Quand Sonne le Glas

Chapitre 7 : – Chapitre VI –

5062 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/06/2019 16:54

Chapitre VI –


« On vient au rapport

– Ah, vous revoilà. Allez-y, je vous écoute. »

Chris, Kirika et Shirabe, se tinrent debout face au commandant Kazanari. L'homme les observait du haut de ses quasi deux mètres de haut, d'un air bienveillant et encourageant. Son sourire révélant ses dents blanches contrastait avec son teint quelque peu mat.

Elles expliquèrent ainsi la situation aux personnes présentes autour d'elles. Lorsqu'elle les avait vues, Hibiki, une des autres utilisatrices du Symphogear, s'était jetée sur Chris en l'appelant par son prénom, avant de s'accrocher à son cou ; cela aurait été ce qui se serait passé si la jeune femme ne l'avait pas stoppée net d'une gifle par pu réflexe de défense, arrachant à l'adolescente un gémissement plaintif. À présent, elle se massait sa joue rougie et douloureuse alors que tour à tour ses trois amies racontaient ce qu'elles avaient vécu.

« Ainsi Gjallarhorn vous a menées à l'autre bout du monde, dans un univers parallèle. Intéressant.

– Cependant, la cause de l'apparition du noise est encore inconnue, réfléchit une jeune personne – un enfant presque – aux cheveux blonds coupés courts et dont une mèche tressée était légèrement plus longue que les autres. Il vous faudra y retourner rapidement, il ne faudrait pas qu'il y ait une autre attaque en votre absence. »

*

« J'ignore encore comment nous pourrions vous aider, avait poursuivi Marie, mais vous pourriez au moins loger ici le temps de votre mission.

On ne voudrait pas s'imposer... » avait commencé Chris.

Sa voix avait été couverte par un énième son étrange émis par Kirika, visiblement ravie à l'idée de séjourner dans un tel palace.

« Il me faudrait en parler avec ma mère. Vous pourriez rentrer dans votre univers en attendant pour donner de vos nouvelles. Raphaël va vous raccompagner. »

*

« Pourquoi tu es aussi méfiant ? »

La question de Marie ébranla Raphaël, alors qu'il jouait machinalement avec une pièce dorée. L'objet lui échappa des mains, et tomba sur le parquet boisé, avant de rouler jusqu'à se retrouver sous le lit sur lequel ils étaient assis.

Ils se trouvaient dans la chambre de Marie. Plutôt grande, elle était richement meublée et décorée. Le sol était de couleur claire et les murs étaient recouverts d'une tapisserie bleu ciel ; un grand miroir mural, des cadres photos contenant des fragments de sa vie immortalisés ainsi qu'un tableau à l'huile représentant un paysage sylvestre l'habillaient par endroits, sans alourdir l'ambiance. La fenêtre était grande, la lumière qui la traversait était filtrée par des rideaux blancs en soie avant de venir inonder la pièce ; une autre paire de rideaux en velours, plus épais, était tirée le soir et reposait en attendant ce moment de chaque côté du cadre en bois.

Il se leva et se plaça à genoux au bord du lit afin de retrouver son bien. Il souleva le pardessus qui descendait jusqu'à toucher le sol, et mit sa tête à l'horizontale, plissant les yeux afin de mieux voir à travers l'obscurité en dessous du lit.

« D'abord il y a eu ces bruits qui attaquaient, mais jamais ils ne sont apparus dans les quartiers que tu fréquentes habituellement. Ça m'a l'air déjà un peu suspect... »

Il étendit son bras, avançant sa main à tâtons à la recherche de sa pièce.

« Notre sortie n'avait pas été prévue. Et une attaque a eu lieu là où on était. Tu as cependant pour habitude de fréquenter ce café assez souvent, et depuis longtemps. C'est la seule exception. »

Il sentit un objet en tissu se glisser sous sa main, sûrement un vêtement oublié là. Il en devina la forme en le poussant de son chemin, et son visage s'empourpra lorsqu'il comprit que c'était là un soutien-gorge abandonné – probablement perdu – ; il le repoussa et souffla doucement, tentant de faire passer la gêne commençant à le gagner.

« Et je ne veux pas dire... – il se racla la gorge – mais le fait que étrangement Chris soit apparue à ce moment-là pour te protéger, c'est louche. Comme si tout avait été orchestré. C'est déjà arrivé... »

Il y eut sous ses doigts le contact d'un objet circulaire en métal, qu'il reconnut à sa forme. Il s'en empara, et poussa un cri de victoire en se relevant.

« C'est juste la providence, que veux-tu...

– Pour ma part, je trouve ça louche... Pense ce que tu veux, mais ça ne me rassure pas que ces filles sachent où tu vis. On ne sait même pas d'où elles viennent ! »

Marie fit la moue, et haussa les épaules, d'un air presque vexé. Raphaël comprenait qu'elle voulait croire à l'idée que ces filles étaient de leur côté, c'était à ses yeux leur seul espoir pour régler ce problème. Seulement, il craignait que ses excès de confiance ne se retournassent contre elle, de la même manière qu'elle avait aveuglément cru en Jean-François, un « ami » qui s'était occupé d'elle à l'orphelinat où elle avait grandi et qui lui avait permis d'apprendre à jouer du violon ; l'homme était en réalité le cousin de la duchesse Élisabeth, et faisait partie de l'organisation menée par Léon Bonar, dont le but était de renverser le gouvernement. Jean-François avait profité de la naïveté de Marie pour l'utiliser, ce qu'il a pu faire, même si elle avait su comprendre ses réelles intentions et faire la part des choses Mais Marie était bien trop innocente pour ce monde cruel, et elle répétait visiblement ses erreurs. Cela inquiétait Raphaël, tout pouvait lui arriver en son absence, et cette idée ne le réjouissait en aucun cas.

« Est-ce qu'il ne serait pas temps d'aller les chercher ? Elles devraient être de retour, » souffla la jeune femme avec un sourire ravi, pressée vraisemblablement de revoir les trois Japonaises.

Raphaël acquiesça en silence, et se leva du lit sur lequel il s'était rassis après avoir retrouvé la pièce. Il invita la jeune femme à le suivre, en lui tendant sa main droite, qu'elle prit sans hésiter, un sourire se dessinant sur son visage.

À peine eurent-ils franchi le seuil de l'entrée du manoir qu'ils reconnurent les silhouettes des trois jeunes femmes arrivant au niveau du portail du domaine. Kirika leur fit de grands gestes, secouant ses bras au-dessus de sa tête, tandis que les autres leur sourirent simplement en baissant légèrement le visage dans un hochement poli. Le jeune homme força un sourire sur ses lèvres, tentant de leur paraître accueillant bien que le cœur n'y fût pas.

Marie vint leur ouvrir le portail immense afin qu'elles entrassent, un immense sourire illuminant son adorable visage.

« Des chambres vous ont été préparées, annonça-t-elle en s'approchant d'elles.

– Vous êtes sûrs que ça ne dérange pas ? demanda Shirabe d'une petite voix et d'un air gêné.

– Je pense que l'on a beaucoup de choses à se dire et s'apprendre. »

L'air amical et rassurant que donnait apaisa rapidement leurs craintes, et elles suivirent les deux Français au sein du domaine de la duchesse. Elle les mena jusqu'à l'étage où se trouvait sa propre chambre, et leur fit visiter celles où elles dormiraient ce soir-là. Elles étaient similaires à la sienne, de couleur pâle aux tons pastel ; certaines blanches, d'autres jaunes, bleues ou encore vertes ou roses, les pièces étaient chacune agencée comme sa voisine. Cependant, toutes étaient rattachées à leur salle de bain privée de sorte à ce que chaque invité disposât de toute l'intimité qu'il voulût. L'immensité du manoir permettait de recevoir un grand nombre d'invités, bien que ce ne fut que rarement le cas. Chris, Kirika et Shirabe restaient ébahies devant la richesse de cette famille, elles n'étaient en rien habituées à une telle opulence au sein d'une habitation. À vrai dire, elles n'avaient jamais pu connaître de foyer semblable, ni même de foyer à propre parler.

Face à leurs visages fascinés, Marie resta surprise, ne comprenant pas leurs réactions aussi démesurées à ses yeux.

« Vos maisons sont si différentes que ça ? s'enquit-elle alors.

– Nos appartements sont certes convenables, commença Shirabe.

– Se dire que vous vivez ici avec votre famille, poursuivit Kirika avec un sourire quelque peu triste, vous en avez, de la chance, death.

– Comment ça... ? »

Chris prit alors la parole.

« Nous trois... n'avons plus de famille, seulement nos amis et notre organisation. »

Marie se mordit la lèvre inférieure, se sentant coupable de les avoir menées à leur révéler un détail sûrement douloureux de leur passé alors qu'ils ne se connaissaient qu'à peine. Chris sentit son malaise, et s'excusa de leur avoir parlé de cela, ajoutant qu'elles étaient bien entourées malgré tout.

Même si nous avons tous un passé difficile, se retint-elle d'ajouter.

Ce fut à ce moment qu'un domestique vint à leur rencontre afin de les prévenir que le dîner allait être servi sous peu de temps, ce à quoi Kirika répondit par un cri de joie.

Ils descendirent les marches de l'immense escalier les ayant conduits au premier étage, en bas duquel ils retrouvèrent une femme visiblement dans la fleur de l'âge malgré sa chevelure argentée strictement nouée en nœud haut et serré. Ses fines lèvres s’entrouvrirent lorsque son regard bleu glacé se posa sur les trois étrangères venues chez elle. Chris resta silencieuse face à cette femme charismatique qui imposait le respect de sa seule présence. Quelque chose en elle lui rappelait sa propre mère – peut-être était-ce dû à la couleur claire de sa chevelure dont la nuance berçait ses souvenirs – mais cela se voyait nettement à l'allure qu'elle donnait d'elle-même qu'elles étaient deux personnes radicalement différentes.

« Mère, voici les invitées dont je t'ai parlé. Voici Chris, Kirika et Shirabe, fit Marie après une légère courbette tout en montrant tour à tour chacune des adolescentes, qui répondirent timidement qu'elles étaient enchantées de rencontrer leur hôte.

– Merci de nous permettre de rester chez vous, ajouta l'aînée des trois en s'inclinant poliment, suivie par les deux autres. Nous ferons en sorte de ne pas vous déranger. »

La duchesse plaça sa main gauche sur son coude droit, dont la main gantée entoura délicatement son menton ; un sourire amusé élargit ses lèvres alors qu'elle observait en silence les trois jeunes femmes. Enfin, elle acquiesça légèrement, et s'en alla gracieusement vers la salle où ils prendraient le repas. Alors qu'ils lui emboîtaient le pas, Raphaël saisit doucement le poignet de Marie afin d'attirer son attention, et la retint quelque peu en arrière.

« Promets-moi que tu feras attention, s'il te plaît, lui murmura-t-il. On ne sait pas ce qui peut arriver, et je ne serai peut-être pas toujours à tes côtés.

– Ne t'en fais pas Raphaël, répondit-elle en fixant intensément ses yeux de couleur noisette au fond desquels elle décelait une inquiétude fondée. Je ferai attention, sois-en sûr. »

Il resta silencieux quelques secondes, la dévisageant d'un air quelque peu consterné. Il chassa ses pensées d'un léger secouement de la tête, et se pencha en avant vers elle afin de déposer un baiser sur son front, la faisant rougir de plaisir.

Le repas surprit grandement leurs invitées ; le simple fait qu'il y eut une entrée, un plat principal, un plateau de fromage et un dessert, suivis d'un café ou d'un thé au choix était déjà bien particulier pour elles. Elles savourèrent tour à tour la salade agrémentée de fleurs comestibles ainsi que d'une sauce vinaigrette quelque peu aigre-douce, puis le magret de canard aux pommes de terre – c'était la première fois qu'elles dégustaient une telle pièce de viande, il fallut à Marie leur expliquer ce que c'était à plusieurs reprises – et, lorsque vint le fromage, elles restèrent muettes d'admiration devant la forme circulaire parfaite et la texture moelleuse de ce qui leur avait été servi. Kirika croquait avec ardeur dans la tranche de pain qu'on lui avait servie sur laquelle elle avait, par mimétisme, délicatement posé le morceau de comté qu'elle avait au préalable découpé. Ses yeux brillèrent de joie en savourant ce plat qu'elle n'avait jamais pu se procurer avant cela. Enfin, la crème brûlée qu'ils dégustèrent en dessert ravit les papilles de chacun ; Marie s'amusa en voyant Shirabe faire craquer la croûte caramélisée d'un rapide coup de cuillère, puis en remarquant combien elle savourait chacune de ses bouchées. Hormis le bruit des couverts et des aliments coupés dans les assiettes, on n'entendit le moindre bruit de tout le repas.

Une fois que les domestiques eurent débarrassé le couvert, afin de servir le thé par la suite, Chris, Kirika et Shirabe joignirent leurs paumes devant elles et inclinèrent légèrement la tête.

« Merci pour ce festin, » firent-elles toutes trois en cœur sous les yeux surpris de leurs hôtes.

Puisque Élisabeth leur demanda pourquoi elles avaient prononcé ces mots en particulier, Chris expliqua que, dans leur culture, il fallait nécessairement montrer sa gratitude pour le repas que l'on recevait, puis remercier celui qui l'avait préparé, même s'il s'agissait de soi-même. Cette étrange coutume les surprit quelque peu, mais cela se rapprochait plutôt de quelques règles de politesse qu'eux-mêmes connaissaient.

Le silence revint, quelque peu plus pesant qu'auparavant, lorsque le thé aux agrumes finement préparé fut servi. Tous burent paisiblement le contenu des tasses qui leur avaient été servies sans prononcer le moindre mot.

Puis la duchesse se leva, et prit congé de ses invités. C'était une femme de pouvoir, elle devait être particulièrement occupée, songea Chris. Cela se confirma lorsque sa fille, Marie, leur expliqua qu'elle était régulièrement consultée ces dernières semaines afin d'aider à trouver des dispositifs pour protéger la population des attaques de noise. Ces derniers jours, l'éventualité d'une alarme que l'on sonnerait afin d'alerter la population avait été soulevée et était en bonne voie. Cette décision était approuvée par les trois Japonaises, affirmant que dans leur monde cela avait porté ses fruits assez rapidement.

« J'aimerais que vous nous parliez de votre monde, déclara Marie en lançant un regard sérieux dans leur direction. Peut-être pourrions-nous nous rendre dans un lieu plus agréable que cette salle à manger ? »

Tous se dirigèrent vers la chambre de la jeune femme. Elle invita les adolescentes à s'asseoir sur son lit, tandis qu'elle et Raphaël prirent place sur deux chaises de bureau ; la blonde cala son dos contre le dossier et croisa les jambes devant elle, tandis que Raphaël s'assit à califourchon de la sienne, posant son menton d'un air désabusé sur le sommet du dossier, s'en servant comme d'un repose-tête. Ses yeux naviguaient d'un visage à l'autre, ses sourcils froncés montraient qu'il tentait de réfléchir à quelque chose.

« Que voulez-vous savoir ?

– À quoi il ressemble ?

– Comment dire... »

Elles se regardèrent mutuellement, s'interrogeant du regard, et d'un simple coup d’œil elles convinrent que ce serait à Chris de répondre aux questions qu'on leur poserait.

« Nous vivons à Tōkyō, la capitale du Japon. Notre monde est peut-être très similaire au vôtre, je ne sais pas trop. Il y a quelques années, le noise est apparu et a commencé à le ravager. De nombreux pays ont sombré, en Europe il ne reste plus grand-chose d'autre que ce qui était autrefois le Royaume-Uni. Les États-Unis ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes et déclinent de jour en jour. L'Amérique du Sud est encore animée par des guerres et guérillas qui déchirent les pays et leurs habitants. Avec le maintien des dictatures là-bas, il se pourrait que l'on ait à y intervenir...

– La situation me paraît plutôt désespérée, soupira Marie.

– Mais elle ne peut que s'améliorer, death, renchérit Kirika avec un sourire. Puisque le noise n'apparaît plus, les gens apprennent à vivre à nouveau sans la peur constante de se faire attaquer. Il y a juste eu le problème de l'alchimiste, mais je pense que c'était un cas isolé.

– Une alchimiste ? Cette histoire a de moins en moins de sens, » grommela Raphaël.

Chris esquissa un sourire gêné.

« Comment avez-vous fait pour vous débarrasser du noise ? Expliquez-moi s'il vous plaît ! »

Les yeux de Marie pétillaient, elle était à présent animée par l'espoir que cela les menât à trouver une solution s'appliquant à leur cas ; elle pressa Chris de leur en dire plus.

« Il y avait une relique complète, un objet antique, qui en permettait l'invocation... Elle ouvrait un portail sur le monde duquel provenait le noise, un mode intriqué au nôtre, un peu à la manière d'un monde caché que l'on ne voit pas de nos propres yeux. En l'activant, nous avons ouvert le portail de leur monde au nôtre, leur permettant de venir de leur propre chef, mais grâce à cette même relique, le porteur pouvait invoquer la quantité de noise qu'il souhaitait. Cette relique, c'était le bâton de Solomon. »

Marie retint un hoquet de surprise ; Raphaël leva les sourcils et afficha un air consterné. S'il s'attendait à ça !

« Serait-ce possible que la même chose se soit produite dans notre univers ?

– Le bâton existe ici ? »

Un frisson parcourut le corps de Chris. Cela ne présageait rien de bon.

« Oui, Erna Allinder, une archéologue suédoise, l'a découvert il y a quelques mois, expliqua Raphaël, qui daigna visiblement enfin leur adresser la parole – peut-être comprenait-il la gravité de la situation finalement ? – en faisant quelques gestes de ses mains pour accompagner son discours. Il était exposé dans tous les musées du monde, mais à peine est-il arrivé au Louvre qu'il a été volé par on-ne-sait-qui. Puis, peu de temps après, le noise a commencé à apparaître à travers le pays, même si c'est Paris qui a surtout été touchée. Le reste du monde ignore ce qui se passe, les médias filtrent tout ce qui touche aux attaques, le gouvernement fait en sorte à ce que le problème soit géré par lui-même.

– La situation est critique, soupira Shirabe. À ce rythme-là votre pays va finir par sombrer... »

Marie se pencha vers les trois Japonaises, et joignit ses deux mains, les suppliant de son regard azuré.

« Je vous en prie, aidez-nous à nous défendre contre ces monstres. Je n'ai pas d'armure comme les vôtres, je ne peux pas me battre, mais je veux vous aider.

– Il va falloir retrouver ce bâton, nous n'avons pas le choix.

– Mais s'il a pu être activé, commença Kirika.

– Et s'il s'agit du même que celui que nous avons connu, poursuivit Shirabe.

– Alors je crains que le problème ne soit encore plus profond, » conclut Chris.

Marie se retourna brusquement et fouilla sur son bureau, pour en sortir un petit calepin coloré dont la couverture était illustrée par des partitions diverses. Elle saisit un stylo à bille et commença à en prendre des notes. Enfin, elle le tendit vers les trois adolescentes.

« Pourriez-vous nous montrer à quoi ressemblait ce bâton que vous avez connu ? »

Chris acquiesça et tenta d'esquisser un croquis ; ses faibles talents en dessin lui valurent la peine d'expliquer en plus de cela par des mots qu'elle écrivait en caractères chinois à côté, et que ni Raphaël ni Marie ne purent déchiffrer sans sa traduction. Malgré tout, les deux Parisiens conclurent qu'il s'agissait d'une manière plus que probable du même artefact que celui dont ils avaient eu connaissance précédemment. En temps normal ils auraient laissé échapper un cri de joie, ravis de voir leur enquête progresser. Mais les dires de Chris les avaient quelque peu inquiétés, si ce n'était pas terrorisés en ce qui concernait Marie, et la perspective de voir ce fléau rapidement détruit s'éloignait à grands pas. Non pas qu'ils désespéraient complètement, mais la seconde moitié de leur été ne serait pas de tout repos.

Raphaël soupira. Si ces filles disaient vrai, alors il ne donnait pas cher de leur peau ; ils devaient vite agir et retrouver les malfrats à l'origine de ce bazar. Il avait justement une idée de la personne à qui il pouvait demander de l'aide pour mener des recherches de grande ampleur...

« Je dois m'absenter, s'excusa-t-il en se levant de son siège, je tâcherai de revenir. Je ne sais pas quand je serai à nouveau là par contre. Tu m'expliqueras tout plus tard, Marie. »

Il déposa rapidement un baiser sur la joue de Marie, qui le dévisagea avec de grands yeux, ne comprenant pas la raison d'un départ aussi précipité, et pourquoi ces adieux étaient aussi maigres. D'ordinaire, il ne se contentait pas de simplement presser ses lèvres contre sa joue, et l'embrassait au moins le temps d'un instant sur les lèvres ; que s'était-il passé pour qu'il changeât autant en sa présence ?

Il fit un signe de la main, accompagné d'un sourire, et referma derrière lui la porte de la chambre.

« Comment trois personnes seules pourraient sauver le pays entier... ? murmura Marie dans un soupir de désespoir alors qu'elle posait sa joue dans le creux de sa main, son coude appuyé sur le haut de sa cuisse soutenant sa tête. C'est trop dangereux... On n'y arrivera jamais...

– Vous savez, commença Chris.

– Vous pouvez me tutoyer, toutes les trois, sourit la jeune femme, ses joues rosissantes quelque peu. Je n'aime pas être vouvoyée surtout lorsque la personne en face de moi a mon âge. »

Kirika sourit timidement.

« Sans vouloir être impolie, death, tu me parais être plus vieille que nous...

– Je n'ai pourtant que dix-neuf ans, rit-elle en cachant légèrement ses lèvres de sa main. Tout comme Chris, j'imagine, non ?

– En réalité je vais fêter mes dix-sept ans en décembre, » avoua l'intéressée quelque peu gênée.

Marie l'observa avec étonnement, elle ne lui aurait pas donné cet âge-là si elle avait dû le deviner avec exactitude ; l'apparence physique de Chris devait sûrement y jouer un rôle, mais son attitude vis-à-vis de la situation et des autres montraient une maturité, qui l'avaient induite en erreur. Lorsqu'elle demanda aux deux autres adolescentes quel était leur âge respectif, Kirika répondit qu'elle avait eu seize ans cette année-là, et Shirabe, quant à elle, ajouta qu'elle avait fêté ses quinze ans en février. Marie se sentit quelque peu impressionnée par tant de maturité chez ces trois adolescentes ; à leur âge elle n'avait pas été aussi téméraire et apte à protéger son prochain.

Elles discutèrent ainsi pendant de longues minutes, les sujets déviant de banalités en banalités, et s'éloignant de leur sujet principal, à savoir leur lutte contre le noise. Lorsque le réveil de Marie afficha dix heures moins le quart, elle réalisa combien elles avaient discuté, et leur proposa de s'en tenir à là. Elle leur expliqua que des affaires de toilette leur avaient été mises à disposition dans chaque chambre, ainsi qu'un pyjama ou une chemise de nuit ; puisque Kirika et Shirabe étaient assez petites comparées à la jeune femme, d'anciennes tenues que Marie portait à leur âge avaient été ressorties des tiroirs. Quant à Chris, étant donné sa stature assez différente de celle de Marie ou bien encore de la duchesse Élisabeth, ce fut malgré tout une chemise de nuit plutôt courte s'arrêtant au-dessus du genou qui lui fut prêtée le temps de son séjour. Marie leur proposa de se délecter d'une douche relaxante et agréable avant d'aller se coucher. Lorsque Kirika et Shirabe demandèrent timidement s'il leur était possible de partager une chambre ainsi qu'un lit, elle hocha la tête avec un grand sourire amical ; elle comprenait qu'elles pussent être autant attachée l'une à l'autre, au point de ne pas pouvoir dormir sans être ensemble.

« Reposez-vous, dormez autant que vous le voulez. Nous nous reverrons demain, lança-t-elle, toujours sur ce même ton enjoué qu'elles commençaient à connaître. Ma chambre est juste là, n'hésitez pas à frapper si vous avez besoin de discuter. »

Il y eut un nouvel échange de politesses, et elle laissa tranquillement les trois Japonaises seules ; peut-être voulaient-elles aussi avoir du temps pour elles seules. Toutes se rendirent dans ce qui deviendrait provisoirement la chambre de Chris ; plutôt sobre, elle avait été peinte dans des tons bleus plutôt clairs, et avait été décorée par deux peintures de paysages bucoliques aux détails finement travaillés.

« J'ai un mauvais pressentiment par rapport à tout ça, soupira Shirabe. Devrait-on demander aux autres de venir nous prêter main-forte ?

– On devrait attendre de voir comment tout ça va se goupiller, assura son aînée en secouant légèrement la tête. Si besoin, l'une de nous rentrera au QG et préviendra le commandant et les autres. On devrait juste faire tout ce qu'on peut maintenant. »

Un silence pesant s'installa entre elles. On entendait clairement le cliquetis de l'horloge à aiguilles posée sur la table de chevet.

« En tout cas, dit Kirika, rompant ainsi cette tranquillité presque dérangeante, cette fille, Marie, est vraiment gentille, death. Elle nous a rapidement fait confiance.

– C'est vrai, acquiesça Shirabe dans un sourire.

– Même si je sais pas si on peut dire la même chose de ce roux, ajouta-t-elle en gonflant les joues d'un air vexé. Quelque chose chez lui m'énerve, et je ne sais pas ce que c'est, death. »

Chris sourit d'un air gêné. Elle devait admettre elle aussi qu'elle ne sentait pas que le rouquin pût être digne de confiance. Il semblait très proche de Marie, certes, sûrement son petit ami au vu de leur proximité, et pourtant il était parfaitement différent d'elle. Mais elle pouvait comprendre sa réluctance à leur parler ou les approcher, il devait sûrement douter de leur identité et leurs intentions, et elle le comprenait. Elle-même avait mis du temps à reconnaître ses alliés ; elle était certainement une des personnes les mieux placées pour comprendre comment il pensait, si elle ne se trompait pas à son sujet.

Les deux adolescentes prirent rapidement congé de leur aînée, quelque peu fatiguées, retournant dans leur chambre pour pouvoir se reposer enfin et se remettre de leurs émotions. Après avoir fait un rapide tour du propriétaire, Chris se décida à profiter de la luxueuse salle de bain et du grand nombre de produits de beauté qui lui avaient été mis à disposition ; elle remarqua surtout qu'elle ne connaissait aucune de ces marques dont elle lisait les noms sans réellement les comprendre. Elle s'assit face à la coiffeuse de couleur ivoire sur le petit siège en cuir qui l'accompagnait, et observa quelques instants son reflet. Elle soupira en constatant ses cernes apparues sous ses yeux suite à la nuit de la veille, courte et peu reposante, et abrégea cette séance d'auto-admiration, si on pouvait nommer cela ainsi, en ôtant les deux élastiques en tissu rose noués à la base de ses longues mèches ondulant dans son dos, ainsi que son pendentif, qu'elle déposa sur le meuble, avant de se rendre dans la salle de bain, où elle se dévêtit, puis de se glisser sous le jet d'eau chaude que la douche lui offrit. Elle savoura l'écoulement de l'eau sur sa peau, depuis l'impact des gouttes sur sa chevelure jusqu'à son ruissellement tout le long de son corps. Elle prit patiemment le temps de soigneusement savonner son corps et ses longs cheveux, s'amusant de voir la mousse s'y former alors qu'elle frottait. Elle se surprit même à chantonner une mélodie qu'elle avait entendue il y avait de ça de nombreuses années.

Elle attendit quelques instants, debout sous le pommeau dont l'eau avait été coupée, dans le bruit de l'eau gouttant de son corps qui tombait sur le sol humide de la cabine de douche, perdue dans ses pensées. Lorsqu'elle revint à la raison, elle étendit le bras en direction du porte-serviette, duquel elle en saisit deux, se servant de l'une pour essuyer sa peau, et enroulant ses cheveux dans la seconde dans une forme semblable à celle d'un turban afin que l'eau qui y était prise ne s'écoulât pas sur son chemin. Elle enfila la chemise de nuit qui lui avait été prêtée, qui était par chance de sa couleur préférée, une teinte mêlant parfaitement du rouge et du rose pâle, agrémentée de dentelles par endroits. Le luxe transpirait de ce manoir, elle ne parvenait pas à y croire. Elle qui craignait que sa poitrine bien trop large posât problème pour le vêtement, elle remarqua que, par chance, le tissu avait été parfaitement bien coupé, et semblait presque avoir été cousu pour sa taille. En revanche, les maigres bretelles le retenant sur ses épaules glissaient, et manquaient souvent de tomber complètement, même si elle les resserrait. Elle haussa les épaules en se regardant une dernière fois dans le miroir de la salle de bain ; elle ferait avec.

« J'espère que tu as bien profité de cet entracte, ricana une voix alors qu'elle posa le pied sur le parquet de la chambre lorsqu'elle y retourna, parce que voilà le second acte. Et en voici l'intitulé... »

Il y eut une pause ; il sembla qu'il voulait se donner des airs dramatiques.

« La fin de la supercherie. »

Laisser un commentaire ?