Quatorze Juillet

Chapitre 37 : - Partie III ~ Feux d’artifice - - Chapitre XXXV -

4691 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 02:02

– Chapitre XXXV –


« Je pense que nous avons beaucoup à nous dire, dit Alex en étudiant en détail Raphaël, ses yeux le balayant de bas en haut.

– Je suis du même avis. »


La pluie avait cessé de tomber, laissant derrière elle un sol humide et quelques gouttes glissant le long des pierres tombales.


« À en voir votre réaction, j'en déduis qu'elle ne vous est pas aussi inconnue qu'elle devrait l'être.

– Qu'est-ce qui lui est arrivé ? »


Alex retint un rire nerveux. Il devenait quelque peu hostile à son égard.


« Vous voulez vraiment que je vous en parle ici ? Pour qui vous vous prenez ? »


Il nota qu'il s'était remis à le vouvoyer. Cela n'indiquait rien de bon.


« Allons dans un endroit calme, ailleurs qu'ici, proposa-t-il. Je pourrais moi aussi m'expliquer sur certains points... »


Il acquiesça, apparemment à contrecœur, et lui demanda poliment –mais néanmoins sèchement– de sortir le premier du cimetière, ajoutant qu'il avait encore quelque chose à faire. Raphaël obéit et l'attendit sans rechigner, dos à la grille du grand portail. Quelques instants après, Alex le rejoignit. Il ne lui adressa qu'une fois la parole, pour lui ordonner de le suivre jusque chez lui.


Raphaël se retint de faire le moindre commentaire. Il n'aimait pas la tournure qu'avaient pris les événements.


Alex était donc le petit frère d'Hélène. Cela ne l'étonnait plus vraiment qu'il reconnût une part d'elle en lui alors. Il avait même quelques réactions qu'il avait pu observer chez elle, comme cette manière de se replier sur soi-même lorsque le sujet devenait bien trop sensible.

Cette information, pourtant anodine, laissait comprendre beaucoup de choses. Premièrement, Hélène venait du futur. À présent, cela sonnait comme une évidence ; il aurait pu s'en rendre compte tellement plus tôt. Elle ne cherchait pas à modifier son passé en intervenant auprès de Bonar, mais son futur. Le même futur qu'il lui avait apparemment ruiné. Le futur auquel elle n'appartenait plus, à présent qu'elle était décédée.

Mais pourquoi n'était-elle plus de ce monde ? Pourquoi et comment s'était-elle retrouvée enrôlée dans tout ça ? Et quel était ce monde dans lequel elle ne vivait plus ?


Le jeune homme le mena jusqu'à son appartement ; Raphaël tenta de dissimuler sa surprise en remarquant que c'était le même bâtiment que celui dans lequel il vivait, et plus encore en voyant Alex tourner sa clé dans la serrure de son appartement. Ce devait être une blague, il n'en revenait pas. C'était donc lui le nouveau locataire de son appartement ?


Il l'invita à entrer. Raphaël découvrit à nouveau son ancien chez-lui, entièrement redécoré, ce qui lui pinça légèrement le cœur. Alex lui demanda de s'asseoir sur le canapé alors qu'il préparait du thé –décidément il en buvait constamment. Il ne refusa pas, par simple politesse.


« Que savez-vous sur Hélène ? » demanda alors le jeune homme en s'installant face à lui, ses jambes serrées et son corps quelque peu penché en avant vers lui.


Par où devait-il commencer ?


« Elle avait dix-huit ou dix-neuf ans quand je l'ai connue...

– Vous devez savoir que c'est impossible, s'étrangla-t-il.

– Aussi fou que cela puisse paraître, elle voyageait dans le temps. Elle a quitté son époque pour modifier les événements lors de l'Incident des Jardins. »


Il croisa les bras sur son torse, apparemment sceptique quant à ses propos.


« Elle est entrée en contact avec moi parce que j'étais le premier concerné par tout ça. Je... Je suis Fantôme R. »


Il aurait aimé garder son identité secrète plus longtemps, mais la situation en avait apparemment décidé autrement.


« Admettons que ce que vous dites est vrai, et que vous avez voyagé dans le temps –ce qui est impossible soyons clair– alors, si êtes le vrai Fantôme R, vous devriez pouvoir me donner votre véritable identité.

– Et comment savoir si ce que je dis n'est pas un mensonge ? »


Raphaël joua le petit jeu d'Alex ; si ce dernier souhaitait ruser, alors il allait être plus futé que lui.


« Il se trouve que j'ai moi aussi connu Fantôme R, en civil. Il s'appelait Raphaël...

– Girard, coupa Raphaël. Raphaël Girard. »


Il en resta muet, son avis était apparemment toujours autant partagé. Il tentait tant bien que mal de dissiper sa surprise derrière un masque neutre auquel Raphaël croyait difficilement.


« Mon père, Isaac, a disparu trois ans avant l'incident ; c'est à cause de ça que j'y étais mêlé, ajouta-t-il. Et c'est pour les mêmes raisons que j'ai rencontré Hélène et–

– Arrêtez de mentir. »


Il se mit soudainement debout, et le toisa d'un air mauvais.


« Ce que vous dites est faux, vous n'auriez jamais pu la connaître, puisqu'elle n'est plus, à cause de... »


Il s'était violemment emporté sur ses derniers mots, avant de se calmer rapidement de lui-même.


« Je peux le prouver, Alex. »


Alors qu'il s'était mis sur pied à son tour et avait fait un pas dans la direction du jeune homme, les souvenirs d'une discussion qu'il avait eue avec Hélène peu après les événements de Versailles lui revinrent en mémoire.


« C'est en rapport avec Alexandre, pas vrai ?

– Peu importe où tu as entendu ce nom, il n'a plus aucune importance pour moi.

– C'est qui ?

– Personne. »


« Votre nom, ce n'est pas Alex, mais Alexandre de France, n'est-ce pas ? »


Il recula de deux pas, la stupeur figée sur son visage. Ses yeux grandement écarquillés cherchaient quelque chose, un indice qui lui prouverait qu'il bluffait.


« Pour le nom de famille, j'ai supposé que c'était le même que celui d'écrit sur la tombe d'Hélène. Et pour le prénom... »


Il prit une grande inspiration.


« Il a très souvent été mention d'un Alexandre, qui était la raison pour laquelle Hélène était aussi indécise sur les ordres à suivre. C'était pour lui qu'elle obéissait et subissait tout ce qu'on lui infligeait. Si ce n'était pas pour un ami ou ses parents, ce devait forcément être pour son frère qu'elle faisait tout ça.

– Elle vous a parlé de moi ?

– Elle a toujours refusé de m'expliquer. Elle s'en voulait pour quelque chose, j'en suis convaincu. »


Alexandre resta silencieux. Il enfouit ses mains dans ses poches et tenta de paraître détendu, mais il était clairement au bout de ses forces. Il cherchait à tout prix à détruire son mensonge, et ne trouvait plus la moindre piste.


« Je sais à quel point ça peut paraître fou, mais il faut me croire. J'habitais ici, je cachais mes œuvres dans la cave, à laquelle on a accès depuis la chambre...

– La cave ? »


L'air surpris d'Alexandre en disait long. Il ignorait l'existence même de cette cave.


Raphaël acquiesça. S'il voulait qu'il lui fît confiance, alors il fallait commencer par lui-même la lui accorder. Il lui demanda de le suivre jusque dans son ancienne chambre, qu'occupait désormais le jeune homme et, sous ses yeux médusés, il tira le livre de la bibliothèque qui, dans un grondement de rouages et d'autres mécanismes, s'avança pour couvrir celle à sa droite, révélant le fameux passage. Le murmure d'étonnement qu'avait lâché Alex lui confirma qu'il n'avait jamais eu vent de l'existence de ce passage.

Il le suivit prudemment, faisant attention à chaque pas qu'il faisait pour ne pas glisser et chuter. Le bruit de leurs talons claquant contre le sol de pierre résonnait en un écho qui finissait par s'étouffer petit à petit. Les lampes qui pendaient au plafond s'allumèrent les unes après les autres, et baignèrent la pièce dans une atmosphère chaleureuse d'une couleur orangée apaisante. Raphaël observa le jeune homme d'un air amusé ; ce dernier découvrait, des étoiles dans les yeux, les trésors qui reposaient sous son appartement depuis des décennies sans que jamais il n'en sût l'existence. Son expression faciale était partagée entre la stupeur et l'amusement, il était presque comme un gamin face à une vitrine de confiseries.


« Je pense que cela est clair désormais, lança Raphaël en s'approchant de lui, les mains dans les poches, alors qu'Alex était penché sur un énième tableau. Il est impossible de réfuter que je suis Fantôme R. Je volais les faux et rendais les originaux. »


Il acquiesça timidement, sans pour autant détourner les yeux de la peinture affichée devant lui. Il étudia les détails, les coups de pinceaux, les nuances de couleur. Il n'était pas expert en la matière, mais il était certain que si cette œuvre était un faux, alors le faussaire qui l'avait faite était doté d'un sacré talent.


« Comment...

– Je procédais ? Je volais les copies exposées dans les musées, attendais que l'enquête se tasse, et rendais la véritable œuvre un peu après. C'est mon père qui les avait faits, pour des raisons personnelles. »


Le blondinet se redressa, et lui fit face. Il croisa son regard, empli d'une nouvelle détermination, et dans lequel brûlait la même lueur que celle que Raphaël avait pu trouver dans les yeux d'Hélène.


« Vous m'avez convaincu. Je vais vous parler d'Hélène. »


Il proposa à ce qu'ils montassent au salon, qui serait un lieu plus adéquat que la cave pour discuter de sujets sensibles comme celui-ci. Raphaël le suivit sans broncher. Il allait enfin en savoir plus sur ce futur étrange, et peut-être allait-il pouvoir comprendre ce qui avait mené Hélène à agir ainsi.


« Avant que vous commenciez, j'aurais une question. Votre nom de famille est de France, n'est-ce pas ? »


Alexandre acquiesça, quoiqu'un peu gêné par cette affirmation.


« C'est un nom noble, donc vous faites partie de la lignée de la duchesse, je présume ?

– Chaque chose en son temps, répondit-il en tentant de changer le sujet. C'est aussi un sujet plutôt sensible... »


Raphaël s'excusa platement pour son insistance, et l'invita à lui dire ce qu'il voulait concernant la jeune femme.


« Hélène avait trois ans de plus que moi. Puisque notre père a disparu avant ma naissance et que je ne l'ai pas connu, elle s'est beaucoup occupée de moi, et grâce à elle je n'ai pas trop souffert de ce manque. »


Il passa sa main droite dans ses cheveux, et se gratta quelque peu l'arrière de la tête.


« J'ai été longtemps malade ; pendant un an au moins j'étais cloué au lit et mes seuls déplacements hors de chez nous consistaient en des visites à l'hôpital pour faire divers tests tous aussi infructueux les uns que les autres. Pendant tout ce temps, alors que ma mère se démenait pour que je guérisse, Hélène restait près de moi pour que je ne souffre pas. Elle me lisait des histoires, parfois chantait des chansons même si elle n'avait jamais été douée en chant, et me faisait rêver en me racontant ce qu'on allait faire une fois mon état amélioré... »


Il tourna la tête, tentant de dissimuler des yeux de Raphaël les larmes qui montaient. Le rouquin lui assura qu'il pouvait s'arrêter s'il le voulait, qu'il n'était pas forcé de poursuivre, mais Alexandre ne l'écouta pas et continua.


« Je me souviens qu'au Noël de 2023, il y avait un grand festival qui avait été organisé. C'était le vingt-trois décembre, et il y avait énormément de monde là-bas. On avait supplié ma mère pour qu'elle nous laisse nous y rendre, mais elle a refusé, à cause de mon état. Hélène était dévastée, mais elle avait trouvé le moyen pour que l'on puisse faire notre petit festival tous les deux, chez nous. Ma mère ne s'y était pas opposée, cela l'avait elle aussi bien amusée. »


Raphaël baissa la tête. Il imaginait tellement facilement une jeune Hélène enthousiaste et pleine de vie, qui riait aux côtés de son frère... Comment avait-elle pu mourir si jeune ? Et comment avait-elle pu finir ainsi dans son univers d'origine ? Il espérait que ce qu'allait lui raconter le jeune homme allait l'aider à comprendre.


« Après ça, tout allait mieux. J'ai rapidement guéri et on a pu de nouveau jouer ensemble comme avant... Jusqu'à cet incident... »


Il se stoppa, au bord des larmes, et s'excusa de ne pas pouvoir finir son explication. Raphaël le rassura, et tenta de lui faire comprendre que c'était déjà beaucoup. Il ajouta qu'il l'avait déjà beaucoup aidé et que cela l'avait convaincu qu'il s'agissait de la même Hélène, bien que cela relevait quelque peu du mensonge.


« Je vais étudier les rapports de police, je pense que je pourrais trouver la fin de l'histoire. Merci encore, Alexandre.

– Je vous en prie... »


Le rouquin se dirigea vers la porte d'entrée. Le bureau était certes fermé, il pouvait toujours y pénétrer d'une manière plus fantômesque.


Alors qu'il s'apprêtait à passer le seuil de l'appartement, son hôte l’interpella une dernière fois.


« S'il vous plaît, appelez-moi Alex. Je ne supporte pas que l'on m'appelle par mon prénom complet. Elle seule le pouvait... »


*


La ville de nuit était un spectacle intéressant à voir. Il semblait qu'il y avait un festival ou une quelconque animation, puisque Raphaël vit des décorations lumineuses et des groupes de personnes dont l'humeur festive était contagieuse. À quelques reprises il entendit de la musique, dont il reconnut certaines pistes non sans sourire.

Il trottina paisiblement jusqu'au commissariat. Néanmoins l'absence de Fondue à ses côtés pour son escapade se fit ressentir rapidement ; il avait tellement hâte de rentrer à son époque et de retrouver son compagnon. Le pauvre devait terriblement se sentir seul et abandonné. Quel piètre maître il faisait.


Il fit rapidement face à l'immense bâtiment. Les lumières étant toutes éteintes et les locaux fermés, c'en était presque effrayant ; on eût dit une bâtisse abandonnée. Mais quel lieu lui aurait mieux convenu à Fantôme R qu'un commissariat fantôme ? Il allait pouvoir y rôder et prendre son temps comme il en avait l'habitude. Lorsqu'il avait déambulé dans les couloirs aux côtés d'Alexandre ou même par lui-même, il n'avait pas repéré la moindre caméra. Il ne comprit qu'après pourquoi ; les serrures étaient verrouillées informatiquement et impossibles à crocheter. Il ne put pénétrer dans le bureau de Charlie qu'en escaladant par les balcons l'immense façade. Cela ne l'avait pas dérangé, au contraire, il avait adoré sentir la brise fraîche du soir souffler à travers ses cheveux. La fenêtre ne fut pas compliquée à forcer, et il lâcha un soupir de soulagement une fois que ses pieds eussent foulé le sol en parquet de la pièce.


Sa première tâche fut de retrouver les dossier qu'Alexandre avait amassés et étudiés. Ceux-ci se trouvaient dans un tiroir du bureau de Charlie, par chance non verrouillé. À la lumière d'un lampadaire qui éclairait à la hauteur de l'étage où il était, il put identifier certains noms et mots. Il s'empara d'une pochette sur laquelle il y avait une étiquette où il était noté à la main et au stylo à bille le nom de Hélène de France. Il devait certainement y manquer des pages, mais Raphaël put tout de même en sortir le rapport de l'autopsie de la pauvre rouquine. Il y était inscrit qu'elle avait été poignardée à cinq reprises, dont une fois dans le dos, les quatre autres coups ayant été portés à la cage thoracique. L'agression avait eu lieu dans une rue sous-jacente menant à la Place de la Concorde, il y avait quatorze ans de cela.

Il y avait eu plusieurs suspects –que des noms inconnus de Raphaël– mais aucun n'avait été retenu par manque de preuves. L'enquête piétinait toujours autant, les enquêteurs qui s'en étaient chargés avaient presque tous fini par laisser tomber. Sauf l'irréductible inspecteur Paul Vergier, qui s'était tout autant dévoué à retrouver le coupable qu'il ne cherchait Fantôme R. Il avait pu retrouver un témoin –le seul– qui n'était autre que le frère d'Hélène, Alexandre.

L'un des rapports ajoutés au dossier stipulait qu'il avait été lui aussi attaqué et blessé par l'individu. Il avait eu bien plus de chance que sa pauvre sœur, même s'il avait passé un certain temps à l'hôpital après l'incident, et en avait lui aussi gardé quelques séquelles. Il devait certainement y avoir d'autres dossiers à son sujet, mais ce n'était pas la cible première de Raphaël.


Il ferma la pochette regroupant tous ces papiers. Ainsi Hélène avait été assassinée par un type que l'on n'avait jamais retrouvé. C'était louche. Terriblement louche.


Il fallait qu'il fît la lumière sur tout ça. Connaître le futur pouvait l'aider à empêcher cela de se produire ; Hélène et Alexandre avaient besoin de vivre une vie normale.


« Je me doutais bien que je te trouverais là » fit une voix sortant de l'ombre.


La personne pressa l'interrupteur, la pièce s'illumina, révélant pleinement Raphaël aux yeux de la nouvelle venue.

Il se redressa subitement, tentant de dissimuler ce qu'il étudiait jusqu'alors d'un air complètement et terriblement gêné.


« Bonsoir, Charlotte, souffla-t-il sans trop savoir si cela avait été une bonne idée de l'appeler par son réel prénom. Ça faisait longtemps.

– Va savoir pourquoi, tu ne m'as absolument pas manqué. »


Elle avait ce ton sec et froid, qui instaurait une certaine distance entre eux. À quoi s'attendait-il ? Ils n'avaient coopéré qu'une seule fois, et c'était plus de vingt ans auparavant pour elle. Par ailleurs, il était la raison pour laquelle elle avait perdu son père, elle avait toutes les raisons de le haïr. Et pour finir, comme si ce n'était pas suffisamment accablant, elle le prenait en flagrant délit d'effraction dans le commissariat. Il était fichu.


« Je suis désolé pour ton père, je... Je ne savais pas.

– J'espérais que tu sois mort pour qu'il puisse te mettre sous les verrous dans l'au-delà. Tant pis. »


Elle prit soin de verrouiller la porte d'entrée du bureau derrière elle, et vint se poster dos à la fenêtre, lui bloquant ainsi toutes les issues.


« Pourquoi tu es revenu ? demanda-t-elle fermement, les bras croisés sur la poitrine.

– Je n'avais pas le choix, c'était la seule solution pour retourner chez moi... »


Elle leva un sourcil, un air sceptique dessiné sur son visage. Il recula jusqu'à toucher une des étagères situées derrière lui. Cela n'annonçait rien de bon pour lui.


« Ça peut paraître fou, mais je viens du passé, j'ai voyagé dans le temps et...

– Et tu crois que je vais gober ça ? Tu me déçois, Fantôme R.

– C'est la vérité, insista-t-il, le ton de sa voix devenant à chaque instant un peu plus hésitant. Sinon, comment expliquerais-tu que je n'aie pas vieilli depuis tout ce temps ? »


Sa remarque sembla atteindre Charlie puisqu'elle fronça de plus belle les sourcils et se plongea dans une longue réflexion silencieuse.


« Comment ? » finit-elle par demander.


Bien qu'il était certain qu'elle n'allait pas le croire, il lui raconta toute l'histoire. Il lui parla longuement d'Hélène, de ce qu'elle avait fait et dans quelle aventure elle l'avait embarqué. Il lui parla du voyage qu'ils avaient fait pour changer le cours des événements lors de l'affaire des Jardins de Babylone, qui s'était soldé par une réussite amère, ce qui l'avait mené là, dans un futur alternatif relativement proche à la dimension à laquelle il appartenait à l'origine. Et enfin, il lui parla de ce qu'il avait découvert, notamment l'identité d'Alexandre et le lien qu'il avait avec Hélène, ce à quoi elle manifesta quelques réactions, notamment de la surprise. Elle garda un air perplexe, mais sembla tout de même le prendre au sérieux. Puis elle se leva, et avança jusqu'à la fenêtre où elle garda le dos tourné.


« Ce pourrait être dangereux que tu apprennes des choses sur ton avenir ici. Ça pourrait tout changer.

– Je me fiche de cela, Hélène est ma priorité.

– C'est honnêtement très égoïste tout cela, grogna-t-elle. Merci à toi si tu ruines encore ma vie juste pour ton plaisir. »


Il eut une sensation de déjà vu. Hélène ne lui avait-elle pas déjà elle aussi reproché qu'il eût détruit sa vie ?


« Je pourrais peut-être sauver ton père...

– Laisse-le en dehors de tout ça. T'as pas honte d'avoir recours à un argument pareil pour obtenir mon soutien ?!

– Je ne te demande pas de m'aider, Charlie. Juste de comprendre. »


Elle se retourna, et lui jeta un regard noir.


« Qu'est-ce qu'il y a à comprendre là-dedans ? Tu impliques encore des gens qui ne sont pas liés à tes histoires.

– Hélène a un lien avec mon père. C'est à cause de lui tout ça, et pas à cause d'Hélène. Je dois l'aider. Et pour ça, je dois retourner chez moi.

– Ou tu pourrais tout aussi bien tourner la page et aller de l'avant, comme on a tous été forcés de le faire après tout ça » cracha Charlie.


Sa remarque le piqua au vif. De quoi était-elle en train de parler ?


« Ça ne fait que quelques jours à peine que tu te plains. Pense à ceux qui vivent ça depuis des années. Est-ce que ce serait trop demander au grand Fantôme R de se mettre à la place des autres ? »


Son ton était mordant et faisait plutôt mal. Mais de quel droit se permettait-elle de remettre en question ses motivations ? Il était normal de devoir autant s'inquiéter pour Hélène et d'autant désirer la sauver !


« Tu ne sais pas ce que j'ai vécu, grommela-t-il à demi-mot en retour.

– Tu ne sais pas ce qu'il a vécu ! »


Charlie avait tapé violemment du poing sur la table, faisant sursauter le rouquin. Elle était folle de rage, et lui jetait des regards assassins.


« Ça fait quatorze ans qu'il est seul, et qu'il cherche à tout remettre en ordre. Personne ne l'a jamais aidé. Et tu oses débarquer et prétendre connaître la seule personne qui comptait le plus à ses yeux, comme si de rien n'était ? Il était dévasté hier, il sait que tu lui mens et que tu te fous de lui ! Mais tu as de la chance, ce n'est pas n'importe qui ! C'est ce pauvre petit Alex qui ne dit jamais rien quand ça ne va pas, et qui garde tout pour lui. Merci de le détruire encore plus. Tu crois qu'il n'a pas assez souffert comme ça ?! »


C'en était trop. Il se leva et se mit à la hauteur de Charlie, avant de répondre sur un ton similaire.


« Qu'est-ce que j'en ai à foutre de lui ? Il ne m'intéresse que parce qu'il est son frère. Il est le seul à pouvoir me mener à Hélène.

– Mais ouvre les yeux, bordel ! Elle n'existe pas cette fille ! Elle est morte à sept ans ! »


Le sang de Raphaël ne fit qu'un tour. Il avait tout accepté jusque là, mais il ne le supportait plus. Il ne tolérait pas que l'on remît en question l'existence d'Hélène ; les moments vécus à ses côtés étaient bien réels et il ne laisserait personne contredire cela.

Il empoigna Charlie par le col et l'immobilisa violemment contre l'une des étagères remplies de livres et dossiers. Certains chutèrent, déstabilisés par le choc lorsque son dos les heurta.


« Je t'interdis de dire ça d'elle devant moi, rugit-il. Hélène était bien là, elle a toujours été là.

– Si ce que tu m'as dit est vrai et qu'elle aide Bonar, elle n'est pas vraiment du même côté que toi, tu es au courant ? »


Il resserra les poings et suréleva quelque peu Charlotte, dont le visage commençait à prendre une teinte rougeâtre d'une manière inquiétante.


« Elle a changé, grogna-t-il d'une voix gutturale. Elle fait tout pour retrouver son frère et sauver son futur. Elle a trahi Bonar et son organisation pour lui !

– Ce même frère que tu détruis encore plus, rétorqua-t-elle en respirant difficilement. Qu'est-ce qu'elle penserait de toi si elle le savait ? »


Elle avait raison. Cela l'atteignit comme une soudaine évidence. Il ne pouvait pas l'utiliser comme un simple moyen pour parvenir à ses fins ; Hélène n'accepterait jamais ça.

Il la lâcha doucement et s'excusa pour son comportement. Elle ne répondit pas, et lui jeta un regard mauvais. Elle aurait pu lui reprocher d'avoir tenté de la tuer. À dire vrai, il s'était lui-même étonné par la force avec laquelle il l'avait empoignée et soulevée, ça ne lui ressemblait décidément pas. Mais même si elle lui pardonnait son soudain accès de colère, il n'empêchait qu'il avait agressé un agent des forces de l'ordre, en plus de son intrusion dans le commissariat. S'il parvenait à se sortir de là sans problème, il lui en serait très probablement reconnaissant à vie.


« Je t'interdis de t'approcher de lui à nouveau.

– Pourquoi ? T'es qui pour lui, sa mère ? » ricana-t-il sèchement.


Elle resta silencieuse.


Cela l'intrigua. Avait-il touché une corde sensible ? Qu'est-ce qu'il devait comprendre par là ?


« T'es pas sérieuse. C'est ton fils ?

– Bien sûr que non, s'emporta-t-elle. J'en reviens pas que tu puisses parler de ça aussi légèrement. »


Il la dévisagea avec de grands yeux étonnés, qui traduisaient parfaitement son désir d'en savoir plus sur le sujet. Charlie roula des yeux et soupira, avant de s'expliquer quelque peu.


« Il vaut mieux que ça soit à lui d'en parler. Mais sa mère est décédée alors qu'il n'avait que cinq ans, peu de temps après qu'on ait retrouvé le corps de son père, un an après la disparition de sa sœur. Il pourrait refuser, c'est encore un sujet sensible...

– Tu vas tourner autour du pot encore longtemps ? soupira Raphaël d'un ton excédé. Dis-moi au moins son nom ! »


Elle parut hésiter un instant, avant de lui répondre.


Il resta figé plusieurs instants, il tenta de trouver un signe qui trahirait Charlie. Elle baissa la tête et lui fit savoir où se trouvait sa tombe, s'il voulait aller la voir.

Il n'attendit pas, et se jeta hors de la fenêtre, descendant des balcons en s’agrippant à la gouttière ou en suivant d'autres chemins, avant de courir de toutes ses forces en direction du cimetière.


Quatre syllabes tournaient dans sa tête. Inlassablement. Incessamment.


« Marie de France. »


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