Quand Sonne le Glas

Chapitre 2 : – Chapitre I –

4367 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 14:56

Chapitre I –



La chaleur étouffante rendait l'air encore moins supportable. Les maigres coups de vent, lorsqu'il y en avait, n'étaient aucunement rafraîchissants, et soulevaient des quantités étonnantes de poussière, qui se collait à la peau et se mêlait à la transpiration d'une manière très désagréable. Le ciel était parfaitement bleu, il n'y avait pas le moindre nuage pour le traverser. Le soleil approchait de son zénith, il était midi.


« Qu'est-ce que je donnerais pas pour rentrer chez moi, soupira un homme dont le visage était plongé dans l'ombre du chapeau couleur sable qu'il avait vissé sur son crâne. C'est vraiment insupportable cet endroit.

– Allons, professeur, rit une femme dont les cheveux blonds et courts remuèrent quand elle secoua quelque peu la tête dans son amusement, nous avons à peine commencé notre journée.

– Cela fait trois semaines que nos journées se résument à fouiller encore et encore, grommela-t-il en remettant à sa place l'épaisse monture noire qu'il portait sur le nez afin de protéger ses yeux de la lumière aveuglante réfléchie de toute part. Il faut se rendre à l'évidence, ça ne nous mène à rien tout ça. »


Il caressa sa barbe hirsute et argentée, qu'il portait longue jusqu'à la base du cou, tout en dévisageant son interlocutrice derrière les épais verres teintés. Elle avait, dans un geste de protestation, placé ses poings sur ses larges hanches, et ses yeux verts lui lançaient un regard noir, si ce n'était meurtrier. Ses lèvres firent une grimace agacée, avant qu'elle ne les entrouvrît afin de répliquer.


« Si vous ne souhaitez plus faire partie du projet, vous pouvez rentrer en Suède. Mais ne comptez pas sur notre organisme de recherches pour vous payer votre voyage retour ! »


Elle remit correctement la lanière de sa sacoche sur son épaule, et tourna les talons. Son grand chapeau blanc remua quelque peu, elle le retint d'un rapide geste de la main gauche, au poignet de laquelle brillait le cadran d'une montre colorée. Un coup de vent, plus fort qu'à l'habitude, s'ensuivit, et fit remuer la courte combinaison de couleur grège qu'elle avait revêtue ce matin-là. La rafale s'estompa rapidement, bien que de nouveaux nuages de poussière ne flottassent encore quelque peu dans les airs, et elle put retourner à son travail, celui pour lequel elle était venue ici avec une aussi grande équipe.


Ils se trouvaient en République d'Irak, à un peu plus d'une centaine de kilomètres de distance de la capitale irakienne, Bagdad, qui se situait au nord de leur position. Leur mission avait été claire, ils devaient fouiller à nouveau les ruines de l'ancienne ville légendaire de Babylone à la recherche de toutes traces d'héritage culturel qu'ils auraient pu manquer malgré toutes les expéditions précédentes. Tout leur avait souri ; le gouvernement irakien leur avait donné son accord – à dire vrai c'était ce dernier qui avait demandé à ce qu'une telle expédition fût menée – et leurs ressources financières étaient plus que suffisantes grâce à l'organisme de laquelle une grande partie des archéologues et spécialistes mobilisés était membre, dont elle.

Elle progressa sur le terrain de recherches, dont le périmètre était marqué par de grandes bandes blanchâtres et sales, savourant le bruit des graviers grinçant sous les semelles de ses chaussures de sécurité. Ce son lui apparaissait comme caractéristique des expéditions archéologiques dans lesquelles elle s'épanouissait, et qui faisaient croître encore plus son amour pour cette discipline dans laquelle elle s'était engagée plusieurs années auparavant. Elle gravit quelques marches menant à un espace dégagé, à la merci du soleil cognant et brûlant, et rejoignit quelques membres de son groupe de recherches, déjà affairés depuis plusieurs dizaines de minutes, qu'elle salua d'un sourire et avec qui elle échangea quelques mots, quelques directives. Elle posa son sac près de l'endroit qu'elle s'apprêtait à fouiller, et en sortit une paire de gants fins qu'elle enfila afin de protéger ses mains de la poussière et d'éventuels graviers ou objets susceptibles de trancher sa peau, avant d'enlever de cette sacoche son attirail de fouilles qu'elle disposa à ses côtés, avant de s'accroupir et de se mettre au travail.

Elle devait régulièrement faire des pauses, tant la douleur résultant de cette position inondait ses jambes. Elle se relevait et les étirait, pliait et dépliait les genoux, avant de tirer sur son dos en se courbant tantôt en avant, tantôt en arrière. Parfois quelques os craquaient, comme à l'habitude. Puis elle se remettait à la tâche, comme si de rien n'était.


Elle perdit assez facilement toute notion du temps. La seule chose qui lui rappelait qu'il n'était pas figé était la vue des ombres changeant d'aspect au fur à mesure que le soleil déclinait lentement. Elle creusait, époussetait, balayait, dans l'impatience de découvrir quelque chose, avec la déception de ne rien trouver. Elle brossait un énième débris de l'ancienne ville, se demandant si cette expédition allait finir par porter ses fruits. Si le gouvernement les avait appelés, c'était parce qu'il pensait forcément que quelque chose serait mis au jour, non ? Personne ne serait prêt à mettre autant d'argent pour quelque chose qui ne rapporterait rien, pas le moindre élément digne d'intérêt.

Alors qu'elle divaguait dans ses pensées, quelque chose l'interpella. Ce qu'elle balayait du bout de sa brosse depuis quelques minutes à présent semblait être autre chose qu'un vulgaire caillou comme elle l'avait pensé au premier abord. Elle se pencha un peu plus près, et remarqua en un premier temps sa couleur grisâtre, argentée même, puis sa forme, qui ressemblait à la pointe d'une flèche. Elle déblaya l'espace autour, peu à peu convaincue d'avoir découvert quelque chose et, les mains tremblantes sous l'excitation de ce qu'elle pouvait avoir mis au jour, elle sortit de terre un objet des plus originaux.

La chose avait une envergure légèrement inférieure à un mètre, et était recouverte dans sa quasi entièreté d'une couleur argentée salie par la poussière et la terre dans laquelle elle avait reposé pendant des siècles entiers. Seule une partie arborait une autre couleur, qu'elle ne pouvait identifier clairement, mais qui ressemblait à celle d'un violet zinzolin. Il était plutôt difficile de le décrire ; il était essentiellement en hauteur, et devait faire sûrement une vingtaine de centimètres de large, peut-être un peu plus. Le devant était constitué d'une manière assez symétrique ; un segment ayant une vague forme de losange était bordé par deux éléments qui se rejoignaient au centre de l'objet, pour se poursuivre de l'autre côté. En ce même centre trônait un petit diamant, de cette couleur violet-rougeâtre quelque peu terne. Au dos de l'objet, une poignée ressortait. Lorsqu'elle l'entoura de ses doigts, elle sentit quelque chose d'indescriptible, et eut le sentiment que cet objet était endormi et guettait son éveil.

Ses yeux brillèrent, comme illuminés par des centaines d'étoiles. Cet objet, peu importait son nom, son utilité et sa date de conception, était la découverte qu'elle avait attendue.


Autour d'elle, plusieurs de ses collègues s'étaient rapprochés après avoir remarqué qu'elle avait découvert quelque chose. Plusieurs d'entre eux partagèrent leurs interrogations, qui habitaient aussi son âme, mais tous la félicitèrent pour l'avoir trouvé. Elle leur demanda de l'aide, convaincue que quelque chose d'autre se trouvait dans les alentours, et grâce à l'aide de ses acolytes pour dégager la terre et la poussière, elle mit la main sur une tablette quelque peu brisée, mais dont on pouvait lire quelques lignes. Elle ne pouvait lire les écritures avec certitude, mais elle était capable d'affirmer sans se tromper que sur cette tablette figuraient deux textes, l'un en akkadien et l'autre en sumérien, et elle tenta vaguement de décrypter ce qu'elle y lisait, en vain. Tout ce qu'elle avait pu déchiffrer était ce qui semblait être le nom de ces deux objets qu'elle avait mis au jour, le bâton de Solomon, et la pierre d'Israël.


« J'ai un appel à passer, annonça-t-elle lorsqu'elle eut réalisé l'importance de sa découverte. Vérifiez si vous trouvez autre chose ! »


Puis elle s'échappa au volant d'une des Jeeps dont l'équipe s'était servie afin de se rendre sur ces lieux, emmenant avec elle le bâton et la tablette.


Il avait été convenu, avec l'accord du gouvernement irakien, que ces objets, une fois la traduction de la tablette réalisée et l'utilité ainsi que l'origine de ces deux artefacts découvertes, seraient envoyés dans le monde entier afin de les exposer dans des musées.


Ce fut le premier juin que les deux artefacts furent révélés pour la première aux yeux du public au British Museum de Londres, le temps d'une semaine, avant de commencer leur long voyage à travers le monde.


*


La pluie fine tapait faiblement sur le carreau de la fenêtre de la chambre, son bruit était étouffé par le rideau tiré devant, si bien que c'était à peine si l'on pouvait l'entendre. Il était dix heures passées, la nuit était bien installée, bien que les réverbères qui éclairaient les rues pouvaient faire croire qu'il faisait encore quelque peu jour.

La chambre était petite, mais aménagée de sorte à ce que l'espace fût correctement utilisé et le passage à travers la pièce relativement simple et peu dangereux. Elle s'étendait dans la longueur et, collé au mur le plus éloigné de la porte, trônait un lit double soigneusement fait. À son pied, dans l'espace qu'il restait entre lui et le mur, patientait un chevalet, qui semblait avoir hâte d'être utilisé, bien qu'il n'y avait pas la moindre trace de poussière sur son bois clair. Sur le mur auquel on faisait face lorsqu'on se couchait dans le lit, on pouvait voir plusieurs guirlandes de ficelles accrochées, où de très nombreuses photographies d'un jeune couple étaient fixées avec de petites épingles de bois, habillant avec élégance la couleur blanche-orangée de la peinture. Toutes ces photos retraçaient des moments heureux, des instants de pur bonheur figés dans le temps sur ce mur. Parfois, des paysages urbains prenaient place entre deux portraits, et cette succession de couleurs et d'images était très plaisante à regarder.

En face, sur l'autre mur, celui situé à la tête du lit, une grande carte de France trônait. Le pays était d'une couleur verte, tandis que les pays limitrophes étaient orangés ; on voyait les fleuves et les rivières tracés en bleu, les noms des grandes et moyennes villes inscrits en noir à côté de points indiquant leur position, et les axes majeurs routiers. Enfin, plusieurs punaises de couleur avaient été plantées à divers endroits de la carte ; cela avait sûrement un sens, certaines personnes affichaient sur leurs cartes les lieux qu'ils avaient visités, ou voulaient visiter, peut-être en avait-il été de même pour cette carte-ci. À côté du lit trônait un bureau de bois sûrement vieux, agrémenté de trois tiroirs sous le plan de travail. On y trouvait quelques affaires en bazar, notamment des cours d'un étudiant ainsi qu'un ordinateur portable et des manuels scolaires, ainsi qu'une lampe de bureau amovible, que l'on tournait quelque fois vers le lit afin de s'en servir en guise de lampe de chevet, malgré l'applique murale située au-dessus de la carte de France. La chaise qui accompagnait ce bureau était sobre, en bois elle aussi, et le coussin de l'assise paraissait extrêmement moelleux ; on pouvait très rapidement désirer vérifier cela en s'asseyant dessus. Enfin, face à elle lorsqu'elle levait les yeux de son occupation, la personne qui travaillait à son bureau pouvait admirer une seconde carte de France, sur laquelle tous les départements et toutes les régions avaient été indiqués, et qui était aussi parsemée de punaises, mais qui retenaient des post-it dont les griffonnages inscrits dessus étaient illisibles pour personne autre que leur auteur qui les lisait.

Le dernier mur de la pièce était recouvert dans son intégralité d'une bibliothèque, qui s'étendait jusqu'au plafond. Composée de trois grandes étagères, chacune divisées en trois étages et disposant d'un placard à deux portes situé dans la partie inférieure, elles débordaient de livres de toutes tailles et toutes sortes. Il fallait avouer qu'il y avait peu d'espace pour de nouveaux. Et pour finir, un grand tapis richement décoré, aux teintes vertes, jaunes et marrons par endroits, habillait le sol en parquet brun, au pied du lit et du bureau. Au centre de cette carpette somnolait un animal, un chien blanc roulé en boule, visiblement nullement gêné par le bandana rouge vif noué autour de son cou. Son corps se soulevait quelque peu au rythme de sa respiration, et quelque fois il remuait ses longues oreilles ou bien sa fine queue. En aucun cas il ne changea de position et ne s'étala de tout son long. Son corps entier était blanc comme neige, à quelques exceptions près. Ses coussinets étaient roses, et sa truffe avait une teinte qui n'était pas sans rappeler celle du chocolat au lait. Enfin, autour de son œil gauche se dessinait une tache circulaire de cette même teinte chocolatée, proprement ronde comme dessinée à l'aide d'un outil. L'animal prit une inspiration, puis il expira.


« Tu ronfles mon vieux, » lança une voix depuis le lit à son attention.


Le chien s'éveilla, presque en sursaut, et tourna sa longue tête vers la personne qui lui avait parlé, les sens en alerte. Il s'agissait de son maître, un jeune homme d'une vingtaine d'années, couché sur le lit et occupé à lire un intéressant livre, sûrement un roman. Il était sur le dos, la jambe droite étendue et la gauche repliée, le genou haut, et tenait son livre au-dessus de son visage, sa tête reposant sur un oreiller. Il portait un t-shirt noir à l'image d'un groupe de musique qu'il appréciait, ainsi qu'un jean de couleur grise ; la chaleur de la saison estivale qui n'était plus très loin faisait que cela ne le dérangeait pas d'être pieds nus. Il passa une main nonchalante dans sa crinière rouge vif, et réajusta ses lunettes à monture ronde qui avaient glissé jusqu'au haut de son nez à cause de sa position couchée, avant de lâcher un long soupir. Il avait perdu le fil de sa lecture, perturbé par le bruit qu'avait fait son animal de compagnie dans son sommeil. Super, il n'avait plus qu'à recommencer sa page pour retrouver l'endroit où il s'était arrêté, et continuer sa lecture. C'était une œuvre de fiction plutôt intéressante à ses yeux, un livre dont le titre était Pays de neige, et dont l'auteur avait un nom qu'il peinait à retenir. « Yasunari Kawabata » lisait-il sur la couverture, un auteur japonais qu'il avait découvert par hasard en déambulant dans une librairie. Il avait déjà lu tous les livres qui trônaient dans sa bibliothèque, il avait soif d'occupation alors il en avait acheté un nouveau. Il l'avait vu mis en évidence dans un rayon, et avait été attiré par le résumé assez bref. Après avoir lu les premières lignes, il avait été charmé par le style de l'auteur – tout du moins, de la traduction qui en avait été faite – et avait décidé de se l'acheter. À un peu moins de sept euros le livre, il pouvait se le permettre de temps à autre.


« Un long tunnel entre les deux régions, et voici qu'on était dans le pays de neige. »


Ainsi commençait le roman. Pour une raison qu'il ignorait, il trouvait cette phrase belle et agréable à la lecture, presque envoûtante. Peut-être était-ce juste cette simple phrase qui l'avait complètement charmé, peut-être était-ce à cause de l'idée de fraîcheur de l'hiver qui contrastait tant avec la lourdeur de ce mois de juillet. Le discret bruit de la pluie l'avait jusqu'alors bercé, de même que celui de sa respiration et du souffle régulier de son chien qui dormait au sol.

Et à présent, il était perdu entre deux pages, à la recherche du paragraphe, de la ligne, du mot auquel il s'était arrêté. Comprenant qu'il n'y parviendrait pas, et quelque peu peu enclin à se remettre dans sa lecture, il glissa un ticket de métro usagé en guise de marque-page et referma le livre qu'il posa à bout de bras sur le côté table de nuit de son bureau, faisant tomber quelques feuilles qui patientaient là et qui avaient été emportées par le coup de vent qu'il avait provoqué de son simple geste. Avec elles s'était envolée une photographie qu'il n'avait pas encore accrochée avec les autres. Il la regarda avec tendresse, un immense sourire se dessinant sur ses lèvres. Elle datait du mois de décembre de l'an passé, et avait été prise au marché de Noël qui s'était tenu sur les Champs-Élysées. La jeune femme qui y posait était resplendissante ; elle avait revêtu sa plus belle tenue d'hiver, et paraissait confortablement couverte par son épais manteau blanc, qui laissait entrevoir le bas virevoltant d'une jupe crème à motifs de carreaux, par-dessous de laquelle elle avait enfilé des collants en laine tout aussi blancs que son manteau. Son écharpe était elle aussi immaculée, et ses gants ainsi que ses chaussures, tout comme son bonnet, étaient d'un beige pâle, deux pompons mauves accrochés aux chevilles y rajoutant une touche de couleur. Elle portait ses cheveux blonds longs, accrochés en bas du crâne par une pince sur laquelle avait été cousu un petit nœud pourpre. Elle tournait le dos à la personne ayant pris la photo, mais était tournée de sorte à ce qu'on vît son sourire radieux et ses splendides yeux azurs dans lesquels pétillait un bonheur sans pareil. L'une de ses mains gantées volait dans les airs, l'autre tenait fermement son sac à main. Elle était magnifique.


Il poussa un soupir. Bien que cette scène lui rappelait d'agréables souvenirs, cela ne pouvait que lui faire penser à elle. Que faisait-elle pendant que lui tuait le temps là ? Au vu de l'heure, elle devait sûrement dormir, lovée dans des draps de satin, sans craindre la chaleur ni la fraîcheur d'une pareille nuit. Il avait terriblement envie de la voir, mais ce n'était pas le moment. Il devait prendre son mal en patience, il n'avait pas réellement le choix.

Il se mit debout, et se rapprocha du mur où il avait accroché toutes les photos qu'il avait aimé prendre. La majorité d'entre elles représentaient cette jeune femme, avec ou sans lui à ses côtés, et quelques autres étaient des captures de paysages de la capitale française, où il résidait depuis sa plus tendre enfance. Il laissa s'échapper un bref mais intense soupir qui vida ses poumons, comme pour repartir de zéro, et prit une longue inspiration en retour. Penser à elle le réjouissait tant, une intense chaleur montait à ses joues avant de se diffuser dans son corps entier, de la tête jusqu'aux pieds, en passant par chaque articulation et chaque muscle, et ce systématiquement lorsqu'il avait la moindre pensée pour elle en son absence. Cela faisait un an qu'ils s'étaient mutuellement avoué leur amour, même si pour sa part il avait été charmé dès le premier regard, bien qu'il lui eût fallu un certain temps – trop de temps, même – pour se l'avouer à lui-même. Cette jeune femme était sa petite amie, ils se voyaient le plus possible entre son emploi du temps chargé et le sien plutôt rempli par moments à cause de son travail, et lorsqu'il avait la chance de se retrouver à ses côtés, il était l'homme le plus heureux du monde. Sa simple présence lui suffisait, respirer son parfum et entendre sa voix l'enivraient, et caresser sa peau était un délice. Quant à l'embrasser... Le moindre contact avec ses lèvres, sa peau, le réjouissait, et lui apportait plus de joie que ce dont il avait besoin.

Un nouveau soupir s'échappa, sans qu'il ne pût le contrôler. Il était resté là face à son mur pendant bien trop longtemps, les yeux perdus dans le vague et un sourire béat figé sur ses lèvres. Il secoua la tête, faisant remuer ses cheveux roux qui lui tombaient sur les yeux et dans la nuque, et accrocha la photo qu'il avait gardée dans sa main pendant tout ce temps sur l'une des ficelles accrochées au mur, entre un panorama pris depuis le deuxième étage de la Tour Eiffel et une vue de nuit des Champs-Élysées où l'Arc de Triomphe était visible au loin. Il sourit une dernière fois en scrutant ce magnifique regard de la couleur du ciel, et retourna à son lit, où il tomba sur le dos, les yeux tournés vers le plafond.

Ce fut à ce moment que son compagnon quadrupède décida de pleinement se réveiller, réclamant une promenade nocturne dans la bruine estivale en sautant à son tour sur le lit et en tentant de lui laver le visage à grands coups de langue. Le rouquin se débattit, ne retenant pas ses éclats de rire, et parvint à se libérer de l'assaut de son chien. Il finit par lui céder, et ce fut dans un éclat de joie de l'animal qu'il enfila ses chaussures avant de quitter l'appartement.


Les rues étaient plutôt vides, ce qui était assez peu commun pour la capitale française aux alentours de la mi-juin. C'était habituellement à partir de ce moment-là que tous les touristes affluaient, en partie à cause de la fête nationale qui approchait pas à pas. D'ordinaire, la fête de Paris, comme la surnommaient les habitants de la capitale, avait lieu chaque année. Mais cinq ans auparavant, un incident avait quelque peu paniqué les autorités, qui avaient fait pression pour que les festivités fussent repoussées autant de temps qu'il le faudrait. Ce n'était que deux ans auparavant que cette fête avait de nouveau été tenue, bien que le destin avait fait que cet incident peu commun avait apporté de douloureuses conséquences, qui avaient mené à ce que les médias avaient nommé incident des Jardins Suspendus de Babylone. Il tapa dans un caillou avec le devant de sa chaussure. C'était pendant cet incident qu'il avait rencontré celle qui partageait à présent sa vie, mais la ville en avait gardé quelques séquelles peu agréables. Depuis, dans une volonté de surpasser les mauvais souvenirs, la fête était de nouveau tenue chaque année, et personne ne pouvait l'empêcher, même si pour lui, la date du quatorze juillet était synonyme d'aventures particulières à présent. Il espérait seulement que cette année se déroulât sans incident pour lui et son entourage.


Il n'avait pas songé à prendre de parapluie – à vrai dire sa fainéantise lui avait interdit de le chercher dans le bazar de son placard – mais ce n'était pas si dérangeant que cela, à l'exception que quelques gouttes s'accrochaient tantôt aux verres de ses lunettes, l'agaçant quelque peu. Il se réjouit lorsqu'il passa le seuil du bâtiment dans lequel se trouvait son appartement d'être enfin à l'abri et au sec ; son fidèle chien sembla tout aussi satisfait que lui puisqu'il s'ébroua gaiement à ses côtés, l'arrosant légèrement.


« Sérieusement, Fondue, c'est pas sympa, » soupira le rouquin non sans afficher un petit sourire.


L'animal releva la tête et l'observa comme s'il se sentait victorieux et ravi d'avoir pu l'embêter dans un semblant de jeu. Il reprit son chemin à travers le couloir du rez-de-chaussée, ses fines griffes tintant sur le carrelage fade. Le jeune homme, quant à lui, s'apprêta à le suivre, mais eut son regard attiré par un journal laissé là sur le paillasson d'un des autres appartements. Il datait du matin même. Lui qui ne le recevait jamais, il le déroba sans un bruit, et rentra dans son appartement, où il put le feuilleter. Sur la première page, un article parlait de deux artefacts babyloniens découverts il avait de ça un mois auparavant en Irak, et qui étaient envoyés à travers le monde entier afin d'être exposés dans les musées aux yeux de tous. L'article était fascinant, et expliquait que le musée du Louvre était depuis ce matin-même le nouveau lieu de repos de ces objets. Lui qui aimait l'art par dessus tout, il ne pouvait pas manquer cette occasion pour aller voir ça, d'autant plus qu'il portait un intérêt particulier à l'héritage mésopotamien depuis un certain temps à présent. Puisqu'il devait rendre visite à son amie le lendemain, un samedi, il prit la décision de lui proposer d'aller voir ces reliques du passé ensemble. Elle accepterait sûrement, il était presque certain de cela.

Ces pensées agréables ainsi que l'idée de la revoir le confortèrent un peu plus dans sa décision. Il reprit la lecture de son roman, ayant retrouvé la page où il s'était arrêté, et continua sa veillée sur un fond de neige et d'amour, avant de s'endormir.

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