Quatorze Juillet

Chapitre 34 : - Partie III ~ Feux d’artifice - - Chapitre XXXII -

4833 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:55

- Chapitre XXXII -


Hélène était partie depuis bien trop longtemps. Et cela inquiétait fortement Raphaël.

Sitôt avait-il su que les chevaliers n'étaient plus aux abords des cellules, il s'était relevé et précipité –si ce n'était pas jeté– sur la porte de sa prison, en espérant qu'elle fût laissée déverrouillée, mais le bougre de geôlier avait pensé à la refermer derrière lui. Il secoua les barreaux, dans un geste empli de rage et de désespoir. Il s'inquiétait pour elle, il était convaincu qu'il allait lui arriver quelque chose, et il était bêtement enfermé là dans cette maudite cellule en pierre.


Le bruit qu'avait fait toute son agitation alerta Marie, qui était très probablement recroquevillée sur elle-même, le menton collé aux genoux, et qui attendait en comptant les minutes que quelqu'un vînt la chercher. Elle demanda d'une voix timide si quelqu'un était présent et conscient. Il ne put répondre. Il avait assez foutu en l'air le passé, il ne pouvait pas continuer en faisant clairement comprendre à son passé quelle était son identité.

Pourtant, quelqu'un répondit.


« Marie, ne t'en fais pas. Tout va bien se passer. »


C'était une voix faible mais qui se voulait tout de même rassurante qui lui avait répondu. L'entendre avait immédiatement eu de l'effet chez Marie, qui s'avança aux barreaux de sa cellule, et orienta son visage en direction de la provenance de cette voix. Raphaël fit de même, tentant de comprendre l'agencement de l'endroit.


Il y avait un couloir d'environ deux mètres de large qui séparait les cellules, faites à même les murs. Chacune d'elles avait trois murs de pierre, et le quatrième était fait de barreaux d'acier bien plus que résistants. La cellule d'Hélène, dans laquelle ils avaient aussi placé le corps alors sans vie de Raphaël, était la plus éloignée de la porte. Il y avait dix cellules, cinq de chaque côté, placées de telle sorte à ce qu'on pût voir l'occupant de la cellule en face et légèrement celles à côté de cette dernière, mais aucunement ses propres voisins. Et leur cellule étant la toute dernière, Raphaël ne pouvait qu'en distinguer deux autres, vides. Marie occupait certainement la troisième, celle du milieu de la pièce, et Élisabeth était dans celle en face. Il restait donc trois cellules vides, la quatrième restante étant occupée par celui qui venait à peine de s'éveiller.


« Fantôme R, s'exclama Marie avec soulagement, tu vas bien ?

– J'ai un peu mal à la tête et au dos à cause de leur foutue pierre, mais ça va, ne t'en fais pas pour moi. Où est la duchesse ?

– À ta gauche, elle dort encore. »


Il entendit son passé lâcher un vague soupir.


« Et où sommes-nous ?

– Dans les cachots des Jardins, j'imagine. »


Raphaël retourna s'asseoir dans un coin de la cellule, désemparé. Il n'avait pas la moindre idée sur la manière dont il fallait s'y prendre pour sortir de là. Et quand bien même s'il sortait de sa geôle, il fallait descendre des Jardins, dont le concept même était de flotter dans les airs, et cela s'annonçait bien difficile. Il faudrait trouver un haut bâtiment sur lequel se rattraper, et c'était quasiment certain que Bonar allait manœuvrer sa forteresse pour éviter à ceux se prenant pour des héros de monter à bord et tenter de le mettre hors d'état de nuire.


« Putain... » lâcha-t-il en enfouissant sa tête dans ses mains.


Il se ressaisit soudainement, espérant que ni Marie ni son passé ne l'eussent entendu.


« Tu as entendu ça ? demanda-t-elle alors qu'il contrôlait sa respiration, la rendant la moins audible possible, et se maudissant intérieurement de s'être laissé aller. Il y a une quatrième personne.

– Qui êtes-vous ? Où êtes-vous ? »


Il fut impressionné par le calme dont son passé pouvait faire preuve en de telles circonstances –donc lui-même était ainsi, non ?– et manqua presque de leur annoncer sa présence. Mais sa raison le rattrapa ; il ne pouvait pas se dévoiler, tout simplement. Il n'avait jamais rencontré son propre futur à ce moment-là –après tout il n'avait jamais vécu ces événements– et il ignorait les changements qu'une telle modification incomberait, et il ne voulait pas réellement les découvrir par lui-même.


« Peut-être que j'ai rêvé, murmura Marie comme pour s'excuser. Ça devait encore être un coup de vent... »


Elle s'interrompit d'elle-même lorsque le bruit des pas d'un chevalier avançant dans le couloir de pierre se fit entendre. La torche qu'il avait à la main éclairait un peu plus à chaque instant les lieux.

Tous se recroquevillèrent dans le coin le plus éloigné que chacun put trouver. Raphaël se retrouva à nouveau allongé face au mur, pour ne pas que l'on sût qu'il était vivant. Cette position lui était d'autant plus inconfortable qu'il ne pouvait pas voir ce qui se passait aux alentours. Il ne pouvait que se repérer à l'oreille, et deviner les événements qui avaient lieu. Il entendit le chevalier s'arrêter à la porte de sa cellule. Il entendit la clé se tourner dans la serrure. Il entendit la porte s'ouvrir. Il entendit quelqu'un s'approcher.


Il crut que c'était Hélène, revenue le sortir de là afin de tout remettre en ordre. À la place, ce fut une voix grave qui l'appela sèchement.


« Je sais que tu es en vie. Arrête de te cacher. »


Il pivota sous la surprise, presque choqué de revoir son père dans ces circonstances. Lorsqu'ils s'étaient parlés à peine plus tôt, il avait paru épuisé et semblait n'avoir clairement aucune intention d'intervenir sur la situation. Or il se tenait là, et à ses côtés patientait un chevalier apparemment peu surpris que le mort ne fût pas si mort.


« De toute façon qu'est-ce que ça peut te foutre ? grogna-t-il en se relevant, la tête haute et le regard planté dans celui d'Isaac. Je croyais que je n'étais plus rien pour toi.

– Arrête. On ne peut plus rien pour vous, ni pour ce monde. Abandonne.

– C'est toi qui me dis ça ? Combien de fois vous avez jeté Hélène et l'avez forcée à recommencer pour vous ? »


Raphaël s'emporta rapidement contre son père. Comment ce dernier pouvait-il lui dire quoi faire si lui-même ne suivait pas ces principes qu'il lui dictait ?


« Qu'est-ce qui t'est arrivé pour que tu sois comme ça ? »


Il tentait de cacher au mieux sa détresse. Son père était la dernière personne qui aurait pu l'aider, mais il restait ce même individu froid et passif qu'il avait toujours été. Les temps pouvaient changer, les années pouvaient s'écouler, mais jamais lui ne serait différent. Et Raphaël refusait d'accepter cela.

Il était convaincu qu'en son for intérieur, Isaac était contre tout ce qui se faisait là. Quelque chose le forçait à se replier dans ce semblant de carapace et à agir ainsi, il ne pouvait en être autrement. C'était indéniable que ce fût quelque chose d'important à ses yeux, pour qu'il en vînt à renier son propre fils. Pourquoi abandonner maintenant un enfant qu'il avait protégé, quitte à mettre sa propre vie en danger ? Il avait volé des originaux d’œuvres d'art, fait des copies de ces derniers pour les intervertir avant de revendre ces chefs-d’œuvre au marché noir, ce n'était pas rien tout de même. Et cela uniquement dans le but de sauver son fils mourant, fils qu'il était prêt à abandonner et laisser mourir à présent, après tout ce temps. Cela n'avait aucun sens.


« Des choix se sont imposés, j'ai dû les respecter, point final.

– C'était ton choix de m'abandonner aussi ?

– J'ai mes raisons. »


Voir son père aussi têtu à le laisser dans le vague le poussa à bout. Il se leva précipitamment et le saisit au col ; il faisait sa taille à présent, et le dépassait peut-être même de quelques centimètres. Leurs yeux étaient à la même hauteur et s'entrecroisaient dans une certaine tension palpable.


« Réponds-moi, vociféra le rouquin. Dis-moi pourquoi t'as fait tout ça !

– Lâche-le. Tout de suite. »


Il s'exécuta sans réellement vouloir obéir à l'ordre qu'on venait de lui donner ; il desserra les poings et s'éloigna d'Isaac –dont l'expression était restée toujours aussi neutre– afin de mieux voir la nouvelle venue.

Hélène était là, de l'autre côté des grilles, les bras croisés sur sa poitrine et les sourcils froncés. Elle demanda calmement au chevalier et à Isaac de sortir, ce qu'ils firent, et tous trois se tinrent dans le couloir, face à Raphaël.


« Réponds-lui, Isaac, fit-elle sans détourner son regard du jeune homme qu'ils retenaient prisonnier. Il a le droit de savoir.

– Bien. »


Il soupira, et enfouit ses mains dans ses poches. Il avait longtemps espéré que ce jour ne vînt pas, même s'il savait que tôt ou tard il aurait fallu qu'il s'expliquât.


« Après la mort de Sarah je n'ai pas eu d'autre choix que de m'occuper de toi. Si je t'ai sauvé quand tu étais petit c'était uniquement à cause de sa famille qui me harcelait pour récupérer ta garde, et je devais te garder. J'avais de grands projets pour toi. »


Il n'y avait aucune émotion dans ses paroles. Il récitait son texte machinalement, comme s'il l'avait déjà rabâché des dizaines de fois et était lassé de ces mots.


« Le plan était de t'enrôler au plus tôt dans l'organisation, une fois que tu serais prêt, d'où le départ précipité. Mais on ne m'a pas écouté, et ils sont partis chercher la fille trop tôt. Et tu t'es mêlé à cette histoire. »


Les reproches qu'Isaac lui faisait dérangeaient Raphaël. C'était comme s'il tentait de lui rejeter la faute pour se déresponsabiliser. De plus il lui était impossible de savoir s'il cherchait à se faire pardonner, ou au contraire à encore plus être détesté.


« Dire que j'étais fier d'être ton fils, ricana le jeune homme. Faut croire qu'on est des traîtres tous les deux, que c'est de famille. »


Son père ne releva pas sa remarque. Il reprit la parole sans montrer la moindre émotion.


« Je te propose une dernière chance pour nous réunir. Nous avons besoin de jeunes, comme toi, pour promouvoir nos idées. Accepte.

– Qu'est-ce que j'ai à y gagner ?

– La liberté. »


Il y eut un silence, au long duquel Raphaël parut réfléchir. Beaucoup d'idées traversaient son esprit, dont une grande partie n'était que des manières d'utiliser cette proposition afin de s'échapper. Mais même s'il parvenait à s'enfuir, il y avait toujours la duchesse, Marie, son passé et Hélène à sortir de là. L'idéal était de tout remettre en ordre en mettant Bonar hors de nuire, mais il n'était absolument pas capable de le battre. Et même s'il était vaincu dans un simple duel d'épées décisif, allait-il à nouveau se jeter du haut de cette plate-forme ? Rien n'était sûr, il ne basait son raisonnement que sur des suppositions.


Et Hélène devinait ce à quoi il songeait.


Elle posa sa main sur l'épaule d'Isaac.


« Laissons-le réfléchir, je pense qu'il a besoin de temps. Mais je ne doute pas qu'il nous aidera, c'est son devoir après tout. »


Il acquiesça, et tourna les talons avant de quitter la prison des Jardins, laissant Hélène seule face à Raphaël. Il se rapprocha des barreaux, et les empoigna.


« Qu'est-ce que tu attends pour me sortir de là ? souffla-t-il à voix basse au cas où quelqu'un les espionnait. Plus le temps passe et moins on peut réparer toutes nos conneries !

– Pourquoi est-ce que je devrais sauver un monde où la seule personne que je voulais retrouver n'existe plus ? »


Le ton de la question de la jeune femme était posé, presque neutre. Elle était sincère, et demandait réellement pourquoi, selon lui, elle ferait une telle chose.


« Parce qu'on ne peut pas partir de là sans tout remettre dans l'ordre, insista-t-il, ses doigts se resserrant autour des barreaux. Je refuse de partir tant que ces Jardins flottent !

– Qui a dit qu'on allait partir ? »


Il fronça les sourcils, et pencha quelque peu la tête sur le côté, cherchant le détail qui trahissait Hélène. Elle blaguait, pas vrai ?


« Tu ne veux pas quitter cette ligne d'univers et recommencer ? fit-il d'un air des plus étonnés.

– Pourquoi je ferais ça ? C'est toujours supposé finir comme ça.

– Tu vas vraiment l'abandonner alors ? »


Il se mordit l'intérieur de la joue. Lui qui détestait faire pression sur les gens en utilisant leur faiblesse psychologique, voilà qu'il le faisait. Il se détestait à chaque fois un peu plus et regrettait amèrement ses décisions.


« Tu vas vraiment abandonner Alexandre ?

– Tu ne sais même pas qui c'est, tu ne le connais pas. »


Hélène croisa les bras, sa voix calme faisait quelque peu écho contre la pierre autour d'eux. Pour une raison qu'il ignorait –ce qu'il trouvait bien étrange– elle ne s'emportait pas et le fixait droit dans les yeux. Ses iris bleutés parsemés de nuances grisées faisaient naître en lui un sentiment de malaise qui le poussait à détourner les yeux, ne fût-ce qu'un bref instant.


« Tu as le temps de réfléchir. Pense bien sous tous les angles. »


Elle partit à son tour, sans lui faire le moindre signe. Ses talons tapaient contre le sol à une allure similaire à un tempo allegro qui s'en allait au loin en un decrescendo laissant derrière lui un vague sentiment de vide.


« Je vois que tu as un lien étroit avec nos ravisseurs, dit quelqu'un non loin de lui, à quelques cellules sur sa droite. Peux-tu nous en dire plus sur ton identité ? »


Élisabeth venait de reprendre connaissance et, de sa faible remarque, l'avait fait savoir. Il soupira. Il se sentait au pied du mur, bloqué de toutes parts, et dans l'incapacité d'être aidé par qui que ce fût. S'il ne pouvait plus faire confiance à Hélène, encore moins à son père, il n'avait pas d'autre choix que de s'en remettre à ses compagnons de geôle. Il savait que ces derniers étaient les seules personnes présentes sur cette maudite forteresse volante dont il était sûr de la fiabilité.


« Écoutez-moi, soupira-t-il. Ça va vous paraître complètement tiré par les cheveux, mais il faut me croire. »


Il sembla qu'il avait attiré l'attention de chacun. Il leur expliqua que la fille qu'ils venaient de voir était au service de Napoléon aux côtés de Jean-François et d'Isaac, et qu'elle était à l'origine de sa présence en ces lieux. Il voulut éluder la question de son identité, mais c'était difficile d'ignorer l'insistance de la duchesse, aussi finit-il par répondre. Tous encaissèrent son existence, aucun ne remit en question le fait qu'il vînt d'un futur désormais parallèle au leur. Même son propre passé l'accepta. À croire que cette situation dans les Jardins suspendus de Babylone avait rendu n'importe quelle histoire de science-fiction possible.


« De là d'où je viens, Napoléon a été vaincu et les Jardins détruits. La mission que Hélène et moi avions, contre mon gré, était de m'empêcher de le stopper dans le passé. Elle a plutôt bien réussi. »


Il laissa s'échapper un petit rire amer. Il réalisait tout juste à quel point Hélène avait su le manipuler, dès le début. Peut-être que tout ce qui avait eu lieu, tous ces imprévus avaient été décidés dès le début, afin de créer chez lui un sentiment de dépendance vis-à-vis d'elle afin qu'il suivît inconsciemment toutes les étapes de leur plan tordu. Il avait été tellement stupide.


« Et que comptes-tu faire à présent ? »


Élisabeth sembla être la seule à pleinement prendre conscience de la situation dans laquelle ils se trouvaient. Marie ne disait rien, et il ne valait pas la peine de parler du passé de Raphaël.


« Sortir de là, et tout remettre dans l'ordre.

– Et comment vas-tu t'y prendre ? »


Elle cassait ses plan d'un ton froid et sec, mais néanmoins juste. Le sujet était trop grave pour être pris à la légère, il devait réfléchir sous tous les angles. Ce n'était pas le genre de problème qu'on réglait en se jetant à corps perdu dans la mêlée en espérant que cela réglât tout.


« Je vais y réfléchir. Mais je ne peux pas laisser ça comme ça, le futur d'où je viens n'existe plus à cause de moi.

– Elle t'a bien dit de réfléchir sous tous les angles, pas vrai ? »


La voix de Marie, emplie d'un faible espoir, lui parvint.


« Pourquoi elle te guiderait si elle était du camp adverse ?

– Peut-être qu'elle le manipule encore. »


Le passé du jeune homme avait enfin manifesté son avis sur la question. Du simple ton de sa voix, on devinait qu'il était sur la défensive, et se tenait très certainement les bras croisés sur son torse. C'était comme ça que Raphaël se serait tenu à sa place en tout cas.


« Je dois dire qu'il ne s'agissait pas de fausses larmes tout à l'heure, rétorqua Élisabeth.

– Pardon ? »


Pourquoi évoquait-elle des larmes ? Qu'avait-il raté ?


« Lorsque tu as intercepté cette balle –ce dont je te remercie– et que tu es décédé... »


Elle s'interrompit et réfléchit quelques instants avant de reprendre.


« Pour une raison que j'ignore tu as survécu. Mais passons. Lorsque nous avons cru à ta mort, elle te serrait et hurlait. Elle était hystérique de t'avoir perdu et refusait de lâcher ton corps. »


Il en resta silencieux. Hélène avait réagi comme ça ?

Cela étant dit, elle avait été incroyablement heureuse de le savoir en vie. Il était convaincu que cela n'avait pas non plus été de la comédie.


« Ne te laisse pas avoir, grogna son passé. Cette fille est complètement folle, ça se voit sur son visage ! »


Il ne voulait pas se laisser influencer par lui-même, mais il fallait tout de même prendre en considération que son propre passé qui ne connaissait pas les détails concernant Hélène se méfiait d'elle à sa simple vue.


« Je reste convaincu qu'elle veut que je la sorte de là. C'est à cause d'eux qu'elle ne sait plus ce qu'elle fait.

– Pourquoi tu la défends ? »


Incroyable. Voilà que lui et son passé débattaient s'il fallait ou non croire en la rouquine, tout en restant chacun sur ses positions. Néanmoins, il ne pouvait pas se permettre de dire du mal d'elle, c'était impossible.


« Hélène... a eu un passé difficile. C'est dans le désespoir qu'elle les a rejoints, elle croyait que les aider arrangerait tous ses problèmes. Ce n'est pas de sa faute. »


Il y eut un nouveau silence. Son interlocuteur ne répliqua plus.


« Que feras-tu si elle te ment encore et te trompe ? reprit finalement la duchesse. Face à Napoléon ou même à ses hommes de main tu ne ferais pas le poids.

– Je trouverai une solution. Mais j'ai confiance en elle. Et lorsque je saurais comment partir des Jardins, je vous ferai sortir vous trois. »


Raphaël s'attendit à une remarque désapprobatrice venant de son passé, mais celui-ci ne souffla pas le moindre mot.

Il soupira, quelque peu rassuré qu'au moins Élisabeth l'aidât dans sa réflexion. Certes ils n'avaient toujours pas élaboré de plan, mais elle était déterminée à l'aider, et cela lui redonnait confiance.


« Dis-moi... »


Elle hésita quelques instants, avant de finalement poser sa question.


« Dans ton monde, qui a pris cette balle ? »


Il ne répondit pas, mis extrêmement mal à l'aise par la curiosité de la duchesse. Malgré cela elle parut comprendre ce que son manque de réponse signifiait, et ne relança pas le sujet. Elle y mit fin en articulant un faible « je vois » qu'il entendit à peine.


« Admettons que tu parviennes à t'échapper de ta cellule, reprit-elle finalement, comment comptes-tu te débarrasser de Napoléon ?

– J'esquiverai ses gardes, et attendrai qu'il soit seul. Là je frapperai.

– Et comment comptes-tu stopper les Jardins ?

– Il me faut un réceptacle et une manière de canaliser l'énergie... »


Il se maudit de ne plus avoir le bracelet de Tiamat à son poignet. Il pouvait peut-être emprunter celui de son passé, mais rien n'était sûr –il ne savait même pas si l'un des sous-fifres de Napoléon ne lui avait pas pris pour éviter ce scénario. Mais même s'il trouvait quelque chose pouvant faire office de réceptacle, il n'avait aucune manière de rassembler ce peu-importe-ce-que-c'est qui avait permis de briser le cristal alimentant les Jardins. Il ne pouvait pas amener Marie avec lui, c'était trop dangereux, et une fois de plus, il ignorait ce qu'était devenu son violon.


« C'était bizarre, mais le désir de chaque habitant de Paris, si ce n'est pas de France entière, de faire cesser cette folie s'était matérialisé sous forme de lumière. Et tout ça s'est regroupé dans le bracelet, à l'époque. J'ai peur que ce soit impossible de recommencer. »


Il y eut un dernier silence, qui s'installa et ne quitta pas les lieux. Raphaël préférait cela à leurs discussions pour préparer un plan qui n'avaient pour seul résultat que celui de les enfoncer à chaque fois un peu plus dans le désespoir en détruisant leurs idées pour sortir de là.

Il n'avait plus qu'à attendre qu'Hélène revînt, alors. Il prit la veste de son costume et la roula en boule afin de s'en servir comme oreiller. Le visage tourné vers le plafond en dalles de pierres dont certaines étaient couvertes de mousse, il réfléchissait. Et si elle ne venait pas le voir ? Et si elle ne l'aidait pas ? Et s'il ne retournait jamais dans son univers d'origine ? Il refusait d'y penser, et pourtant ces doutes l'assaillaient. Il ne voulait pas croire que ses derniers échanges avec sa Marie avaient été aussi chaotiques alors qu'elle lui dévoilait tous les mensonges qu'Hélène lui avait fait avaler. Il voulait ne serait-ce qu'une fois la revoir, la serrer dans ses bras, être inondé de son parfum apaisant, sentir son cœur battre contre le sien, embrasser ses douces lèvres une dernière fois...

Il voulait lui dire tant de choses, à commencer par la vérité quant à l'année qui venait de s'écouler. Mais comment allait-elle réagir lorsqu'il lui dirait qu'il avait cherché pendant des jours toute trace de son père, avant de jeter l'éponge ? Il avait passé trois ans à tenter de le retrouver, et même s'il avait donné un seul signe de vie après tout ce temps, rien ne disait qu'Isaac souhaitait le retrouver. De plus, s'il avait tant voulu faire la lumière sur sa disparition, c'était parce qu'il avait besoin de lui dans cette urgence que son manque avait créée. Mais après trois ans, il avait mûri, il savait se prendre en main, et il tenait bon malgré tout. Il avait travaillé tout ce temps, parfois en joignant plusieurs petits boulots affreux, et à chaque fois qu'il avait voulu revoir Marie et lui signaler sa présence, la honte était venue l'assaillir, brûlante et perçante. Il n'avait jamais su trouver le courage de la revoir et de montrer son échec. Il voulait la protéger, et même s'il ignorait les sentiments que ressentait la jeune fille à son égard à l'époque, il ne voulait pas qu'elle le vît dans une telle faiblesse.

Hélène avait vu juste. Il avait su trouver du réconfort dans les bras de chaque fille faisant l'affaire, du moment qu'elle lui rappelait un tant fût peu celle qu'il ne pouvait atteindre. Il sentit ses joues virer au rouge tant il avait honte de lui-même. Comment avait-il osé revenir la voir et lui dire qu'il l'aimait après ça ? Il s'en voulait tant de lui avoir menti à ce propos.


Il voulut fermer les yeux, tenter de faire le vide dans son esprit et se reposer. Un léger bruit de gouttes d'eau s'écrasant au sol l'empêchait de se détendre, même s'il tentait de l'ignorer. Peut-être méritait-il sa punition. Peut-être n'était-ce qu'un retour de bâton que d'avoir croisé la route d'Hélène. Oui, c'était très certainement ça, il n'avait que ce qu'il pouvait mériter.


Quelqu'un vint le secouer ; il constata en ouvrant les yeux qu'il s'était assoupi pendant une durée indéterminée.

Il se redressa et dévisagea Hélène, dont les cheveux entremêlés dévoilèrent son visage tuméfié aux nombreuses coupures lorsqu'il les dégagea. Il voulut lui demander ce qui lui était arrivé, elle le força à rester silencieux en plaquant son index sur ses lèvres. Ses splendides yeux étaient rougis et gonflés par les larmes qu'elle avait dû verser sous la douleur. Cela avait été très certainement un coup de Bonar et de ses hommes de main, qui l'avaient encore passée à tabac pour la énième fois.

La respiration de la jeune femme était irrégulière et interrompue par un semblant de sanglots. Son corps tout entier tremblait. Elle restait à genoux près de lui, et peinait presque à se tenir droite.


« J'ai retrouvé la machine, souffla-t-elle dans un sourire qui contrastait beaucoup trop avec l'expression de son visage. Je peux t'envoyer loin d'ici, dans un endroit où tu n'auras pas à me sauver. »


Elle leva ses yeux tristes vers lui. Il se sentit terriblement mal de la voir dans cet état.


« Je ne peux pas te synchroniser, c'est trop dangereux, mais tu peux recommencer ta vie là-bas. Fais-le je t'en prie... »


Il acquiesça et se leva, avant de l'aider à faire de même. Elle s'appuya contre le mur et reprit lentement son souffle.


« Tu vas vivre heureux, loin de ces horribles types, promets-le-moi.

– Ne t'en fais pas pour moi, rassura-t-il, je me débrouillerai. Mais viens avec moi. »


Elle secoua la tête.


« Je ne peux pas faire ça. Je ne peux plus... »


Son visage se tordit de douleur, et elle enfouit son visage dans ses mains, avant de fondre en larmes. Il ignorait ce qui lui était arrivé, mais il savait que Bonar n'y était pas allé de main morte. Il se rapprocha d'elle et la serra dans ses bras, du plus fort qu'il le pouvait. Elle le laissa faire et continua de pleurer dans le creux de son épaule, en poussant des petits gémissements de douleur.


« Je ne te laisserai jamais seule ici, Hélène. »


Il recula, et lui prit la main.


« Viens avec moi, loin de tout ça. »


Il fallait pour le moment la protéger, elle. Concernant cet univers, il pouvait s'en charger plus tard en revenant au moment où il avait tout chamboulé, afin de remettre en place les événements comme ils étaient censés se passer.


Il lui demanda où était la porte, elle lui montra celle de la cellule. Il se souvint de la fois où elle l'avait fait sortir de l'hôpital via le même procédé –cela lui paraissait si lointain...

Il poussa la maigre porte constituée de barreaux épais, et aperçut de l'autre côté une ruelle sombre et vide.


Il fit un pas.


Il sentit la main d'Hélène se glisser hors de la sienne.


« Adieu... »


Il se sentit violemment poussé dans le dos, sans pouvoir se retenir de traverser la porte.


Et alors que l'ouverture se refermait, il remarqua une profonde blessure le long de l'abdomen d'Hélène tandis qu'elle tombait au sol, inerte.

 

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