Quatorze Juillet

Chapitre 35 : - Partie III ~ Feux d’artifice - - Chapitre XXXIII -

4830 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:57

- Chapitre XXXIII -


« Hélène ! Hélène !! »


Il frappait comme un fou contre le pan du mur où se tenait quelques secondes auparavant la porte qui l'avait mené là. Il n'était pas fou, il l'avait vu, elle était mourante ! Il devait trouver un moyen de retourner là-bas, et–


« Tu peux arrêter toi, là !? lui hurla quelqu'un depuis un des appartements qui menaient sur cette ruelle. T'es pas seul dans cette ville ! »


Il ne répondit pas à l'individu –à vrai-dire ce dernier avait fermé la fenêtre tout de suite après lui avoir crié dessus– et reprit son assaut contre le mur. Ses mains lui faisaient mal à force de frapper, et bientôt les rougeurs se transformèrent en blessures desquelles commençaient à perler quelques gouttes de sang. Il se laissa tomber, adossé au mur, et enfouit son visage dans ses mains. Qu'est-ce qu'il allait pouvoir faire... ? Il fallait qu'il trouvât la particularité de cette ligne d'univers, et surtout qu'il retrouvât son père ou Hélène. Il devait à tout prix retourner dans l'univers qu'il venait de quitter et la sauver, elle avait besoin de lui, bon dieu !


Rester assis là n'allait pas grandement l'aider, Raphaël le savait. Mais cette fois-ci plus que jamais, il ignorait tout de l'endroit où il s'était retrouvé. Il se doutait bien qu'il était toujours à Paris, mais la date lui restait incertaine. L'avait-elle ramené à sa véritable époque ? Il n'avait qu'un seul moyen de le découvrir.

Il se leva tant bien que mal, et mit le nez hors de la ruelle. Le ciel resplendissait d'un bleu teinté de gris par la pollution de la capitale, et le vacarme assourdissant des voitures, motos et autres véhicules le frappa de plein fouet, l'accueillant d'une manière peu habituelle pour son retour à la réalité. Cela lui avait presque manqué, le quotidien insouciant qu'on pouvait vivre...

À première vue, rien n'avait beaucoup changé, si ce n'était quelques voitures dont il était certain de ne jamais avoir vu le modèle auparavant. Peut-être était-ce tout récent, il n'avait jamais réellement prêté attention à tout cela. Il reconnut les bâtiments, tous aussi immenses les uns que les autres, qui firent naître en lui un sentiment de réconfort ; il était arrivé non loin de son appartement, et cela l'apaisait de savoir qu'il avait son chez-lui qui l'attendait depuis un certain temps déjà. Ces quelques jours d'absence avaient été une terrible éternité.

Une personne sortant de son immeuble lui tint la porte. Lorsqu'il la remercia, il croisa son regard gêné, qui fixait son torse. Il réalisa alors qu'il avait laissé sa veste dans le passé, et perdu son chapeau quelque part là-bas aussi. De plus, il avait toujours cette large tâche de sang aussi bien sur la peau que sur la chemise. Ajoutée à cela sa cravate à moitié défaite, il faisait pitié à voir. Heureusement qu'il ne croisa aucune connaissance sur son chemin, il avait honte de son apparence délabrée.


En fouillant les poches des son pantalon, il trouva la clé de son appartement. Il était convaincu ne jamais l'avoir prise. Peut-être était-ce Hélène qui la lui avait donnée. Le jeune homme fit glisser la clé dans la serrure, et la tourna. Après un quart de tour elle se bloqua et refusa d'aller plus loin. Il eut beau retenter, quelque chose la bloquait. Comme s'il n'avait pas la bonne clé.

Pour quelle raison sa serrure avait été changée ? Y avait-il eu un problème pendant son absence ?

Il sortit sa paire de lunettes d'une de ses poches –en se réjouissant au passage qu'elles fussent en bon état malgré ses aventures– et jeta un coup d’œil au mécanisme. Rien ne semblait apparemment bloquer, c'était donc un changement imprévu de la serrure de sa porte d'entrée. Il sentit dans sa poche sa version du pendentif d'Ishtar, qui lui rappela qu'Hélène possédait toujours le sien, qui lui permettrait de guérir de ses blessures, en priant pour qu'elle l'eût autour de son cou. Elle avait donc une chance de survivre encore. Cela le rassura.

Il tenta de se remémorer comment elle avait crocheté sa serrure grâce au pendentif trafiqué. Elle avait commencé par dévisser le crochet permettant à la pyramide de tenir sur la chaîne, ce qu'il fit. Ledit crochet se révéla être un bout de métal de cinq centimètres environ, incurvé au bout. Il plaça un autre morceau de métal à l'intérieur de la serrure en guise de support, avant d'insérer son crochet et de tenter de déverrouiller la porte de son propre appartement. Après plusieurs minutes il entendit un cliquetis qui l'avertit de la réussite de son crochetage. Il s'empressa de rentrer, en prenant soin de ne pas verrouiller la porte derrière lui au cas où il lui aurait fallu sortir.


Il fut frappé par ce qu'il vit. Son chez-lui ne ressemblait plus à ce qu'il avait été. La décoration avait entièrement été refaite, les meubles avaient tous été remplacés par des nouveaux, bien plus luxueux, qu'il n'aurait jamais pu se permettre d'acheter à aucun moment. Dans la chambre qu'il occupait, il retrouva le chevalet de peintre de son père, et la bibliothèque qui n'avait jamais bougé. Il se risqua à tirer le livre qui ouvrait le passage souterrain, et descendit à la cave. Ce fut le seul lieu qui était resté au plus près de ses souvenirs. Il nota cependant quelques rares nouvelles œuvres, et d'autres qui avaient semblait-il été rendues. Un plaisant sentiment de sécurité l'enveloppa ; il en avait bien besoin.


La dernière chose qui l'inquiétait était de savoir quand avait-il atterri. Certains indices ne trompaient pas, il s'était absenté un certain temps. Mais même si le temps s'était écoulé normalement pour son univers, il n'était parti que quelques jours. Ce n'était pas suffisant pour revendre l'appartement ; il devait y avoir forcément des avis de disparition ou tout simplement des personnes qui le recherchaient. À commencer par Marie.


Il n'attendit pas plus longtemps et retourna au rez-de-chaussée, fermant avec soin l'accès à son refuge secret derrière lui. Il se précipita à travers le salon, lorsque ses yeux tombèrent sur le journal du jour. Il resta figé un instant.


Sur le maigre papier était écrit la date du cinq mai. 2038.


Il se frotta les yeux ; il remit même ses lunettes sales sur son nez. Non, il ne rêvait pas.


2038 ? Alors il était censé avoir quel âge... Quarante-quatre ans et deux mois ?


Ça c'en était un, de bond. Pas étonnant qu'Hélène ait refusé de le synchroniser. Ça aurait été du suicide.


Mais dans ce cas, tous ceux qu'il connaissait devaient avoir une vraie vie de famille bien rangée. Il ne pouvait pas s'imaginer refaire sa vie avec plus de vingt ans de retard sur ce monde. C'était impossible.


Il devait retrouver son futur, et Marie. Même si cela le dérangeait fortement de faire face à lui-même avec vingt-cinq ans de plus. Peut-être qu'il saurait l'aider pour fuir ce futur dont il ne voulait pas, puisque lui-même l'aurait vécu ? Il l'espérait fortement.


Mais il ne pouvait pas sortir ainsi, avec sa chemise tachée de sang. Il voulait rester discret et éviter qu'on le dévisageât au moindre coin de rue. Même s'il n'approuvait pas réellement son geste, il emprunta au résident de son appartement quelques vêtements ; un jean foncé, une chemise grisâtre dont il ne boutonna pas le col ainsi qu'un polo coloré. Le hasard faisait bien les choses puisque tout lui alla comme un gant, et il put discrètement sortir, non sans prendre soin de cacher ses vêtements de Fantôme R dans un coin de la cave, et de subtiliser un double des clés au cas où il devait revenir.


Sa première idée fut de se rendre au manoir. Alors qu'il se hâtait pour s'y rendre, il constata avec un léger étonnement que le futur n'était pas si futuriste que ce qu'il aurait cru ; il n'y avait toujours pas de voitures volantes –le contraire l'aurait étonné– et la ville était pratiquement inchangée, hormis quelques bâtiments remis à neuf. De nouveaux modèles de voitures avaient été mis en vente –mais il l'avait déjà remarqué plus tôt– et il en allait de même pour les téléphones portables toujours plus performants que certains passants avaient dans leurs mains. Tout lui paraissait plus neuf et propre, et c'était plutôt encourageant que de savoir le futur ainsi. Il devait admettre qu'il se l'était toujours imaginé quelque peu sombre et funeste.


Il était heureux de se mêler aussi facilement à la foule, même s'il parvenait difficilement à contenir sa stupeur lorsqu'il découvrait de nouvelles choses bien différentes de son époque. Peut-être que quelques personnes l'avaient remarqué alors qu'il fronçait les sourcils en scrutant un individu qui pourtant leur paraissait tout à fait normal, mais il était intrigué par les nouvelles micro-technologies dont ils disposaient, qui étaient tellement avancées que cela paraissait être de la science-fiction.


Puis il arriva devant le manoir.


Ce fut un choc pour lui.


Là où était censé se tenir le manoir gisait un chantier de construction.


Il recula de quelques pas, les yeux écarquillés, la bouche bée. Comment était-ce possible ? Pourquoi le manoir aurait-il été détruit ?


Il se ressaisit du mieux qu'il put, et s'approcha d'un des ouvriers du chantier.


« Excusez-moi, fit-il, lui tapotant l'épaule pour attirer son attention, qu'est-il arrivé au manoir qui se tenait là ?

– Ça fait longtemps que vous êtes pas venu dis donc, répondit l'homme en souriant.

– J'étais hors de la capitale, mentit le rouquin, je viens de revenir... »


Il espérait que cela ne fît pas trop louche. Il avait peur de faire un pas de travers.


« Le manoir a brûlé il y a quoi, six ans ? Plus personne n'y vivait de toute façon.

– Et la duchesse Élisabeth ? »


L'employé de chantier fronça les sourcils, et secoua les épaules.


« La dernière duchesse en date est décédé il y a longtemps, et personne ne lui a succédé. C'est tout ce que je sais. »


Il le remercia, et s'éloigna. Voir ce bazar et tous ces individus qui s'affairaient à construire un nouveau bâtiment flambant neuf le rendait malade. Sa tête lui tournait. Qu'est-ce qui avait bien pu se produire en tout ce temps pour que de telles choses arrivassent ?

Un frisson d'inquiétude parcourut son corps. Où pouvait-il trouver son futur ou celui de Marie s'ils ne se trouvaient ni à l'appartement, ni au manoir ? Encore plus inquiétant, qu'étaient devenues Marie et Élisabeth ? La duchesse n'ayant jamais eu de successeur signifiait que Marie avait refusé de suivre ses traces, ou pire encore, qu'elle était décédée avant sa mère. Non, c'était impossible. Elle était en bonne santé, elle faisait attention à elle, il n'y avait aucune raison pour qu'elle décédât aussi jeune.

Peut-être avaient-ils quitté la ville alors, pour un mode de vie plus provincial. Oui ce devait être ça. Ce devait forcément être ça.


Une nouvelle piste s'envolait. Génial. Il ne manquait plus que ça.

Son instinct lui dicta de tenter sa chance au commissariat. Peut-être y trouverait-il un moyen de pister son futur. Cela lui demanderait du temps, et il était terrifié à l'idée de devoir laisser seule Hélène dans l'autre univers aussi longtemps, mais il n'avait pas vraiment le choix.

Il traîna la patte jusqu'au commissariat, peu enclin à s'y rendre. Il réfléchissait à la manière dont il devait se présenter et formuler sa demande. Et si on lui refusait l'entrée ? Qu'allait-il bien pouvoir faire ?


Lorsque la personne chargée du secrétariat lui demanda s'il avait un rendez-vous, il bégaya. Il n'avait pas réfléchi à ça, il ne connaissait aucun des agents en fonction à cette époque. Machinalement il pensa à l'inspecteur Vergier, en croisant les doigts pour qu'il fût toujours dans le métier.


« Je n'ai pas de rendez-vous, mais j'aurais aimé voir l'inspecteur Vergier... »


La secrétaire lui sourit et jeta un coup d’œil dans ses fichiers informatiques. Puis elle releva la tête, et lui répondit.


« L'inspecteur Vergier n'est pas encore disponible, mais vous pouvez rencontrer son assistant si vous le souhaitez. »


Raphaël accepta, bien qu'il imaginait difficilement Vergier avec à ses côtés un assistant. Mais il fallait tout de même admettre que son bon vieil ennemi devait avoir depuis le temps la soixantaine bien passée. Il se demandait quel type de personne le malheureux pouvait bien être, outre le fait d'être particulièrement courageux pour pouvoir supporter les changements d'humeurs du policier.

On lui demanda un nom –il en inventa un bidon, Ralph Lefort– avant de lui indiquer la salle d'attente où il se rendit et patienta quelques instants. Puis ledit assistant vint l'appeler, il manqua de ne pas répondre à l'appel de son faux nom.


Il se leva et s'apprêta à serrer la main de ce courageux jeune homme qui avait choisi de souffrir au quotidien en partageant chaque jour les mêmes quatre murs avec Vergier.


Or, ce dernier eut un léger mouvement de recul, comme déstabilisé. Lorsqu'il réalisa la maladresse de son geste, il secoua la tête, et lui sourit.


« Bonjour, je suis Alex, l'assistant de l'inspecteur Vergier. J'espère pouvoir vous aider. »


Il lui tendit sa main droite amicalement, que le rouquin serra fermement en le saluant en retour. Il y avait quelque chose qui le dérangeait, mais il ne savait absolument pas quoi.


Il suivit le jeune homme jusqu'au bureau, non sans l'étudier silencieusement pendant le court trajet. C'était un type banal, sans grande particularité, qui devait avoir environ son âge –enfin, l'âge qu'il n'était pas supposé avoir– même si ses traits fins lui donnaient un air légèrement plus jeune. Ses cheveux blonds parsemés de teintes de châtain quelque peu en bataille lui tombaient parfois sur les yeux, et il donnait de temps en temps de légers coups de tête afin de les déloger, même s'il ne le faisait que si ses mains étaient prises ; Raphaël le remarqua alors que l'assistant avait pris dans ses mains plusieurs lourds dossiers. Ce qui le frappa le plus, et ce dès l'instant où il le vit, était ses yeux. Le jeune homme avait de splendides yeux à la couleur proche de celle du caramel, dans lesquels se dispersaient des notes de terre de sienne, d'autres ambrées, et quelques-unes proches du brun de Bismarck.

Chose étrange, l'assistant –Alex, c'est ça ?– portait un épais pull-over, ce qui n'était pas courant pour la saison. Raphaël aurait aimé lui demander s'il avait si froid que ça, mais n'osa pas ; là n'était pas la raison de sa présence.


Alex ouvrit la porte du bureau d'une main, l'autre prise par bien trop de dossiers qu'il avait amassés auprès des collègues qu'ils avaient croisés, et l'invita à entrer. La pièce était propre et bien rangée, certainement grâce à ce pauvre assistant, tellement dévoué à son travail qu'il proposa à Raphaël de s'asseoir au bureau, et de lui servir une tasse de boisson chaude. Bien entendu, il ne put refuser ; à peine avait-il accepté qu'il se retrouva avec un gobelet de café dans ses mains. Le jeune homme resta debout, et sirota un thé chaud dont les légers effluves lui donnaient à lui aussi l'envie d'en boire.


« Pour quelles raisons vouliez-vous rencontrer l'inspecteur ?

– Je suis à la recherche de quelqu'un, et je sais que c'est la seule personne qui peut m'aider.

– Je vois. Pouvez-vous me décrire la personne que vous voulez retrouver ? »


Il s'assit de l'autre côté du bureau, dans le siège de son supérieur, et s'apprêta à taper au clavier, attendant la réponse de Raphaël.


« Il s'agit de la duchesse Élisabeth. Je n'ai plus de nouvelles ni d'elle, ni de sa fille depuis bien trop longtemps. »


Le jeune homme leva les sourcils et l'observa sans rien dire. Cela fit hésiter Raphaël, qui regretta d'avoir formulé sa demande ainsi.


« Depuis combien de temps exactement attendez-vous de leurs nouvelles ? »


Le ton de sa voix était grave et bien trop sérieux.


« Plusieurs années...

– Sont-elles des membres de votre famille ? »


Il baissa la tête et répondit par la négative.

En face de lui, Alex tint son menton dans sa main droite d'un air songeur. Il étudiait le rouquin dans une profonde réflexion. Sa pose lui donnait un air mature, bien plus que Raphaël qui, tout penaud, ne savait trouver ses mots.


« La duchesse Élisabeth nous a quittés il y a quelques années, finit-il par répondre d'un ton compatissant. La maladie l'a emportée. Et son manoir a été la cible d'un terrible incendie peu de temps après. Une tragédie. »


Élisabeth aurait eu aux alentours de soixante-dix ans, si ce n'était pas un peu plus, si seulement elle n'avait pas été aussi affaiblie par divers problèmes de santé avant d'y succomber. Raphaël fut accablé par la nouvelle. Il se prit à songer que, dans un sens, c'était mieux pour elle de ne pas avoir vu sa résidence ravagée par les flammes, cela l'aurait détruite. Des incendies ne se produisaient pas par hasard, il y avait forcément eu quelqu'un pour le déclencher. Un nom lui vint immédiatement à l'esprit, celui de Jean-François, mais il ne pouvait pas être assez fou pour en venir à là, si ? Enfin, techniquement, il était censé croupir en prison –sauf si dans cet univers les Jardins n'avaient pas pu être stoppés, ce qui ne semblait pas être le cas– et en espérant qu'il n'eût pas été libéré.


« Quant à sa fille, je ne suis pas en mesure de vous répondre, je suis navré. »


C'était déjà suffisant que l'assistant d'un commissaire pût lui en dire autant. Il lui en était déjà reconnaissant.


« C'est Vergier qui a enquêté sur la duchesse et le manoir ?

– Non, les médias en ont simplement beaucoup parlé. Élisabeth était loin d'être inconnue. »


Il se leva et alla s'adosser au bord de la fenêtre. Peut-être était-il mal à l'aise quand il prenait la place de son supérieur, ou bien était-ce le sujet qui le dérangeait. Il regarda machinalement sa montre, avant de reprendre.


« Vous espériez que l'inspecteur puisse vous aider à retrouver la duchesse et sa fille, ou bien aviez-vous une autre requête ?

– J'aurais aimé pouvoir accéder aux archives de personnes portées disparues. Je fais aussi des recherches sur ce qui s'est passé il y a vingt-six ans, avec les Jardins de Babylone.

– Qu'est-ce que vous savez sur cette affaire ? »


Il s'était violemment tendu et crispé sans crier gare. Raphaël en fut surpris et sursauta tant il ne s'attendait pas à un tel changement d'humeur.


« Pas tant de choses que ça, mentit-il. Mais il se pourrait que j'aie des proches qui aient été enrôlés là-dedans... Est-ce que Jean-François et Bonar ont été arrêtés ? »


Il s'en voulut à nouveau d'avoir parlé pour deux raisons. Premièrement, il n'était pas censé être né à cette époque, il n'aurait pu en avoir entendu parler que par les médias, ou par des proches si ceux-ci avaient été présents en ville lorsque cela s'était produit. Mais quels parents iraient raconter une telle horreur à leurs enfants ? On préférait oublier tout cela plutôt que de le ressasser.

Et deuxièmement, l'assistant s'affola totalement et sortit son téléphone, avant de composer un numéro à une vitesse impressionnante.


« Un instant. Je demande à l'inspecteur de venir tout de suite. Il faut que vous la voyiez. »


Avait-il rêvé ou bien avait-il entendu « la » ? Avaient-ils une personne ayant un rôle particulier dans tout ça, ou bien se faisait-il des idées ?

Il eut à peine le temps d'y réfléchir que la porte s'ouvrit violemment, et qu'une femme entra dans la pièce.


« Alex qu'est-ce que c'est que ce bor– »


Elle se stoppa.


Elle fixa Raphaël.


Raphaël la fixa.


Il ne rêvait pas. Si ?


« Inspecteur, voilà Ralph Lefort, fit l'assistant d'une petite voix. M. Lefort, voici l'inspecteur Vergier. »


Il se figea sur sa chaise. Il ne parvenait pas à y croire.


C'est une blague c'est pas possible !


« Charlie... Vergier ? articula-t-il difficilement.

– Y a-t-il un problème ? »


Alex se tenait innocemment à ses côtés, comme si cela pouvait changer quoi que ce fût.

La femme vint s'asseoir à sa place derrière le bureau. Elle posa ses coudes sur le bois verni, et l'observa, le menton collé à ses mains jointes. Ses mouvements faisaient tinter les perles accrochées aux nombreux bracelets qu'elle portait au poignet droit, qui contrastaient avec la montre sobre enroulée autour du gauche. Elle ne détacha pas son regard bleu-vert de lui, ce qui le mit mal à l'aise. Il ne savait réellement pas quoi dire, ni comment rebondir. Les rides naissant aux coins de ses yeux se pliaient lorsqu'ils clignaient. Quel âge avait-elle ? Quarante ans au moins, non ? En tout cas, elle ne ressemblait plus à celle qu'elle était. Bien qu'elle eût toujours les cheveux courts à la garçonne, son léger maquillage et son tailleur la rendaient beaucoup plus féminine que ce qu'elle avait pour habitude de porter étant plus jeune.

Mince alors. Charlie Vergier, inspecteur dans la police de Paris. Il ne pensait vraiment pas qu'elle eût choisi de suivre les traces de son père.


« Vous vous attendiez à mon père, n'est-ce pas ? »


Il acquiesça timidement.


« Malheureusement, il n'est plus ici. Il n'est plus là tout court.

– Je– Je suis désolé, je–

– Je lui disais bien que fumer autant allait lui coûter cher. À cause de ce foutu Fantôme R. Enfin bref. »


Il déglutit. Il devait paraître le plus naturel possible. Il était censé ignorer qui était ce cher Fantôme.


« Alex m'a dit que vous étiez au courant de l'identité des responsables de l'affaire des Jardins.

– Si c'est à propos de Bonar et de Jean-François, bégaya-t-il, c'est juste que l'un de mes proches avait été enrôlé à leurs côtés... Et je souhaite la retrouver...

– Tous les complices de Bonar sont morts dans la destruction des Jardins. Il n'y a que Graf qui en soit sorti vivant. »


Son esprit fonctionna à toute allure. Dans ce cas, Hélène aussi... ?


« Il n'y avait pas avec eux une fille ? Environ dix-huit ans, rousse, yeux bleus...

– Un nom ?

– Elle s'appelait Hélène, elle– dites-moi qu'elle s'en est sortie.

– C'est impossible. »


Charlie et Raphaël tournèrent leur visage vers l'assistant, qui avait murmuré comme pour lui-même.


« Les dossiers et les autopsies ont été formels, il n'y a jamais eu une telle personne dans cette affaire.

– Isaac alors ! Un homme, la quarantaine à l'époque, grand, roux, yeux bleus aussi, le bras droit de Bonar, il y était ! »


Dans sa détresse il s'était levé de son siège, et avait presque hurlé. Avec un temps de réaction assez court, Charlie s'imposa en se mettant debout elle aussi, et en le calmant doucement. Elle lui assura que cet homme avait été vu à de nombreuses reprises, mais jamais mis sous les barreaux. Au moins, il existait. Alors pourquoi Hélène n'avait-elle pas été à ses côtés ?


« Croyez-moi M. Lefort, les enquêteurs ont été formels. Isaac est un fantôme à présent, et cette jeune femme que vous cherchez n'a peut-être jamais existé. »


Un monde où Hélène n'existait pas ? Impossible. Il avait besoin d'elle. Il devait la retrouver !


« J'ai une dernière question, inspecteur. »


Elle posa son regard sur lui, intriguée.


« Qu'est devenue la fille de la duchesse Élisabeth ? »


Il vit qu'elle jeta un coup d’œil en direction de son assistant. Ce dernier haussa nonchalamment les épaules, comme s'il ne se préoccupait pas de la réponse qu'elle allait lui donner.


« La duchesse Marie... n'est plus de ce monde. Il ne reste plus rien de la famille, je suis désolée. »


Raphaël ne répondit pas. Que pouvait-il dire ? Il ne pouvait pas être concevable pour ces personnes qu'il eût été son petit-ami, et peut-être même que le simple fait de l'avoir connue était contradictoire.


Tout ça c'était à cause d'Hélène. Pourquoi l'avait-elle envoyé là ? Toutes les personnes qu'il connaissait avaient semblait-il disparu, sauf Charlie qui, apparemment, était satisfaite de sa vie.


Il se leva, et les remercia de l'avoir reçu, en s'excusant du dérangement qu'il avait pu avoir causé, avant de sortir du bureau.

À peine fut-il sorti du commissariat qu'il se réfugia dans un coin où il s'effondra au sol. Il enfouit son visage dans ses mains tant le désespoir l'avait gagné. Il était perdu dans un futur où il n'avait pas sa place, parce qu'Hélène avait cru bon pour lui, dans un acte égocentrique, de se trouver dans un endroit où il n'aurait pas à la sauver, elle. Elle aurait parfaitement pu deviner que peu importe l'univers il ne voulait pas l'abandonner, et encore moins si elle tombait sans vie, devant lui.

Il avait peur, il était terrorisé. Il ne retint plus les larmes qui lui étaient monté aux yeux sous les nouvelles qu'on lui avait apportées. Il n'y avait ni Marie, ni Élisabeth, ni même Isaac. Et son futur allait s'avérer être aussi compliqué à retrouver...


« Excusez-moi... Est-ce que ça va ? »


Il essuya rapidement les traces humides au coin de ses yeux, et répondit d'un ton qui se voulait des plus neutres.


« Ouais. On va dire ça.

– J'imagine que ça ne doit pas être simple... »


L'assistant de Vergier se rapprocha de lui, et lui tendit un gobelet de thé chaud. Ce n'était pas un simple thé qui allait tout arranger, songea Raphaël en sirotant le liquide.

L'odeur fit revivre en lui des souvenirs ; il revit Hélène, dans son appartement et assise dans son fauteuil, une tasse de thé à la main. Elle lui en avait proposé une aussi. Ce thé qu'Alex était venu lui apporter, c'était le même que celui qu'elle buvait. Son cœur se serra.


« C'est du thé de marque. Je le choisis moi-même, et le prépare comme ma mère le faisait.

– Votre mère ? »


Le jeune homme retint un petit rire amusé et lui demanda à ce qu'il le tutoyât en-dehors du commissariat.


« Votre mère est-elle rousse, avec de grands yeux bleus ? » demanda Raphaël, empli d'espoir.


Il vit son interlocuteur secouer la tête, et sourire d'un air désolé, avant d'ajouter qu'il doutait que Raphaël eût connu sa mère par le passé.


« Vous semblez être terriblement inquiet pour cette Hélène. Pourquoi ne vouloir la retrouver qu'à présent ? »


Raphaël leva ses yeux vers le blondinet. Il aurait bien aimé tout lui dire, mais il devait rester silencieux quand à sa réelle identité, bien qu'il manquât de peu de tout avouer.


« Je n'ai jamais pu jusqu'à présent, beaucoup de choses m'en ont empêché. Mais je dois la retrouver, c'est le seul moyen pour que tout revienne dans l'ordre ! »


Alex l'observa avec de grands yeux intrigués. Puis il acquiesça, et lui répondit d'un ton encourageant.


                                                                                      

« Dans ce cas je vais faire tout mon possible pour vous aider » sourit-il à pleines dents.

 

 

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