Quand Sonne le Glas
– Chapitre IV –
« Vous m'entendez ?
– Cinq sur cinq. Est-ce que c'est bon de ton côté ?
– Oui, je crois qu'il n'y en a plus. Mais je suis tombée sur deux civils, l'une est blessée et s'est évanouie. Je ne peux pas les laisser comme ça.
– D'accord. On te rejoint. Fais-nous un signe. »
Une flèche traversa les cieux au-delà des bâtiments.
« Vous l'avez vue ?
– On est pas trop loin. On fait au plus vite ! »
Elles s'échangèrent un regard.
« Je ne pensais pas qu'on serait aussi bien accueillie dès l'arrivée, soupira l'adolescente blonde. Moi qui pensais pouvoir visiter un peu...
– Nous ne sommes pas venues ici pour nous promener. Nous avons une mission. Dépêchons-nous de la rejoindre. Ça ne me dit rien qui vaille. »
*
« Marie ! Réveille-toi ! »
Le visage de la jeune femme était pâle, et bien que dénué de toute souffrance, cela ne faisait qu'inquiéter Raphaël qui ne la voyait pas rouvrir les yeux. Il avait cru entendre sa voix, quelques mots, et lorsqu'il s'était retourné pour la voir, sa tête était posée sur ses avant-bras, l'air assoupi. Il s'était approché d'elle en rampant – lui-même s'était éraflé le genou gauche dans leur chute, et plutôt bien, même – et avait passé sa main sur sa joue. Il s'était attendu à un sourire de la part de sa petite amie, mais son manque de réaction l'avait alerté. Il avait alors crié son nom, mais rien n'y fit. Elle s'était évanouie, sûrement à cause de la terreur et du soudain soulagement procuré par la vision de ce monstre détruit.
« Marie, je t'en prie... »
Il avait écouté sa respiration, les battements de son cœur ; tout allait pourtant bien. Alors pourquoi n'ouvrait-elle pas les yeux ?
Il la mit sur le dos et lui enleva son gilet afin de le placer sous sa tête. Ses vêtements étaient salis de poussière, et sa peau présentait aussi des traces noirâtres par endroits. Ce qui alarma le plus le rouquin cependant fut la blessure importante qu'elle présentait au genou, celles qu'elle avait aux coudes étaient mineures à côté de cela. Sang, cendres et graviers s'y mêlaient, le résultat n'était pas beau à voir.
Il entendit quelqu'un souffler à sa droite, comme un soupir, ainsi qu'un bruit de quelques pas en sa direction. La personne portait des talons, à en croire le bruit que ça faisait. À chaque pas que l'individu faisait, son mouvement s'accompagnait de bruits de métal, comme si des éléments s'entrechoquaient. Mais il ne devait pas y prêter attention, Marie était sa priorité.
« Vous m'entendez ? » demanda une voix féminine, à coup sûr étant cette personne.
Il ne répondit pas. Si elle voulait s'adresser à lui, autant le faire directement en l'interpellant réellement.
« Oui, je crois qu'il n'y en a plus, » rajouta la voix, qui ainsi ne s'adressait pas à lui, mais passait probablement un coup de fil à quelqu'un, sûrement des acolytes. Mais je suis tombée sur deux civils, l'une est blessée et s'est évanouie. Je ne peux pas les laisser comme ça. »
Ah, elle parlait de lui et de Marie. Appelait-elle du renfort pour leur porter secours ?
Il n'eut pas tellement le temps de se poser la question puisqu'il entendit un bruit sec, comme celui d'une flèche décochée à l'aide d'un arc, accompagné d'une intense lumière, puis enfin, une nouvelle prise de parole.
« Vous l'avez vue ? »
Il n'y eut plus le moindre bruit après cela. Le jeune homme sentait que la personne l'observait de loin, sans savoir comment l'aborder. Alors ce fut lui qui entama la discussion.
« Qu'est-ce que vous nous voulez ? » grogna-t-il à l'attention de la personne.
Elle retint une exclamation de surprise, interloquée. Pourquoi donc ? Pensait-elle qu'il ne l'avait pas remarquée ? Quelle abrutie.
Ne supportant pas ce silence, il se retourna rapidement, en se relevant par la même occasion, et réitéra sa question. Cependant, il se stoppa net à la vue de la personne à qui il faisait face.
C'était une jeune femme, non, une adolescente encore, d'à peine dix-huit ans – et encore, il lui en donnait moins – de petite taille et stature, quoique ayant de plutôt bonnes formes. Si le problème n'avait été qu'au sujet de sa taille ou son âge, il n'aurait pas été aussi surpris. Non, ce qui le laissait muet était la tenue que portait cette personne.
On eût dit une armure, mais cela paraissait quelque peu étrange. Il la détailla de la tête aux pieds ; partant du sommet de son crâne jusqu'à son front, puis sur les côtés du visage jusqu'à hauteur de la mâchoire et couvrant ses oreilles trônait un semblant de casque. Les segments rouges étaient de forme hexagonale pour les trois couvrant le haut de la tête, ceux qui couvraient ses oreilles étaient d'une couleur grisâtre, presque argentée, digne du métal et étaient surtout en majeure partie d'une teinte rose cerise. Enfin, son casque présentait au niveau de ses tempes et de sa mâchoire des segments plus gros, rouges et noirs.
Son cou était couvert d'un col blanc, ouvert sur la gorge, dont deux pans de tissus volaient au vent, et s'étendait le long de son corps en deux bandes couvrant sa large poitrine et s’épaississant sur les côtes jusqu'au bassin où deux nouvelles parties en métal triangulaire rouge se maintenaient au niveau de l'os du bassin. En plus de cela, sa tenue comportait d'autres parties en tissu ; là où le col cessait de couvrir la peau à la base du cou et sur les clavicules pouvait-on apercevoir une bande de tissu couleur saumon brillant à la lumière, qui semblait se rejoindre dans son dos. Ce même tissu apparaissait sur le haut de ses seins ainsi que sur son ventre, Le reste de son buste était couvert d'un tissu pourpre qui laissait voir malgré tout ses muscles abdominaux.
Partant du bas de son dos, il pouvait apercevoir deux grandes étendues de métal, presque semblables à des ailes, pointant vers le bas, et de plusieurs épaisseurs. La plus haute et plus épaisse était rouge, suivie d'une couche blanche puis d'une dernière noire. Comme si cela ne suffisait pas, un autre morceau de son armure partait du bas de son dos et formait un cercle presque entier autour de ses cuisses, blanc à l'extérieur et rouge à l'intérieur.
Elle portait de longs collants blancs remontant jusqu'à mi-cuisse, là où lui arrivait ce morceau circulaire étrange dont la fonction devait certainement plus gêner qu'autre chose ; ces collants étaient recouverts d'un autre morceau d'armure rouge, semblable à des bottes immenses. Un petit éclat du même rouge cerise trônait en haut de ceux-ci, et un segment noir dessinait le dessous de ses genoux d'une manière triangulaire. Enfin, ses chaussures étaient tout autant rouges que le reste, dotées de talons noirs plutôt hauts – une dizaine de centimètres peut-être – et de deux autres morceaux étranges à chaque cheville donnant presque l'illusion de rubans noués à celles-ci.
Et comme si cela ne suffisait pas, ses bras étaient recouverts de gros morceaux de métal, presque semblables à des arbalètes, tout aussi rouges, et couvrant ses mains. Il pouvait voir que la base couvrait son avant-bras jusqu'au coude, avant de se poursuivre en une sorte de gant recouvrant sa peau jusqu'à la base de l'épaule. Alors qu'elle s'avançait vers lui d'un pas hésitant il put entrevoir au niveau de ses hanches deux autres morceaux, dont l'utilité le faisait à nouveau douter.
Enfin, pour couronner le tout, les cheveux se cette fille étaient coupés courts, dans une coupe quelque peu à la garçonne, et quatre longues mèches ondulaient dans son dos avec ampleur. Leur couleur surprit quelque peu Raphaël, un mauve pâle très doux et brillant, mais pas autant que les yeux, d'un violet profond, de cette fille. Il croisa justement ce regard, et sentit que cette fille n'était pas n'importe qui.
« Qu'est-ce que vous me voulez ? » répéta-t-il en grognant quelque peu, sur la défensive.
À ses côtés, Fondue se mit à aboyer. La fille sursauta, elle ne l'avait probablement pas vu, et tendit son bras droit devant elle, avant de réaliser qu'elle avait affaire à un chien, et de se calmer.
« Vous... comprenez ce que je dis ? »
Il lui jeta un regard désabusé. Pourquoi diable allait-elle raconter des choses pareilles ?
« Bien sûr ! Quelle question ! Maintenant, vous allez m'aider ou pas ? »
Elle fronça les sourcils ; il crut un instant qu'elle allait s'énerver et commencer à piquer une crise à la vue de la moue qu'elle faisait.
« Du renfort arrive.
– Le SAMU ? La police ? Je vois mal qui d'autre pourrait m'aider là ! »
Nouveau froncement de sourcils, mais cette fois, d'incompréhension. Elle secoua la tête, et lui tendit la main pour l'aider à se relever.
« Qu'est-ce qui lui est arrivé ?
– On était poursuivi, on a fui, on est tombé, elle s'est évanouie. J'en sais pas plus. »
Raphaël croisa les bras sur son torse, et balaya sa silhouette du regard. D'où pouvait-elle sortir, déguisée d'une telle manière ?
« Je vais m'occuper d'elle, c'est bon, laissez tomber, soupira-t-il en lui tournant le dos, laissant ses bras tomber le long de son corps. Je sais où aller et quoi faire. »
Il se pencha vers Marie, et glissa son bras droit dans le dos de la jeune femme, saisissant son gilet dans la foulée, et passa son bras gauche sous ses genoux ; il se redressa en tendant les jambes, portant sa petite amie évanouie dans ses bras. Doucement, il lui fit poser sa tête sur son épaule, et s'assura que ses bras ne glissaient pas de la position dans laquelle il les avait pliés sur son ventre. Une fois qu'il eût tout vérifié, il remonta la ruelle, rejoignant la rue principale, et jeta un coup d’œil de part et d'autre de la rue afin de vérifier la circulation. La rue était vide, en conséquence de l'attaque de bruit qui venait de s'achever.
« A-Attendez ! » cria la fille dans son dos.
Elle courut vers lui pour le rattraper, dans un bruit de talons et de métal.
« Vous vivez ici, pas vrai ? Vous pouvez m'aider.
– Désolé, j'ai d'autres chats à fouetter actuellement.
– Je–
– Chris-senpai ! » appela une voix aiguë qui sonna familière aux oreilles de Raphaël.
Il regarda de l'autre côté de la chaussée ; deux jeunes filles arrivaient à toute allure vers eux. Il les reconnut comme étant les adolescentes qu'il avait vues un peu plus tôt dans une ruelle alors que la blonde leur criait de fuir. C'était d'ailleurs cette dernière qui venait d'appeler.
« Quelle est la situation ? demanda la plus petite des deux, coiffée en deux longues couettes d'un noir profond.
– Je pense qu'ils ont été pris dans l'attaque.
– Aucune trace de candidates de ton côté non plus ? » s'enquit l'autre adolescente.
Hochement de tête négatif de celle que la blondinette avait appelée « Chris » quelque chose.
« Ni de la Seconde Division ou de S.O.N.G., ajouta-t-elle avec un air inquiet. Cela ne m'inspire rien de bon.
– Qu'est-ce qu'on peut faire pour eux deux alors ? On ne peut pas les laisser seuls, pas après une attaque pareille...
– On peut se débrouiller seuls, merci, » grommela Raphaël avant de faire quelques pas pour s'éclipser, suivi de près par Fondue.
Il entendit Marie pousser un léger gémissement alors qu'il venait de poser son genou gauche à terre. Il se stoppa net, et l'appela doucement. Elle leva difficilement la tête et vers lui et croisa son regard. Un sourire rassuré se dessina sur ses lèvres alors qu'elle murmura son prénom. Il ne put s'empêcher de sourire en retour, heureux de voir qu'elle avait repris connaissance et qu'elle allait en apparence plutôt bien.
Elle lui demanda de la reposer au sol – son visage rougissant lui indiquait qu'elle était tout simplement trop gênée qu'il la portât – ce qu'il fit sans broncher. Elle voulut s'appuyer sur sa jambe blessée, mais la douleur lui arracha un petit cri, et elle dut rester appuyée sur l'épaule de Raphaël, qui l'aidait à se maintenir debout.
Lorsqu'elle prit enfin le temps d'observer les trois individus présents à leurs côtés, elle eut un léger sursaut, et son visage prit une teinte un peu plus pâle. Mais un sourire l'illumina alors qu'elle s'adressait à la fille déguisée en une pseudo-armure étrange.
« C'est toi qui nous a sauvés. Merci beaucoup.
– Ce–ce n'est rien, souffla-t-elle en rougissant brusquement. Je ne pouvais pas laisser ces bruits tuer plus de personnes. »
Le mot tiqua aux oreilles de Raphaël et Marie, pour une raison qu'ils ignoraient. D'une certaine manière, il ne leur paraissait pas correct.
« Mais comment... comment tu as pu le détruire ? Je l'ai vu, tu as décoché une flèche avec un arc, et les morceaux ont détruit du bruit et...
– Attends un instant. Ce que tu dis est vrai ? »
Raphaël prit Marie par les épaules et lui fit face. Les sourcils froncés, il plongeait ses yeux noisette dans ceux de la jeune femme, comme pour déceler la fantaisie dans son histoire, incapable de comprendre ce qu'elle racontait.
Il était impossible de tuer du bruit, tout le monde le savait. Ces créatures ne pouvaient mourir que d'une manière, et c'était en emportant avec elles des êtres humains, tout le monde le savait. Alors comment Marie avait-elle pu imaginer qu'une flèche eût été capable d'en détruire ?
La fille poussa un soupir, et se gratta la tête de ses mains gantées de rouge. Puis elle se résigna, et après avoir échangé quelques regards avec les deux autres adolescentes, elle releva son visage et confronta les deux Parisiens les yeux dans les yeux.
« Nous allons tout vous expliquer. Qui nous sommes, pourquoi nous sommes là. Nous voulons juste vous aider. Faites-nous confiance, nous sommes les seules qui peuvent arranger tout ça. »
Raphaël lui jeta un regard méfiant, mais Marie le calma en lui posant une main sur l'épaule, lui murmurant qu'elle sentait, sans réellement comprendre pourquoi, que ces personnes étaient dignes de confiance.
La jeune femme fit un pas en direction de l'étrange fille, décidément très bavarde aux yeux du rouquin, et lui tendit la main.
« Allons dans un endroit plus confortable pour discuter, fit-elle avec un sourire. Je m'appelle Marie.
– Enchantée. Je suis Chris. »
Alors qu'elle empoignait fermement la main de la dénommée Chris, Marie sentit le contact du tissu et du métal s'évaporer, et dans un éclat de lumière et un léger bruit semblable à un éclat de verre, elle se retrouva à serrer une main nue. L'armure étrange de l'adolescente s'était volatilisée, pour être remplacée par un uniforme similaire à celui des deux autres adolescentes.
Raphaël et Marie l'observèrent avec de grands yeux écarquillés. Chris, quant à elle, ne broncha pas, pas plus que les deux autres filles qui l'accompagnaient.
« Je... suppose que c'est normal, murmura le rouquin avant de secouer sa tête pour reprendre ses esprits. Je suis Raphaël, poursuivit-il, néanmoins sans tendre sa main pour serrer celle de l'étrange personne qui se tenait devant lui.
– Je m'appelle Lire la lune Mélodie, sourit timidement la fille aux couettes noires en baissant légèrement la tête. Enchantée.
– Et moi, lança la blonde en levant la main et en prenant subitement la parole d'une voix pleine d'énergie et complètement enjouée, je suis Aube Couper chanson ! »
Raphaël et Marie les regardèrent avec de grands yeux, puis se dévisagèrent mutuellement. Qui donnait de tels noms à des enfants ? N'y avait-il pas des lois empêchant ça ?
Chris tapa son visage dans sa main droite, en maugréant que, décidément, cela allait être plus compliqué que prévu.
*
Peu de personnes fréquentaient le café Le Français en début d'après-midi, préférant s'y rendre en milieu d'après-midi ou en soirée, ainsi fut-il choisi par Raphaël et Marie comme territoire neutre afin de discuter avec les trois étranges personnes. Ils avaient refusé de les mener chez l'un d'eux – surtout Raphaël – même si cela leur aurait apporté le confort d'un chez soi, et une intimité plus propice à une telle conversation. Par ailleurs, Raphaël connaissait de nombreux passages secrets leur permettant de fuir si le besoin s'en faisait ressentir.
Chacun avait pris le temps de commander ; le jeune homme avait pris un café latté, et sa petite amie avait opté pour un thé à la pomme. À leur droite, dans la largeur de la table, Chris s'était permis de prendre un chocolat chaud accompagné d'une pâtisserie à la fraise, et à sa droite, en face des deux Parisiens, les deux adolescentes – Mélodie et Couper chanson – voyaient leurs yeux briller face au parfait que chacune avait sous les yeux, un à la framboise et aux nombreux autres fruits rouges pour la première et un au kiwi et à la pomme verte pour la seconde. Ces pauvres innocentes créatures ne connaissaient pas le prix de ces choses ici, à Paris, songea Raphaël en les observant du coin de l’œil.
Son regard restait figé sur la personne de Chris. L'adolescente – en était-elle réellement une ? Elle dégageait une aura plutôt mature pour son âge – gardait les bras croisés sur sa poitrine, un air sérieux dessiné sur son visage. Ce fut elle qui rompit le silence en premier.
« Parlez-nous des attaques.
– La situation parle d'elle-même, non ? Vous l'avez bien vu de vos propres yeux, vous trois, » répondit Raphaël d'un ton acerbe en faisant tourner sa tasse sur elle-même dans la petite assiette sur laquelle elle reposait.
Elle ne releva pas sa remarque ; Marie, quant à elle, posa sa main sur la cuisse du rouquin sous la table afin de l'apaiser. Alors que d'ordinaire il lui prenait la main en retour, cette fois-ci il ne le fit pas. Le sérieux de la situation lui était trop prenant.
« Ça fait déjà quelques temps... Un peu plus d'un mois, à vrai dire, murmura la jeune femme. Personne ne s'y attendait, l'attaque a surgi de nulle part... Le nombre de victimes est élevé... »
La brunette, assise en face de Raphaël, prit un air pensif.
« Serait-ce possible... qu'il n'y ait aucune candidate ici ?
– De candidates ? répétèrent en chœur le rouquin et la blonde, le premier avec suspicion, la seconde avec intérêt et curiosité.
– Avez-vous une organisation, une branche du gouvernement chargée de ces attaques ? »
Mélodie laissa s'échapper un soupir attristé en voyant la blonde secouer négativement la tête. Face à son incompréhension, Chris posa ses coudes sur la table, son menton reposant sur ses poings, et scruta tour à tour Raphaël et Marie dans les yeux, avant de prendre la parole.
« Nous faisons partie d'une organisation, S.O.N.G. Squad Of Nexus Guardians. Nous avons été envoyées ici afin de vous aider, et de vous sauver.
– C'est autorisé par l'UE ça ? fit Raphaël avec méfiance. J'ai jamais entendu ce nom, et ça me paraît bizarre qu'ils engagent des mineures. La loi interdit ça, vous savez.
– C'est parce que nous sommes au-dessus des lois, death ! » répondit la blondinette aux grands yeux verts en enfournant une cuillère de son parfait dans sa bouche.
Raphaël leva un sourcil, intrigué. À quoi rimait tout ça ?
« Couper-chan, murmura la brunette avec un air de légère réprimande, on avait dit qu'on ne devait pas le mentionner...
– Si, si, s'emporta Raphaël, elle a bien fait de le mentionner ! D'abord vos noms bizarres, puis cette organisation secrète, et enfin vous êtes au-dessus des lois ? Qu'est-ce que vous nous cachez de plus, des armes secrètes surpuissantes ? »
Alors que Mélodie et Chris se regardaient d'un air plutôt gêné, Couper chanson gonfla ses joues sous l'agacement et répliqua en se penchant vers Raphaël.
« Nos noms sont pas bizarres ! Il y a chanson dedans et j'adore ce caractère !
– … Quoi ? »
Il recula, s’adossant pleinement contre sa chaise, les bras croisés, les sourcils froncés. Marie dévisageait elle aussi l'adolescente sans comprendre ce qu'elle avait voulu dire par là.
« Comment ça, ce « caractère » ? demanda Raphaël, qui s'était encore plus renfermé sur lui-même. Qu'est-ce que ça veut dire ?
– Bah, mon nom s'écrit en caractères chinois, qu'est-ce que vous croyez ? »
Le jeune homme prit une profonde inspiration, espérant que cela lui permît de calmer ses nerfs tant il manquait de craquer à chaque fois que cette fille prononçait le moindre son. Il voulut rétorquer quelque chose, mais Marie le devança, prenant un ton calme et apaisant, avec l'espoir qu'elle pût comprendre pourquoi la situation était ainsi.
« Tu peux l'écrire, ton nom ?
– N'importe quel enfant peut écrire mon nom, death ! »
Marie demanda à Raphaël s'il avait un stylo sur lui ; il en tira un de la poche de sa veste, et le lui tendit. Une serviette en papier posée sur la table servit de support. La jeune blonde empoigna le stylo, et commença à tracer des traits aléatoires sur la feuille improvisée. Lorsqu'elle eut fini, elle retourna son dessin en direction des deux Parisiens afin qu'ils admirassent son œuvre.
« Qu'est-ce que c'est que ça... ? fit Marie en fronçant les sourcils ; ça ne ressemblait à rien de ce qu'elle avait pu voir auparavant.
– On dirait du chinois, grommela Raphaël.
– C'est pas du chinois ! vociféra la blonde, devenant toute rouge sous l'agacement. C'est du japonais !
– Donc vous êtes japonaises... » murmura Marie, pensive.
Raphaël éclata de rire, d'un rire sarcastique.
« Pour des Japonaises, vous parlez plutôt bien le français ma foi !
– Pardon ? »
Chris les fixa avec un air interloqué. Mélodie, quant à elle, reprit une pose à l'air songeur.
« Ainsi nos paroles seraient traduites... ? Ça expliquerait pourquoi nos noms leur paraissent étranges...
– Passe-moi le crayon, Couper chanson. »
La plus vieille des trois saisit en passant la serviette sur laquelle la blondinette avait inscrit ses caractères ; elle écrivit en lettres romanes en-dessous la manière dont il fallait appeler cette jeune fille, et répéta l'opération sur deux autres feuilles, inscrivant son nom et celui de Mélodie, avec en lettres romanes une prononciation.
暁 切歌 – Akatsuki Kirika
月読 調 – Tsukuyomi Shirabe
雪音 クリス – Yukine Chris
Ainsi comprirent-ils que ce qu'ils avaient compris comme étant « Couper chanson » était en fait le prénom « Kirika » ; « Mélodie » était en réalité « Shirabe » et, quant à Chris, son prénom étant un prénom occidental, il n'y avait pas eu de problème de ce côté-là.
Ils purent refaire les présentations, correctement cette fois-ci. Marie gardait ce sourire amical aux lèvres, tandis que Raphaël restait parfaitement sur sa position défensive.
« Je pense qu'on a beaucoup de choses à s'expliquer, soupira Chris. On tâchera de répondre à toutes vos questions. »
Marie sembla réfléchir quelques instants, et sans demander conseil à Raphaël, posa la première question, la plus importante selon elle, non sans une pointe de malice.
« Vous n'êtes pas de ce monde, je me trompe ?