Quatorze Juillet

Chapitre 31 : - Partie II ~ Retourner vers le passé - - Chapitre XXX -

4602 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:39

- Chapitre XXX -

« Ça fait longtemps que je te cherche.

Longtemps ?

Quelque chose comme quatre ans. Enfin, pour moi.

Je vois. »

Encerclée de très près par plusieurs chevaliers, Élisabeth ne put contenir plus longtemps sa crainte des événements, qui se mua en une colère sans fond dirigée vers la personne de son cousin. Ce dernier la regardait avec satisfaction, un sourire mauvais dessiné sur ses lèvres. Depuis dix-sept ans elle vivait avec ce poids sur le cœur, celui d'avoir abandonné la seule fille qu'elle n'avait jamais eue, à cause de cet homme appâté uniquement par la promesse de richesse de l'organisation à laquelle il appartenait. Il lui avait proposé de rejoindre officiellement cette organisation, ce à quoi elle avait refusé ; elle ne pouvait se permettre de céder, il en allait du sort de sa fille, elle voulait terriblement lui épargner les atrocités que Jean-François était capable de commettre.

« Vois-tu, chère cousine, comme nous avons pu mener à bien notre tâche ? Cela aurait été tellement plus simple si tu n'avais pas refusé de coopérer. »

Il conservait avec aisance cet air narquois qui lui allait si bien, et semblait si heureux de la torturer en appuyant sur cette culpabilité qui lui avait toujours rongé les tripes.

« Si tu n'avais pas caché la fille, tout aurait pu se passer si bien. Mais tu as décidé d'enfreindre une des règles principales. »

Il releva légèrement le visage, le soleil se reflétant dans le verre de ses lunettes dissimula complètement de la vue de la duchesse le regard de l'homme.

« Il est impossible de quitter l'organisation vivant. Une chance que notre Empereur ait été aussi clément avec elle et toi. »

Il y eut un silence, qu'Élisabeth ne souhaitait aucunement briser. Puis il revint à l'assaut.

« Tu comptes lui dire, pour son père ?

– Elle n'a pas de père, s'emporta-t-elle soudainement. Elle n'a que moi ! »

Elle se calma presque immédiatement alors que Jean-François la menaça en sortant prestement un revolver, et lui ordonnant de se taire.

Du coin de l’œil elle vit Marie tenter de s'avancer vers elle, avant d'être rapidement rattrapée par cette fille sortie de nulle part. Il n'était pas compliqué de deviner qu'elle faisait partie de l'organisation de Jean-François –ils n'avaient aucune moralité, c'en était effarant. Elle était jeune, elle n'avait aucune raison de partager leurs idéaux, et n'avait aucun pouvoir particulier pouvant les aider...

« Je te rappelle que c'est grâce à nous qu'autant d'importance t'est accordée. Tout le monde ne te vénérerait pas si tu n'avais pas été aussi proche de leur chef.

– Je n'ai pas besoin de ce pouvoir, grogna-t-elle, sur la défensive.

– Ce n'est pas ce que tu disais il y a vingt ans. »

« Pourquoi t'as fait tout ça ?

J'ai mes raisons.

T'as pensé aux autres ? T'as pensé à Hélène ?

Hélène ? Elle n'a aucune utilité autre que de me servir.

Arrête avec ça, c'est pas vrai. Tu tiens à elle, peut-être même plus qu'elle ne tient à toi.

Et comment tu peux en être aussi sûr ?

J'ai fouillé l'appartement –notre appartement. J'ai trouvé cette photo d'elle avec toi. J'ai toujours cru que c'était moi ce bébé, mais les yeux, ça colle pas. »

« Je n'avais pas conscience des conséquences à l'époque, rétorqua-t-elle tout de même.

– Et à présent nous en sommes là, souffla Jean-François avec amusement. Quelle belle conséquence, tu ne trouves pas ? »

Il tirait une certaine satisfaction à lui rappeler ses erreurs passées, et cela la répugnait. Elle ne pouvait croire qu'il était de sa famille ; ils avaient toujours été droits et s'étaient comportés de la manière la plus juste possible. Son cousin était la seule dérive de cette famille parfaite.

« Je te rappelle que tu n'as pas été réellement louable dans tes actes toi non plus, à vouloir soi-disant "redorer le nom de la famille".

– J'ai été stupide de te faire confiance » cracha Élisabeth avec amertume.

« Ah. Je croyais l'avoir brûlée.

– Qui est Hélène ? »

« Mon Empereur, si je puis me permettre, nous devrions nous préparer à une offensive. »

Hélène s'était avancée vers Napoléon, et agenouillée face à lui avant de lui adresser la parole. Cette attention le fit sourire et le ravissait ; Isaac était vraiment parvenu à manipuler cette fille, c'en était incroyable de voir à quel point elle était convaincue de la moralité de ses actes.

« Et pour quelle raison viens-tu me dire ceci ?

– J'ai le pressentiment que le fils d'Isaac tentera de nous stopper dans notre avancée, annonça-t-elle en relevant la tête, ses yeux bleus brillant avec fermeté.

– Il est encore en vie ?! »

Il ne retint pas la claque mordante qu'il asséna à la jeune femme, lui arrachant un maigre cri de surprise mêlée à de la douleur.

« Tu étais pourtant supposée le tuer !

– Il nous était nécessaire afin de compléter la Couronne du Dragon, s'excusa-t-elle en se courbant vers lui, tête baissée. Et sans lui nous n'aurions jamais pu mettre la main sur la fille...

– Si nous courrons à notre perte par ta faute, attends-toi à un châtiment dont même la mort ne suffira pas à te soulager. »

La rouquine voulut à nouveau plaider sa cause, mais il la coupa court en la saisissant au cou. D'une main il parvint à la soulever quelque peu du sol sans grande difficulté, tout en resserrant peu à peu ses doigts sur sa peau fine. Elle tenta de se débattre, de lui faire lâcher prise, et espéra pouvoir le faire lâcher en lui griffant la main, avant de se rendre compte de la futilité de son geste puisqu'il portait des gants.

« Qu'est-ce qu'Isaac voyait en toi pour que tu nous sois d'une quelconque utilité ? » grogna-t-il alors que le visage de l'adolescente devenait cramoisi.

Elle entrouvrit les lèvres, articula quelque chose. Mais l'air ne passait pas. Impossible de parler.

« Tu lui as échangé une place parmi nous contre ton corps, non ? »

Elle voulut crier, lui dire qu'il se trompait. Rien n'y faisait.

« Sale chienne » acheva-t-il en la jetant dans la poussière.

« Hélène est sous ma tutelle. »

Il détourna les talons et alla rejoindre un groupe de Chevaliers Diaboliques un peu plus loin, sans jeter le moindre regard en direction du corps qui avait roulé au sol et qui ne remuait plus. Elle attendit un peu plus longtemps avant de se redresser, mais tout ce qu'elle put faire fut de se rouler en boule en toussant alors qu'elle reprenait difficilement son souffle.

« Depuis combien de temps ?

Depuis toujours.

Qui sont ses parents ? »

Sa gorge la brûlait. Elle allait certainement en garder des traces. Ce n'était pas la première fois, elle n'y était plus sensible du tout à force. Tout ce qui pouvait la blesser restait ces mots qui, bien que répétés encore et encore, la transperçaient de part en part et effritaient toujours un peu plus ce qu'il restait de son âme.

C'était là la fin du voyage. Elle ne supporterait pas de recommencer encore une fois, elle ne supporterait pas de tout retrouver et de tout perdre à nouveau. Elle était si près du but, elle n'avait jamais pu parvenir jusqu'aussi loin... Si cette fois-ci échouait elle se donnerait certainement la mort alors qu'une nouvelle partie recommencerait, sans elle.

« Qui sont ses parents !?

Ils sont morts. Tu ne les aurais pas connus. »

Serait-ce trop facile d'abandonner maintenant ? se demanda-t-elle en observant ses mains recouvertes de poussière, tout comme ses vêtements. Au loin elle voyait Jean-François la dévisager avec ravissement. Peut-être avait-il raison. Peut-être n'était-elle qu'une gêne dans leur plan parfait.

« Est-ce que tu me mens encore ? »

Non ! lui cria une voix. Sans elle, jamais ils ne sauraient mettre Fantôme R hors d'état de nuire, jamais ils ne mèneraient le plan à son terme... !

Mais même sa présence n'avait été d'aucune utilité, elle n'avait fait qu'envenimer la situation. Elle ne saurait jamais changer le passé pour arranger le futur. Isaac lui avait toujours menti, à lui répéter qu'elle lui serait la plus grande aide qu'on aurait pu lui apporter.

« Est-ce que tu me mens comme tu lui mens !?

Je ne lui ai jamais menti. Je n'ai fait que lui cacher la vérité.

Est-ce qu'elle sait qui ils sont ?

Oui.

Est-ce qu'on peut les sauver ?

Pourquoi veux-tu sauver des inconnus ?

S'ils étaient encore vivants, Hélène n'aurait jamais fini avec toi. Je veux la protéger. De toi. »

Elle sentit une main se glisser dans la sienne avant qu'on ne l'aidât à se relever. Lorsqu'elle chancela, on la soutint afin qu'elle ne tombât pas. Elle eut un mouvement de recul mêlé à du dégoût quand elle vit que cette personne qui l'aidait n'était autre que la stupide petite catholique de Raphaël. Celle-ci esquissa un sourire timide. Qu'est-ce qu'elle ne comprenait pas ? Hélène lui envoyait des signaux clairs, mais elle semblait refuser d'accepter qu'elle ne lui inspirait rien de plus qu'un profond dégoût pour sa personne. C'était donc ça, cette capacité à voir du bon en chacun...

« Tu es vraiment borné. »

« Le fils d'Isaac est parvenu à monter dans les Jardins, grogna Napoléon à l'attention de Jean-François. Il faut être prêt à riposter s'il se montre.

– Nous avons toujours la possibilité de solliciter les chevaliers diaboliques, répondit l'homme dans un rictus qui dévoilait ses dents blanches. S'il parvient à les déjouer, je me chargerai de lui avec joie. »

En disant cela il tourna son regard vers Élisabeth qui paraissait décidée à les éviter, aussi bien lui que son chef. Il devinait sans mal qu'elle avait extrêmement honte d'elle-même, et cette souffrance l'amusait beaucoup.

« N'as-tu pas envie de participer à la discussion, cousine ?

– Elle sait de quoi il retourne. Elle était dans l'organisation avant toi, Graf, réprimanda Bonar en fronçant les sourcils.

– Grâce à mes recherches, ce qui n'est pas rien. Elle s'est beaucoup intéressée à mon domaine d'études, c'est comme ça que tu l'as trouvée. »

Il semblait que, malgré sa position proche du dirigeant du groupe révolutionnaire, Jean-François désirait toujours plus de reconnaissance de la part des autres membres, comme s'il tentait de se donner une place et une importance qu'il n'avait pas. Cela exaspérait grandement Napoléon qui, il fallait l'avouer, avait eu de grands espoirs pour le brillant étudiant qu'il était lorsqu'il l'avait rencontré. Mais à présent que la phase finale de leur plan pour se débarrasser de ce monde afin de bâtir un nouvel ordre était lancée, il se rendait compte que celui que les Chevaliers surnommaient "le crispé" avait d'autres ambitions qu'il prenait soin de dissimuler au reste de l'organisation. Et il devait admettre qu'il n'était pas réellement rassuré de le savoir parmi eux. Peut-être cela leur permettait-il de ne pas être opposés à lui, ce qui paraissait être une bonne chose au vu de la satisfaction qu'il avait tirée de sa chasse aux adolescents qui avait tenté de secourir la blonde.

« Après tout ce qu'elle t'a fait subir, tu veux quand même la sauver ?

Tout le monde a le droit à une seconde chance. Elle ne se rend pas compte de ce qu'elle fait.

Crois-moi que si.

Elle ne sait pas que c'est Bonar et non Napoléon, elle y croit dur comme fer ! »

« Laisse-moi tranquille, grogna Hélène en reculant encore, mettant un peu plus de distance entre la blonde et elle.

– Pourquoi tu fais ça ? Je t'ai vue avec Raphaël, tu devrais être de son côté, notre côté... »

Sa voix se fit hésitante, comme si elle regrettait de lui avoir adressé la parole juste après avoir posé sa question. Elle vit les lèvres de la jeune femme se crisper involontairement un bref instant, avant qu'elle ne parvînt à reprendre le contrôle d'elle-même.

« Je n'ai rien de semblable à ce minable, cracha-t-elle. J'ai une bonne raison pour faire ce que je fais, et c'est à cause de lui que j'en suis arrivée là.

– Il y avait forcément un autre moyen ! riposta pourtant Marie, apparemment assez sûre d'elle pour s'opposer à Hélène qui pourtant la terrifiait. Tu n'es pas obligée de causer autant de dommages pour parvenir à tes fins !

– Qu'est-ce que t'en sais ?! »

Hélène criait, hors d'elle. Comment cette fille osait-elle la critiquer sur ses actes ?

« Tu n'es pas à ma place ! Il n'a pas détruit ta vie ! »

« Tu es déterminé à stopper les Jardins, pas vrai ?

Tu sais ce qu'ils cherchent exactement ? »

Quatre chevaliers s'approchèrent d'elles, et deux d'entre eux encadrèrent Marie. Elle se figea, terrifiée à l'idée qu'ils s'en eussent après elle, mais cela ne sembla pas être l'ordre qu'ils avaient reçu ; ils l'emmenèrent près de Napoléon, Jean-François et Élisabeth, ainsi que de quelques autres chevaliers.

La duchesse gardait la tête baissée, le regard dans le vague. Elle se tenait ses mains gantées de velours du bout des doigts, et restait en retrait, muette. À distance d'elle, celui que Marie avait toujours considéré comme un proche ami, si ce n'était presque un parent, se tenait à côté de l'empereur qu'il servait, toujours ce sourire de vautour aux lèvres. Depuis qu'il l'avait emmenée contre son gré avec lui à Versailles, elle nourrissait à son égard un sentiment qu'elle n'avait jamais réellement ressenti auparavant, un mélange de haine et de déception vis-à-vis de son attitude.

Et devant lui, comme si Jean-François s'était caché derrière son imposante figure comme derrière un bouclier, se dressait Napoléon. Marie n'avait pas eu beaucoup de cours d'histoire à son sujet, mais elle était plutôt convaincue que celui qui se trouvait là était bien différent de l'image que le monde avait de lui –cet homme affichant toujours une main contre son cœur, en costume d'époque, et non en tenue de chevalier comme elle le voyait là. Mais elle devait admettre qu'il était parfaitement réel, peut-être avait-il réellement été ramené à la vie ?

« Il n'y a qu'une manière de sauver Hélène. Mais ça a un prix.

Je m'en fous, dis-moi ce que je peux faire. »

Marie frémit en remarquant la présence d'un revolver à la ceinture de l'empereur dans un furtif mouvement de sa cape d'un violet sombre, presque noir. Elle espéra qu'il n'aurait pas à s'en servir, encore moins contre elle ou bien contre la duchesse ; elle avait toujours du mal à se remémorer la scène à la Tour Eiffel sans se sentir mal. Mais Raphaël allait bien, elle avait entendu sa voix. Ils allaient pouvoir agir contre ces gens, et faire quelque chose pour protéger la ville, elle en était sûre.

Soudainement tous se turent alors qu'une silhouette mince s'approcha d'eux en marchant d'un pas décidé. À ses côtés, avec la même détermination, un chien au poil court et blanc avançait. La jeune fille sentit son cœur se gonfler d'espoir tandis qu'Hélène retint un violent haut-le-cœur qui la prit soudainement. Elle avait un terriblement mauvais pressentiment. Elle décida de se réfugier hors de sa vue, derrière les quatre chevaliers qui encerclaient la blonde.

« Bonjour Marie, dit le rouquin d'un ton ferme mais néanmoins avec un sourire rassurant. Je suis revenu pour toi. »

« Il ne faut pas qu'Élisabeth se prenne cette balle.

Mais ça reviendrait à laisser Marie mourir ! »

« Apparemment, le petit voleur ne sait pas quand il doit mourir ! » se moqua Napoléon en croisant les bras.

Il toisa le rouquin et l'examina de haut en bas. C'était donc lui, le fils d'Isaac venu les stopper. Qu'il essaie donc, défia-t-il mentalement. Il l'attendait.

« Je les ramène Napoléon. Toutes les deux. »

Il peina à dissimuler le sourire qui affichait sur ses lèvres. Ce garnement ne se rendait pas compte qu'il était cerné de toutes parts, dans un territoire ennemi, et surtout, qu'il était seul. Il hésita un instant à envoyer Hélène se charger de lui, mais il constata d'un rapide coup d’œil que son visage avait pris une teinte blafarde. Bien que n'étant pas la fille d'Isaac, elle partageait cependant sa faible résistance. Était-il possible de transmettre un tel trait entre le tuteur et l'enfant à sa charge ? Le doute était permis.

« Tu peux tout aussi bien empêcher la mort des deux.

Comment ?! Dis-moi ! »

Il ordonna à plusieurs de ses hommes de main de se charger de lui ; ceux-ci se jetèrent sur le rouquin qui les esquivait habilement en tentant de riposter. Certes il était agile, mais il restait incapable de les mettre hors d'état de nuire. Il était et resterait un faible gringalet sans la moindre force.

Il entendit la blonde appeler son nom –ou plutôt son pseudonyme– dans un murmure d'encouragement. De même, il entendit la respiration d'Élisabeth tressaillir dans son dos. Jean-François lui jeta un regard mauvais qu'elle ne releva pas, apparemment trop inquiète de la tournure que les événements pouvaient prendre pour les deux jeunes gens.

Finalement, le fils d'Isaac parvint à s'échapper de la horde de chevaliers qui l'avait entouré. Il arborait un sourire espiègle, comme s'il avait apprécié ce divertissement outre la situation dans laquelle il y avait eu droit, mais son sang se glaça rapidement alors qu'il remarqua le revolver braqué vers lui.

« Ceux qui s'opposent à moi sont punis de manière humiliante. Je t'en donne ma parole de Français. »

Les yeux de l'empereur brillaient intensément, tant son excitation était grande. Il était près du but, et bientôt plus rien ni personne n'allait être en mesure de le stopper.

Il pivota vers sa droite. L'heure était aux jeux de pressions psychologiques.

« La fille va mourir, et il ne vous restera plus qu'à contempler votre faiblesse. »

Il plissa quelque peu les yeux, se concentra pour toucher le cœur de la blonde. Une balle bien placée et il sera impossible de le stopper.

« Non, pas ça ! »

Les chevaliers profitèrent de cet instant pour se jeter sur lui et le retenir, certains le tirant par les épaules, d'autres par les bras.

Marie, quant à elle, voulut reculer et fuir, mais le mur humain qui se dressait derrière elle l'en empêchait. La vue de cette arme pointée vers elle la figea sur place, elle ne put que serrer ses mains contre sa poitrine dans une prière silencieuse pour que quelqu'un vînt la sauver, et fermer les yeux, attendant le moment où la douleur la frapperait et lui ôterait la vie. Elle espérait juste que cela fût bref afin qu'elle n'eût pas à trop souffrir, c'était là ce qui la terrorisait le plus.

Elle entendit une détonation, un bref coup duquel une balle partit. Puis un silence de plomb gagna les lieux, seule l'eau jaillissant de la fontaine le troublait.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle fut frappée par le choc. Quelqu'un s'était mis en travers de la balle, et cette personne n'était autre que Raphaël –non, Fantôme R.

« C'est à toi de prendre cette balle. »

Les bras écartés, comme pour mieux la protéger, il gardait le regard fixe vers Napoléon. Celui-ci, comme tous ceux présents sur la place de la fontaine, eut un bref instant d'incompréhension ; comment pouvait-il être là alors qu'il se tenait en même temps à trois mètres de lui sur sa gauche !? Cela était d'autant plus incompréhensible que l'autre le regardait avec stupeur, comme s'il le découvrait tout juste.

Il retint un grognement de douleur et chancela, avant de tomber à genoux. Sa main droite pressait son sternum, tandis qu'il s'appuyait sur sa main gauche pour ne pas s'effondrer face contre le sol. Le sang vint rapidement tâcher sa chemise immaculée ; sa main était recouverte du liquide carmin qui coulait à flots de la plaie. Il sourit nerveusement. Comment une si petite balle pouvait-elle faire autant de dégâts ? Il se le demandait bien.

« Raphaël, tiens bon ! » souffla Marie en s'agenouillant à sa hauteur, les larmes commençant à monter à ses yeux.

Il voulut tourner sa tête vers elle, mais c'était impossible, son corps ne répondait plus à ses souhaits. Il vacilla une nouvelle fois, et s'écroula sur le côté droit, soulevant de la poussière autour de lui.

« Tu enverrais ton propre fils se faire tuer ?! »

Il n'en fallut pas plus à Hélène pour réagir. Elle bouscula les chevaliers qui la séparaient du rouquin, et se jeta à ses côtés. Elle parut hésitante, il lui fallut quelques secondes pour réaliser ce qui se passait. Ses yeux exprimaient toute la panique et toute l'horreur qu'elle ressentait en ce moment précis. Elle était perdue.

« Ne m'abandonne pas ! ordonna-t-elle en forçant le rouquin à se coucher sur le dos. Tiens bon ! »

Elle commença à dénouer sa cravate, et voulut ouvrir sa chemise afin de constater l'étendue des dégâts. Peut-être pouvait-elle y faire quelque chose, n'importe quoi...!

« Arrête Hélène, souffla-t-il en posant sa main poussiéreuse sur celles de la rouquine. Il fallait que je le fasse...

– Qu'est-ce que tu racontes !? cria-t-elle en retour, les larmes commençant à couler le long de ses joues. Tu aurais pu tout laisser se produire et–

– C'était le seul moyen pour te sauver... »

Sa voix se faisait de plus en plus faible à chaque nouveau mot de prononcé. Il faisait de son mieux pour ne pas laisser paraître toute la douleur qu'il ressentait.

« Ne m'abandonne pas, supplia-t-elle en lui prenant les deux mains. J'ai encore besoin de toi !... »

Sa voix se déchirait, c'était un réel cri de détresse qu'elle lui adressait.

« Je n'avais pas le choix, c'était pour te sauver...

– Qui t'a dit ça ? Je n'ai pas besoin d'être sauvée ! Pas comme ça...! »

Raphaël leva ses yeux noisette autrefois pétillants de vie vers elle, et lui sourit gentiment.

« Mon père me l'a dit.

– Je t'en supplie, tiens bon ! »

Il toussa, du sang remplissant sa bouche. Elle l'aida à se relever quelque peu, et l'aida afin qu'il crachât. Un filet écarlate coula le long de ses lèvres.

« Tu te souviens de mon collier et– et de mon bracelet ? » demanda-t-elle en hoquetant.

Il avait les yeux à demi clos. Sa respiration était devenue terriblement lente.

« C'est toi qui me les as donnés... »

Il sembla esquisser un sourire amical –pour la première et dernière fois.

« Tu les avais depuis le début... »

La tête du rouquin tomba sur le côté, vers elle. Ses traits s'étaient adoucis, comme s'il avait pu trouver la paix en ces derniers moments. Elle sentit une boule se former au creux de son ventre, et cela se mua en un cri de douleur accompagné de ses sanglots incessants.

« Tu as cessé d'être mon fils à partir de l'instant où tu t'es mêlé à cette histoire. »

« M'abandonne pas, pleurait-elle en serrant le corps inanimé contre elle. Reviens ! Reviens avec moi... »

Sa voix était la seule qui s'élevait autour d'eux. Élisabeth gardait la tête baissée, les yeux fixant le sol. Marie restait figée, de grosses larmes coulant sur ses joues roses. Et le Fantôme R de cette époque restait muet, choqué par la vision d'un individu lui ressemblant en tout point, ainsi que par sa mort.

Puis Napoléon fit un geste discret à l'un des chevaliers se tenant derrière le rouquin, afin qu'il l’assommât d'un coup sec porté à son crâne. Au même moment Jean-François plaqua un mouchoir sur le nez et la bouche de sa cousine, qui perdit connaissance. Il en fut de même pour Marie, dont la stupeur avait fait d'elle une cible bien trop facile.

Il ne restait plus qu'Hélène.

« Lâche ce cadavre et reviens défendre notre cause » ordonna sèchement Napoléon.

Elle secoua la tête, et s'agrippa de plus belle à Raphaël. Elle ne pouvait plus arrêter de pleurer. Pourquoi... ?

« Si tu refuses d'obéir, alors nous allons t'y obliger. »

Un homme de main vint la saisir à la taille et la força à se relever, avant de la tirer vers lui. De l'autre côté, un second s'occupait de lui arracher le corps sans vie des mains, qu'elle finit par laisser partir par manque de force. Elle criait, elle gémissait, elle ne voulait pas –elle ne pouvait pas– le quitter. Elle se débattait, mais rien n'y faisait. Plus personne ne pouvait rien pour lui.

On l'emmena avec Napoléon et Jean-François au cœur de la salle des machines, une salle immense à éclairage bleuté, au centre de laquelle brillait un immense cristal de forme pyramidale. L'empereur prit place aux commandes et actionna quelques boutons et leviers. Un vrombissement se fit entendre, et chaque petit panneau qui constituait les murs de la salle prit une teinte dorée.

« Je n'avais pas prévu qu'Hélène nous ramène aussi sa version du fils d'Isaac, soupira Jean-François. Par chance, il nous a permis de mettre hors d'état de nuire les autres.

– Qu'allez-vous faire du corps ? demanda-t-elle, sa démarche titubante l'amenant presque à tomber de la plateforme suspendue au-dessus du vide.

– Il restera dans une cellule, non loin des autres, pour leur rappeler leur sort s'ils tentent de fuir. »

Elle frémit. Elle ne connaissait pas ce chemin. Et à quoi bon ? Il n'était plus...

« Les policiers ont tenté de monter à bord ; quelques hommes les ont repoussés. »

Napoléon haussa les épaules, faisant s'emmêler les franges de ses épaulettes.

« J'ai fait ce que vous vouliez, souffla Hélène d'une voix brisée. À vous d'honorer votre partie du contrat.

– Oh mais je l'ai déjà honorée, ma chère. Il ne souffrira plus.

– Comment pouvez-vous en être aussi sûr ? »

Elle se mit sur la défensive ; bien qu'épuisée mentalement, elle restait prête à réagir en cas de besoin.

« Il ne pourra pas naître. De fait, je lui épargne toutes ces souffrances. Pas vrai ? »

Hélène se figea, paralysée par ses propos. Empêcher sa naissance ? Elle ne pouvait pas s'imaginer un monde sans lui, elle devait agir et–

Avant qu'elle ne pût faire quoi que ce fût, l'odeur douceâtre d'un mouchoir imbibé de chloroforme lui fut plaqué contre le visage. Elle lutta pour rester éveillée, mais finit par tomber dans les bras de son assaillant, qui la passa à un chevalier afin qu'il l'éloignât des lieux. Napoléon salua le nouvel arrivant d'un signe de tête, et d'un large sourire.

« Les Jardins seront-ils suffisants afin de détruire le monde ? demanda l'homme en passant une main distraite dans sa tignasse rouge terne, ses yeux bleu clair balayant la salle.

– Plus personne ne peut nous arrêter, répondit son interlocuteur en se penchant à nouveau sur la console. Nous allons mener à bien notre projet. »


Laisser un commentaire ?