Quand Sonne le Glas

Chapitre 3 : – Chapitre II –

3991 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 14:55

Chapitre II –


La légère pluie de fin de printemps de la veille avait laissé place à un soleil radieux qui brillait de toute sa volonté dans l'immense ciel azur, où il n'y avait pas la moindre trace blanche d'un nuage filandreux venu troubler cette teinte parfaite. C'était dans ce climat agréable que le rouquin, accompagné de son fidèle chien, marchait à présent à travers les rues parisiennes, le corps léger et l'esprit guilleret, vers le sud-est de son appartement. Il saluait les personnes qu'il connaissait et qu'il croisait sur la route en affichant un large sourire, jamais il n'avait été aussi radieux, pouvait-on croire. Il se prit à siffloter un air qui lui traversait l'esprit sans qu'il ne sût ce dont il s'agissait ; il n'eut pas le temps de s'interroger plus que cela sur l'origine de cette mélodie, il venait d'arriver à destination.

Devant eux s'imposait un immense manoir, à la façade blanche impeccable et aux tuiles bleutées placées méticuleusement en guise de toit. On devinait à sa simple vue que les salles qui le composaient étaient d'autant plus nombreuses qu'elles étaient grandes et richement meublées. De plus, depuis la rue, malgré le muret de deux mètres de hauteur et le portail noir qui le dissimulait des yeux, n'importe qui pouvait comprendre que le jardin qui accompagnait cette demeure était largement étendu. Un des employés du manoir, qui balayait la cour intérieure qui menait au hall d'entrée, le vit s'approcher du portail et, le reconnaissant, le lui ouvrit, et l'accompagna jusque dans l'entrée, où il l'abandonna afin de prévenir de sa visite.

Il patienta, mains dans ses poches, et tua le temps en observant les environs. La pièce devait faire une vingtaine de mètres carrés, mais paraissait tout de même beaucoup plus grande grâce à un jeu de lumières et de miroirs, ainsi que par le biais de couleurs riches qui changeaient complètement la perception des distances. L'architecte derrière ce projet était très doué, songea-t-il en levant le regard vers le plafond, duquel pendait un lustre doré aux ampoules éteintes. À ses côtés, son canidé patientait sagement et en silence, posté sur son arrière-train, seule sa queue remuait de droite à gauche en tapant sur le tapis. Ce n'était pas la première fois qu'ils se rendaient ici, mais tous deux restèrent muets face à la richesse de l'endroit.

« Bonjour, monsieur, vint saluer un majordome à la tenue bleu-gris et aux cheveux argentés – s'ils n'étaient pas blancs –, j'espère que vous allez bien.

– Bonjour Alfred, répondit le jeune homme avec un large sourire, réjoui de voir cet homme qu'il appréciait, oui, merci. Et vous ? Vous tenez encore la forme ? »

L'homme lui répondit d'un mouvement de tête, et le pria de le suivre jusqu'au lieu où on l'attendait. Il traversa un couloir immense, large d'au moins trois mètres et long de plusieurs dizaines. Des portes innombrables permettaient de se rendre à d'autres salles dont il ignorait l'utilité, et des appliques murales éclairaient le chemin aussi puissamment que le soleil lui-même. Enfin, plusieurs plantes, sculptures et mêmes tableaux habillaient sobrement les lieux, donnant une touche colorée à l'endroit. Ils traversèrent un énième salon, dont l'un des murs était en réalité une longue baie vitrée, et, toujours sur les pas d'Alfred, le rouquin et son compagnon se retrouvèrent sur la terrasse extérieure du manoir, où deux personnes patientaient assises à une table de jardin, face à face, et face à un service à thé agrémenté de biscuits et pâtisseries. Elles lui sourirent toutes deux alors qu'elles le virent s'approcher.

« Bonjour, mesdames, fit-il en s'arrêtant à côté de la table.

– Bonjour, Raphaël, lui répondit l'une des deux personnes, une jeune femme blonde –celle des photos de la veille – d'environ son âge, dont les lèvres affichaient un immense sourire radieux et comblé de joie. Comment vas-tu aujourd'hui ?

– Je ne pourrais aller mieux, Marie, dit-il en se penchant vers elle et en lui prenant la main pour poser délicatement ses lèvres sur le dos de celle-ci, puisque je te vois à présent. »

Elle laissa s'échapper un léger rire cristallin, dont il adorait plus que tout le bruit, et échangea un regard complice avec l'autre personne, sa mère, une femme qui inspirait par sa seule présence le plus grand des respects.

« Et vous, Élisabeth ? interrogea-t-il en se tournant vers elle.

– Je vais bien, je te remercie. »

Elle ne lui offrit pas sa main pour qu'il la baisât ; elle ne le faisait jamais, tout comme elle n'ôtait jamais ses gants au cours de la journée. Aujourd'hui, elle portait une robe à corset pourpre aux détails et broderies noirs par endroits, et par-dessus cet ensemble elle avait revêtu un léger gilet des mêmes teintes posé simplement sur ses épaules. Ses gants étaient eux aussi d'une couleur rouge foncée, et par endroits affichaient des nuances noires sur la dentelle qui les constituait. Elle lui fit signe de s'asseoir, et versa le contenu de la théière en porcelaine bleu pâle dans une tasse de la même série. La délicate odeur qui s'en échappa informa le jeune homme que ce thé-ci était à la rose, et cela lui parut parfait pour commencer sa journée. Il la remercia, et porta sa boisson à ses lèvres, se délectant du goût si doux qui ravit son palais.

« Le thé d'aujourd'hui nous a été préparé par Marie, annonça la duchesse non sans dissimuler une pointe de fierté.

– Je– Ce n'est qu'un des premiers, il est loin d'être parfait, se défendit la jeune femme, dont les joues rosirent puissamment sous la gêne. J'ai encore beaucoup à apprendre sur les dosages des mélanges...

– Peut-être que je n'ai pas un palais très raffiné, commença Raphaël, mais je trouve que celui-là est délicieux, Marie.

– Tu dis ça pour me faire plaisir, murmura-t-elle en baissant le visage, ses longs cheveux blonds tombant devant ce dernier et le dissimulant aux yeux des autres.

– Pourquoi te mentirais-je ? Il est excellent, je le pense vraiment. »

En disant cela, il avait approché sa main gauche des cuisses de la jeune femme, sur lesquelles elle gardait ses poings serrés. Il caressa légèrement sa jambe recouverte par le tissu de sa courte robe d'été mauve pâle, et atteignit la douce peau de sa main, qu'il entoura de ses doigts. Elle releva la tête, croisant son tendre regard amoureux, et ne put réprimer un sourire, elle non plus. Ses cheveux dorés, à présent quelque peu emmêlés et en bataille, lui tombant sur le visage, elle ne pouvait pas tellement le distinguer, et alors qu'elle voulut libérer l'une de ses mains afin de les remettre à leur place, le jeune homme la devança et y passa doucement les doigts de son autre main, replaçant les longues mèches là où elles devaient se trouver. Elle laissa s'échapper un léger rire, d'un air tout particulièrement ravi, alors qu'il gardait sa main posée délicatement sur sa joue, les phalanges de ses doigts caressant sa peau.

De son côté, Élisabeth roula des yeux, un sourire amusé dessiné sur ses lèvres, avant de se racler la gorge pour leur rappeler qu'ils n'étaient pas seuls. Cela eut sur eux l'effet d'un frisson glacé leur parcourant le dos, et la légère gêne qu'ils ressentirent fit rougir leurs joues, et ils se séparèrent, chacun se remettant parfaitement droit à sa place. Raphaël s'excusa timidement d'une faible voix quelque peu enrouée, et racla à son tour sa gorge. Marie, quant à elle, se saisit de sa tasse de thé et la vida rapidement afin de se débarrasser de ce mal-être passager.

« Quels sont vos plans pour la journée ? » demanda finalement la duchesse en leur resservant du thé dans leurs tasses.

Raphaël jeta un coup d’œil vers la jeune femme à ses côtés, puis répondit d'un air enthousiaste.

« J'ai lu dans le journal d'hier que le musée du Louvre accueillait une nouvelle collection, deux artefacts babyloniens découverts en Irak, à Babylone. Je voulais les voir de mes propres yeux, vous savez combien je m'intéresse à cette culture à présent. Et je voulais que Marie vienne avec moi.

– Quels sont ces artefacts ?

– Le bâton de Solomon, et la pierre d'Israël, si je me souviens bien. »

Elle porta sa main à son menton, et inclina légèrement la tête vers l'avant, dans une position de réflexion. Elle rouvrit ses yeux bleu glacé, et les posa sur le visage du rouquin, son aspect sérieux l'inquiétant quelque peu.

« Je n'ai jamais entendu parler de ces objets-là. Je doute qu'ils soient parfaitement inactifs, j'espère seulement qu'ils resteront derrière leurs vitrines et que, comme le bracelet de Tiamat par exemple, leurs effets ne seront pas offensifs s'ils venaient à disparaître.

– L'article parlait d'une traduction de la pierre ; le bâton ouvrirait la porte d'un trésor merveilleux, si je me souviens bien de ce que j'ai lu. »

Cela ne parut pas pour autant la rassurer quant à l'origine de ces reliques du passé.

« Les Jardins Suspendus sont aussi un trésor, tu le sais bien. Pourtant ils n'étaient pas inoffensifs.

– Je peux comprendre que cela ne rassure pas, mais les Babyloniens n'ont pas seulement créé des armes de destruction massive, je pense qu'ils ont pu aussi créer de sublimes objets. Prenons le bracelet de Tiamat ; son pouvoir n'est pas dangereux. »

Une fois encore, la duchesse exprima une certaine réluctance à partager son avis ; peut-être n'avait-elle pas encore pu panser toutes ses blessures depuis l'incident des Jardins Suspendus qui avait eu lieu deux ans auparavant. Pour sa part, lui avait tourné la page depuis un certain temps, cette aventure lui ayant apporté plus de bonnes choses que de mauvaises, à commencer par sa relation avec Marie, mais il pouvait comprendre que cela ne fût pas le cas pour tout un chacun, à commencer par les proches des victimes ayant perdu la vie au cours de cet incident. Des efforts avaient été mis en place par le gouvernement pour que tous remontassent la pente, mais cela avait eu ses limites, et elles avaient été atteintes.

« Mère, je pense qu'il n'y a plus de menace. Et puis, seule notre lignée a un lien avec ces artefacts, personne d'autre ne saurait les activer si cela était tenté.

– Tu oublies le bracelet de Tiamat, Marie, répondit-elle en fronçant les sourcils. Nul ne sait depuis quand il était activé. »

Bien qu'il eût le sentiment qu'il valait mieux qu'il se tût, Raphaël répliqua à son tour, en argumentant que le bracelet n'avait commencé à réagir uniquement parce qu'il avait été en contact avec le violon de la jeune femme. Lorsque ce soir fatidique il l'avait obtenu, il avait dans un premier temps rencontré la jeune femme sur les Champs-Élysées, où elle avait entonné un certain air de violon, la « Princesse de la Lune » ; il n'y avait pas prêté attention sur l'instant mais peut-être le bracelet avait-il réagi à cette mélodie la première qu'elle fut jouée devant lui. Lorsqu'ils s'étaient revus quelques moments plus tard lors de cette même nuit, la marque singulière gravée sur le violon s'était mise à briller d'une lueur blanche, et le bracelet avait lui aussi commencé à émettre de la lumière, comme en écho. Ce n'avait été que le lendemain que ses pouvoirs avaient pu être révélés ; dans un mécanisme de défense le bracelet avait soulevé dans les airs des hommes mal intentionnés qui souhaitaient soutirer des informations à Marie, ainsi que l'utiliser à leurs propres fins dans le but de monter un coup d'état.

Il était donc parfaitement rationnel que la duchesse craignît une répétition des événements, même si, étant donné sa place sociale et politique, elle aurait tout aussi bien pu empêcher l'exposition des ces deux œuvres en France. Mais cet avis, le jeune homme se le garda dans ses pensées.

Face à l'insistance des deux jeunes adultes, elle finit par acquiescer, et admettre qu'elle voyait très probablement des menaces là où il n'y en avait pas. Cela eut un effet de soulagement sur sa fille, qui craignait que la duchesse prît des mesures afin de la protéger ; elle ne pensait pas qu'elle pouvait se révéler aussi protectrice, aussi fut-elle plutôt surprise de la voir la défendre telle une lionne lorsque quelque requin de la haute bourgeoisie tentait de s'en approcher.

« Donc nous pourrions aller au musée aujourd'hui, qu'en dis-tu Raphaël ?

– Tu me proposes ça, à moi ? Tu sais combien j'apprécie l'art ! » lui répondit-il avec un grand sourire espiègle illuminant son visage.

Tous trois s'esclaffèrent ; lui éclata ouvertement de rire, tandis que les deux femmes cachèrent leurs bouches de leurs mains. La situation pouvait paraître étrange à quelqu'un ne connaissant pas leurs liens. Comment un roturier pouvait-il se montrer aussi familier avec deux des personnes les plus influentes du pays ? Cette simple question les ferait partir dans un nouvel instant d'amusement, et aucun d'eux ne répondrait sérieusement.

La vérité était que les événements des Jardins Suspendus de Babylone avait forcé la rencontre entre le rouquin et la blonde, et le déroulement des choses avait rapproché mère et fille tant bien que mal. À présent, il était de coutume que Raphaël prît le thé avec elles de temps à autre, en partie parce qu'il se sentait redevable envers la duchesse pour toute sa gratitude ; après tout, comment lui, un roturier, pouvait-il avoir une telle relation avec la fille de la duchesse ? Le simple fait qu’Élisabeth lui permettait de fréquenter Marie lui suffisait pour se sentir autant redevable.

Leur entretien dura encore pendant un long moment, et puisque la jeune femme avait des missions administratives à remplir sous la tutelle de sa mère, ils convinrent qu'ils se retrouveraient en milieu d'après-midi afin de voir de leurs propres yeux ces artefacts dont on parlait dans les journaux.

Autant dire que l'impatience de Raphaël devenait insoutenable. Il avait hâte de contempler ces œuvres du passé, mais c'était sans compter son envie de passer du temps avec la jeune femme qui faisait naître en lui une joie incomparable. À chaque fois qu'ils devaient se retrouver, il regardait les minutes et les heures défiler en se demandant pourquoi elles ne pouvaient passer plus vite.

Lorsqu'il ne tint plus, il se prépara rapidement et quitta son appartement afin d'aller la chercher chez elle. Il avait revêtu son costume favori, un complet bleu marine, dont la cravate était écarlate, de même que la bande à la base de son chapeau. Il ne portait pas ses lunettes, il les troquait toujours contre des lentilles de contact afin de ne pas être gêné par une monture glissante de laquelle il n'était jamais à l'abri.

Les semelles de ses chaussures de ville de couleur sépia tapaient le sol alors qu'il fixait sa montre. Il était bien entendu en avance, et il n'en pouvait plus d'attendre la jeune femme. Lorsqu'il vit que ses aiguilles approchaient de l'heure du rendez-vous, il sonna au portail afin d'informer de sa présence. Il n'eut pas à patienter plus longtemps, et rapidement il vit Marie progresser sur le chemin dallé jusqu'à le rejoindre.

Elle portait toujours cette même robe mauve, mais avait ajouté à sa tenue une veste pourpre, pour se couvrir de la fraîcheur de la soirée étant donné qu'ils n'allaient pas se contenter d'un simple tour au musée. Lorsqu'elle fut à ses côtés, il remarqua qu'elle avait pris quelques centimètres, grâce aux talons compensés noirs qu'elle avait chaussés. Il nota aussi le discret maquillage qu'elle avait ajouté à ses paupières et à ses cils, qui soulignaient son regard d'une manière douce et quelque peu séductrice. Il n'osa pas l'embrasser après avoir vu la teinte rosée brillante de ses lèvres, ne souhaitant pas endommager la couche de rouge à lèvres qu'elle y avait appliquée ; ce fut elle au contraire qui le fit, et son rire cristallin résonna alors qu'il frottait frénétiquement ses lèvres du bout des doigts pour effacer toute trace qu'elle aurait pu y laisser.

« Je te rassure, il n'y a rien, dit-elle avec un grand sourire dévoilant ses dents blanches. On y va ? »

Il lui rendit son sourire, et lui prit la main. Ensemble, ils marchèrent d'un pas léger, parcourant les rues d'un air enjoué, jusqu'à leur destination. Ils avancèrent sur les pavés de la place de la pyramide, leurs bras entremêlés, leurs visages illuminés par la joie. Cependant, Raphaël sentit brusquement Marie agripper son avant-bras, se retenant à lui afin de ne pas tomber ; elle avait fait un faux pas sur une des dalles, et avait manqué de tomber à cause de ses talons. Par chance, elle s'était raccrochée à lui à temps, et avait échappé à une chute potentiellement douloureuse. Dans un soupir, elle plaisanta sur le fait qu'il pourrait s'avérer difficile, voire même parfaitement dangereux, de courir ou même de marcher sur une place pavée ainsi, bien que les dalles de cet endroit fussent relativement régulières et plates.

« Pourquoi viendrait-on à courir dans une rue dallée ? l'interrogea-t-il. Personne d'assez sensé ne ferait ça.

– Je ne sais pas, répondit-elle en haussant les épaules et en secouant la tête, c'est une simple pensée que j'ai eue. »

Ils ne laissèrent pas cet incident les retarder plus longtemps, et se hâtèrent d'entrer dans le musée. Étant des résidents de l'Espace Économique Européen, leurs tickets se révélèrent être gratuits, ce qui déplut à Raphaël qui avait voulu se montrer galant en invitant sa petite amie au musée. Face à la moue agacée qu'il fit, elle laissa s'échapper un léger rire, et argumenta qu'elle le laisserait lui payer sa consommation s'ils venaient à sortir dans un café ou un bar après leur visite. Convaincu qu'elle trouverait un moyen détourné d'y échapper, il le lui fit promettre, et elle s'exécuta sans broncher, toujours affichant ce tendre sourire qui lui allait si bien.

Comme ce à quoi ils s'étaient attendus, il y avait, ce jour-là, un certain nombre de touristes dans l'enceinte du musée, et comme ils auraient dû s'y attendre, une bonne partie des visiteurs du Louvre avaient été attirés par l'aile Richelieu, dans laquelle une des sections, celle centrée sur la Mésopotamie, abritait l'exposition. Lorsqu'ils passèrent devant l'un des shedu du palais de Sargon II, Marie resta un instant captivée par la sculpture. C'était, semble-t-il, la première fois qu'elle y prêtait attention ; à vrai dire elle n'avait jamais pu visiter réellement le Louvre, la seule fois où elle y avait mis les pieds avait été lors de leur intrusion deux ans auparavant. Elle scruta la sculpture, penchant la tête sur le côté en essayant de comprendre comment les Babyloniens de l'époque avaient pu avoir l'idée d'une créature à tête humaine, au corps de taureau, et dotée d'ailes. Une inscription affichée près des deux gardiens de la porte expliqua qu'ils étaient des divinités protectrices, liées au zodiaque et aux constellations ; elle se demanda alors comment une entité à l'apparence aussi étrange pouvait inspirer un sentiment de sécurité aux anciens Mésopotamiens. Raphaël, quant à lui, lui exprima son avis, qui était que tant qu'ils y trouvaient une forme de réconfort, la forme importait peu.

« C'est peut-être ça l'essence de la religion et des croyances, tu ne penses pas ? Elles apportent du réconfort aux Hommes, les aide à affronter leur dur quotidien...

– Peut-être bien... » murmura-t-elle en hochant la tête de haut en bas.

Ils reprirent leur promenade à travers les couloirs du musée, s'arrêtant par endroits afin d'admirer les œuvres qu'ils croisaient.

Après un énième arrêt, Marie se tourna vers lui et, écarquillant ses beaux yeux bleus, lui posa une question qui lui brûlait les lèvres depuis un certain temps déjà.

« Pourquoi es-tu Fantôme R aujourd'hui ? »

Il lui répondit par un large sourire, et un index placé sur ses lèvres, murmurant un « c'est un secret » qui en disait long.

« Tout est secret, avec toi, soupira-t-elle, faussement vexée.

– Disons que, s'il venait à se passer quelque chose, ce serait moins dangereux d'être Fantôme R à ce moment-là. »

Son sourire enfantin et espiègle l'amusa elle aussi, et elle ne put retenir un léger rire. En y repensant, cela tombait sous le sens. Après tout, elle connaissait suffisamment le rouquin pour connaître certains de ses plus grands secrets. L'un d'entre eux était l'existence de son alter ego, Fantôme R, un voleur d'art qui sévissait la nuit dans les musées, volant des œuvres et rendant ses larcins quelques jours plus tard. C'était ce qu'on pouvait lire dans les journaux, mais la vérité était toute autre ; ce qu'il dérobait était en réalité des contrefaçons pour rendre les originaux qu'il avait en sa possession, pour une raison très personnelle.

Ainsi œuvrait-il la nuit dans les musées, à l'heure où il n'y avait plus que des gardiens entre ces murs. Chacun de ses vols était annoncé auprès des autorités, donnant au rouquin une excitation particulière. Il avait toujours, de toute manière, préféré visiter les musées de nuit, à l'heure où lui seul pouvait apprécier l'art à son propre rythme, sans être dérangé par d'autres visiteurs. Cela l'avait surprise qu'il eût décidé de s'y rendre en pleine journée ; peut-être était-ce parce qu'il avait pris en compte son quotidien assez lourd parfois, et ne voulait-il pas lui voler quelques heures de sommeil pour simplement s'amuser.

Quoi qu'il en fût, c'était pour elle une parfaite occasion pour passer du temps avec lui sans avoir à penser à ses responsabilités qui prenaient de plus en plus d'ampleur au fil des jours. Et elle s'en réjouissait.

Lorsqu'ils se rapprochèrent de l'endroit où étaient exposés le bâton de Solomon et la pierre d'Israël, ils furent quelque peu surpris de constater qu'une masse très importante de visiteurs ainsi que de journalistes était formée autour d'agents de police ; la vitrine, quant à elle, était hors d'atteinte, il était impossible de s'en approcher afin d'observer ses reliques.

De ce que Raphaël eut pu voir, la vitrine était intacte, le verre n'avait aucune fracture ou autre ; il ne comprenait pourquoi il y avait tant d'agitation alors que tout était normal.

Puis ils entendirent les questions que posaient les touristes et que les journalistes ne cessaient de poser aux agents.

« Comment expliquez-vous que cela ait eu lieu ? N'étaient-ils pas surveillés ? Y a-t-il eu des traces d'effraction ? Depuis quand sont-ils manquants ? »

Ils comprirent alors, dans une réalisation pétrifiante tant la gravité de la situation et ses conséquences leur paraissaient inenvisageables et inquiétantes, que les deux artefacts avaient été volés.

Sous les yeux des gardiens et des touristes.

En pleine journée.

Et que l'on ignorait quelles en seraient les conséquences.

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