Quatorze Juillet

Chapitre 36 : - Partie III ~ Feux d’artifice - - Chapitre XXXIV -

4725 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 02:00

– Chapitre XXXIV –


Raphaël était retourné au commissariat en compagnie d'Alex, et avait à nouveau fait face à Charlie. Il fallait dire qu'il était toujours perturbé de la voir bien plus vieille, mais il respectait grandement sa carrière ; son assistant lui avait expliqué qu'elle s'était intéressée très jeune aux forces de l'ordre, même s'il le savait déjà, et dès que cela lui avait été possible, elle avait accédé à toutes les formations pouvant la mener là où elle en était à présent. Elle avait été quelque peu ralentie et méprisée par la réputation de son père –qui était un grand inspecteur, pour reprendre les mots d'Alex– mais elle avait toujours refusé le piston qu'il aurait pu lui apporter. Après qu'il eût quitté son poste, elle avait tout mis en œuvre afin de reprendre ses recherches et de récupérer son bureau, qui était le seul héritage qu'elle avait pu obtenir de lui. Lorsque Raphaël demanda quelles étaient les recherches qu'avait mené Vergier, le jeune homme lui expliqua l'affaire Fantôme R, ce qui l'amusa bien. Il y avait environ quatorze ans de cela à présent, Fantôme R avait effectué un dernier vol en laissant une marque et un message étrange, qui avait laissé tout le monde perplexe, policiers comme journalistes. Vergier avait passé les neuf années suivantes à tenter d'élucider ce mystère, en vain.


Alors qu'il aidait Alex à sortir plusieurs dossiers des nombreuses étagères dans le but de faire ses recherches, Raphaël demanda ce qui avait mené Vergier à arrêter sa carrière.


« Il n'a pas eu le choix, souffla le jeune homme avec regret. Son cancer l'a emporté...

– C'était un cancer du poumon, expliqua Charlie qui venait d'apparaître dans le bureau sans crier gare, ce qui fit sursauter le rouquin. Il a commencé à fumer après le décès de ma mère, et encore plus lorsque Fantôme R a commencé à sévir. C'est de la faute de ce foutu voleur. »


Raphaël déglutit, et se sentit très mal à l'aise. Il ne s'était jamais rendu compte de l'envers du décor. Il avait vraiment contribué à la destruction de l'inspecteur Vergier...


« Si un jour je parviens à décrypter son message et à le retrouver, je lui ferais payer pour tout ça.

– L'important étant de rester dans la légalité, chef, plaisanta Alex en descendant de l'escabeau qu'il avait utilisé afin d'atteindre les dossiers les plus élevés. Ce serait dommage que votre désir de vengeance détruise votre carrière remarquable. »


Elle leva les yeux au plafond d'un air désespéré.


« Ce n'est pas un voleur comme lui qui va m'arrêter.

– Je n'en doute pas. »


Alex mit fin à la conversation avec son supérieur, un léger sourire au coin de ses fines lèvres. Puis il se tourna vers Raphaël, et l'informa.


« Nous avons là tous les dossiers des personnes portées disparues des trente dernières années. Si la disparition de celle que vous cherchez a été signalée, elle sera forcément là-dedans, même si son cas a été réglé. »


Il lui demanda le nom de famille de celle qu'il recherchait, les dossiers étant classés par années et noms. Le rouquin le regarda, tout penaud, et s'excusa de ne pas se souvenir de son nom –avant de s'en souvenir, il aurait fallu le connaître, mais c'était autre chose– ce à quoi Alex répondit que cela posait pour seul problème que leurs recherches allaient être ralenties. Néanmoins il se sentit stupide, de savoir si peu de choses à son sujet ; en même temps, il n'aurait jamais pensé qu'il se retrouverait dans une telle situation.


« À quand remonte la dernière fois qu'elle a été vue ?

– 2012. Le quatorze juillet je crois bien.

– Et elle avait quel âge à cette époque ?

– Dix-huit, dix-neuf ans, pas plus. »


Il parut réfléchir un instant.


« Donc elle devrait avoir quarante-quatre ou quarante-cinq ans. Elle a dû beaucoup changer des photos que vous avez pu voir. »


Il releva la tête et plongea innocemment ses yeux perçants dans ceux de Raphaël.


« Elle fait partie de votre famille ?

– C'est une précieuse amie. Je ne veux pas la perdre. »


Un nouveau froncement de sourcils d'Alex lui fit comprendre la bourde qu'il avait commise.


« Comment l'avez-vous connue si vous n'étiez pas né lorsqu'elle a disparu ?

– Mes parents m'en ont tellement parlé que j'ai le sentiment de l'avoir déjà rencontrée, mentit-il dans une tentative désespérée pour essuyer les soupçons qu'il pouvait avoir.

– Je vois. »


Non loin d'eux Charlie était plongée dans l'écriture d'un rapport, et tapait furieusement sur son clavier. Elle paraissait être complètement ailleurs, absorbée par son travail, et faisait une totale abstraction de ce que disaient les deux jeunes hommes. Heureusement que Raphaël était supposé la voir elle et non son assistant, parce que ce n'était absolument pas ce qui se passait au final. Mais d'un autre côté il n'allait pas s'en plaindre ; Charlie paraissait crouler sous le travail, et Alex était sérieux et étudiait son cas attentivement. De plus, le rouquin se sentait plus à l'aise à ses côtés, peut-être parce qu'il avait en partie peur que l'inspecteur le reconnût. La situation était mieux ainsi.


Il ne compta pas le temps qu'ils passèrent à retracer une vingtaine d'années de disparitions ; en voyant qu'Hélène n'était pas répertoriée dans les listes de personnes portées disparues après l'Incident des Jardins, ils s'étaient attelés à vérifier chaque dossier des années suivantes, jusqu'à la date présente.

Mais rien n'y fit, elle n'apparaissait nulle part. Et cela en était de même pour Isaac ou même le futur Raphaël, rien. Dans un sens, ne pas les trouver dans ces listes était réconfortant, ils pouvaient toujours être vivants après tout. Mais ne pas en avoir la moindre trace était tout aussi inquiétant, il fallait le dire.


Une fois les rapports de disparitions étudiés, Alex proposa d'éplucher ceux répertoriant les décès sur la même période ; ce fut le même long travail difficile et épuisant, mais avec une crainte encore plus tenace qui rongeait les tripes de Raphaël. L'assistant de Charlie lui montra quelques dossiers de personnes ressemblant et pouvant correspondre à ceux qu'il cherchait, en vain. Il crut même le voir un instant rester bloqué sur une fiche tirée du dossier de 2024, avant de la remettre dans la pile.

Cela fut encore plus exténuant pour Raphaël, physiquement et émotionnellement. Il ne trouva aucune correspondance là non plus parmi les dossiers qu'Alex l'avait autorisé à éplucher. Et avant même qu'il ne le réalisât, il se retrouva dans un bar à siroter un verre à ses côtés. Il l'avait invité à sortir ; le rouquin ne savait pas pourquoi il avait accepté, mais inconsciemment il était prêt à faire confiance à ce type. Quelque chose dans son regard l'intriguait, comme s'il l'avait déjà vu auparavant.


« On ne se serait pas déjà rencontré quelque part ? »


Raphaël recula dans sa chaise, quelque peu surpris par cette question inattendue que le blondinet lui avait posée.


« Au vu de votre réaction j'imagine que le sentiment est partagé, ajouta-t-il avec un petit sourire avant de boire une gorgée de la pinte de bière qu'il avait commandée.

– Je dois dire que oui, acquiesça le rouquin. Votre visage m'est familier. »


Alex leva les yeux vers les siens avec malice.


« Je vous avais autorisé à me tutoyer, vous savez.

– J'ai un peu de mal à tutoyer des personnes qui me vouvoient en retour » admit-il sur le même ton plaisantin.


Le rire léger qu'il eut pour réponse témoigna une fois de plus de la sympathie de l'assistant de Charlie. Il hocha légèrement la tête, et passa sa main droite dans ses cheveux. Son geste fit qu'il releva légèrement le bout de la manche de sa chemise gris clair, dévoilant une gourmette argentée qui tinta légèrement. Raphaël avait déjà noté la montre qu'il portait à l'autre poignet, et fut étonné que le jeune homme dissimulât avec autant de précautions ses bijoux ; pourquoi les porter s'il ne voulait pas qu'on les vît ? Par ailleurs, il avait gardé son épais pull couleur crème toute la journée. Ce gars-là était très frileux apparemment.


« Et donc, Ralph, tu as connu le père de l'inspecteur ? Il m'a semblé te voir avec une mine stupéfaite lorsqu'elle est entrée.

– On m'avait dit qu'il y avait un inspecteur borné qui travaillait toujours sans relâche sur ses affaires. Mais j'ignorais que sa fille avait repris le flambeau. »


Pour une fois, il ne mentait pas complètement. Alex acquiesça une fois de plus.


« Et toi, qu'est-ce que tu fais là ? Ça te plaît tant que ça d'être l'assistant de Vergier ?

– C'est provisoire. »


Raphaël baissa la tête et regarda le fond de sa tasse de café presque vide. Il lui avait gentiment proposé de la lui offrir, et à présent qu'il l'avait bue, il en voulait plus, même si tout le café du monde ne suffirait jamais à lui donner toute l'énergie dont il avait besoin.


« Je suis là moi aussi pour des recherches. L'inspecteur m'a pris sous son aile et je lui en suis terriblement reconnaissant.

– Tu recherches qui ?

– C'est une longue histoire. »


Il s'était quelque peu refermé ; son attitude lui fit clairement comprendre qu'il ne souhaitait pas la lui expliquer.


Évidemment, songea Raphaël, qui irait raconter toute sa vie à un individu rencontré quelques heures auparavant ?


Il acquiesça silencieusement et balaya les environs du regard. Autour d'eux, plusieurs groupes de personnes, d'une vingtaine d'années pour la plupart, discutaient et riaient. Il était à peine sept heures, et pourtant le lieu débordait de vie.

Il se figea soudainement, complètement stupéfait. Parmi tous ces gens, il vit un visage extrêmement familier ; il se leva et fit un pas vers cette personne, en manquant de trébucher en se prenant les pieds dans la table, avant de réaliser qu'il s'était trompé, et avait rêvé. Alex parut surpris lorsqu'il lui confia qu'il avait cru voir Hélène. Il se pencha même pour voir la fille qu'il avait méprise, et qui riait au loin en faisant onduler ses cheveux châtain mi-longs.


« Pourtant elle ne ressemble pas à la description que vous m'avez faite d'elle, remarqua-t-il.

– Elle a toujours été douée pour se déguiser, j'en ai fait les frais. Elle aurait pu se teindre les cheveux pour mieux se fondre dans la masse...

– Je vois. »


Il se rendit compte bien trop tard qu'il avait encore trop parlé. Alex avait certainement remarqué son erreur, et ne l'avait volontairement pas relevée. Il allait finir par se douter de quelque chose...

Pourtant il resta naturel, et se leva en prenant garde à ne pas faire de bruit en poussant sa chaise, même si on pouvait difficilement être plus bruyant que l'ambiance chaleureuse des lieux. Raphaël l'imita machinalement.


« Je vous ramène ?

– Non, merci, répondit le rouquin en affichant un sourire poli. Je préfère marcher jusque chez moi.

– On se revoit demain au commissariat alors » salua Alex alors qu'il se dirigeait vers l'ouest de la ville, laissant Raphaël seul sur la terrasse du bar.


Il soupira et enfouit ses mains dans ses poches. Voilà qu'il était à nouveau seul. Il aurait bien apprécié cela, si seulement il savait où aller. Il sentit le pendentif qu'il avait glissé dans la poche droite du pantalon emprunté au nouveau résident de son appartement. Le maigre contact avec le métal froid le réconforta tout de même ; cela lui rappelait que, peu importait où elle se trouvait, Hélène avait le sien avec elle et restait hors de danger.

Il traîna des pieds à travers la ville, errant à travers les rues. Il revint machinalement vers la ruelle par laquelle il était arrivé le matin même. Elle était toujours aussi vide, et même encore plus sombre à présent que le jour commençait à décliner. Son cœur se serra alors que la vision d'Hélène s'effondrant devant lui jaillit dans ses pensées. Il voulu tourner les talons et reprendre sa route, mais quelque chose attira son attention ; un petit éclat lumineux, un maigre reflet des phares d'une voiture passée par là lui indiqua que quelque chose reposait au sol. Il s'en approcha, et s'agenouilla afin de le ramasser. Un frisson glacé lui parcourut la colonne vertébrale, avant d'être amoindri par un sanglot bien plus violent qui le gagna. Raphaël se recroquevilla sur lui-même, et serra contre lui le second exemplaire de la pyramide de Shamash.

Il se souvint brusquement de ce qui s'était passé. Hélène avait lâché sa main, et l'avait poussé. Il s'était retourné, et dans son basculement, il s'était raccroché à la seule chose qu'il avait pu saisir, son pendentif.


Alors elle n'avait plus de chances de survivre ? Et tout bêtement à cause de lui et de sa maladresse.


Et à présent, à cause de lui, Hélène était morte.


Il resta là, quasi immobile au fond de cette ruelle, à pleurer en silence en se maudissant d'avoir été aussi stupide. Il n'avait pas le cœur à se relever et à chercher un lieu où passer la nuit, il voulait juste rester là et attendre. Mais attendre quoi ? Il l'ignorait. Un signe, une présence, une parole qui le rassurerait et lui dirait que tout irait bien, qu'il n'avait pas à s'en faire.


Une idée lui passa par la tête. Il pouvait peut-être encore la sauver. Il fallait qu'il trouvât l'appartement d'Hélène pour actionner sa machine et remonter dans le temps pour l'empêcher de se faire tuer. Il pouvait le faire. Il devait le faire.


Cette énergie nouvelle le fit se remettre sur ses jambes, et partir à nouveau à la recherche d'un lieu où dormir. Il songea au seul lieu où il avait pu trouver du réconfort et se sentir un tant fût peu à l'abri lors de leur séjour dans le passé, et s'y rendit au plus vite.


La façade du couvent Saint-Louré n'avait pas changé, du peu qu'il pût voir grâce aux lampadaires environnants. Elle gardait toujours cet aspect ancien qui rappelait que le bâtiment avait traversé des siècles entiers, ce que Raphaël adorait voir dans les vieilles structures.

Il serra fermement le collier d'Hélène dans sa main et escalada un coin sombre du muret afin d'entrer dans le bâtiment sans se faire repérer. Il ne reconnut pas tout de suite la cour intérieure à cause de l'obscurité, mais il se rendit sans mal à l'étage où il avait dormi à quelques reprises. Il se demanda par ailleurs qui était chargé du couvent, puisque jusque là il n'avait rencontré que Jean-François qui ne s'était chargé que de s'occuper de Marie et non des autres résidentes ou adeptes du couvent. Il retrouva la chambre qu'il avait occupée lorsque Hélène l'avait mené dans le passé. Elle n'avait pas changé, c'était toujours la même boîte un peux vétuste du genre quatre murs et un toit, mais il l'appréciait grandement. Il trouva même des habits dans les tiroirs de la commode, et constata que ces vêtements correspondaient pour la plupart à sa taille. Il avait décidément une sacrée chance dans ce futur.


Il n'avait aucunement envie de rester éveillé plus longtemps. Il se laissa tomber sur le lit, et s'endormit en moins de deux dans la pièce sombre et silencieuse.


Il ouvrit les yeux sur une étendue lumineuse et claire. Il se tenait là, debout, une infinité brillante s'étendant tout autour de lui. Il regarda ses mains, son corps, et se palpa le visage. Tout semblait réel.

Il pivota sur lui-même, et remarqua une silhouette qui se tenait debout en lui faisant face. Il fit un pas vers elle. Il constata que c'était Hélène, qui lui souriait. Il accéléra le pas et courut vers elle, avant de se jeter contre elle et de la prendre dans ses bras, ses mains s'agrippant aux pliures dans ses vêtements.


« Ne me refais plus jamais ça, murmura-t-il. Tu m'as manqué...

– Ra... phaël... »


Quelque chose n'allait pas. Il la libéra de son étreinte, et constata son visage pâle et vide d'expression.

Elle ne tenait plus debout. Elle chancela, et s'il n'avait pas réagi à temps, elle se serait effondrée violemment au sol. Il s'agenouilla, la tint entre ses bras. Son regard était terni, presque vide.


« Prends soin de... pour moi...

– Pardon ? Hélène, tu vas bien ! Je vais bien, tout va bien, et on va vivre nos vies chacun de notre côté... »


Il remarqua alors l'immense tâche rouge qui s'étendait au niveau de son ventre et gagnait en largeur. Une plaie dont le sang qui s'en échappait coulait entre ses doigts, chaud et visqueux.


« Hélène réveille-toi ! supplia-t-il en la secouant, des larmes commençant à déborder de ses yeux. J'ai encore besoin de toi... !! »


Elle afficha un tendre sourire et ferma doucement les yeux. Il sentit son corps lui échapper ; il la vit se changer progressivement en cendres, qu'un maigre coup de vent balaya au loin, et...


Il ouvrit brusquement les yeux dans un sursaut. Cela n'avait été par chance qu'un rêve, un terrible rêve.


Le jour filtrait à travers les rideaux, baignant la pièce d'une lumière douce et agréable. Il passa ses mains sur son visage ; il fallait qu'il se dépêchât de partir à la recherche de l'appartement d'Hélène. Elle avait forcément laissé une porte menant là, elle n'aurait jamais coupé les ponts avec son futur, ce n'était pas son genre.

Après une rapide douche –il espéra d'ailleurs que l'on ne l'entendît pas– il se faufila hors du couvent avec toute la discrétion dont il put faire preuve. Il s'arrêta malgré cela sous les arcades, dans un coin, afin d'observer le splendide jardin, où se côtoyaient entre autres des rosiers, des cactus, et même un petit amas de fleurs qu'il reconnut comme étant des chrysanthèmes. Leurs couleurs chatoyantes caressaient les yeux alors que le vent faisait légèrement remuer les pétales. Il ferma les yeux un instant, prenant le temps de savourer cet écrin de sérénité dans l'immense agglomération parisienne. Il crut presque entendre les rires d'Hélène, ou même ceux de Marie. Leurs deux voix s'entremêlaient dans ses souvenirs pour n'en former qu'une ; cela le heurta violemment comme un coup au cœur, et le déstabilisa.


Avait-il, n'avait-ce été que le temps d'un instant, éprouvé le même sentiment chaleureux qu'il ressentait pour Marie que pour Hélène ?


Non, c'était impossible.


Il se passa les doigts dans ses cheveux, refusant d'y croire. Hélène n'était personne pour lui. Personne ? Ou bien était-elle tout de même une amie, mais il n'y avait rien de plus, pas vrai ? Il l'espérait. Lorsqu'il essayait de s'imaginer le visage fin de Marie, ses grands yeux bleus et amoureux, et ses longs cheveux dorés, il ne l'entrevoyait que quelques secondes, avant qu'elle ne laissât place aux traits d'Hélène.


Il tenta de chasser ces pensées de son esprit, et repartit en direction du commissariat. Une longue journée l'attendait. Mais il ne pouvait se sortir cela de sa tête, cela revenait l'assaillir sans cesse.


Et faire face à Alex n'arrangeait rien. Malgré tous les efforts qu'il pouvait faire, Raphaël ne pouvait se souvenir d'où il aurait pu le connaître. Ce type lui était presque trop familier, c'était effrayant.


« Tu as mauvaise mine aujourd'hui, Ralph, est-ce que ça va ? »


Il afficha un faux sourire qui convainquit apparemment le jeune homme puisqu'il n'insista pas plus. Il était aussi jovial que la veille, apparemment satisfait de son quotidien oscillant entre des montagnes de paperasse qu'il ne cessait de trier, d'empiler et de ranger. Charlie ne s'était toujours pas présentée, il était bientôt dix heures trente.


Alex tendit au rouquin un dossier bien rempli, dont certaines pages menaçaient de s'envoler. Il le fixa intensément de ses yeux ambrés qui l'invitaient à prendre ce qu'il lui offrait.


« C'est tout ce qu'on a pu trouver sur l'incident des Jardins, ajouta-t-il sans détourner son regard. L'inspecteur a passé sa soirée à rassembler quelques dossiers, j'ai pu terminer son travail en arrivant ce matin. »


Raphaël le prit de ses mains, et le remercia d'un air gêné.


« Pourquoi est-ce qu'elle a fait ça ? demanda-t-il, étonné par le dévouement de Charlie. Elle avait pourtant des montagnes de dossiers à faire...

– J'ai mes raisons, répondit l'intéressée en entrant dans le bureau, un gobelet de café à la main. Tu me rappelles quelqu'un, c'est pour ça. »


Il l'observa s'asseoir à son bureau et prendre place à son poste, intrigué. Faisait-elle référence à Fantôme R ? Si cela avait été le cas, ça aurait été parfaitement ironique...


« Enfin. J'espère que tu la retrouveras, cette fille. »


Il crut entendre un soupir d'Alex, murmurant que lui aussi l'espérait. Sa sympathie le surprenait. Il ne le connaissait absolument pas, et pourtant le jeune homme était agréable avec lui, comme s'ils étaient de très vieux amis. Cela ne lui déplaisait pas, il avait besoin de chaleur humaine plus que jamais, mais cela le perturbait sans qu'il ne connût le fondement de ce sentiment.


Charlie prit congé, puisqu'elle avait une affaire qui lui nécessitait d'être sur le terrain qui l'attendait. Au vu du sourire complice que lui adressa son assistant, Raphaël devina que c'était l'aspect du métier qu'elle préférait de loin, et il la comprenait tant la pièce dans laquelle elle travaillait l'étouffait. Elle lui souhaita une bonne chance, et ajouta sur un ton plaisantin, juste avant de fermer la porte, qu'elle avait hâte qu'ils ne se retrouvassent plus qu'à deux dans l'étroit bureau.


« Je pense que nous devrions nous mettre au travail, lança Alex après son départ. Nous avons chacun beaucoup à faire. »


Il sortit de nulle-part des classeurs épais desquels il sortait des morceaux de journaux et d'articles imprimés, qu'il étudiait et triait, en annotant certains avant de glisser ceux qu'il retenait dans un autre dossier, bien plus maigre que les autres.

Raphaël voulut le questionner sur la raison pour laquelle il faisait ça. Il eut pour simple réponse que c'était pour faire cela qu'il était entré au service de l'inspecteur. Le silence de plomb qui régna par la suite n'était entrecoupé que par le bruit que chacun faisait en tournant les pages des dossiers.


Raphaël découvrit à la lecture des articles et rapports qui constituaient le sien que les événements étaient strictement identiques à ceux qu'il avait connu à l'origine. On n'avait pas retrouvé de traces du corps de Bonar, Jean-François croupissait en prison, Élisabeth avait reçu une balle mais s'en était sortie... Il ne fallait donc pas passer trop de temps à chercher des différences de ce côté-ci. Il nota que jamais il n'avait été fait mention d'Hélène, et il avait bien aperçu le nom de Fantôme R inscrit dans quelques rapports, notamment ceux de Vergier.


Alex le tira alors soudainement de ses pensées et réflexions, alors qu'il tentait de comprendre ce qui était différent cette fois-ci.


« Je vais te demander de quitter le bureau. Je dois y aller, l'inspecteur m'a demandé de fermer derrière moi. »


Il était à peine cinq heures.


Le blondinet le salua d'un simple geste de la main et partit. Raphaël ne put s'empêcher de le prendre en filature ; ce type l'intriguait, et il voulait comprendre pourquoi.


*


Une pluie fine avait commencé à tomber, légère et rafraîchissante pour ce mois de mai. Il mit la capuche de sa veste sur ses cheveux blonds, et enfouit sa main droite dans sa poche. Dans la gauche, il tenait fermement un sac en toile rigide au fond du


Il poussa l'immense grille, et avança sur le chemin rocailleux, jusqu'à parvenir là où il devait se rendre.


« Me voilà, souffla-t-il en s'arrêtant face à elle. Désolé de t'avoir fait attendre. »


Il s'agenouilla et sortit le pot du sac, avant de creuser un trou face à elle, pour y planter ce qu'il contenait.


« On a quelqu'un au commissariat qui en sait beaucoup sur les Jardins. Tu sais, ce dont on nous parlait souvent quand on était petits. »


Une faible brise vint faire glisser la capuche, qu'il remit sans attendre.


« Il est à la recherche de quelqu'un, j'ai presque cru que c'était toi, mais c'est pas possible, pas vrai ? »


Il afficha un maigre sourire.


« C'est ta fleur préférée, j'espère qu'elle te plaira. »


Il s'essuya ses mains salies par la terre, et se redressa. Le maigre bosquet de chrysanthèmes semblait ne pas apprécier la pluie, puisqu'il resta toujours aussi fermé. Quel dommage, il aurait aimé voir ses fleurs colorées.


Il entendit un bruit de pas, léger et étouffé derrière lui. Il sourit.


« Je sais que tu m'as suivi, Ralph. Qu'est-ce que tu veux ? »


Le rouquin afficha un air penaud alors que sa filature venait d'être percée à jour par le jeune homme. Il haussa les épaules, et s'approcha de lui.


« Je voulais comprendre pourquoi tu venais dans un cimetière aujourd'hui.

– C'est le jour de son décès, j'ai le droit de venir la voir non ? » grogna-t-il en guise de réponse, sur la défensive.


Raphaël baissa la tête. Il était un peu stupide de faire aussi preuve d'aussi peu de tact.


« Et qui est-elle ?

– Qu'est-ce que ça peut te faire ? »


Il recula, déstabilisé. Il avait cru pendant un instant entendre et voir Hélène face à lui, à la place d'Alex.


Il écarquilla les yeux. Était-ce possible... ?


« Désolé, soupira-t-il. C'est encore un peu sensible... »


Il se poussa, lui permettant de voir la pierre tombale sur laquelle il était venu se recueillir.


« C'est ma sœur. Elle aurait eu vingt-et-un ans cette année... »


Raphaël observa la photo encadrée sur le bloc de marbre sculpté. Il fronça les sourcils. Ce n'était pas possible.


Pourtant, il ne pouvait pas se tromper. Il reconnaissait parfaitement la personne sur cette photo, même si elle n'avait que sept ans selon les dates gravées.


                                                                                                                       

« Elle s'appelle Hélène. »


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