Quatorze Juillet

Chapitre 38 : - Partie III ~ Feux d’artifice - - Chapitre XXXVI -

4836 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 02:04

– Chapitre XXXVI –


La lune brillait, claire et vive, dans le ciel nocturne. Les trottoirs étaient éclairés par les lampadaires, qui resteraient allumés tout au long de la nuit. Quelques personnes, dans le feu de la soirée qui commençait à peine, se promenaient le long des trottoirs à travers les rues. Tout était d'un calme agréable, c'était une soirée habituelle à Paris.


Et cette tranquillité était perturbée par le bruit de la course de Raphaël qui, haletant et à bout de forces, se ruait en direction du cimetière où reposait Hélène, et où reposait Marie.


Marie.


Il n'en revenait pas, il ne parvenait pas à le réaliser. Il ne pouvait pas la croire morte, c'était impossible.


Mais surtout, les révélations de Charlie lui avaient apporté un autre élément crucial.


Marie était la mère d'Alexandre, et d'Hélène.


Et ça, il lui était difficile de l'encaisser.


Tout s'embrouillait, la limite entre elles devenait de plus en plus floue dans ses souvenirs. Il avait été stupide de ne pas s'en rendre compte plus tôt, c'était évident ! Elle avait si bien copié Marie dans ses gestes que, lorsqu'elle l'avait usurpée auprès des policiers, ils n'avaient pas remis en question son identité. Il n'y avait rien de plus facile pour elle que de se faire passer pour sa propre mère, elle lui ressemblait tellement !


La grille du cimetière se dressa dans son champ de vision. Elle emplissait l'air d'un je-ne-sais-quoi particulier quand bien même inquiétant et lugubre. Il tenta de faire abstraction de cela et, à l'aide de la lumière grisâtre émise par la lune, il chercha son chemin entre les sépultures, et retrouva rapidement l'endroit jusqu'où il avait suivi Alexandre le jour même.

Il reconnut la tombe d'Hélène, au pied de laquelle son frère avait planté un petit pied de chrysanthèmes. Juste à côté d'elle reposait sa mère, Marie. Le marbre blanc luisait faiblement. Une photo d'elle, dans la fin de sa vingtaine, accompagnait son nom et ses dates, de naissance comme de mort. Elle était décédée le vingt-quatre juillet 2025, alors qu'elle avait tout juste fêté ses trente ans. Le poids du chagrin fit tomber Raphaël à genoux. Il se plia en deux, et enfouit son visage dans ses mains. Il ignorait quelle était la cause de son décès prématuré, mais un sentiment de culpabilité grandissait en lui, et bientôt il eut l'intime conviction que cela avait été de sa faute s'il lui était arrivé quelque chose.


Une main amicale se posa sur son épaule. Il tourna la tête et distingua le visage pâle d'Alexandre, faiblement éclairé par la lune. Il gardait les yeux fixés sur la pierre tombale de sa mère.


« Les enquêteurs disent que c'était un suicide, murmura-t-il. Mais je sais qu'elle n'aurait jamais été capable de faire une chose pareille. »


Le rouquin essuya le coin de ses yeux, et regarda à nouveau la photo de Marie, souriante et radieuse comme toujours. Comment cela aurait-il été possible... ?


« Qu'est-ce qui te fait dire ça ? souffla-t-il d'une voix enrouée.

– Elle était forte ; elle a vécu beaucoup de choses, vous savez... »


Il ôta sa main de l'épaule de Raphaël et l'enfouit dans la poche de la veste qu'il portait.


« Et puis, avec ce qui est arrivé à Hélène... Elle n'aurait jamais pu me laisser seul.

– L'agression sur la Place de la Concorde... »


Il acquiesça.


« Je vois que les rapports de police vous ont bien aidé. Vous avez retrouvé ma mère en prime de cela.

– J'y ai croisé Charlotte. C'est elle qui m'a dit... »


Il inspira et expira longuement, cherchant à évacuer ses émotions. Il repensait à ce qu'il lui avait dit sous l'impulsion de la colère, qu'il ne prêtait attention au jeune homme que pour son lien de parenté avec Hélène, et s'en voulait terriblement. Comment avait-il pu penser une chose pareille ?


« Rentrons. Je doute que rester ici soit une bonne idée. »


Il acquiesça, et se releva avant de le suivre jusqu'à son appartement. Le jeune homme lui offrit une tasse de thé brûlant, à laquelle il ne toucha pas. Il était exténué, mais son corps refusait de le lâcher tant qu'il ne saurait pas tout ce qu'il voulait savoir.


« Vous m'inspirez de la confiance, Raphaël, soupira Alexandre en s'asseyant à sa place, sur son fauteuil. Je ne comprends pas pourquoi, mais je sens que je peux tout vous dire... »


Cette soudaine déclaration le perturba quelque peu, et il ne put que répondre par quelques bredouillements inintelligibles visant à le remercier.


« Cette attaque... Elle me visait. Ce type voulait me tuer. »


Il serra le poing ; Raphaël le remarqua du coin de l’œil.


« Elle a senti le danger et s'est jetée sur moi pour me pousser, prenant le coup à ma place. Et ce type... Il s'est acharné sur elle ! »


Il revoyait encore la scène devant ses yeux, d'une couleur cendrée de laquelle se détachaient des notes pourpres intenses. Il revoyait le sang de sa sœur se vider et couler entre les dalles crasseuses. Il revoyait cet homme planter encore et encore son couteau, avant de l'arracher une dernière fois et de fuir. Personne n'avait tenté de le stopper, personne n'avait réagi.


« J'ai eu de la chance, de m'en sortir avec juste ça... »


Il releva la manche droite de son pull-over, et déboutonna le poignet de la chemise qu'il portait en-dessous, révélant une cicatrice s'étendant sur tout l'intérieur de l'avant-bras, du poignet jusqu'au coude.


« Le premier coup qu'il a porté m'a juste entaillé le bras, grâce à l'intervention d'Hélène. Les médecins ont fait ce qu'ils ont pu, mais je ne pourrai plus l'utiliser comme avant. »


La montrer –ou même juste la voir– devait sûrement raviver la douleur, se dit Raphaël en constatant la marque.

Ses mots expliquaient donc pourquoi il l'avait si rarement vu utilisant sa main droite, privilégiant la gauche même s'il n'était pas réellement habile de celle-là.


« C'est pour la cacher que tu portes des manches longues même en mai ?

– Non... C'est pour une autre raison... »


Il n'avait pas relevé que Raphaël l'avait tutoyé à nouveau ; ça partait pourtant d'une bonne intention, pour le mettre encore plus en confiance...


« J'étais effroyablement malade étant petit. Je vous l'ai dit, j'ai été alité pendant plus d'un an. Mais ma santé a toujours été très fragile, je suis très sensible au froid et aux changements de température, d'où les pulls.

– Et aujourd'hui ?

– Elle s'est stabilisée. Depuis le choc du décès d'Hélène, mon corps s'est renforcé. C'est triste qu'il m'ait fallu attendre qu'elle me quitte pour que cela se fasse.

– Je vois. »


Le pauvre jeune homme en avait vécu des choses en si peu de temps, c'était effroyablement triste.


Il y eut un silence gênant, que Raphaël finit par briser, bien que ce ne fût pas une très bonne idée.


« À propos de ta mère... Que lui est-il arrivé ?

– Il serait peut-être préférable que vous ne le sachiez pas. »


Il insista encore. Il ne put que se heurter à la mine désespérée du jeune homme.


« Si je vous dis tout, et que vous parvenez à rentrer à votre époque... Promettez-moi que vous ne changerez pas son destin, notre destin. »


Il baissa une nouvelle fois ses yeux ambrés vers le sol.


« Je sais que vous la connaissez. Comprenez que, même si cette vie est douloureuse, elle est réelle. C'est égoïste de ma part, mais ne changez pas ma vie en voulant lui épargner ça, s'il vous plaît. »


Raphaël comprenait parfaitement son point de vue ; lui-même aurait réagi d'une manière similaire. Si on lui avait donné l'opportunité d'empêcher le départ de son père quatre ans auparavant et qu'il l'avait saisie, il aurait ainsi empêché sa rencontre avec Fondue, Marie, ou même Hélène et Alexandre, et lui-même ne serait sûrement pas le même que celui qu'il était dans ce présent. Quand bien même sa mère était plongée dans le coma et son père restait introuvable, sa vie lui plaisait, puisqu'il avait Marie et Fondue à ses côtés. Ce devait être un sentiment similaire qui animait Alexandre ; peut-être la disparition des membres de sa famille l'avait-elle mené à faire certaines rencontres qu'il n'aurait jamais pu faire sans.


« Ne t'en fais pas, je ne ferai rien, promit-il en se penchant vers lui d'un air sérieux et confiant, bien qu'il aurait aimé pouvoir donner à Marie une vie plus longue et agréable. Je veux juste que tu m'expliques ce qui lui est arrivé. »


Alexandre acquiesça. Il se servit une tasse de thé et en sirota une gorgée ou deux, avant de la poser sur la table basse. De la fumée s'échappait de la tasse en porcelaine décorée par des motifs abstraits, et plus encore depuis la théière ronde placée à côté de celle-ci sur le meuble de bois


« On l'a retrouvée dans sa chambre au manoir, la corde autour du cou. C'est une servante qui a fait cette horrible découverte, et ma grand-mère, la duchesse Élisabeth, a aussitôt appelé une ambulance ainsi que la police. Mais il était trop tard. Ils ont rapidement conclu à un suicide, il n'y avait aucune trace de quoi que ce soit dans son sang, et elle n'avait pas laissé la moindre lettre derrière elle.

– Je... Je suis désolé » bredouilla Raphaël, mal à l'aise.


Ces mots, il avait certainement dû les avoir entendus tellement de fois qu'ils en avaient perdu leur sens. Pourtant il afficha un sourire amical et réconfortant, comme si cela ne lui faisait désormais plus rien.


« Ma grand-mère m'a mis sous la garde d'un membre de sa famille. J'ai pris le nom de cette personne jusqu'à mes dix-huit ans ; je pensais qu'en me détachant des de France j'aurais une chance de survivre. Et ça a été le cas, apparemment. »


Il perdit son sourire le temps d'un instant, avant qu'un autre, bien plus triste, ne vînt prendre la place. C'était un sentiment amer, il avait vu toute sa famille proche décéder, et force était de constater qu'il avait été le seul épargné par cela. Cependant, ce devait être un fardeau pour lui, Raphaël devinait qu'il s'interrogeait sur les raisons de sa survie. Si tous avaient disparu, pourquoi lui seul restait là ?


« Il se fait tard, souffla le jeune homme en jetant un coup d’œil à sa montre. J'imagine que vous n'avez nulle part où aller. »


Raphaël secoua la tête. Il y avait bien le couvent Saint-Louré oui, mais ce n'était pas très légal de s'y installer...


« Restez ici pour la nuit. J'ai une chambre d'amis, vous n'aurez qu'à vous y installer.

– Merci, Alex.

– C'est moi qui vous remercie. »


Son expression avait complètement changé ; il avait retrouvé cet air vivant et enjoué qu'il avait affiché lors de leur première rencontre, accentué par un large sourire traduisant une certaine gratitude.


« J'aurais juste... une ou deux dernières questions, si ce n'est pas trop indiscret. »


Alexandre le dévisagea d'une mine intriguée, et l'invita à lui demander ce qu'il souhaitait.


« Marie a-t-elle déjà parlé de moi, avec Élisabeth par exemple ?

– Oui, un peu. Elle nous a souvent raconté à ma sœur et moi cette affaire des Jardins de Babylone, dans laquelle elle vous a rencontré. Vous étiez un de ses amis les plus proches, vous savez. »


Raphaël bredouilla quelques mots et se gratta machinalement l'arrière de la tête d'un air gêné. Alex n'avait donc entendu parler de lui qu'en tant qu'ami de Marie, alors ?


« Il se trouve que... à mon époque d'origine, Marie est ma petite-amie, annonça-t-il avec tout le tact dont il pouvait faire preuve. Et c'est peut-être complètement stupide de demander ça, mais se pourrait-il... qu'Hélène et toi soyez... mes enfants ? »


Il se sentait terriblement mal à l'idée d'avoir demandé cela ; il regretta aussitôt d'avoir posé sa question. Et la réaction du jeune homme ne l'aida pas réellement non plus puisqu'il fronça les sourcils, et l'observa d'un air songeur comme pour cacher sa surprise face à cette demande à laquelle il n'avait pas pensé. Finalement, il lui répondit.


« Je suis terriblement navré de vous dire cela, mais vous n'êtes pas mon père. »


Il croisa son regard suppliant, presque terrifié par la réaction qu'il pouvait avoir.


« S'il vous plaît, n'en changez pas pour autant votre relation avec ma mère. Ce qui doit arriver doit arriver. »


Il acquiesça, et n'en demanda pas plus au jeune homme. Il avait raison de prendre autant garde à ce que rien ne changeât pour lui, même si cette vérité n'était pas forcément agréable. Il avait beau tourner et retourner ses pensées, il ne pouvait trouver des arguments invalidant les actes d'Alexandre. Il le comprenait tellement, il aurait fait la même chose à sa place. Mais peut-être lui en avait-il trop dit. Il avait beau désirer le contraire, il avait promis qu'il ne se mettrait pas en travers de la vie de Marie ou d'Hélène. Et pourtant... Il devait forcément exister une manière pour contourner cette promesse, non ?


Ses pensées tourbillonnaient alors qu'il sombrait peu à peu dans le sommeil, confortablement installé dans son ancienne chambre.


*


Il ouvrit soudainement les yeux. Il lui fallut un moment pour comprendre où il se trouvait. Une chambre, aux murs recouverts de tapisserie et de boiseries. Sa chambre.


Comment s'était-il retrouvé là ? Il jouait juste avant dans la neige, avec elle... Sa tête lui faisait mal. Il était tombé, il s'était évanoui. Et il avait terriblement froid.


Il y avait quelqu'un à côté de lui, un adulte au visage flou. Il l'ignora, et voulut l'appeler, elle. Un faible son sortit de sa gorge. Il recommença. Rien n'y fit. Faire vibrer ses cordes vocales relevait d'un effort trop conséquent.


Sa migraine s'intensifia. Il se rendit compte qu'il ne pouvait plus bouger le moindre membre alors qu'il avait voulu sentir sa température en touchant son front. Cela l'inquiéta. Il l'appela encore, poussant suffisamment sur sa gorge pour produire les deux syllabes de son prénom, ce qui eut pour effet de le faire tousser.


L'adulte posa une main sur son front, et lui sourit. Il croisa son regard réconfortant, ses grands yeux bleus, et vit son doux sourire.


« Tout va bien se passer, ne t'en fais pas » murmura-t-elle, sa voix l'apaisant au moindre son qu'elle prononçait.


Pourquoi était-elle là ? Pourquoi était-elle adulte et vivante ?


Il tenta à nouveau de parler. Elle l'en empêcha en glissant son index sur ses lèvres, en lui chuchotant de ne pas faire de bruit.


« Rendors-toi, tu iras mieux après. Je te le promets. »


Quelque chose le dérangea quelque peu dans ses paroles, mais il obéit, et ferma les yeux. La douleur disparaissait au loin alors qu'il sombrait dans le sommeil.


Puis Alex se réveilla.


Encore ce rêve.


L'amertume de ne jamais en connaître la suite lui laissait ce goût désagréable et habituel. Il s'assit dans son lit, et se frotta les yeux. Il savait qu'il y avait quelque chose d'étrange dans tous ces rêves et cauchemars auxquels il avait toujours eu droit. Il avait cette étrange impression d'avoir déjà vécu ça. Mais c'était impossible. Il n'avait jamais pu connaître une Hélène bien plus âgée que celle qu'il avait perdue. Pourquoi était-il hanté par son image alors ?


Il inspira profondément, tenta de faire le vide dans son esprit. Tout irait bien. Il connaissait parfaitement bien ses rêves, celui-là restait léger et inoffensif comparé à certains. Il lui était déjà arrivé de se réveiller, de grandes douleurs le lançant de partout ou bien son cœur battant à s'en rompre, généralement à cause d'un de ces maudits cauchemars.


Aujourd'hui allait être une journée banale, il se rendrait au commissariat, saluerait l'inspecteur comme à son habitude avec un gobelet de thé, et poursuivrait ses recherches, avant de rentrer chez lui et de s'endormir pour à nouveau voir un de ces rêves, et recommencer.

C'était sans compter le ton enjoué avec lequel Raphaël le salua alors qu'il mit un pas en-dehors de sa chambre. Il se massa les tempes ; comment avait-il pu oublier qu'il l'avait gardé à dormir la veille ?


« J'ai préparé du café, tu en veux ? »


Il leva les yeux et aperçut en effet la cafetière emplie du liquide bruni de laquelle s'échappaient quelques volutes de fumée. L'odeur âcre de la boisson le fit froncer le nez, et il articula difficilement une réponse visant à lui expliquer qu'il préférait le thé, et qu'il n'appréciait même aucunement le goût du café. Le rouquin afficha une mine désolée, et se gratta l'arrière de la tête, ne sachant pas où se mettre.


« Ce n'est pas grave, sourit tout de même Alexandre en allant faire chauffer de l'eau pour se préparer sa boisson. Je ne sais même pas pourquoi je garde ces réserves de café. Ça m'arrange que vous soyez là pour le boire, même. »


Raphaël attendit patiemment qu'il eût fini sa tasse, assis face à lui à la table minuscule installée contre un des murs de la cuisine, avant de lancer la conversation.


« Tu as souvent le sommeil agité ? demanda-t-il calmement.

– Pourquoi me demandez-vous cela ? répondit le jeune homme d'un ton intrigué quoiqu'un peu anxieux, sentant qu'il avait une idée derrière la tête et que la question n'était pas si anodine qu'elle paraissait.

– Je t'ai entendu l'appeler cette nuit. Les murs ne sont pourtant pas si fins... »


Alexandre baissa la tête, embarrassé.


« Je ne me rends pas compte quand je dors, murmura-t-il. J'ignorais que je l'appelais réellement...

– Tu avais l'air inquiet, terrifié même, comme si tu craignais quelque chose. Est-ce que tu veux bien me raconter ce rêve ? »


Il acquiesça sans hésiter, et lui expliqua ce dont il avait rêvé. Il mentionna le fait que ça n'avait pas été la première fois, qu'il avait fait plusieurs rêves de la sorte, qu'il revoyait assez souvent sans qu'ils ne changeassent. Lorsque le rouquin lui demanda de lui parler des cauchemars, il afficha dans un premier temps un léger refus, qu'il excusa avant de répondre à sa demande. Raphaël l'écouta patiemment raconter quelques uns de ceux-ci, surpris par leurs similitudes.

Il apprit ainsi que dans chacun d'entre eux, Alexandre rêvait de sa propre mort, dans des circonstances et lieux qui variaient assez souvent, mais aussi qu'il y avait deux détails qui restaient les mêmes ; Hélène était toujours à ses côtés, et il ne voyait jamais l'ombre de ses parents, à aucun moment. Il avoua que ces rêves lui donnaient le sentiment d'être avant tout des souvenirs, ce qui était bien entendu impossible, et cela le dérangeait bien trop pour qu'il ne tentât de l'ignorer.


Cela fit remonter chez Raphaël des souvenirs à la sensation de déjà-vu qui dataient du temps où Hélène le torturait physiquement et psychologiquement avant de l'arracher à son époque. C'était quelque peu flou mais il parvenait à se remémorer qu'en se réveillant certains matins, les événements de la journée de la veille pouvaient avoir pris une tournure différente, et à d'autres reprises il avait vécu à nouveau une même journée. Cela tombait sous le sens que c'était alors l’œuvre d'Hélène qui manipulait le temps en lui faisant conserver ses souvenirs d'une manière qu'il ignorait ; se pouvait-il que quelqu'un fît de même dans le cas d'Alexandre pour lui insuffler des cauchemars issus du passé ?

Non, c'était une idée stupide que de penser ça. Il n'était pas mort. Donc il ne pouvait pas avoir de tels souvenirs !

Mais alors, à quoi cela était-il dû ?


« Est-ce que ce serait possible de voir ce parent chez qui tu as vécu ? »


Il acquiesça.


« J'en parlerai à l'inspecteur ; nous pourrons aller la voir ensemble je pense. »


Charlie parut surprise de les croiser dans la station souterraine du métro, bien qu'elle avait l'habitude d'y rencontrer Alexandre, les matins où l'un d'eux n'était pas en retard. Il mentit en expliquant brièvement qu'il avait croisé le rouquin sur son chemin vers la station, et qu'ils avaient décidé de se rendre ensemble au bureau. Raphaël tenta d'ignorer le regard assassin qu'elle lui lançait, détournant les yeux d'un air embarrassé.


« Vous continuez chacun vos recherches aujourd'hui ? » finit-elle par demander à son assistant, sans pour autant libérer le rouquin de son regard persistant.


Alex acquiesça. Il voulut ajouter quelque chose, mais le crissement du métro entrant en gare couvrit le son de sa voix. Il admit que cela n'était pas si important qu'il l'aurait cru, et suivit Charlie dans le wagon, avant que Raphaël ne leur emboîtât le pas. Tous trois restèrent silencieux et se laissèrent ballotter par le mouvement du train lancé à pleine vitesse. Ils descendirent quelques arrêts plus loin, toujours dans ce même silence.


Cela soulagea le rouquin lorsque Charlie leur ordonna de partir devant, en prétextant de devoir aller voir quelqu'un dans un bureau au rez-de-chaussée.

Comme s'il accomplissait un rituel, en entrant dans le bureau, Alex commença par faire chauffer de l'eau dans une bouilloire électrique, avant de la servir dans une théière dans laquelle il avait mis un mélange de thé particulier dont les effluves d'orange et de chocolat firent froncer le nez de Raphaël, qui ne supportait pas l'alliance de ces deux odeurs. Il déclina poliment l'offre du jeune homme lorsqu'il lui tendit la tasse qu'il lui avait préparée, bien que cela le dérangeât de devoir refuser. Il lui sourit, lui expliqua que ce n'était pas grave, que c'était normal de ne pas aimer certaines boissons, avant d'engloutir sa tasse presque cul sec.


« Mais dites-moi, fit-il soudainement, comme pris d'une soudaine révélation, maintenant que vous avez retrouvé Hélène, vous n'avez plus besoin de nous ?

– Je crois bien que si. Je veux moi aussi savoir qui a causé sa mort, et lui faire payer.

– Il vaudrait mieux chercher à retrouver votre époque d'origine, non ? »


Cette question, posée sur un ton hésitant et quelque peu triste, le ramena sur terre. Il n'avait toujours pas trouvé de solution à cela ; il devait encore sauver Hélène à son époque...


« Je veux savoir qui lui a fait ça. Je pourrais peut-être mieux comprendre pourquoi la Hélène que je connais est ainsi. »


Alexandre vit une lueur de détermination brûler dans son regard ; il semblait qu'il allait tout mettre en œuvre pour comprendre la source de tout cela.


« Je suis convaincu que nous venons d'univers parallèles. Connaître le point de divergence entre le tien et le mien m'aidera forcément.

– Et comment comptez-vous vous y prendre ? »


Le rouquin prit un air songeur, et entoura son menton de sa main, plongé dans sa réflexion.


« Connais-tu Isaac, mon père ?

– Un peu... Mais il n'a plus donné de signe de vie depuis des années... »


Il fronça les sourcils. Avant même qu'Alexandre n'eût le temps d'ajouter le moindre mot, il vit le jeune homme s'emparer de nombreuses feuilles et de noter à une vitesse folle des lignes entières qu'il peinait à déchiffrer, même en se concentrant sur son écriture hasardeuse.


« Comment s'est finie l'affaire des Jardins ? demanda-t-il sans lever le nez de ses notes.

– Selon les rapports que j'ai pu lire, les responsables ont été arrêtés, sauf Léonard Bonar dont on n'a jamais retrouvé le corps, bien que déclaré mort par le seul témoin de sa chute, Fantôme R. L'affaire a rapidement été oubliée après ça, les gens préféraient ne pas voir la réalité de ce qui s'était passé.

– Comme dans mes souvenirs... »


Il devait chercher dans la jeunesse d'Hélène ; s'il existait une piste susceptible de les aider, elle ne pouvait que se trouver là.


Il ferma les yeux un instant, cherchant parmi tout ce qu'il avait pu apprendre d'elle pendant les quelques temps passés à ses côtés. Elle n'avait jamais réellement parlé de son enfance, il savait juste qu'Isaac était devenu son tuteur après le décès de ses parents, et qu'Alexandre était décédé avant cela. Peut-être que tout avait basculé à ce moment, lors de la tentative d'assassinat.

Il grinça des dents. Pourquoi n'avaient-ils jamais parlé de ça ensemble auparavant ? Ça aurait tellement facilité les choses. Et l'absence de son père n'aidait pas plus... Les seules personnes qui auraient pu l'aider à cette époque n'étaient plus, il n'avait pas d'autre piste que cette personne chez qui Alexandre avait vécu.


« Je n'ai plus eu de ses nouvelles depuis que j'ai déménagé pour vivre seul, souffla le jeune homme alors que Raphaël lui suggérait de lui rendre visite. Je ne sais même pas si elle vit toujours au même endroit.

– Raison de plus pour renouer avec la famille, non ? » lui sourit-il tout de même avec la volonté de l'encourager.


Il haussa les épaules d'un air peu convaincu, et même quelque peu gêné.


« Nous n'étions pas en de si bons termes vers la fin...

– Tu ne veux pas en savoir plus sur ta famille ? »


Raphaël ne se rendit compte que trop tard du ton insistant qu'il avait employé, ce qui avait fortement déplu au jeune homme qui eut un mouvement de recul, avant de se dresser de toute sa hauteur et de le regarder droit dans les yeux.


« C'est avant tout ma famille, vous n'avez aucun lien avec nous.

– Et si Alex est ta seule piste, alors n'essaie surtout pas de te le mettre à dos » ajouta Charlie en fermant l'épaisse porte de bois derrière elle.


Elle jeta quelques pochettes sur son bureau, et s'assit dans sa chaise pivotante. Son coude gauche posé sur un espace vide de la surface et sa joue reposant sur son poing fermé, elle les dévisagea, en prenant soin de faire comprendre en silence à Raphaël qu'il n'était pas le bienvenu dans son bureau privé.


« J'en sais tout autant que toi, fit-elle à l'intention de son assistant. Alors, quel est votre plan ? Vous allez la voir ? »


Elle gardait un sourire en coin qui faisait frémir Raphaël tant elle ne lui inspirait aucune confiance. En face d'elle, Alex parut se résigner à accepter l'initiative, mais sa volonté n'était pas complètement là ; il semblait redouter quelque chose, comme si revoir sa tutrice lui donnait un mauvais pressentiment.


« Très bien, lâcha-t-il finalement. Dès que je retrouve ses coordonnées, nous irons la voir. »


                                                                                                                                   

Cela ne pouvait que les aider, pas vrai ?

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