Quatorze Juillet

- Chapitre XXIX -

Il n'était pas bien compliqué de trouver où s'était dirigée Hélène après qu'elle eût quitté Raphaël. La place de la Concorde était noire de monde, principalement d'hommes vêtus de pâles copies d'armures de chevaliers, si on pouvait appeler cela ainsi. Ils formaient un groupuscule au centre duquel se tenait Marie, placée sous la vigilance d'Hélène qui l'observait d'un air mauvais, sans rien dire. Elle n'avait pas été conviée à cette réunion en un premier temps, mais en croisant un des hommes de main de Napoléon, celui-ci l'avait mise au courant que l'empereur souhaitait lui confier la garde de la clé comme il aimait l'appeler.

Lorsqu'elle avait aperçu la jeune femme, le cœur de Marie s'était gonflé d'espoir à l'idée qu'elle fût présente afin de l'aider –après tout, n'était-ce pas ce qui s'était passé à leurs quelques précédentes rencontres ?

Un frisson la parcourut lorsqu'elle fut près d'elle. Elle repensait à la scène qu'elle avait vue se jouer devant ses yeux ; Jean-François tirant une balle en direction de Raphaël, ce dernier tombant au sol, avant de peiner à se relever en réclamant la liberté de son amie entre deux hoquets de douleur... Puis ce deltaplane était sorti de nulle-part et avait emporté l'adolescent blessé hors de la Tour Eiffel, la laissant seule avec ces individus. Elle avait entendu leur plan, elle aurait préféré rester dans l'ignorance ; et à présent ils souhaitaient d'elle qu'elle jouât la Princesse de la Lune, avec son violon que la rouquine lui avait apporté. Elle avait osé croiser son regard, et s'était étonnée d'y trouver une émotion aussi partagée. Cette fille savait ce qu'elle voulait et était sûre d'elle, alors pourquoi l'avait-elle regardée de ces yeux hésitants et fuyants, presque désolés ? À présent Marie attendait d'être libérée, son instrument dans les mains, en refusant catégoriquement d'entonner la mélodie.

« Joue si tu veux les sauver » ordonna la jeune femme, les bras croisés et la tête baissée, ses yeux fixant le sol.

Marie sursauta, et se tourna vers elle, manquant presque de lâcher son violon.

« Qui ?

– Tes parents, tes amis, et la ville, si tu te sens d'humeur. »

Elle lâcha un léger rire sarcastique, avant de lever vers elle son regard bleu perçant.

« Bien sûr, si c'est le sort de l'autre voleur qui te préoccupe, notre empereur ne lui fera aucun mal. »

Marie la dévisagea avec soulagement, apparemment rassurée de le savoir hors de danger. Décidément elle ne savait pas lire entre les lignes.

« Mais si j'étais toi j'oublierais toute perspective d'avenir avec lui. C'est pas le genre de gars avec qui tu peux te construire une vie. »

Elle replaça une mèche rousse derrière ses oreilles, sans quitter la fille du regard, tout en se délectant de l'air surpris qui s'affichait sur le visage de l'adolescente.

« Il finira en taule, sans femme ni gosse, ajouta-t-elle simplement, en haussant les épaules. Il va sans dire qu'il y crèvera comme un rat.

– Comment peux-tu dire ça ? »

La réaction de Marie fut très amusante. Elle recula d'un pas, comme si elle refusait de croire en Hélène et refusait de réaliser qu'elle pouvait avoir raison. Elle serra de toutes ses forces son violon contre sa poitrine, serrant ses doigts autour du manche, agrippant au passage les cordes en étouffant leur maigre son. Puis elle scruta la jeune femme, qui avait enfoui ses mains dans ses poches et attendait –mais attendait quoi ?– d'un air patient. Elle semblait s'amuser en jouant avec ses sentiments, comme pouvaient en témoigner ses yeux brillant d'excitation.

« Je connais très bien la personne, son avenir n'a pas le moindre secret pour moi, répondit-elle simplement. Pourquoi ? Tu comptais vraiment finir avec lui ? »

Les joues de la blonde rosirent.

« Tu veux vraiment finir avec un roux ? » demanda-t-elle en maîtrisant tant bien que mal le rire moqueur qui naissait dans sa gorge.

Évidemment. Elle aurait dû s'en douter.

« Dis donc tu t'es vite attachée à lui, ajouta-t-elle en faisant un pas vers elle, la bloquant un peu plus dans le cercle de chevaliers. Tu sais qu'il n'est avec toi que par intérêt ?

– C'est faux, bredouilla Marie, qui était convaincue de la véracité de la gentillesse de Raphaël à son égard. Il m'a aidée et– »

Elle leva un sourcil intrigué. Devait-elle attendre encore un peu avant de détruire les maigres rêves de la blonde, ou était-il préférable qu'elle s'y prît au plus vite ? Elle préférait de loin la seconde option.

« Il t'a jetée dans les bras de JF, et il t'a abandonnée dans la Tour Eiffel, il s'en fout de toi, que veux-tu de plus pour te le prouver ?

– Il a tenté de me sauver, protesta-t-elle tout de même, sa voix se brisant au fil des paroles.

– Alors pourquoi es-tu là, dis-moi ? »

Elle ne répondit pas, les mots lui manquaient. Pourquoi cette fille s'acharnait-elle tant ? Pourquoi était-elle aussi blessante ?...

« Si tu joues la Princesse de la Lune, je te promets une longue vie.

– Je ne veux pas jouer pour vous » répliqua-t-elle tout de même, les sourcils froncés et un air déterminé marqué dans ses traits.

Hélène fut surprise un instant par la ressemblance entre la fille et la duchesse. Il n'y avait pas le moindre doute possible, elles étaient bien mère et fille ; elles avaient exactement les mêmes mimiques. Un frisson de répulsion la parcourut. Elle avait beau faire pression en évoquant Raphaël, la blonde ne craquerait que si on menaçait la vie d'une personne extérieure en apparence au conflit, à savoir la duchesse. Finalement, Napoléon avait eu raison d'envoyer des hommes au manoir pour aller la chercher, même si cela avait provoqué une certaine vague de jalousie au sein des chevaliers. Ceux forcés de rester à la place de la Concorde avaient toutes les raisons de ne pas vouloir s'y trouver, et Hélène partageait leur avis, bien qu'elle ne souhaitait en aucun cas croiser le chemin de la duchesse qui la répugnait au plus haut point, peut-être plus que cet abruti de Raphaël.

La pensée de ce dernier la fit frémir. Peut-être allait-il tenter d'empêcher l'escadron de ramener la mère de la fille. Cette fois-ci, il savait quand arriver pour les stopper, et cela ne la réjouissait pas vraiment. Jean-François allait encore pouvoir lui remettre ça sur le dos et convaincre l'empereur que la garder avec eux était une très mauvaise idée, qu'elle leur causait plus de problèmes qu'elle n'en résolvait, et ordonnerait son exécution, puisque la bannir serait un sort trop clément. Un autre frisson parcourut son corps à cette idée. Elle ne savait pas si elle allait pouvoir survivre à une autre tentative d'assassinat de la part de l'individu sournois qu'il était. De combien d'entre elles était-elle parvenue à s'échapper sans problème ces derniers temps ? Peut-être une ou deux, contre une dizaine de fois où elle avait dû avoir recours à son collier et son bracelet pour survivre sans séquelles. Décidément, elle faiblissait bien trop vite, et cela l'inquiétait. C'était nouveau, cela ne s'était jamais passé comme ça les autres fois.

Elle se retint du mieux qu'elle put pour ne pas se jeter sur la fille et la frapper. Oh, comme elle aurait adoré lui faire payer le prix de son insolence ! Si seulement elle n'était pas aussi réticente, peut-être aurait-elle pu l'apprécier.

« Hélène ? As-tu pu convaincre Marie de jouer ? »

Elle grommela en retour quelque chose à l'attention de Jean-François, qui s'était approché d'elles tout conservant son air faussement inquiet et tout bonnement hypocrite. La blonde se figea sous la terreur lorsqu'il posa sa main crispée sur son épaule, et elle le dévisagea avec tout l'effroi qu'il pouvait être donné de voir. La jeune femme avait presque pitié d'elle.

« Tu n'es pas parvenue à faire jouer notre invitée, je vois, lui lança-t-il d'un ton grinçant. J'ai des nouvelles de nos hommes de main, ils reviennent avec ce qu'ils étaient parti chercher. Décidément ils sont plus efficaces que toi. »

Elle haussa les épaules, et répliqua d'un ton cinglant.

« Je vois que vous tenez difficilement face à la police. Même le gosse de l'inspecteur fout vos hommes à terre. »

Il remit ses lunettes à leur place alors qu'elles glissaient le long de son nez, sans répondre. Il restait silencieux, mais Hélène devinait aisément qu'il l'insultait sans retenue et souhaitait sa mort plus qu'à l'accoutumée dans son esprit tordu. Tout ce qu'il pouvait dire ne serait jamais aussi violent que ce qu'il pensait d'elle. Et elle ne faisait aucune mention de ses actes.

Elle voyait au loin l'inspecteur Vergier qui, sauvé de justesse par sa fille de l'attaque d'un des chevaliers, discutait gentiment avec elle. Elle frémit. Tout était condamné à se répéter. C'était perdu d'avance. Pourtant elle ne fit pas part de son avis sur la situation et s'éloigna du cercle, prétextant devoir observer les environs afin d'être sûre que le fils d'Isaac ne serait pas là pour les gêner. Ce fut à ce moment-là que Napoléon rejoignit Marie et les autres, sa pièce maîtresse non loin de lui. Il n'adressa aucune parole à Hélène lorsqu'ils se croisèrent.

« Assez joué maintenant ! »

Sa voix grondante fit taire toutes les autres aux alentours. Marie se figea face à l'homme imposant.

« Joue la chanson, lui ordonna-t-il avec un sourire carnassier. Joue la Princesse de la Lune !

– Jamais ! Je préfère mourir ! »

La blonde tenait tête, pour sa plus grande satisfaction. Elle ne voulait pas se laisser faire, c'était amusant tant elle était pitoyable. Elle ressemblait bien à sa mère.

« Tu dis ça ma chérie, mais regarde... »

Il tourna la tête à sa droite, et fit un signe à quelques-uns de ses acolytes, qui forcèrent la duchesse à s'approcher d'eux. Marie écarquilla ses grands yeux bleus en la voyant près d'elle, et en comprenant que ces gens avaient un otage.

« Si tu ne joues pas, ta mère mourra devant tes yeux.

– Non ! Tu te trompes, cette femme n'est pas ma mère ! »

Des larmes lui brouillaient la vue. Elle ne voulait pas que des vies autres que la sienne fussent en jeu. Elle ne voulait pas que d'autres personnes fussent tuées par sa faute !

« Tu sais si peu de choses, se moqua Napoléon dans un bref éclat de rire. En fait Élisabeth t'a menti. Pour te protéger. »

Elle hésita un instant, cherchant le mensonge derrière ce qu'il lui annonçait.

« Mais enfin pourquoi ferait-elle ça ? demanda-t-elle d'une voix brisée, exprimant son refus d'admettre la vérité.

– Ne la joue pas. »

Élisabeth prit froidement la parole, aussi impassible qu'elle avait toujours paru. Elle perça Marie de son regard glacé, sans se détacher de son air sévère.

« Je ne suis qu'une inconnue pour toi, petite fille. Je ne veux pas que tu te tortures à cause de moi. »

Elle retint une exclamation lorsque l'adolescente glissa son violon sous son menton et posa les crins de l'archet sur les cordes, prête à jouer.

« Non, Marie ! » cria-t-elle, espérant malgré tout que la jeune fille s'arrêtât.

Il y eut un silence. Élisabeth, qui avait fait quelques pas en direction de Marie, fut violemment tirée en arrière par un des chevaliers qui l'entouraient.

« Jamais entendre mon nom n'a été si agréable. »

Son murmure, tel un soulagement, brisa le silence, accompagné de son sourire hésitant. Les doigts de sa main droite se resserrèrent autour de l'archet alors qu'elle s'apprêtait à le faire glisser sur les cordes du violon.

« Peu importe que tu sois ma mère, souffla-t-elle en jouant les premières notes de la Princesse de la Lune. Je ne veux pas que tu meures. »

Elle s'interrompit soudainement à cause du tremblement du sol tout autour d'elle et de ses ravisseurs. Une dizaine de notes avait suffi. Cela ne la rassurait vraiment pas.

Un rire des plus inquiétants attira son attention.

« Marie était la clé de tout, sourit Napoléon, son rictus plus que satisfait s'étendant un peu plus à chaque seconde qui passait. Je n'ai que trop attendu cet instant ! »

Elle ne put que le dévisager, terrorisée, alors qu'il s'avançait et se détachait de la masse, au centre de la place de la Concorde. Il leva son bras droit, et appela l'objet de sa convoitise d'une voix puissante résonnant tout autour d'eux tel un éclat de tonnerre.

« Élève-toi ! Sors ! Sors, trésor antique ! »

Comme répondant à son appel, le sol se fissura, une marque se creusant tout le long des pavés sur l'étendue de la place, allant même à certains endroits jusqu'à attaquer des bâtiments voisins. Elle put discerner une vague forme circulaire dans le tracé autour d'eux, sans comprendre ce à quoi elle devait s'attendre.

Alors qu'elle conservait tant bien que mal son équilibre, la jeune femme rousse se précipita vers elle –ainsi que le groupe de Napoléon– et leur ordonna de reculer s'ils ne voulaient pas se retrouver écrasés sous les décombres alors qu'ils sortaient. Marie voulut la questionner au sujet de ce qui était censé jaillir du sol, mais fut coupée court par un vacarme assourdissant. Elle constata avec effroi qu'un trou titanesque s'était creusé dans la place de la Concorde, par lequel s'étaient effondrés tous les pavés qui quelques instants auparavant se tenaient encore là.

Le sol trembla à nouveau dans un grognement inquiétant que Marie sentit résonner à travers elle. Puis elle vit quelque chose sortir du sol et s'élever vers le ciel. De là où elle pouvait observer cet envol, elle ne pouvait pas prendre pleinement conscience de l'étendue de la bâtisse. C'était une immense construction qui s'étendait sur les huit hectares de la place de la Concorde, à la manière d'une pyramide à degrés renversée et circulaire. Autour de ce monument d'archéologie lévitant dans le ciel flottaient d'autres couronnes, aussi lisses que rectangulaires. Toute la construction avait un mouvement de rotation sur elle-même, mais ces appendices semblaient tourner plus vite, et quelquefois ne suivaient pas le même sens que celui de l'îlot central. D'autres décombres, d'énormes blocs de roche, volaient eux aussi sans présenter de réel danger au premier abord. Et alors que la bâtisse achevait son élévation dans le ciel, l'immense cristal vert qui constituait son point le plus bas luisait intensément.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle se trouvait à l’abri sous une construction en forme d'arcades donnant sur une cour sableuse au centre de laquelle jaillissait une fontaine à l'eau claire. Elle était blottie dans les bras de la rouquine, qui la lâcha au moment même où elle vit qu'elle avait repris conscience.

« Les vibrations t'ont sonnée, c'est normal, lui annonça-t-elle simplement d'un ton neutre. Quelques autres aussi.

– Où sommes-nous ?

– Dans les jardins suspendus de Babylone. »

La fille –Jean-François l'avait appelée Hélène non ?– gardait les yeux rivés sur Napoléon, qui faisait les cent pas devant la fontaine avec satisfaction. Cependant, elle ne paraissait pas si heureuse qu'elle aurait dû être face à leur victoire, et une pointe d'anxiété pouvait être aperçue dans ses yeux envoûtants d'un bleu profond dans lequel Marie se serait bien perdue si la situation n'était pas aussi alarmante.

Soudainement, la voix grondante de Napoléon tonna à travers les cieux. Son rire puissant était retransmis dans les environs grâce à la technologie babylonienne dont étaient empreints les jardins qui, ainsi, agissaient tel un mégaphone retransmettant les paroles de l'empereur dans un large rayon aux alentours s'il le désirait. De même, par la simple force de son vouloir et de sa pensée, il pouvait agir en sens inverse et renforcer les voix qui lui parvenaient en se concentrant uniquement sur la personne à qui il souhaitait parler.

« Ça n'a aucun sens, murmura Marie alors qu'Hélène lui expliquait rapidement cette capacité incroyable des Jardins. C'est impossible que ça puisse marcher...

– Crois-moi, le monde est plus étrange que ce qu'il paraît. »

L'adolescente jeta un rapide regard autour d'elle, cherchant des repères dans ce nouvel endroit si peu accueillant et encore moins rassurant. Elle remarqua que la duchesse Élisabeth était parmi eux, bien encadrée par plusieurs chevaliers. Elle semblait garder son calme, mais sûrement était-elle terriblement inquiète elle aussi quant à la suite des plans de Napoléon.

« Admirez la couronne du dragon ! clama celui-ci d'une voix puissante à l'assemblée qu'était la ville. Ployez devant sa gloire si vous ne voulez pas vous en repentir ! »

Les nuages gris et menaçants remplissaient le ciel, plus une once de son bleu n'était visible.

« Le monde va retrouver son empereur ! »

Marie enfouit son visage dans les paumes poussiéreuses de ses mains tremblantes, et abandonna tout espoir pour la ville de s'en sortir indemne. Il ne faisait nul doute que de nombreux dégâts allaient d'ici peu être infligés grâce à cette forteresse volante.

« Il y a sûrement une loi qui interdit les mandats post-mortem » cria une voix d'en bas.

Entendre ce timbre particulier de voix redonna confiance à Marie. Raphaël était là, il allait pouvoir aider ! Il fallait qu'elle aussi, de ce côté, s'arrangeât pour les stopper. Elle observa rapidement la rouquine à côté d'elle, qui respirait fort et paraissait exténuée ; des gouttes de sueur perlaient sur son front. Elle n'était certainement pas en état de la poursuivre, ce qui était une bonne chose. En revanche, il fallait se charger de Napoléon qui était en pleine démonstration de ses capacités à son interlocuteur.

« Ces jardins contrôlent le climat et en font une arme, annonça-t-il alors que les nuages prenaient soudainement une teinte grisâtre peu rassurante. Tu vas mourir pour m'avoir trahi ! C'est un choix regrettable, Fantôme R ! »

Des éclairs se mirent à jaillir de toutes parts du ciel nuageux, avant de frapper divers endroits. Entre autres, le café préféré de Charlie, les Champs-Élysées où Marie et Raphaël s'étaient rencontrés, et le carrefour devant l'appartement du rouquin furent touchés, des éclats de goudron et des panaches de poussières s'échappaient des points de rencontre entre l'arme mortelle de Napoléon et les cibles qu'il avait choisies.

Il semblait y prendre un malin plaisir, comme le laissait comprendre son sourire carnassier qui s'élargissait à chaque nouvel impact. Les citoyens, de la taille de fourmis vus de là d'où ils se trouvaient, hurlaient de terreur, et leur panique donna naissance à des mouvements de foule dans lesquels chacun tentait de sauver sa propre peau. Marie devinait que certains avaient été blessés, ou même étaient décédés à cause des éclairs ou des explosions qu'ils causaient lorsqu'ils tombaient. Il devait forcément y avoir quelque chose en son pouvoir qu'elle pouvait faire afin de stopper ça.

Elle entendit la duchesse Élisabeth vociférer quelque chose au loin. Encadrée par de nombreux chevaliers, elle tenait tête à Jean-François, mais se calma rapidement lorsque ce dernier pointa un revolver dans sa direction. La jeune fille comprit sans mal que c'était avec cette même arme qu'il avait tiré sur Raphaël –oh merci mon Dieu il va bien– et soudainement le double-jeu de son ancien gardien lui apparut comme une évidence. Non seulement s'était-il servi d'elle pour faire sortir de terre ces jardins comme tous semblaient les appeler, mais aussi afin d'attirer Élisabeth dans tout cela, pour une raison qu'elle ignorait encore. Elle eut une idée qui lui parut sur le coup plutôt rusée, qui était de s'approcher de Jean-François afin de découvrir pour quelle raison il souhaitait garder Élisabeth dans cette histoire. Elle se leva et fit innocemment trois pas dans sa direction, mais la jeune femme rousse la saisit fermement au poignet avant qu'elle ne posa son pied afin de faire un quatrième pas.

« Où est-ce que tu crois aller comme ça ? demanda-t-elle d'une voix rauque, un air mauvais et peu rassurant se profilant sur son visage. Reste ici jusqu'à ce qu'on te dise de bouger.

– Je voulais juste marcher un peu, mentit Marie en bégayant légèrement sur ses mots.

– T'inquiète, on va bientôt bouger. »

Son ton sec et cassant fit abandonner à Marie ses espoirs. Il n'y avait donc rien qu'elle ne pût faire afin d'aider les autres...

« Tes efforts ne te mèneront nulle part ! » vociféra soudainement Napoléon, interrompant la jeune fille dans ses pensées.

Elle se doutait qu'il s'adressait à Raphaël –qui d'autre de suffisamment borné pour s'opposer à lui tutoyait-il ?

Pourtant il parut légèrement déstabilisé alors que la foudre qu'il provoquait manquait grossièrement sa cible. Le voleur avait trouvé refuge dans la Tour Eiffel, dont le paratonnerre attirait chacun de ses éclairs. Il jura. Il avait complètement oublié ce détail. Il fallait vite changer la trajectoire de vol des jardins suspendus de Babylone avant que ce contretemps ne leur devînt fatal.

Or il sembla que ce garnement eût été capable de monter à bord des Jardins depuis le dernier étage de la Tour Eiffel. Cela parut alors comme une évidence aux yeux des agents de police lorsque leur chef, l'inspecteur Vergier, donna l'ordre de frapper depuis le monument. Tous s'y ruèrent, prêts à en découdre avec Napoléon et ses chevaliers.

Un sourire satisfait remplaça l'expression de douleur qui jusque là s'était affichée sur le visage d'Hélène.

Tout était enfin prêt pour le grand final.