, et de l’exposition qui avait été prévue dans le monde entier. L’un des articles en ligne incluait une photographie du bâton, soigneusement exposé sur un piédestal sobre qui ne l’éclipsait pas, aux côtés de la pierre d’Israël. Dès qu’elle eût trouvé ce qu’elle cherchait, elle s’approcha des Japonaises pour leur montrer à quoi ressemblait ce qu’elles avaient décrit comme une « relique » ; leurs mines inquiètes en dirent long quant à l’identité de ce bâton. Un triste acquiescement de la part de Chris leur révéla qu’en effet, ce bâton qui avait été dérobé au Louvre, était bien le même que celui de leur univers d’origine.

Tant de questions affluaient dans les esprits des Français. Comment était-ce possible qu’il fût actif après avoir passé des siècles enseveli sous les décombres des ruines ? Comment était-ce possible de le retrouver ? Comment fonctionnait-il ; comment pouvait-on l’arrêter ? Avait-il d’autres fonctions que de seulement laisser la porte grande ouverte à ces montres ?


« Malheureusement, tant que nous ignorons où le trouver, nous ne pouvons rien faire d’autre que d’attendre en essayant de limiter les dégâts, soupira Chris. Nous pourrions refermer la porte du trésor de Babylone, oui, mais sans le bâton en notre possession, c’est impossible…

– Est-ce que nous avons autre chose à craindre, en plus de cela ? »


Chris regarda avec désespoir l’homme qui la fixait intensément du regard.


« Si un individu a en sa possession le bâton, et qu’il l’utilise… il pourra alors invoquer et contrôler le noise à sa guise. Commettre des attaques, des attentats, sera alors bien plus aisé pour lui… »


Elle baissa les yeux, et fixa le sol.


« Je suis désolée, murmura-t-elle. Tout est de ma faute… »


Marie s’approcha d’elle, et posa une main réconfortante sur son épaule.


« Ne t’en fais pas, Chris, sourit-elle paisiblement. Nous allons le retrouver, et vous pourrez le détruire. Nous vous aiderons à sauver la ville, et le monde. Je te le promets. »


La Japonaise croisa tristement le regard azur de la jeune femme, qui l’encourageait à se battre pour la bonne cause. Elle voulut articuler quelques mots de remerciement, mais une violente alarme grondante retentit dehors, jusque dans sa boîte crânienne. Tous se regardèrent avec incompréhension ; pourquoi faisaient-ils sonner l’alarme incendie alors que ça n’était ni le premier mercredi du mois, ni un samedi midi ? Peut-être que…


« Ils indiquent qu’il y a une attaque de noise ! s’exclama Shirabe. Il faut qu’on y aille !

– … Appel à toutes les unités. Affluence de bruit au Centre Pompidou. Il se dirige vers Châtelet. Je répète, affluence de bruit au Centre…

– Ici Vergier, s’empressa de répondre l’inspecteur en décrochant sa radio, je suis sur le coup ; j’envoie du renfort. Évacuez les civils !

– Le Centre Pompidou ? C’est tout près, souffla Marie. Si vous vous dépêchez, vous pourrez limiter les dégâts !

– Alors il n’y a pas une minute à perdre, hurla Chris en se redressant. Vous deux, venez !

– Oui !

– Oui, death ! »


Elles n’avaient pas le temps de descendre toutes ces marches. Et de surcroît, elles ignoraient où était ce maudit centre ! Marie leur indiqua cependant la route à suivre. Prendre vers le nord, traverser le fleuve, pendre à droite à la Tour Saint-Jacques puis à gauche deux rues après. Le centre était immense et coloré, elles ne pouvaient le manquer. Et puis, la foule devait se ruer dans tous les sens, ce devait être facile de remonter la trace du noise.


« On se retrouve après la bataille ! » fit Chris, avant d’ouvrir la fenêtre du bureau en grand, et de se jeter par celle-ci dans le vide, avant d’être suivie par Kirika et Shirabe.


Vergier se précipita vers la fenêtre, terrorisé à l’idée d’avoir assisté à un suicide par défenestration ; Charlotte en fit autant, le rejoignant avec la même inquiétude. Derrière eux, Raphaël et Marie restèrent impassibles.


Killter ichaival tron...


Zeios igalima raizen tron...


Various shul shagana tron...


Un éclat de lumière suivit le mélodieux chant d’activation de chacune de leurs reliques, avant de s’estomper, et de laisser place à trois silhouettes colorées qui courraient à travers les rues, avant que Chris ne déployât un de ses missiles à tête chercheuse pour qu’elles montassent dessus et par la suite s’en servir comme moyen de transport plus rapide que la marche à pied. Toutes trois filèrent en direction de l'amas de noise qui attaquait machinalement les touristes rassemblés aux alentours du musée.


« Incroyable, lâcha Vergier dans un soupir, sans les perdre du regard. C'est dingue qu'elles puissent faire ça... »


Raphaël les observa en silence. Le père comme la fille semblaient être happés par le spectacle qui se jouaient au loin. Il fallait donc agir vite avant qu'ils ne les vissent plus.

Il empoigna Marie par le poignet, lui fit signe de rester discrète, et s'avança à pas de loup en direction de la porte du bureau. Elle le suivit en silence, mais prenait tout de même Vergier en pitié ; lui qui espérait pouvoir avoir la réponse à ses questions, voilà que ses seules pistes s'échappaient...

Lorsqu'ils furent hors du bureau, il leur fallu être discrets pendant encore de longues minutes. Fondue trottinait gaiement à leurs côtés, ravi d'être enfin parti de cette pièce exiguë dans laquelle il se sentait beaucoup trop à l'étroit. Ce ne fut qu'après avoir rejoint la cage d'escaliers qu'ils purent enfin prendre la fuite à toute allure ; il leur fallait distancer le plus possible Vergier afin d'être hors de sa portée. Le plan de Raphaël était de retourner au manoir, il savait que les filles trouveraient un moyen de les y retrouver, par exemple en survolant la ville avec les missiles de Chris. Quand même. C'était fou. Un arc mythique, et elle s'en servait pour créer des missiles à tête chercheuse sur lesquels elle montait pour se déplacer plus vite ? C'était tout bonnement n'importe quoi.


« Raphaël, pourquoi tu les as dénoncées à Vergier ? » demanda Marie alors qu'ils courraient à travers les rues jusqu'à la station de métro la plus proche afin de rentrer au manoir.


Il déglutit. Comment pouvait-il s'expliquer ? Il n'avait aucune excuse si ce n'était sa méfiance et son rejet de ces individus.


« Tu ne leur fais pas confiance, pas vrai ? Pourquoi es-tu aussi méfiant ?

– Tu te souviens de JF, non ? Je n'ai pas envie que quelqu'un trahisse à nouveau ta confiance. »


La crainte que quelqu'un la blessât aussi profondément que l'avait fait le cousin de sa mère le hantait ; comment pouvait-il la protéger sinon en l'éloignant de toutes les menaces possibles ? Et de fait, comment pouvait-il toujours dire qu'il faisait ça pour son bien si cela la blessait d'être éloignée de tous ? Et si en la protégeant, il ne faisait que la blesser lui-même ?


« Raphaël... »


Marie avait ralenti sa cadence ; bientôt, elle marcha quelques instants, avant de complètement s'arrêter.


« J'ai bien peur que ce ne soit déjà le cas... » murmura-t-elle en baissant le visage vers le sol et en joignant ses mains, ses joues rougissant.


Non, non, non ! Pas encore ! Je ne vais pas te perdre une autre fois... !


Il se surprit lui-même à penser cela ; il avait comme un vague souvenir de s'être mis Marie à dos, et d'avoir manqué de la perdre pour toujours. Mais d'où sortait-il ? Il l'ignorait. Cependant, une chose était sûre, il ne devait en aucun cas se retrouver séparé d'elle.


« Marie, nous en parlerons plus tard, pour le moment nous devons à tout prix rentrer.

– Non. Si tu as quelque chose à dire, dis-le moi maintenant. Explique-toi. Pourquoi tu fais ça ?

– Marie, il faut partir. Maintenant. »


Une sonnerie d'alarme retentit. C'était l'alerte des pompiers, qui résonnait jusqu'au lieu où ils se trouvaient. Cela ne sentait vraiment pas bon. Les Japonaises ne seraient jamais là à temps pour les aider. Il n'avait pas le choix.


« Marie ! hurla-t-il à plein poumons, espérant la faire réagir. Derrière-moi ! »


Il eut le temps de se positionner devant elle et de tendre le bras devant lui ; à ce moment-là, plusieurs créatures apparurent non-loin d'eux, et certaines se jetèrent sur eux. Il focalisa toute son attention sur le bracelet, duquel émana rapidement une intense lumière. Les monstres décidèrent soudainement de se jeter sur eux, dans une de leurs pulsions meurtrières et destructrices. Raphaël serra les dents. Il priait pour qu'un miracle se produisît à nouveau. Serrant ses doigts en un poing ferme et tendu devant lui, il laissa s'échapper un grognement, tel un animal menaçant ses assaillants.

Ce qui s'était produit plus tôt se répéta ; le noise se jeta à pleine vitesse sur lui, et se heurta au mur de lumière, qui le détruisit en tas de carbone et de cendres, sous les yeux étonnés de Marie. Cependant, contrairement à la fois précédente, Raphaël sentit la force de ces créatures le poussant en arrière. Entre deux vagues d'attaques, il modifia ses appuis, plaçant sa jambe gauche en arrière afin de le soutenir. Cela se révéla judicieux, lorsque les monstres recommencèrent, et qu'il ne vacilla pas une fois. Mais il ne pouvait tenir ainsi trop longtemps ; il ignorait jusqu'à quand le bracelet se mettrait à briller, s'il pouvait tomber à court de puissance ou quelque chose comme ça.


Il leur fallait fuir. Combien de temps pouvaient-ils tenir à pied contre ces choses ?


« Marie, glissa-t-il, à mon signal, on prend la fuite vers le métro. Tiens-toi prête, d'accord ? »


Il crut la voir acquiescer en silence, sans pouvoir en avoir la certitude. Tant pis, il devait faire avec.

Il observa autour d'eux ; il ne voyait plus beaucoup de noise, une petite vingtaine tout au mieux. Il songea à attendre la prochaine vague, et de fuir une fois que celle-ci aurait fini. Auraient-ils le temps, cependant ?


Advienne que pourra, songea-t-il en vacillant quelque peu sous l'assaut de deux noises humanoïdes orangés.


« Marie ! Maintenant ! » hurla-t-il à pleins poumons, avant de se retourner et de saisir sa main.


Ils s'élancèrent à vive allure, sprintant le plus vite possible, esquivant contre toute attente les assauts du noise, qui se jetait lui aussi à pleine puissance vers eux, et finissait à chaque fois sa course dans un mur, une poubelle, ou un pot de fleurs. Ils purent ainsi rejoindre la station de métro la plus proche, celle de Châtelet, et sans se soucier de la destination du premier train partant, ils sautèrent dedans. Ils lâchèrent tous deux un soupir de soulagement, heureux d'avoir pu échapper à l'attaque. Ils se regardèrent et échangèrent un sourire discret, bien que celui de Marie se dissimulât plus. Son regard était fuyant.


« C'est de ça dont je voulait te parler tout à l'heure. Ça s'est produit avant que les filles n'arrivent, ça nous a permis de survivre. »


Cela ne changeait rien, elle restait en retrait.


« Je reconnais que j'ai eu tort de douter d'elles. J'ai peur qu'elles trahissent ta confiance, et qu'elles te blessent. Mais en doutant ainsi, moi-même je te cause du tort. Alors je te promets, Marie, que je vais faire des efforts, les accepter, et les aider. Mais si elles viennent à nous faire un coup bas, je te jure qu'elles n'en sortiront pas impunies.

– Tu es sincère, Raphaël ?

– Bien sûr, sourit-il, soulagé d'avoir pu rattraper ses erreurs. Je leur présenterai mes excuses dès qu'on les reverra, je te le promets. »


Il lui tendit la main, afin de prendre la sienne. Elle y glissa ses doigts, se rapprochant doucement de son poignet, avant que le train ne se mît à violemment trembler, avant de s'arrêter en plein milieu de la voie.


Du bruit émanait des environs. Le noise les avait rattrapés.


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