Quatorze Juillet - Chapitres bonus

Chapitre 2 : – Chapitre β –

1536 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/06/2019 14:27

– Chapitre β –

Les signes ne trompaient pas ; des nausées, des douleurs, des retards.

Puis un verdit, donné par le médecin.

« Vous êtes enceinte. »

Une surprise, un sentiment de joie, mais surtout, de l'inquiétude.

« Mais, avec sa santé...

– C'est une grossesse à risque, en effet. »

La gynécologue, une femme entre deux âges aux longs cheveux auburn, ôta ses lunettes, et fixa les deux jeunes adultes d'un air grave.

« Vous étiez pourtant sous contraception. Je pense qu'elle n'était pas adaptée à votre condition. »

Le jeune homme, un individu à la chevelure rousse flamboyante, et dont les immenses lunettes à monture arrondie dissimulaient partiellement le visage, se tourna vers sa compagne, d'un air inquiet. Cette dernière, secouant la tête de droite à gauche, faisant onduler ses longs cheveux blonds.

« Qu'importe, murmura-t-elle, je veux porter cet enfant. C'est le fruit de notre amour, personne ne pourra me l'enlever.

– En êtes-vous bien sûre ? Vous savez combien c'est dangereux pour vous, n'est-ce pas ?

– Je ne reviendrai pas sur ma décision. Si Dieu m'a offert cet enfant, alors je ne peux le refuser. »

Le docteur Châtelain l'observa avec un air attristé. Comment lui dire que sa vie et celle de son enfant étaient en grand danger ? Elle ne pouvait pas faire changer d'avis à cette femme.

« Très bien. Nous allons fixer des rendez-vous pour votre suivi de grossesse dans ce cas. »

*

Le bureau était vide, c'était bientôt l'heure de la débauche. Elle s'accorda une petite pause pour fumer une cigarette, avant de prendre la route pour rentrer à son domicile.

« Bonjour, Irène, fit une voix dans son dos alors que la porte d'entrée se fermait en un grincement.

– Bonjour, Anselme, répondit-elle en grinçant des dents.

– Je vois que notre petite duchesse attend un heureux événement. Je suis fier de voir qu'elle est ta patiente.

– Si tu viens me réclamer de vous rejoindre, tu te trompes. »

Elle n'était pas venue de Belgique pour rejoindre une organisation d'aristocrates français, tout de même. Malgré tout, il continuait à la harceler, guettant le jour où elle cédera.

Irène Châtelain avait tout pour plaire. Son passif de bourreau des cœurs n'était pas que de l'histoire ancienne, malgré ses trente-cinq ans. Ses cheveux bruns et ses yeux couleur olive avaient fait chavirer plus d'un cœur, mais c'était le sien qui avait le plus souffert. Née à Mons, elle avait tout pour réussir dans la vie, et pour plaire. Après avoir obtenu son diplôme en gynécologie, elle avait décidé de suivre son fiancé en France. Si les premiers mois dans la capitale française avaient été compliqués, elle avait fini par s'y plaire, et savourait la routine qui s'était installée de jour en jour.

Mais lorsqu'elle découvrit que cet homme pour qui elle avait sacrifié beaucoup de choses la trompait avec une femme bien plus jeune qu'elle, ce fut une vraie descente en enfers. Ce fut à ce moment-là de sa vie qu'elle rencontra Anselme Duval – elle était plutôt convaincue que ce nom de famille n'était pas le sien – et qu'elle remonta la pente. Il était drôle, attachant, et s'était toujours soucié de son bien-être. Il n'y avait rien eu d'intime entre eux, juste une forte amitié et un profond respect. Cela faisait un peu moins de dix ans qu'elle le côtoyait, et qu'ils prenaient des verres ensemble chaque semaine.

Mais depuis quelques temps, il ne cessait de rôder autour d'elle. Au détour d'une conversation dans un bar en terrasse de Paris, il lui avait confié faire partie d'une organisation qui cherchait à libérer les opprimés et à rétablir la justice. Il lui avait aussi avoué que s'il s'était rapproché d'elle dans un premier temps, c'était parce qu'il avait vu en elle tout le potentiel qu'elle renfermait. Elle n'avait aucune attache particulière, elle vivait plutôt aisément, et surtout, elle était devenue le médecin de famille de la famille de France. Et c'était ça, ce qui intéressait le plus Anselme. La famille de France.

« Je sais que tu attendais cet enfant avec impatience. De toute façon, à moins de la faire avorter à son insu, je n'avais aucune chance de la protéger. Crois-moi que jamais je ne la laisserai tomber entre vos griffes.

– C'est ce que tu dis aujourd’hui. Mais si tu rejoins notre organisation, je suis sûr que tu ne résisteras pas à l'envie de la détruire toi aussi. »

*

Plusieurs mois après, il était revenu la voir, pour lui demander si elle n'avait pas changé d'avis. Elle avait soutenu sa décision. Elle n'avait aucun lien avec cette organisation. Ni famille, ni amis en son sein. Seul Anselme la liait à tout ça, malgré elle.

« Tu sais, j'ai moi-même un fils, avait-il dit en jouant machinalement avec un stylo-bille alors qu'il faisait des tours sur lui-même, assis dans la chaise de bureau d'Irène. Et je veux ce qu'il y a de mieux pour lui. C'est pour ça que j'ai rejoint cette organisation le plus tôt possible. Et tu devrais en faire de même, tu sais. »

Irène l'ignora, préférant tirer une nouvelle latte de sa cigarette et souffler la fumée par la fenêtre.

« Ah, j'oubliais. C'est vrai qu'à cause de ton endométriose et de ton hystérectomie, tu n'en auras jamais. C'est pour ça que Nathan t'a quittée, non ?

– T'es vraiment qu'un enfoiré, Anselme. Casse-toi de mon bureau.

– Ça ne te fout pas la haine qu'avec son corps si fragile elle, elle puisse en avoir un ? Une splendide petite fille, d'ailleurs. Ils l'ont appelée Hélène. C'était pas le prénom que tu avais choisi pour ta fille, avant que tu ne fasses ta fausse couche ?

– Putain Anselme, ferme ta gueule, tu veux bien ? J'ai pas besoin de ça maintenant. »

Elle faisait de son mieux pour tenir, mais ses nerfs manquaient de la lâcher à tout moment. Il connaissait ses points faibles, et n'hésitait pas à les piétiner pour la faire céder. Elle broya la cigarette entre ses doigts tant la colère la ravageait.

« Si j'en crois tes observations, faire un deuxième enfant pourrait la tuer. Et si tu l'incitais à recommencer, à en avoir un autre ? Ce ne serait que ce qu'elle mériterait, non ? C'est le prix à payer, quand on accepte si facilement les accidents.

– Certes leur fille est accident, elle était pas désirée, et alors ? Elle vit dans un foyer heureux. J'aurais jamais pu offrir ça à mon enfant si j'avais eu la chance d'en avoir un. Alors tant mieux pour elle, et tant pis pour moi. Je ne fais que faire mon travail. Je n'ai pas à projeter mes désirs et mes regrets sur mes patients.

– C'est ce que tu dis, Irène. On verra avec les années. N'oublie pas que tu peux toujours nous rejoindre. »

Il s'était discrètement faufilé hors du bureau sans faire plus de bruit. Parfois, elle se demandait s'il n'était pas un fantôme.

Il avait laissé bon nombre de dossiers ouverts sur son bureau. Que des suivis pour des interruptions volontaires ou médicales de grossesse. L'enflure. Il voulait la pousser à bout.

La curiosité la piqua. Elle observa plus en détail ces dossiers. Les patientes étaient plus jeunes qu'elles, parfois avaient son âge. Certaines n'avaient jamais eu d'enfants, d'autres si. Mais toutes avaient eu cette chance d'être tombées enceintes, et pouvaient recommencer. Irène avait gaspillé sa seule chance. Sa fille perdue en fausse couche la hantait. Quelle vie aurait-elle pu lui offrir ? Elle aurait été si heureuse...

*

Lorsque la duchesse Marie de France et son époux vinrent lui rendre visite quelques années plus tard, ils lui confièrent leurs inquiétudes quant à la santé de la duchesse. Ils craignaient que la contraception ne soit pas suffisante, et demandèrent à changer. L'argument qu'ils avançaient était que celle que prenait la jeune femme l'affaiblissait considérablement, et semblait incompatible avec son corps fragile.

Ce qu'ils ne remarquèrent pas fut la flamme dans le regard couleur olive d'Irène. Si la gynécologue avait longuement souhaité le bonheur de ce couple, sa jalousie avait détruit toute sympathie en elle à leur égard. Les pressions d'Anselme avaient fonctionné. Mentir à sa patiente ne lui posait plus aucun problème.

« Je suis votre dossier depuis un petit nombre d'années à présent, et j'observe une certaine amélioration de votre état depuis votre première grossesse. Peut-être que vous ne le remarquez pas, mais votre corps se porte bien mieux qu'avant. Vous m'aviez fait part de votre désir d'un deuxième enfant peut après la naissance d'Hélène. Ce serait parfait pour vous, vous n'avez rien à perdre. »

Son argumentaire semblait avoir parfaitement fonctionné.

Anselme la félicita et la récompensa gracieusement, lorsqu'il apprit la naissance de leur deuxième enfant, qu'ils prénommèrent Alexandre. Mais ce qui les faisait le plus jubiler, était le décès en couche de Marie de France.

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