Quatorze Juillet

Chapitre 44 : - Partie III ~ Feux d’artifice - - Chapitre XLII -

4250 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 14:06

- Chapitre XLII -

« Bien. »

Elle se leva de son siège et tapa dans ses mains. Il n'osa pas la regarder.

« Je crois qu'il est temps pour moi de te dire au revoir, Raphaël. »

Il ferma les yeux un instant. Pouvait-il oublier qu'il n'avait pas le choix ?

« Je crois que quelqu'un là-bas t'attend depuis trop longtemps. Tu ne penses pas ? »

Elle se frotta le bras droit d'un air embarrassé par la situation. Le ton de sa voix traduisait la même émotion gênée que celle exprimée par ses gestes hésitants.

« Après tout, je ne peux pas remplacer ta Hélène...

– Je sais. »

Sa voix était grave, sa gorgé nouée. Il ne voulait pas avoir à prononcer ces mots. Et pourtant...

« Je ne veux pas te laisser à nouveau seule.

– J'ai l'habitude, ne t'en fais pas, fit-elle en riant d'un air amusé. Et puis, de toute façon, je suis vouée à être seule. »

Son regard s'assombrit, elle baissa les yeux.

« J'ai toujours été seule... »

Elle eut rapidement conscience de l'ambiance lourde et pesante qu'elle avait provoquée par ces maigres mots, et voulut égayer tout cela comme elle le pouvait. Elle laissa retentir un rire qui sonnait affreusement faux.

« Dis-toi que tu vas faire une heureuse, elle va vraiment être contente de te revoir !

– Mais elle ne se souviendra pas de ce bal, pas vrai ? »

La question du rouquin avait un ton proche de celui d'une imploration, cela la laissa un instant silencieuse, peut-être en partie parce qu'elle avait préféré oublier ce détail et que lui en avait conscience.

« Elle ne se souviendra pas d'avoir vu Alexandre...

– Il n'y a que moi qui peux l'appeler par son prénom » trancha-t-elle soudainement, peut-être par réflexe plus que par réelle envie de le rappeler à l'ordre.

Il s'excusa pourtant de sa maladresse, d'avoir oublié ce détail qu'on lui avait déjà précisé. Pourtant, elle-même s'excusa de son comportement. La situation était quelque peu embarrassante.

« Dis... »

Elle l'invita de son sublime regard bleu à poser sa question sans crainte.

« Est-ce que tu crois que je pourrais l'aider à se souvenir comme... comme avec toi ? »

Elle afficha une mine songeuse, clairement pensive quant à sa question.

« Si j'ai pu m'en souvenir c'est parce que je suis son futur, tu sais, commença-t-elle d'une voix grave, de laquelle il perçut des notes de tristesse. La logique des choses voudrait qu'elle ne puisse pas retrouver mes souvenirs puisqu'elle est mon passé... Mais tu sais, tu es déjà parvenu à produire un miracle ne serait-ce qu'une fois ; je ne crois pas en de telles choses fortuites, mais avec toi, on n'est jamais à l'abri de rien. Ton existence-même doit relever du miracle, ça ne m'étonnerait à vrai dire aucunement que ça en soit le cas. »

Le sourire de la rouquine fut réconfortant, mais n'effaça pas la dure réalité des pensées de Raphaël.

« J'ai tellement de choses à te dire, et à te demander...

– Garde tout ça pour elle, je ne suis peut-être pas la mieux placée pour te répondre.

– Au contraire, je pense que c'est le cas. Tu te souviens de tout, y compris de ton passé, j'imagine ? »

Elle acquiesça, tout en se mordant la lèvre inférieure, redoutant les questions qui allaient suivre auxquelles elle pourrait difficilement échapper.

« Je t'en prie, réponds-moi. Je sais qu'elle refusera si c'est à elle que je demande.

– Je peux difficilement te refuser quoi que ce soit... Mais je t'impose une limite de quatre questions. J'y tiens particulièrement. »

Il acquiesça, et prit quelques instants pour réfléchir à ce qu'il allait dire. Puis il se lança pour la première question.

« Depuis combien de temps tu travailles sur ça ? Je veux dire, depuis combien de temps tu remontes le temps pour m'empêcher de stopper Napoléon ?

– Je me doutais que tu me demanderais ça, fit-elle, un large sourire illuminant son visage. Mais soit. »

Elle se rassit enfin sur le siège duquel elle s'était levée un peu plus tôt, et croisa ses jambes ainsi que ses bras, qu'elle colla contre sa poitrine.

« Pour eux, cela fait techniquement soixante-dix ans, concernant la Hélène que tu connais. La joie des voyages temporels, ajouta-t-elle dans un soupir. Ça équivaut à quatre tentatives, on va dire. Mais en vrai, j'ai arrêté de compter les années depuis bien longtemps, ça ne m'étonnerait pas que j'aie atteint une centaine d'années d'ancienneté dans leur organisation, si ce n'est plus. »

Il resta muet face à ces mots. Il ne s'imaginait pas qu'elle eût pu tenir autant de temps. Il lui paraissait inconcevable que quelqu'un pût supporter vivre les mêmes événements pendant si longtemps, n'était-ce que pour quelques années. Alors un siècle...

Hélène lui parut alors particulièrement forte, bien plus que ce qu'elle aurait pu lui sembler auparavant. Il ressentit une grande admiration à son égard, mais aussi de la pitié ; comment avait-elle pu tenir aussi longtemps ?

« Quant à mon implication dans ce projet, continua-t-elle en fermant les yeux et en baissant le visage d'un air pensif, j'avoue avoir perdu la notion du temps. Mais là encore, je peux t'assurer sans trop te mentir que j'ai pu passer plusieurs siècles à tenter de réparer ce qui a été brisé. »

Le silence de Raphaël s'alourdit. Ses pensées ne se résumaient qu'à deux mots. Pauvre Hélène.

« Ah, désolée d'avoir jeté un froid ! Je ne voulais pas...

– Tu n'as pas à t'excuser. C'est-à-dire que... Je ne m'attendais pas à ce que ça fasse autant de temps... »

Elle baissa la tête, gênée par la situation.

« On se fait rapidement à cette idée, tu sais » dit-elle comme pour le rassurer, sa voix s'éteignant petit à petit.

Il lui fallut encore quelques instants pour oser briser le nouveau silence qui s'était installé entre eux.

« Question suivante ? » fit-elle avec un sourire amusé, comme impatiente.

Il acquiesça, en lui rendant son sourire. Mais il savait que ses questions allaient encore une fois perturber la bonne humeur de la jeune femme. Pourtant, il avait devant lui l'occasion rêvée de découvrir ce qu'il avait toujours voulu savoir à son sujet, et ce avec l'autorisation de la rouquine...

« Pourquoi est-ce que tu sembles oublier ce qui s'est passé dans tes anciennes vies ?

– Mes anciennes vies ? C'est amusant que tu appelles ça comme ça. Mais à vrai dire, je n'ai jamais pensé à appeler ça autrement que mon passé, tu sais. »

Elle eut ce petit sourire innocent et doux qui lui allait à ravir. Elle le garda un instant, puis il s'évanouit lorsque ses lèvres remuèrent pour formuler une réponse.

« La vérité est que... je n'oubliais pas par envie, mais plus par nécessité. Comment dire... »

Elle chercha ses mots une seconde ou deux, puis sembla les trouver.

« Ma mémoire est comme une sorte de disque dur. Je veux dire, elle a une capacité maximale qui, une fois atteinte, fait qu'elle est saturée, si on vulgarise la chose. Oublier me permet de libérer de la place, dans un sens. Mais aussi... »

Elle fronça les sourcils, et fit la moue. Décidément, elle peinait à s'exprimer ce jour-là.

« Mon corps est fatigué. Trop de souvenirs lui nuisent. En même temps, un humain n'est pas fait pour vivre plusieurs siècles ; mon existence est si longue que si je me souvenais de tout j'en perdrais la raison. Mais pourtant... Je les retrouve. Et malgré la superposition de souvenirs, le contrecoup peut être si intense que je pourrais en mourir. L'être humain n'est pas fait pour posséder tant de connaissances... »

Raphaël cligna des yeux. Une fois. Deux fois. Puis il fronça les sourcils. Et enfin, il tenta une explication tant il ne parvenait pas à tout saisir.

« Tu veux dire que tu oublies tout ça naturellement, pour te protéger, mais que ce n'est pas complètement oublié...

– Je n'ai pas oublié ça de moi-même, coupa-t-elle. Après un certain temps à me battre contre le temps lui-même, j'ai été vaincue. Quand j'atteignais ma limite, on m'aidait à oublier. J'en avais bien besoin.

– J'imagine que tu ne veux pas me dire qui c'est, ce on...

– Même si je pense que tu as une idée de son identité. C'était ton père. »

Elle prit une profonde inspiration, et s'expliqua.

« Isaac est mon tuteur, tu le sais. C'est aussi lui qui m'a initiée aux voyages dans le temps. Ma machine, mon appartement, en réalité, tout est à lui. Et pour une raison que j'ignore, il a la capacité de jouer avec les mémoires, simplement en regardant dans les yeux, il entre dans l'esprit et joue avec. C'est une sensation bizarre, et assez compliquée à expliquer. Mais je sais que toi aussi, tu peux le faire, inconsciemment, à un niveau plus faible. C'est toi qui m'a rendu mes souvenirs quand j'étais petite, après tout.

– Tout ça est complètement fou...

– Peut-être que c'est lié à des artefacts, comme le trio des bijoux régénère et accorde la vie éternelle à leur porteur. Quoi qu'il en soit, ce qui est fait est malheureusement fait. »

Elle joua quelque peu avec le bracelet qu'elle portait au poignet. C'était un réflexe nerveux chez elle.

« Cette fois-là, dans les jardins de Versailles, Isaac est venu me voir et a forcé mes souvenirs à refaire surface. J'ai bien cru que j'allais mourir. Mais depuis, j'ai toujours été tiraillée par mes souvenirs. Je ne savais plus lesquels croire, lesquels étaient vrais, lesquels étaient faux. Aujourd'hui encore, je ne suis pas sûre. »

Raphaël resta un instant figé par ce qu'elle lui confiait d'elle-même. Elle lui paraissait tellement mature, tellement sage, elle était si différente de celle qu'il avait connue, cela lui donnait le vertige de savoir qu'elles étaient la même personne à deux moments différents de sa vie.

« Dis... Tu m'as parlé une fois de visions... Et même, je t'ai déjà vue halluciner complètement. Qu'est-ce que c'est au juste ?

– Tu dois faire référence à l'incendie du couvent j'imagine... Je m'excuse d'avoir réagi au quart de tour à l'époque. Mais je te remercie de m'avoir ramenée sur terre. C'était un enfer de revivre ça... »

Elle se frictionna les bras de ses deux mains, comme pour se réchauffer. Peut-être était-ce là une méthode pour apaiser de mauvais souvenirs...

« Dans une de mes tentatives, Jean-François avait mis le feu au couvent, dans lequel je dormais pour certaines raisons. Il avait fait ça dans l'unique but de me tuer et de m'empêcher de me régénérer ; peut-être pensait-il qu'il pouvait brûler les bijoux, ou bien que la souffrance me ferait renoncer. C'était un moment atroce.

– Je veux bien te croire là-dessus... Ce type est complètement fou. »

Elle soupira.

« Les visions sont dans un sens liées à mes souvenirs enfouis. Ce sont des vestiges de mes anciennes tentatives, qui remontent et disparaissent rapidement, mais parfois restent. Pour une raison que j'ignore, depuis cette fois où je t'ai embarqué, celle que tu as vécue, les souvenirs qui revenaient ne partaient plus. J'en viens à oublier qui je suis... »

Elle ferma les yeux et respira doucement. Ses bras n'étaient plus croisés sur sa poitrine, mais à présent elle gardait les mains jointes sur le dessus de ses jambes pliées. Elle rouvrit les yeux, et les garda posés sur ses doigts fins repliés les uns contre les autres.

« J'ai tant de souvenirs que j'ignore comment j'ai réellement perdu mes parents. Il y a eu tellement d'univers, tellement d'événements, je ne parviens plus à correctement me souvenir d'eux. Les visions y sont pour quelque chose...

– Je suis désolé de t'avoir causé autant de problèmes, Hélène... »

Elle secoua la tête, visiblement peu dérangée.

« Ce n'est pas de ta faute, ne t'inquiète pas. C'est plutôt à moi de m'excuser de t'avoir mêlé à tout ça. »

Elle soupira bruyamment. L'embarras émanait de chacun de ses actes, du plus insignifiant au plus explicite ; il en était si palpable que Raphaël se sentit terriblement mal pour elle, et continua son interrogatoire pour l'ultime question avec l'intense regret d'insister autant.

« Ma dernière question était qui est ton père.

– Tu en as déjà posé quatre, désolée.

– Pardon ? »

Il écarquilla les yeux sous la surprise, et fronça les sourcils. Il était convaincu de n'avoir formulé que trois questions pourtant... !

« Depuis combien de temps je voyage dans le temps, depuis combien de temps je travaille pour Napoléon, pourquoi j'oublie tout et l'origine de mes visions, énuméra-t-elle en repliant progressivement ses doigts, de l'index à l'auriculaire alors qu'elle les énonçait chacune tour à tour.

– Je ne pensais pas que tu les compterais comme deux questions différentes, dit-il d'un air abattu, ses épaules s'affaissant soudainement. Tu es fourbe, Hélène.

– Je sais. »

Il eut le vague sentiment qu'elle voulut ajouter quelque chose, mais qu'elle s'était ravisée entre temps.

« C'est pour ça que tu m'as coupé tout à l'heure. J'ai failli refaire la même erreur... »

Elle acquiesça en silence. Ses cheveux suivirent le mouvement et ondulèrent, le changement de lumière progressif fit apparaître des nuances entre ses nombreuses mèches.

« Je savais que ta dernière question serait à propos de mon père. Alors j'ai un peu triché. Désolée. C'est juste que... je ne peux pas te dire qui il est.

– Je comprends. Mais si tu as peur que je change le cours des choses et empêche Marie de le rencontrer et donc empêche vos naissances à Alex et toi, je peux t'assurer que je lui ai promis de ne jamais le faire. Il m'a dit que, peu importe les souffrances qu'il avait subies, cela restait sa vie et son histoire, et qu'il ne voulait pas que ça change. Aussi, il m'a donné quelques indices concernant l'identité de ton père. »

Elle releva la tête et le fixa du regard d'un air intrigué et... apeuré ?

« Qu'est-ce qu'il t'a dit ?

– J'avais des soupçons, je me disais, "peut-être que c'est moi leur père en fait" mais il m'a affirmé que non.

– Il t'a dit d'autres choses ?

– Que je ne devais pas pour autant changer ma relation avec Marie. "Ce qui doit arriver doit arriver." »

Hélène ne put réprimer le faible sourire qui se dessina sur ses lèvres.

« Il devait sûrement avoir ses raisons pour te dire cela. Malheureusement je ne peux rien te dire de plus. C'est à toi de tout découvrir par toi-même, si toutefois tu souhaites le découvrir.

– Je comprends. »

Ils s'échangèrent un sourire amusé.

« Merci pour toutes tes informations. J'ai encore du mal à réaliser l'étendue de tout ça, mais je te remercie, du fond du cœur.

– Une dernière chose. »

Hélène sembla préoccupée par une pensée qui venait subitement de lui traverser l'esprit et refusait de le quitter, et affichait à présent un regard dur et terriblement sérieux.

« Quand tu mettras la main dessus, détruis le collier. C'est ce qui permet la régénération des blessures. Le bracelet maintient la vie, mais une vie douloureuse où tu te vides constamment de ton sang ne vaut pas la peine d'être vécue. Arrache-lui son collier et détruis-le lorsque tu la retrouveras. »

Elle se stoppa un instant, parut réaliser qu'elle avait commis une erreur, mais ne perdit aucunement son air froid.

« Mais je sais que tu l'as déjà avec toi, pas vrai ? Détruis-le maintenant, devant mes yeux. »

Il se figea sous la surprise. S'il s'exécutait, Hélène n'aurait plus de moyen de soigner ses blessures, et le bracelet la maintiendrait douloureusement en vie pour toujours. Il ne voulait pas le faire. Vendre l'arme était la même chose qu'appuyer sur la détente ; détruire le collier revenait à tuer Hélène, et il refusait de faire une telle chose.

Mais la Hélène qui se tenait face à lui connaissait ses sentiments mieux que lui, elle savait ce que ressentait la rouquine dans chacun de ses instants. Peut-être était-ce là un souhait qu'Hélène avait en elle depuis toujours, et elle trouvait enfin quelqu'un qui pouvait le réaliser. Il devait admettre qu'il croyait à cette possibilité, bien que son esprit restait tiraillé par l'idée que ce ne fût qu'une erreur. Devait-il réellement obéir... ?

« Fais-le. »

Un terrible frisson lui parcourut le corps alors que la voix forte d'Hélène détachait nettement ces deux syllabes. Il ne put résister, la peur –mais de quoi ?– le gagnait, et sans réellement réaliser ce qu'il faisait, il jeta au sol le pendentif de la jeune femme et le piétina de son talon. Un craquement se fit entendre, suivi par d'autres plus faibles émis par les morceaux qu'il broyait en les écrasant. Il réduisit grossièrement en poussière ce qui, à une autre époque, avait été la botte sécrète de la rouquine dans tous ses plans périlleux. Et à présent, elle ne pouvait plus s'en servir.

« Elle t'en sera éternellement reconnaissante. C'est la liberté qui s'offre à elle désormais. Merci.

– Y a pas de quoi » répondit-il amèrement, en constatant les misérables restes du pauvre bijou dont seule la corde qui servait à le porter autour du cou était intacte.

Un sentiment de mal-être le prit, à la manière d'une substance gênante collée sur sa peau et impossible à ôter. Il allait faire souffrir Hélène. Il allait tuer Hélène.

« Je sais que ce n'est pas facile, dit-elle, un air de regret dans la voix. Mais c'était la seule chose à faire. Il faut éliminer le mal par la racine, tu comprends. »

Il acquiesça fébrilement. C'était pour son bien. Il fallait qu'il se me répétât. C'était pour le bien d'Hélène.

« Je pense qu'il est temps que tu rentres dans ton univers pour de bon.

– Est-ce que tu peux juste répondre à une dernière question ? »

Elle posa doucement ses yeux sur lui, l'invitant à formuler ce qui lui passait par la tête. Il l'entendait presque lui dire qu'elle lui répondrait si elle le pouvait.

« Est-ce que tu sais qui est le père de Marie ?

– Oui. Je l'ai appris sans le vouloir, j'étais juste là quand il en a été question. On me l'a dit.

– Et j'imagine que tu ne me le diras pas. »

Elle tourna son visage, comme pour le fuir. Elle tentait du mieux qu'elle pouvait de ne pas le regarder, d'éviter de croiser ses yeux. Son attitude indiquait clairement qu'elle était gênée par la question, peut-être y avait-il un problème plus profond que la simple identité de cet homme.

« Il y a des choses... qu'il vaut mieux que tu n'apprennes pas de moi. Crois-moi. Tu les sauras en temps voulu. »

Raphaël secoua lentement la tête de bas en haut, dissimulant du mieux qu'il pût sa déception. Il ne relança pas la discussion, il en avait fini avec elle.

« Est-ce que tu peux me ramener là d'où je viens ?

– Je vais préparer ça. »

Elle se leva et se dirigea vers la console, qui n'avait jamais changé, et était restée telle qu'il l'avait connue dans le passé ; il la suivit pour observer la manière dont elle l'utilisait. Elle ouvrit les portes du placard, révélant un amas de fils et de lampes entre lesquels on pouvait discerner un écran à peine plus grand qu'une main ainsi qu'un clavier à l'alphabet particulier, sans doute un code permettant de sécuriser le système. Le reste de l'intérieur était un amoncellement d'écrans, de fils d'objets particuliers divers, qui devaient certainement avoir une utilisé particulière mais dont lui n'avait pas la moindre idée. Il s'étonnait de l'efficacité dont Hélène faisait preuve, et de sa virtuosité dans l'utilisation d'une machine visiblement complexe. Et en un clin d'œil, tout parut programmé ; elle le lion annonça avec un sourire en lui désignant la porte.

« En passant le seuil tu te retrouveras à quelques secondes d'intervalle du moment où elle t'a poussé dans ce portail. Ensuite ça sera à toi de jouer. »

Il hocha la tête. C'était donc là le début de la fin. Il n'avait plus qu'à trouver un moyen de stopper les Jardins à nouveau, et tout rentrerait dans l'ordre. Son passé s'en tirerait sans problème, Marie et Élisabeth aussi. Il restait la question de toutes les pertes humaines, dont la police de Paris, qu'ils pourraient sûrement ramener à la vie d'une manière ou d'une autre. Puis il pourrait retrouver son quotidien banal sans histoire...

« Merci, Hélène, dit-il en se tenant près de la porte, face à elle. Tu m'as aidé plus que ce que je n'aurais espéré. Tout seul j'aurais renoncé depuis longtemps.

– Ne dis pas des choses pareilles. Je n'ai rien fait qui me vaille le privilège d'être remerciée. »

Elle avait toujours cet air triste et pensif, qui l'intriguait toujours autant. Elle était encore rongée par des remords et des regrets, qu'elle ne souhaitait pas lui confier. Il comprenait son choix, mais il se sentait impuissant face à son mal-être qu'il aurait tant aimé pouvoir soulager.

Tandis qu'elle se tenait face à lui le regard hésitant et fuyant, en se frottant doucement le bras gauche comme pour se consoler, lui la dévisageait sans la perdre de vue n'était-ce qu'une seule seconde. Puis il s'approcha d'elle et l'entoura de ses bras, sa main gauche serrant son épaule tandis que la droite lui caressait les cheveux. Elle ne laissa pas échapper le moindre cri de surprise, ni la moindre protestation, et le laissa faire, posant sa tête sur son épaule gauche et serrant ses mains dans le dos du rouquin.

« J'aurais aimé te connaître plus, murmura-t-il. Je regrette de devoir te laisser seule.

– J'aurais aimé te connaître plus moi aussi, souffla-t-elle, sa voix se retrouvant à demi étouffée par les vêtements qu'il portait. Profite bien de ta vie. Fais-en un beau spectacle que tu seras fier de montrer.

– Je te le montrerai. Je te retrouverai.

– Ça, j'en suis certaine. »

Hélène recula, le faisant lâcher prise. Elle s'arrêta un instant, ses immenses yeux bleus plongés dans ceux du rouquin, sans prononcer le moindre mot pendant de longues secondes.

Elle finit cependant par entrouvrir les lèvres. Mais sa voix ne put produire le moindre son, et rapidement des larmes lui montèrent aux yeux. Elle tenta de les chasser de quelques battements de cils, mais rien n'y faisait, elles ne partaient pas.

« Je ne veux pas que tu partes, finit-elle par articuler, avant d'éclater en sanglots et d'enfouir son visage dans ses mains. Pas encore... »

Il la prit à nouveau dans ses bras, et la berça. Lui aussi était près de craquer.

« Je serais toujours avec toi, je te le promets. Tu ne seras plus jamais seule. »

Elle renifla, ses mains essuyèrent ses yeux desquels ruisselaient ses larmes intarissables.

« Je te demande juste de m'attendre un peu. Je reviendrai vite. Et je ne te quitterai plus jamais.

– Tu me l'as déjà dit, il y a longtemps... Je t'ai toujours attendu, et tu n'es jamais revenu...

– Cette fois, ça ne sera pas pareil. Je t'en fais la promesse. Et même si je ne te retrouve pas, je finirai pas te rejoindre où que tu sois. Je te le promets, Hélène. »

Il lui fit relever la tête ; elle tenta de fuir son regard en détournant le visage. Il posa alors ses mains sur ses joues pour l'en empêcher et la regarder malgré tout.

« Je reviendrai bientôt, je te le promets. Tu n'auras pas le temps de te sentir seule que je serais déjà revenu.

– Je veux que tu restes...

– Ce n'est pas possible, et je suis désolé de ça. Laisse-moi partir, Hélène, ça ne sera pas long. »

Elle hocha fébrilement la tête, et essuya les dernières traces qui restaient sur son visage. Elle esquissa difficilement un sourire triste qui se voulait pourtant réconfortant, et recula de quelques pas. Elle désigna la porte d'un léger coup de tête, lui signifiant silencieusement de s'en aller au plus vite. Il hésita un instant, ne sachant pas vraiment quoi faire, puis finit par se décider d'appuyer sur la poignée. Il la tourna lentement, s'apprêtant à l'ouvrir et à quitter les lieux.

Mais avant ça...

Il se pencha légèrement en direction d'Hélène, pour lui déposer un baiser d'encouragement sur le front. Elle écarquilla les yeux sous la surprise, mais la joie illumina son visage, et son sourire ne disparut pas, même après que la porte se fût refermée dans un faible claquement.

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