Quatorze Juillet

Chapitre 42 : - Partie III ~ Feux d’artifice - - Chapitre XL -

7293 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 02:20

– Chapitre XL –


Isaac lui avait demandé de le suivre à travers cette sombre ruelle, et cela n'avait pas étonné Raphaël de se retrouver dans l'appartement où vivait Hélène en traversant une banale porte en bois qui donnait là. L'agencement intérieur était resté le même, il aurait presque pu sentir le parfum de la rouquine, ou tout du moins se le projeter s'il plongeait son nez dans les coussins du canapé ou encore s'il visitait sa chambre. Pourtant, lorsqu'il ouvrit la porte menant à la pièce de la jeune femme, il tomba sur un amas de meubles inutilisés, dont certains étaient abîmés ou cassés, et regretta presque aussitôt sa trop grande curiosité. En retournant dans le salon, il vit son père penché sur la console de la machine, apparemment trop affairé pour faire la discussion à son fils. Mais cela ne dérangeait pas Raphaël, bien au contraire. Il préférait grandement être laissé là avec ses pensées, hantées par la soudaine réapparition de son père dans sa vie, même si ce fût aussi récent. Il avait pris quelques rides et cheveux blancs, mais malgré cela il n'avait pas l'air d'avoir changé. Quel âge était-il censé avoir ? Il fit le rapide calcul, et en conclut que le temps l'avait tout de même plutôt bien épargné pour un homme de soixante-douze ans, peut-être même trop.


« C'est ici que tu t'es caché depuis ta disparition ?

– J'y ai longuement habité, oui. Mais ça n'a pas toujours été le cas, selon l'univers.

– C'est ici que tu aurais élevé Hélène, si jamais tu étais devenu son tuteur ? demanda-t-il sur un ton faussement innocent.

– Je sais ce que tu sous-entends, l'entendit-il grommeler. Sache qu'elle a pu grandir dans une maison, au moins pendant quelques années. »


Il ne répondit pas. À quoi bon ? Son père allait nier, si toutefois il comptait lui donner une quelconque réponse. Raphaël fit quelques pas en direction d'un des murs de la pièce, celui où avaient été accrochés plusieurs cadres contenant plusieurs photos. Il resta figé sur place lorsqu'il reconnut les visages sur plusieurs d'entre elles. Il y avait une photo de son père et lui, alors qu'il avait cinq ou six ans. Sur une autre apparaissait ses parents, ensemble et heureux. Plus il avançait vers la gauche et plus les personnes immortalisées sur ces bouts de papier prenaient de l'âge, figées dans un instant qui ne trouvera jamais de suite. Une photo de classe de Raphaël, à sa première rentrée. Une autre, en fin de collège. Celle qui avait été prise avec quelques amis lors d'une sortie scolaire dont il n'avait pas le souvenir, amis qui l'entouraient et dont les visages avaient été estompés avec le temps... Pourquoi paraissait-elle plus ancienne que les autres ?

La photo qui suivit ne représentait ni son père, ni lui, mais une Marie resplendissante, qui portait un bébé dans ses bras. Raphaël reconnut Hélène et ses grands yeux bleus ; elle était si innocente, si pure... Il était difficile en contemplant ses joues bouffies de nouveau-né de croire qu'elle allait devenir celle que Raphaël avait connue. Pourquoi le destin s'était-il donc acharné sur elle ? Elle n'avait rien demandé, elle voulait juste comme tout enfant de son âge vivre heureuse avec ses parents et son frère. Pourquoi a-t-il fallu qu'il lui fussent enlevés tour à tour ?


Et pourquoi Isaac avait-il de telles photographies chez lui ?


« Je ne voulais pas perdre mon objectif de vue, annonça ce dernier comme s'il avait lu dans ses pensées.

– Ton objectif ?

– La raison qui m'a poussé à faire ce que j'ai fait.

– Explique-toi. »


Être têtu devait être une des plus grandes qualités de la famille Girard, puisque son père refusa fermement de lui répondre. Raphaël soupira. Comment étaient-ils devenus de parfaits étrangers qui pouvaient à peine échanger quelques mots ?


« Arrête de tout garder secret, râla le rouquin en croisant les bras et tapant du pied d'un air impatient. Explique-toi un peu, bon sang.

– Tu l'auras voulu » soupira finalement son père en se détournant de la console de commande.


Il s'assit sur un des sièges, les bras croisés sur son torse avec fermeté, mais le regard fuyant celui de son fils. Il sembla chercher ses mots quelques instants, puis finit par les trouver.


« Je voulais changer les événements, pour apporter le meilleur avenir à quelqu'un. Ces photos sont là pour me rappeler mes échecs.

– Qui voulais-tu sauver ? »


Il baissa un peu plus la tête.


« Je ne peux pas te le dire. »


Raphaël sentait la colère monter peu à peu en lui, et se battait avec lui-même pour la retenir. Pourquoi tant de secrets ? Ne pouvait-il donc pas lui faire confiance ?!


« Depuis combien de temps tu fais ça ?

– J'ai arrêté de compter les années. Je pensais même m'arrêter, jusqu'à ce que je sache que tu étais là. Je ne pouvais pas laisser Myrjam te tuer.

– Tu savais ce qui allait se passer ? »


Isaac acquiesça légèrement. Il garda le visage droit, mais ses yeux le fuyaient toujours autant.


Raphaël ne trouvait pas les mots tant son abattement fut soudain.


« Tu savais ce qui allait lui arriver ? » finit-il par demander, brisant ce silence devenu trop gênant et pesant qui s'était ancré entre eux.


Son père baissa la tête, et détourna le regard. Cela confirma les soupçons qu'avait le jeune homme, qui serra le poing et se mordit la lèvre inférieure pour refréner cette folle envie naissante de le frapper. Avait-il conscience de ce que cela impliquait ?


« Pourquoi ? »


Ce fut l'unique mot que sa voix parvint à former sans que son ton ne devînt sec et glacial.


« C'était lui ou toi. Et j'ai déjà fait mon choix il y a bien longtemps.

– Comment ça ? Qu'est-ce que tu veux dire ?

– Écoute, nous sommes tous voués à disparaître, certains plus tôt que d'autres. Alexandre... n'aurait pas pu vivre longtemps quoi que je fasse. »


Raphaël écarquilla les yeux. Était-il en train de rêver ou bien... ?


« Comment est-ce que tu peux dire ça ?

– Il n'a aucun lien avec moi. Ça n'aurait aucun sens que je me préoccupe de lui plutôt que de toi. »


La colère bouillonnait en lui. Il ne contrôla pas son accès de rage, et s'emporta.


« C'est pour ça que tu m'as abandonné pendant quatre ans sans me donner la moindre nouvelle ? As-tu au moins une idée de ce que j'ai pu ressentir ? J'ai attendu, je croyais vraiment que tu allais revenir, je l'ai espéré ! Et tu oses me dire que tu te préoccupes de moi ?! J'aurais préféré te savoir mort ! »


Comme pour ponctuer sa tirade, il voulut sortir de cet appartement étouffant et claquer la porte derrière lui. Or, au moment où il en empoigna la froide poignée métallique, son père le stoppa, d'un simple « Attends ! » qu'il avait lancé sans faire le moindre autre mouvement. Raphaël se figea, ne sachant aucunement comment réagir. Devait-il ignorer cet appel et poursuivre sa route, afin de trouver un autre moyen de sortir de cet univers auquel il n'avait plus aucun lien, ou devait-il malgré tout rester et écouter les excuses de son père auxquelles il ne croyait pas le moindre du monde ? À contrecœur il fit demi-tour peut-être en partie parce qu'il savait que son père était sa seule chance de retourner à sa vie d'avant même si cette idée ne le réjouissait pas.


« Je sais que ce que je t'ai fait n'était pas digne d'un père. Mais j'avais une bonne raison, crois-moi.

– Ah oui ? Et laquelle ? Satisfaire une envie de foutre en l'air plusieurs vies ? Tu crois que Hélène l'a mérité, ça ?! »


Les mots dépassaient sa pensée ; il ne supportait pas de savoir que son père ne réalisait pas pleinement les conséquences de ses actes.


« Pourquoi tu l'as autant fait souffrir ? grogna-t-il, le ton de sa voix prenant au fil des mots de plus en plus d'ampleur. Le boulot d'un parent est d'être là pour son enfant, de le rassurer, de le protéger, et de le rendre heureux en restant à ses côtés ! Hélène est peut-être ta fille adoptive, elle reste ta fille !

– Peut-être, répondit simplement Isaac en secouent les épaules. Mais comme tu l'as dit, je devais protéger mon enfant. »


Isaac le fixa intensément, le bleu glacé de ses yeux le perçait et provoquait chez lui un sentiment de malaise. Il soutint son regard, mais fronça les sourcils, sentant que quelque chose clochait.


« J'aurais pu commettre toutes les horreurs possibles envers Hélène pour te protéger –c'est ce que j'ai fait. J'ai fermé les yeux sur les abus de Jean-François, et ceux de Léonard. Je voulais l'aider, mais ma place au sein de l'organisation ne m'autorisait pas à tenir tête à mes supérieurs. Alors je l'ai laissée garder ces bijoux mésopotamiens qui lui permettaient de survivre, même si je savais qu'ils auraient raison d'elle à un moment ou un autre. Je lui ai menti, toute sa vie, préférant la bercer dans de douloureux mensonges afin qu'elle oublie l'horreur de la vérité. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour la protéger, je te jure. Et ça n'a pas suffi. »


Il enfouit honteusement son visage dans ses mains tant il regrettait d'avoir été un aussi mauvais tuteur. Personne ne pourrait le pardonner ; il était impardonnable.


« Je vous ai tous perdus, et peu pouvait importer les voyages dans le temps que je faisais, c'était inévitable. Je perdais à chaque fois la seule personne que je voulais le plus garder vivante, quitte à ce qu'elle me déteste toute sa vie.

– C'était maman ?

– Non. »


Isaac inspira profondément.


« C'est le père d'Hélène. »


Raphaël sentit son corps se raidir soudainement. Pourquoi cela lui faisait-il un tel effet ? Il n'était pas concerné par ce type. Il le détestait même. Cet homme, quel qu'il fût, lui avait pris sa place aux côtés de Marie. Et Isaac –son propre père !– lui donnait plus d'importance qu'à son propre fils !? C'était inconcevable. Ce gars devait sûrement être un génie hors pair, ou avait fait des découvertes sans pareilles, sans quoi il ne pouvait décemment pas comprendre pourquoi tous avaient une telle considération à son égard. Et son ignorance faisait naître en lui une crainte, la crainte de disparaître des mémoires de ceux qu'il aimait et d'être ainsi remplacé. Ça avait été le cas de Marie, et de son père, aussi. Il ne lui restait plus rien dans ce monde, à cause du foutu père d'Hélène et d'Alexandre.


« Mais qui c'est ce type pour être aussi important à la fin ?! » finit-il par articuler dans un grognement on ne pouvait plus guttural.


Isaac secoua machinalement la tête. Il sembla vouloir dire quelque chose, mais il s'en abstint, et finit par croiser les doigts sur ses genoux en baissant la tête, les yeux rivés sur le sol à l'apparence sale.


« Renvoie-moi à mon époque d'origine. Maintenant. »


Raphaël se moquait de savoir qu'il venait de donner sèchement un ordre à son père, qu'il respectait pourtant autrefois. Il avait perdu toute l'estime qu'il avait eue pour lui il y avait déjà quelques temps, et ça n'était pas ce jour-ci qu'il allait la regagner.

Il ne s'opposa pas à lui, et au contraire, il sembla être en total accord avec sa demande.


« Je vais t'y ramener, ne t'en fais pas, assura-t-il d'une voix douce, quoi qu'un peu rocailleuse. Je pense que quelqu'un te doit des explications après tout. »


Il se leva, se tenant quelque peu le dos –sûrement avait-il eu quelques problèmes de santé en vieillissant– et en retenant un soupir douloureux, avant de faire quelques pas en direction de la console de commandes. Il s'arrêta à mi-chemin entre celle-ci et Raphaël, et lui demanda avec malice s'il n'avait plus rien à faire là, s'il n'avait pas peur d'avoir des regrets en quittant cet univers. Le rouquin secoua la tête, le sommant de se hâter. Que pouvait-il regretter, hormis de ne pas avoir su protéger Alexandre, et encore moins Hélène ? Il pensait à prendre sa revanche sur Myrjam, mais cela ne serait pas sans risque. Et de toute manière, il ne pouvait se résigner à se venger d'elle ; il était en partie responsable de son adhésion à l'organisation de Bonar, tout du moins il n'était pas parfaitement étranger à cela. Il se fit une note mentale ; il devait faire en sorte de prendre contact avec elle et d'empêcher cela de se produire une fois de retour à son époque, l'idéal étant même d'anéantir l'organisation le plus tôt possible, bien que cela lui parût hors de ses capacités. Peut-être devait-il demander de l'aide à Vergier, il pourrait peut-être le comprendre.

Non, où avait-il la tête ? Il était seul, il ne pouvait pas bénéficier de la moindre aide de la part des autorités dites compétentes, pour le peu de compétences dont elles disposaient. Et de toute façon, qui le croirait ? Une machine à voyager dans le temps ? Des dimensions parallèles ? Partout où il irait il se heurterait à des rires moqueurs et des regards incrédules. Seule Marie saurait admettre que cela est vrai, et peut-être Élisabeth. Mais rien ne leur prouverait que ce ne fût pas des mensonges, il en avait conscience. Il restait donc parfaitement seul.


« Déconne pas, grommela-t-il en guise de réponse à son père, j'ai encore moins d'attaches que toi ici. »


Isaac leva les épaules et secoua la tête, acquiesçant comme si ce qu'il disait là était d'une évidence indéniable.


« Le chemin pour retourner là d'où tu viens commence là. Il se pourrait que ça ne soit pas comme tu te l'imagines, je m'en excuse. Mais avant que tu partes... »


Raphaël lui jeta un regard mauvais par-delà les verres arrondis de ses lunettes, lui ordonnant silencieusement d'abréger son discours improvisé et peu intéressant. Il fit mine de ne pas l'avoir vu.


« Sache que toutes les personnes que tu as rencontrées ici étaient réelles, et se souviendront de l'impact que tu as eu là, d'une manière ou d'une autre. Peut-être tous ces individus ne se souviendront de toi que comme d'une impression, mais sache qu'ils n'oublieront pas les sensations qu'ils ont éprouvées à tes côtés. Cela en va de même pour Alex et Hélène.

– Je n'ai jamais rencontré Hélène ici je te rappelle, cracha Raphaël, agacé par le ton solennel qu'employait son père.

– C'est ce que tu crois... » murmura-t-il étrangement, comme pour lui-même.


Isaac ne lui fit pas perdre plus de temps, et lui ouvrit la porte boisée en grand. De l'autre côté s'étendait une ruelle sombre, encerclée par des immeubles au-dessus desquels on pouvait distinguer le ciel bleu parsemé de nuages filandreux. Quelques chants d'oiseaux lointains parvenaient aux oreilles de Raphaël. Tout semblait si paisible dans cet univers...


« Dès que tu sors de la ruelle, prends à gauche, et entre dans la première ruelle que tu trouveras. Il y aura une porte, franchis-la, et tu seras arrivé à destination.

– Pourquoi ne pas m'y déposer directement ?

– Il y aurait un risque de superposition, risque que je ne veux pas tenter. Excuse-moi.

– C'est pas grave, ricana le jeune homme d'un ton léger mais cependant sarcastique, ça me fera marcher un peu ! »


Il ne releva pas sa remarque, et lui désigna tout simplement la porte de la main, l'invitant à la traverser afin d'abréger son séjour en ce lieu qu'il n'appréciait visiblement pas plus que la compagnie dont il disposait.


« Je ne te retiens plus. Au revoir, Raphaël.

– Adieu ouais. Je suis ravi de t'avoir revu, tu le sais bien. »


Ce furent ses derniers mots, prononcés avec amertume et accusation, avant qu'il ne traversât l'encadrement de la porte de l'appartement.


*


« Ma maison est par là, je dois vous laisser. À demain les filles !

– Oui, à demain ! »


Le petit groupe de fillettes lui fit de grands signes de la main alors qu'elle prenait un chemin différent du leur. C'était le troisième jour d'école depuis la rentrée scolaire, et toutes étaient dans l'effervescence de leur début d'année de cours préparatoires. Toutes, sauf la rouquine qui, aussitôt avait-elle quitté le groupe, se renfrogna et longea les murs, le visage sombre et dissimulé sous sa chevelure, et les mains dans les poches si elle ne frôlait pas les murs de ses doigts.


Hélène soupira. Pourquoi fallait-il obligatoirement qu'elle se liât d'amitié avec ces filles au troisième jour d'école à chaque fois ? Elle en avait assez de feindre de ne pas savoir lire, d'écrire maladroitement volontairement pour cacher son expérience ; elle en avait assez de devoir recommencer encore et toujours. Elle devait jouer ce rôle de petite fille innocente, alors qu'elle connaissait déjà l'horreur, la douleur et la tristesse qui existaient en ce monde. Certains événements étaient apparemment inéluctables, et elle détestait cela.


Elle bouscula par mégarde un adulte qui l'avait frôlée alors qu'elle avançait, perdue dans ses pensées. Elle continua son chemin après avoir grommelé un « pardon » vide d'émotions, mais se stoppa rapidement pour se retourner.


Quelque chose lui paraissait bizarre.


L'individu qu'elle avait percuté s'était stoppé à l'endroit net où leur brève rencontre avait eu lieu, et à présent il la dévisageait avec incrédulité, comme figé.

Elle mit du temps à l'identifier. Mais une fois que son visage lui revînt, elle afficha la même expression stupéfaite que lui.


« Hélène ? C'est bien toi ? » bégaya-t-il en tendant la main vers elle et en faisant quelques pas dans sa direction.


Elle voulut se jeter sur lui, lui cracher au visage et le griffer, le mordre, fuir, mais elle ne put ni bouger, ni répondre. Elle ne pouvait laisser tomber son masque d'enfant innocent, elle devait résister.


« Hélène, tu es si petite !

– Vous me faites peur monsieur, ne m'approchez pas ! »


Il s'arrêta, comme perdu dans une intense réflexion. Elle aurait dû en profiter pour fuir ; mais après tout, n'était-elle pas une enfant, et lui un adulte ? La différence de taille ferait qu'il la rattraperait en quelques enjambées. Elle resterait perdante dans cette confrontation peu importaient ses actions.


« Tu... te souviens de moi, pas vrai ? Tu te souviens de ce qu'on a fait, toi et moi, pas vrai ? Les voyages dans le temps, les jardins suspendus...

– Pourquoi tu viens me parler de ça ? » grogna-t-elle d'une voix rauque, presque caverneuse, qui en cachait les tremblements.


Ah, songea-t-elle après avoir réalisé ses paroles, c'est foutu je crois bien.


Elle soupira. Tant pis, elle ne pouvait pas reculer de toute façon.


En face d'elle, le visage de Raphaël s'était illuminé.


« Tu te souviens ! C'est formidable ! »


Il se rua vers elle, et voulut la prendre dans ses bras tant il était réjoui par la nouvelle –et peut-être aussi par leurs retrouvailles semblait-il– mais le regard noir qu'elle lui jeta l'en dissuada rapidement.


« Si tu savais comme je suis content de te revoir...

– Et moi donc » répondit-elle dans un nouveau soupir.


Elle ne parvenait pas à réfléchir, son esprit était bien trop affairé à tenter de comprendre comment était-il arrivé , ou bien qui était responsable de son débarquement dans cette ligne d'univers, à cette époque précise.

Et le dégoût ainsi que la rage qu'il provoquait chez elle n'en arrangeaient rien.


« Quand je t'ai vue t'effondrer, quand tu m'as envoyé dans le futur... je n'ai pas pu réagir. Je t'ai laissée pour morte, alors que j'aurais dû commencer par chercher un moyen de te retrouver. À la place j'ai fait mon chemin, sans vraiment essayer à aucun moment de te retrouver. Je suis désolé de t'avoir laissée mourir là-bas... »


Elle serra les dents. Il la vit se crisper, mais il pensait que ça n'était que sa réaction habituelle lorsqu'il faisait appel à sa sympathie.


« Mais je vois que tu as pu transférer tes souvenirs dans un nouveau monde, tant mieux ! Tu as pu sauver Alex et tes parents cette fois-ci ?

– Mes parents m'ont abandonnée après avoir tué mon frère, hurla-t-elle soudainement, comme possédée et dans une crise d'hystérie soudaine. Pourquoi voudrais-je les protéger après ce qu'ils nous ont fait !? »


Il voulut la calmer, s'excuser d'avoir abordé ce sujet, et s'excuser pour son ignorance. Cela n'eut aucun effet, Hélène refusait de l'écouter, et sortait de ses gonds.

Alors qu'elle secouait la tête dans sa fureur, il put croiser son regard. Au-delà de la rage qui bouillonnait en elle, il pouvait voir qu'elle avait toujours en elle ce désir qu'il lui vînt en aide ; c'était la même lueur désespérée que celle qu'il avait vue dans les yeux de son petit frère. Il savait cependant pertinemment qu'elle refuserait cette aide, et cela lui rappelait combien il était impuissant. Il détestait cela.


« Tu ne peux pas venir comme ça et– »


Sa phrase s'interrompit soudainement lorsqu'elle vit les yeux de Raphaël, gentiment posés sur elle mais empreints d'une certaine tristesse qu'elle ne pouvait comprendre. Elle eut à peine le temps de se demander pourquoi se sentait-il si mal au simple fait de la voir qu'un violent mal de tête la prit. Elle se tint le crâne à deux mains, contrainte de poser un genou au sol, puis l'autre tant cela était insupportable. Elle eut une forte sensation de déjà-vu, dans un parc, ou ailleurs, un endroit bercé d'herbe dans le clair de la nuit, elle qui peinait à lutter contre la douleur, et lui qui l'aidait. Non, c'était impossible, puisqu'elle ne l'avait jamais rencontré auparavant, c'était la première fois que sa cible, le but de toute sa vie, se trouvait face à elle, elle le savait.


Alors pourquoi avait-elle tant de souvenirs de leurs aventures ensemble ?


« Qu'est-ce qui t'arrive ? Hélène ?! Parle-moi ! »


Il commença à paniquer, à chercher autour de lui quelqu'un pour venir au secours de la petite, en vain. Les passants semblaient volontairement les ignorer, et préféraient avancer sur le trottoir de l'autre côté de la chaussée. Hélène commença à pousser des gémissements tant la souffrance la pénétrait. Elle priait intérieurement pour que quelqu'un mît rapidement fin à tout cela. Et lui restait simplement là, à la regarder, accroupi à côté d'elle, sans rien faire.


« Qu'est-ce que tu m'as fait ? » parvint-elle difficilement à articuler en levant la tête vers lui.


Sa vision se brouilla, elle chancela. Il eut tout juste le temps de la rattraper dans ses bras alors qu'elle perdait connaissance.


*


All around me are familiar faces

Worn out places, worn out faces


Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Hélène se trouvait chez elle, dans son lit. Elle n'avait pourtant pas le souvenir de s'y être couchée, encore moins toute habillée –elle n'avait même pas enlevé ses chaussures– et cela l'alarma rapidement. Si elle n'en avait pas le souvenir, c'était parce que cela n'avait jamais eu lieu. Quelqu'un l'avait amenée ici.

Isaac ? Non, il travaillait et n'allait pas rentrer ce soir-là. Dans ce cas, peut-être un membre de l'organisation, comme Jean-François, ou même Napoléon, s'il avait voulu rendre visite au tuteur de la jeune fille ? Elle savait qu'il l'appréciait, bien évidemment parce qu'elle était son joker dans cette partie, et qu'elle lui sauverait la mise quoi que cela pût lui coûter.

Elle soupira. C'était lui qui lui avait montré le plus de gentillesse alors qu'elle ne le méritait pas venant de lui. Il était empereur, elle n'était rien.


Bright and early for the daily races

Going nowhere, going nowhere


Elle se leva, et fit quelques pas pour lire l'heure sur sa pendule posée sur son bureau, loin de sa vue lorsqu'elle était allongée dans son lit. Il était six heures apparemment, même si elle ignorait si c'était le matin ou l'après-midi, et le manque de fenêtre à sa chambre ne pouvait pas l'aider à connaître ce paramètre non plus.


Peut-être avait-elle fait une nouvelle synchronisation, qui lui avait fait perdre connaissance pendant un moment. Elle avait un vague souvenir que cela s'était déjà produit –mais quand ?– lors d'un refus de la part de son corps de ces souvenirs qui lui étaient étrangers. Elle avait encore dû avoir une mort assez violente pour que cela se produisît. Son soudain mal de tête sembla lui confirmer cette pensée. Oh, elle détestait tant cela.


Their tears are filling up their glasses

No expression, no expression


Elle risqua un pas en dehors de sa pièce privée, et sentit les effluves d'un plat que l'on cuisinait qu'elle ne reconnut pas. Il fallait dire qu'elle avait rarement eu droit à des plats de grande qualité, Isaac lui avait presque toujours fait des boîtes de conserves et autres choses surgelées, pour le peu qu'il avait cuisiné, plus par manque d'envie que de temps. Son odorat et son goût s'étaient majoritairement développés pendant son adolescence, lorsqu'elle avait commencé à voyager à travers les époques, et à répéter sa mission encore et encore. Malgré tout, elle ne savait pas qui était aux fourneaux, et encore moins ce que cette personne s'activait à faire.

Le voile de ce mystère fut levé sitôt mit-elle un pied dans la pièce principale, réchauffée par la cuisine ouverte en fonction. Elle vit une tête rousse qu'elle ne reconnaissait que trop bien, et qui fit monter en elle un accès de rage ; elle maudit sa condition physique d'enfant qui l'empêchait de s'occuper de lui comme elle le devait. Elle ne pouvait que rester là et attendre de voir ce qu'il lui voulait, afin de mieux le détruire, comme elle l'avait toujours fait.


Hide my head I wanna drown my sorrow

No tomorrow, no tomorrow


Elle soupira. Combien de fois avait-elle répété cela ? Elle en avait assez. Pourquoi s'obstinait-elle à recommencer encore et encore alors qu'elle savait pertinemment qu'elle allait à nouveau échouer ? Peut-être la prochaine fois atteindrait-elle son but. Si elle s'en rapprochait, elle prierait pour ne pas échouer à deux pas de la fin. Elle savait qu'on l'attendait quelque part, elle ne pouvait plus perdre autant son temps.

Quelle tactique devrait-elle adopter cette fois-ci ? Elle n'avait jamais fait face à son ennemi, elle ignorait la manière à suivre pour s'en débarrasser sans trop gêner dans la suite des événements.

À en croire ses paroles, il avait déjà fait partie de sa mission, alors pourquoi l'organisation ne s'en était-elle pas débarrassée ? S'il était toujours là, cela voulait dire qu'elle avait soit rencontré un échec, soit abandonné en chemin, et elle refusait de croire ni à l'une ni à l'autre de ces possibilités.

Et dire qu'elle avait trop facilement fait tomber son masque. Elle aurait pu longtemps jouer la comédie, feignant de ne pas le connaître et d'être la petite fille innocente qu'elle était censée être...


And I find it kind of funny

I find it kind of sad


« Bonjour » fit-elle d'une voix à demi endormie, tout en se frottant un œil de sa main droite, afin de lui faire croire qu'elle venait tout juste d'émerger.


Il se retourna, surpris, et la salua, un grand sourire aux lèvres.


« Est-ce que tu as bien dormi ? Tu as longtemps été assoupie, j'ai cru que tu avais perdu connaissance, mais tu étais tout simplement tombée de fatigue ! »


Si seulement tu savais... marmonna une voix dans sa tête.


The dreams in which I'm dying are the best I've ever had


Elle savait bien que ça n'avait pas été un coup de la fatigue comme il l'avait dit. Peut-être avait-il voulu la réconforter.


« Merci de m'avoir ramenée » fit-elle tout simplement, les yeux toujours autant rivés au sol.


I find it hard to tell you

I find it hard to take

When people run in circles its a very, very—


Comment avait-il trouvé la porte ? Elle était censée être bien dissimulée dans une ruelle pourtant.


« Vu que je n'ai pas trouvé grand-chose dans le frigo, j'ai fait des crêpes. Il y avait juste assez de choses pour en faire quelques unes. Dommage que je n'aie pas trouvé de rhum, c'est meilleur avec pourtant...

– Je préfère quand c'est fait avec du cognac. »


Elle resta figée un instant ; elle avait pensé ça tellement fort que les mots lui avaient échappé. Mais comment ? Elle n'en avait jamais mangé, elle ignorait le goût que cela avait, aussi bien avec du rhum qu'avec du cognac, ou même sans l'un ou l'autre !


Mad world, mad world...


Par chance il ne sembla pas relever son trouble. Quelle chance, en effet.


Elle fit un rapide tour des environs, comme si de rien n'était, à la recherche d'une arme pour se défendre. Elle était incapable de se souvenir du lieu où elle avait caché son revolver ; elle ignorait même si elle en avait déjà un. Peut-être y avait-il dans cette cuisine un couteau suffisamment aiguisé pour faire office de poignard ? Mais cela nécessitait qu'elle s'y rendît, le côtoyât, et qu'elle l'atteignît du premier coup sans faute tant qu'il ne prêtait pas attention.


Elle trouva du coin de l’œil sa vieille barre de fer. Pouvait-elle porter un coup suffisamment haut et puissant pour le sonner, voire le tuer ? Elle allait bien tenter, avec un peu de chance ce serait le meilleur jour de sa vie.


Children waiting for the day they feel good

Happy birthday, happy birthday


Elle parvint à s'en saisir dans un silence parfait, mais elle dut rapidement revenir à la dure réalité de son faible corps, qui ne parvenait pas à aussi bien soulever cette barre que ce dont elle avait le souvenir. Elle ne put trouver comme solution que de placer ses mains de part et d'autre de son arme, à la manière d'un funambule, afin d'équilibrer chaque côté. Marcher ainsi était un défi qu'elle ne pouvait refuser de relever. Elle n'avait pas le choix après tout, elle ne pouvait tout simplement pas le laisser en vie.

Elle se rapprocha sans un bruit, et lorsqu'elle fut au plus près de lui, elle fit glisser ses mains le long de la barre afin de la saisir de telle sorte qu'elle pût le frapper à l'arrière du crâne. Son plan était parfait, à un détail près ; sa petite carrure et son manque de force dans les bras firent qu'elle perdit prise sur la surface glissante et lourde. Au lieu de basculer son corps et son arme en avant à pleines forces, Hélène fit le mouvement inverse, et tomba à la renverse. Un réflexe fit qu'elle lâcha sans hésitation l'objet de son malheur afin de se rattraper à un meuble alentour, ce qu'elle ne parvint pas à faire, avant d'atterrir douloureusement sur le postérieur. À ses côtés, la barre de fer tinta bruyamment en heurtant le carrelage ; ce ne fut qu'à ce moment-là que Raphaël se retourna.

Une expression d'incompréhension s'afficha sur son visage, remplaçant l'air ahuri qu'il avait coutume d'afficher et que la rouquine détestait plus que tout. Puis il sembla comprendre, la scène parlait d'elle-même, et ce fut à ce moment-là qu'elle lui découvrit un tout nouvel aspect. Il avait pris une mine grave, comme s'il venait d'être particulièrement atteint par ses actes, alors qu'elle n'avait pourtant pas fait grand-chose ; elle ignorait si c'était là son corps immature qui ressentait cela, mais elle eut presque peur de ce qu'elle avait pu faire, et de la réaction que cela provoquait chez lui.


« Tu ne te souviens plus de moi, pas vrai ? finit-il par demander d'une voix triste et quelque peu hésitante.

– Comment est-ce que je pourrais t'oublier, grogna-t-elle en guise de réponse, tout en tentant de se relever afin de sauver les apparences. À cause de toi ma vie est un enfer ! »


And I feel the way that every child should

Sit and listen, sit and listen


Il soupira. Cela n'allait pas être facile.


« Tu vas peut-être vouloir t'asseoir, ce que j'ai à te raconter ne va pas te plaire je pense... »


Aussi étrange que cela pût être, elle suivit son conseil, et s'installa sur le canapé, ses grands yeux bleus immensément ouverts, l'air d'être complètement attirée par son histoire. Elle se reprit rapidement –mais qu'est-ce qui me prend, bon sang !?– et changea du tout au tout son air enfantin en un air hostile, en lui jetant des regards mauvais, sitôt s'assit-il à son tour en face d'elle.


« Vois-tu, tu as déjà exécuté ta mission, et tu m'y as enrôlé. Tu as commencé par m'attaquer dans ma vie privée, en t'en prenant à Marie ou encore à Fondue, mon chien. Je ne me souviens plus du nombre de fois où tu m'as blessé, ni même tué, et pareil pour eux. Je dois dire qu'à certains moments, je n'en pouvais plus, c'était trop dur pour moi. Si c'était là ton but de me détruire en m'arrachant mon bonheur du quotidien pour me le rendre et me le reprendre à nouveau, alors je peux dire que tu as gagné sur ce coup-là. »


C'était dur pour lui de l'admettre, c'était dur pour elle de l'accepter. Reconnaître sa faiblesse face à un ennemi était une chose, mais c'en était une autre lorsqu'on savait que ce même ennemi pouvait recommencer encore et encore. Hélène, en retour, ne parvenait à croire qu'elle était parvenue à ce résultat à un moment donné de son existence, et ne pouvait s'empêcher de penser qu'il mentait une fois de plus.


« Tu m'as montré des choses que je n'aurais jamais pu voir. Je t'en suis un peu reconnaissant. Mais je regretterai toujours ce que j'ai dû faire pour toi, et à cause de toi. »


Son regard qu'elle avait connu intensément chaleureux peu de temps auparavant devint subitement froid et amer. Un sentiment de mal-être la prit alors, et bien qu'elle voulût se défendre, sa raison la fit se taire.


« À cause de toi, l'organisation a triomphé, dit-il sèchement.

– Vraiment ? Napoléon a réussi !?

– Mais cela a eu un coût. Ta vie. »


Went to school and I was very nervous

No one knew me, no one knew me


Elle se figea, et le fixa du regard, incrédule. Il ne blaguait pas ; pourquoi blaguerait-il d'ailleurs ?


« Pourquoi je serais morte... ?

– Tu avais une blessure la dernière fois que je t'ai vue. Une coupure, comme si on t'avait tranché le ventre avec une épée ou un sabre.

– Mais personne n'en a dans l'organisation...

– Napoléon en a un. C'est lui qui t'a tuée.

– Mais il a toujours été gentil avec moi, il m'a toujours soutenue, il a même réclamé à Isaac que je serve l'organisation... ! »


Elle était désemparée ; c'était comme s'il venait de briser tout ce sur quoi elle se reposait. Il n'avait pas voulu ça, il avait juste voulu stimuler sa mémoire pour qu'elle se souvînt de ces événements...


« Je suis désolé. Personne ne t'a acceptée dans l'organisation pour ce que tu étais. À leurs yeux tu n'es qu'un outil pour parvenir à leurs fins...

– Arrête de mentir ! »


Hélène se releva soudainement, complètement hors d'elle, un couteau fermement tenu dans la main. Raphaël se demanda où elle avait bien pu le trouver, avant que l'idée que des armes fussent cachées un tant fût peu partout lui effleurât l'esprit ; le canapé n'était qu'une cachette parmi tant d'autres.


« Tu dis n'importe quoi !

– Pourquoi est-ce que je ferais ça ? Tu veux te débarrasser de moi et je veux retourner là d'où je viens. Ce n'est pas dans mon intérêt de mentir. »


Il sentit le regard d'Hélène le percer, alors qu'elle prenait peu à peu conscience de la réalité qu'il lui exposait. Ou alors tentait-elle de discerner autre chose à travers le rouquin ?


Hello teacher tell me, what's my lesson?

Look right through me, look right through me


Elle sembla se raviser un instant, et sa poigne parut se desserrer le temps d'un clin d’œil ; il en fallut un autre avant que l'étreinte de ses petits doigts fins ne se raffermît de plus belle autour du manche soigneusement gravé.


« Ils t'ont envoyé pour m'ébranler pas vrai ? grogna-t-elle, à deux doigts de se jeter sur lui. Ça ne _marchera pas_ !!

– Écoute-moi, je t'en supplie ! »


Elle se stoppa net face à ce cri de détresse. C'était plus fort qu'elle, elle ne pouvait résister. Pourquoi était-elle aussi faible face à lui !?


« Je veux que tu te souviennes de nous, de ce qu'on a vécu ensemble. Je veux que tu m'aides à sauver la toi que je connais.

– À quoi bon sauver une version de moi qui a connu l'échec ? Il vaut mieux la laisser à son sort.

– Si tu ne le fais pas pour moi, fais-le pour ton frère. Fais-le pour Alexandre. »


Elle fronça les sourcils.


« À aucun moment je ne t'ai parlé de lui, grommela-t-elle d'un air méfiant, son corps tendu dans une position défensive.

– Non, acquiesça Raphaël, sans hésiter, je l'ai rencontré. Il ne s'est jamais pardonné ta mort. Tout comme tu ne t'es jamais pardonnée la sienne. Si tu m'aides à sauver la Hélène que je connais, je ferais tout mon possible pour vous réunir dans le futur, avec Marie, et votre père.

– Ce n'est pas la première fois que tu me dis ça. Mais ça sera la dernière, crois-moi. »


And I find it kind of funny,

I find it kind of sad


Il lui restait un dernier recours. Il devait jouer sur les souvenirs d'Hélène. Il était intimement convaincu qu'elle se souvenait de plus de choses que ce qu'elle voulait qu'il ne crût.


« Tu ne voulais plus que je te sauve, pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu m'as dit adieu comme ça ? Est-ce que tu t'es interrogée un instant sur ce que je pouvais ressentir vis-à-vis de tout ça ? Vis-à-vis de toi !? »


The dreams in which I'm dying are the best I've ever had


Il avait étrangement commencé à hausser la voix. Il la vit quelque peu hésiter, avant de répliquer de plus belle.


« Pourquoi tu crois que je m'intéresserais à toi ? Tu as ruiné ma vie !

– Alors pourquoi tu as pleuré ma mort après que je me sois pris la balle pour Élisabeth ? Pourquoi tu m'as supplié de m'éloigner de l'organisation et de tout ça ?! Réponds-moi ! »


Sa vision se brouilla, des larmes ayant monté et empli ses yeux sous le coup de l'émotion. Sa voix s'était quelque peu brisée, elle aussi, en prononçant cet ordre qui s'apparentait plus à une supplication.

En face de lui, Hélène affichait une expression toute aussi troublée. Elle commença à trembler. Elle ne pouvait plus cacher ce qu'elle ressentait. Évoquer ces derniers instants douloureux avaient fini par faire ressurgir tous ses souvenirs de leurs désastreuses aventures.


I find it hard to tell you

I find it hard to take


Il voulut s'excuser de s'être emporté, mais les mots ne purent franchir ses lèvres.


Il voulut s'approcher d'elle pour l'enlacer, la réconforter, mais ni ses jambes ni ses bras ne lui répondirent.


Il ne put que baisser la tête, en signe d'abandon.


« Je vais te faire payer tout ça... »


Il releva les yeux vers elle. Elle serrait les dents et le poing comme jamais.


« Je ne devais pas me souvenir de ça ! Je vais te le faire payer !! »


When people run in circles its a very, very—


Elle se jeta sur lui, la lame de son couteau tendue droite devant elle, dans sa direction, l'air d'être particulièrement déterminée à exécuter sa propre parole. Raphaël eut le temps de réagir et de se préparer à esquiver, tant mieux pour lui. Ce qu'il n'avait pas pu prévoir, en revanche, était que Hélène avait déjà deviné le sens vers lequel il comptait se tourner pour éviter le coup, à la vue des appuis qu'il avait subitement –mais maladroitement– pris. Elle porta ainsi son premier coup dans le vide, mais profita de la situation pour attaquer de nouveau en prenant appui sur les meubles environnants. Cela déstabilisa le rouquin, qui ne pensait pas qu'elle rebondirait aussi bien sur la situation, et son hésitation créa une ouverture pour l'enfant, qui porta un second coup, visant l'abdomen, et qui toucha.


Du moins, c'était ce qu'elle croyait.


Mad world, mad world


Il tomba à genoux, les traits de son visage tirés par la douleur, les mains serrant le couteau qu'elle avait laissé planté là.


Du moins, c'était ce qu'elle croyait.


Elle fit quelques pas en arrière, haletante, et blêmit en entendant sa respiration lourde et pesante. Elle l'avait eu. Mais pourquoi se sentait-elle aussi mal ? Elle avait pourtant l'habitude de tuer...


Du moins, c'était ce qu'elle croyait.


Elle s'effondra à son tour, ses genoux cognant le sol lorsque ses jambes cédèrent ; elle ne sentait pas la douleur que cela fit naître, une autre, plus profonde, lui arrachait déjà des larmes. Elle ne se retenait pas, et se laissa pleurer autant qu'elle le pouvait, ses gémissements se changeant en sanglots qui secouaient son petit corps alors que ses mains essuyaient fébrilement les larmes qui coulaient le long de ses joues. Elle pleurait, et pleurait, sans en comprendre la raison.


Et elle continua de pleurer, même lorsqu'elle sentit la chaleur des bras qui vinrent l'éteindre.


« Tout va bien se passer, ne t'en fais pas, lui murmura doucement Raphaël. Je suis là pour toi. »


Mad world...

 


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