Quatorze Juillet
Chapitre 29 : - Partie II ~ Retourner vers le passé - - Chapitre XXVIII -
3875 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 07/06/2019 01:36
- Chapitre XXVIII -
« N'essayez plus d'interférer avec nous. »
Les mots de son père résonnaient encore dans les pensées de Raphaël. Cela faisait une heure approximativement qu'il s'était étendu sur le lit de la chambre qui lui était attribuée, à tenter de s'endormir, en vain. Il aurait eu tellement de questions à lui poser, si seulement il était resté un peu plus longtemps.
Il se tourna sur le côté, face au mur.
Tout cela le menait à se demander si l'homme avec qui il avait discuté ces derniers jours était vraiment son père. Il l'avait toujours connu aimant, même lorsqu'il l'avait abandonné quatre ans auparavant. Alors pourquoi, à présent qu'il le retrouvait, le repoussait-il autant ? Jamais il n'avait perçu autant de haine dans sa voix, cela ne lui ressemblait pas.
« Tu gardes des souvenirs bien mignons de ton père » s'était moqué Jean-François l'an passé, alors qu'il lui avait fait face dans le passage central fumant des Jardins suspendus.
Il devait admettre qu'il avait raison, bien que cela lui déplût fortement. Il ne savait quoi penser. Avait-il toujours été aussi distant avec lui pendant sa jeunesse ? Il en doutait. Quelque chose avait changé chez lui durant les trois années où il avait été porté disparu.
Il se remit sur le dos et contempla le plafond à travers l'obscurité.
Et quel plan son père préparait-il ? S'il était question de faire revenir les morts à la vie, à commencer par Napoléon Bonaparte, il n'avait pas d'autre choix que de s'opposer à lui. Certes il voulait le revoir, et peut-être reformer une famille normale même si cela paraissait impossible, mais il y avait toujours la possibilité que la résurrection de Napoléon ne fût un malheur pour Paris, ainsi que toute la France. L'empereur avait été connu pour ses tentatives ambitieuses de conquêtes –il était tout de même allé jusqu'en Russie et avait pris Moscou– et Raphaël craignait qu'il ne voulût recommencer. Mais en deux siècles, beaucoup de choses avaient changé, y compris les relations diplomatiques. Napoléon n'aurait pas connaissance des deux guerres mondiales, et ignorerait certainement que tenter d'envahir l'Europe en déclencherait une troisième. Et personne n'avait besoin –et encore moins envie– d'une troisième guerre mondiale. Il fallait s'opposer à tout ça si cela venait à avoir lieu.
Et Bonar dans toute cette affaire ? Il s'était fait passer pour le défunt empereur afin d'effrayer la population et ébranler le gouvernement. Peut-être qu'en forçant les dirigeants à abandonner leurs postes, et en laissant ainsi une place fraîchement disponible pour l'organisation, il aurait été plus simple de placer le véritable Napoléon à la tête de la France. Savoir que lui-même était capable de parvenir à un tel plan terrifiait Raphaël ; ne valait-il donc pas mieux que tous ces gens ?
Il secoua la tête, et tenta de penser à autre chose ; ces histoires revinrent le frapper à la manière d'un boomerang. Lui qui croyait que tout s'était fini alors que les Jardins s'étaient effondrés, voilà qu'il était toujours poursuivi par le passé, en partie à cause d'Hélène.
En parlant d'Hélène...
Il soupira. Il ne craignait rien, pas vrai ? Peut-être qu'elle s'était souvenue de sa mission comme l'avait dit Isaac, elle n'oublierait tout de même pas les derniers jours, si ?...
Puis il se remémora les premières fois où elle s'était montrée offensive avec lui, avant qu'il ne restât bloqué avec elle. Elle avait été terriblement violente et effrayante. Son corps se souvenait encore de ce qu'elle lui avait fait subir, et il ne voulait absolument pas recommencer. Si elle oubliait tous les événements des derniers jours, alors elle allait retrouver sa violence première.
Il fallait empêcher ça.
Il se leva, sortit de son lit, et se dirigea vers la chambre d'Hélène, de l'autre côté de l'appartement. Il frappa à sa porte par pure politesse avant d'entrer –non pas qu'il s'attendait à une quelconque réponse.
Il la trouva allongée paisiblement dans son lit, profondément assoupie. Une petite lumière d'un bleu pastel brillait sur la table de nuit et éclairait faiblement la pièce, juste assez pour qu'il distinguât les environs ainsi que le visage de la jeune femme. Elle eut un faible mouvement des paupières et laissa s'échapper un faible gémissement lorsqu'elle l'entendit venir dans la chambre par-delà le sommeil. Il nota que son père avait pris soin de la coucher, et lui avait enlevé les lambeaux de la robe qu'elle portait, si on pouvait toujours appeler ça une robe. Cela n'avait aucun sens, il disait la haïr et pourtant il prenait soin d'elle comme il l'aurait fait avec Raphaël quand il était encore enfant... À moins que cela ne fût un mensonge aussi.
Il l'appela doucement. Elle n'avait pas rouvert les yeux une seule fois depuis qu'elle avait perdu connaissance dans les jardins de Versailles, et il était terrifié à l'idée qu'elle fût redevenue la bête assoiffée de sang qu'elle était autrefois lorsqu'elle les rouvrirait à nouveau. Peut-être qu'en la réveillant maintenant il pouvait empêcher ça, même si cette pensée était réellement stupide.
« Hélène, réveille-toi, dit-il en se penchant un peu vers elle. Je veux te parler. »
Elle grogna quelque chose en retour, et bougea dans son sommeil ; elle fit face au mur, lui tournant son dos nu. Sa peau luisait, et prenait une teinte particulière avec l'éclairage bleuté.
« Hélène, je veux que tu laisses tomber la mission » fit-il d'un ton grave.
Un grognement lui parvint en retour.
« Qu'est-ce que tu racontes ? » murmura-t-elle en se redressant.
Elle tourna vers lui son visage marqué par la fatigue. Ses cheveux hirsutes ressemblaient à une véritable crinière de lion flamboyante. Elle tenait fermement la couverture contre sa poitrine, comme par réflexe.
« Abandonne-les, enfuis-toi. Vis ta vie. »
Elle le regarda un instant avec incompréhension. Elle attendit qu'il sourît pour lui annoncer qu'il blaguait. Mais il était tout ce qu'il y avait de plus sérieux.
« Les Jardins n'apportent rien de bon et–
– Arrête de ne penser qu'à toi... »
Sa voix s'estompa dans un faible murmure alors que ses doigts se refermaient en un poing difficilement retenu.
« Tout ne tourne pas qu'autour de ton petit monde utopique ! » souffla-t-elle en détournant le regard, maîtrisant à peine la force de sa voix.
Il resta silencieux quelques secondes. Lorsqu'il voulut reprendre la parole, elle le coupa sèchement.
« Est-ce que tu crois que je fais ça pour moi ou pour eux ? La réponse est non ; je n'ai pas le choix.
– On a toujours le choix, répondit calmement Raphaël.
– Je n'ai jamais demandé à ce que ça arrive ! »
Elle avait tourné la tête dans sa direction, il avait croisé ses yeux brûlants de rage et de douleur. Cela le figea quelques secondes, il eut presque cru revoir la Hélène des premiers jours où il l'avait connue. Elle avait aussi violemment haussé le ton, dans cet éclat de voix que Raphaël percevait surtout comme un appel au secours.
« Je n'ai jamais voulu ça... » souffla-t-elle en baissant son visage, le faisant disparaître derrière ses longs cheveux en désordre.
Le rouquin prit une seconde pour réfléchir, avant de se décider à s'asseoir à ses côtés, sur le lit. Il posa une main amicale sur son épaule, elle sursauta. Sa paume était si chaude, et la peau de la jeune femme était glaciale.
« C'est en rapport avec Alexandre, pas vrai ? » demanda-t-il sérieusement.
Elle eut un moment d'hésitation, comme si elle ne s'attendait pas à cette question. Elle chassa la main posée sur son épaule, et se recoucha, tournant le dos à Raphaël.
« Peu importe où tu as entendu ce nom, il n'a plus aucune importance pour moi.
– C'est qui ?
– Personne. »
Elle s'était immédiatement braquée dès qu'il avait un tant soit peu insisté. Cela ne pouvait que montrer qu'elle lui cachait la vérité à ce sujet. Il avait deux possibilités, il pouvait tenter de la pousser à en dire plus, ou bien la laisser tranquille. Il ne pouvait se résigner à l'abandonner dans cet état de détresse –et il saurait peut-être la débarrasser de sa haine de lui.
« Est-ce qu'il a un lien avec tes parents et ton tuteur ? »
Elle ne répondit pas.
« Hélène, s'il te plaît. Il faut que je sache.
– Et ça te mènerait à quoi, hein ? »
Elle dissimulait sa peur et son appréhension derrière un ton sec et agressif. Il avait vu ses poings se serrer, et l'avait sentie se replier un peu plus sur elle-même.
« Mon père m'a parlé, alors que tu étais inconsciente, souffla-t-il sans la lâcher du regard. Tu lui as fait confiance et il t'a aidée à rejoindre l'organisation, mais il veut que tu meures, Hélène.
– Ça je le sais bien je te signale.
– Pourquoi tu continues alors à l'aider ? C'est pour Alexandre ? »
Elle se releva brusquement, et le fusilla du regard, complètement hors d'elle.
« Ça n'a rien à voir avec ce type bordel ! »
Elle saisit Raphaël au col de son t-shirt, et approcha son visage du sien ; un son guttural s'échappa de sa gorge alors qu'elle le menaçait de le tuer s'il continuait à poser des questions.
« Le sujet est clos. Fin. »
Elle le lâcha et attendit patiemment qu'il se levât et sortit de la pièce avant de se remettre en position allongée sous la couette. De l'autre côté de la porte, Raphaël soupira. Elle n'avait pas changé d'avis, et restait toujours autant sur la défensive. Peut-être qu'il était impossible de lui faire entendre raison en fin de compte.
Il soupira avant de rejoindre la chambre qu'Hélène lui avait laissée. Même couché sur le lit, il ne parvenait à trouver le sommeil. Il songea longuement à ce qui allait se produire le lendemain. D'abord le rendez-vous à la Tour Eiffel, puis Élisabeth se ferait enlever, et enfin, les jardins sortiraient. Il valait mieux se reposer pour l'instant, s'il voulait tenir toute la journée qui allait suivre, et empêcher Hélène de changer les événements. Avant même qu'il ne s'en rendît compte, il s'endormit, pour se réveiller quelques heures après, en début de journée.
Pendant son sommeil, il était parvenu à réfléchir à la manière dont il pouvait aider Charlie ; bien qu'il eût oublié le cheminement de ses pensées, il avait compris que la première couronne du dragon que Fantôme R allait donner à Napoléon n'était pas fausse, juste trafiquée, et était en réalité celle de son époque –c'est-à-dire du futur de l'époque à laquelle il se trouvait– qu'il trouva sans réellement comprendre pourquoi sur la table basse du salon. Il ignorait qui l'y avait déposé et quand, mais il était convaincu que ça n'était pas un hasard.
Les mots de son père revinrent brutalement le ramener à la réalité. « Vous ne pourrez plus voyager. » Avait-il sous-entendu dans le temps ? Cela voulait-il dire que l'appartement n'était plus ancré dans le passé ?
En jetant un rapide coup d’œil par la porte principale, Raphaël nota quelques détails lui indiquant qu'il était au bon jour, à commencer par les drapeaux tricolores disséminés ça et là, et l'air de fête qui se dégageait des environs. C'était bel et bien le quatorze juillet 2012, le jour de la fête de Paris où Napoléon a fait sortir les jardins, il n'y avait aucun doute là-dessus.
Il trouva son costume de Fantôme R dans la chambre qu'il occupait, et l'enfila, avant de saisir la couronne et de s'en aller.
Il sortit de l'appartement, le menant dans la rue voisine de son propre lieu de résidence, sans avoir croisé Hélène de la matinée. Elle semblait ne pas être sortie de sa chambre depuis la veille, peut-être dormait-elle encore. Quoi qu'il pût en être, il prit la direction nord-ouest de la ville, à la recherche du café où il avait trouvé Charlie ce matin-là. Après être revenu à plusieurs reprises sur ses pas, il parvint enfin à le retrouver, mais les serveurs qui voulurent bien lui répondre lui annoncèrent que l'adolescente était partie peu de temps avant. Il réfléchit un court instant ; elle était très certainement partie chercher son deltaplane chez elle, et–
Il ignorait où vivaient les Vergier. Génial.
Il se souvenait avoir demandé à ce qu'elle entrât par l'entrée principale de la Tour Eiffel, peu fréquentée à cette heure-ci. Il n'eut qu'à l'y attendre, et il avait eu raison ; il la vit bientôt arriver, deltaplane plié sous le bras.
« Tu m'avais dit que tu partais devant, lui dit-elle avec étonnement une fois qu'elle fut en face de lui.
– Ne t'inquiète pas, j'ai une idée. Je t'emprunte ça et te le rends dans pas longtemps ; si j'ai des problèmes je compte sur toi pour intervenir ! »
Elle n'eut pas le temps de protester, et le vit s'engouffrer dans l'ascenseur sans dire un mot de plus, le deltaplane à présent dans ses mains. Il put croiser son passé à temps, et lui tendit sa Couronne du Dragon, à laquelle il avait attaché quelques fumigènes. D'un hochement de tête ils se mirent d'accord, et il se précipita vers le troisième étage, d'où il frapperait.
Le plan était simple. Pendant que l'autre attirerait l'attention sur lui, il s'envolerait au-dessus des Chevaliers, et alors que les fumigènes de la couronne se déclencheraient, il en jetterait d'autres pour tous les aveugler. Nul doute qu'ils allaient échouer, mais il n'avait pas le choix ; cela s'était déroulé comme ça, alors il fallait refaire la même chose.
Sa seule crainte désormais était de sauter avec ce deltaplane. Allez, ça ne pouvait pas être si compliqué.
Il devina sans problème l'instant T où il lui fallut sauter. Il prit un grand bol d'air et recula, avant de courir et de s'élancer dans le vide.
Qui l'eut crû ? Ce n'était pas du tout comme ça que décollait un deltaplane.
Il entama ainsi une chute en piqué, augmentant sa vitesse d'une manière incontrôlable qui le fit presque paniquer. Il comprit rapidement qu'il fallait simplement jouer sur le harnais qui lui serrait la taille pour se redresser et ralentir sa chute. Il lui fallut plusieurs tentatives avant de contrôler dans les grandes lignes l'appareil, mais il se retrouva bientôt à survoler tranquillement les têtes des suppôts de Bonar. En voyant un faible nuage de fumée artificielle se profiler, il sortit de ses poches les autres canettes trafiquées qui devaient servir à ce moment-là, empêchant pour un peu plus longtemps ses ennemis de voir correctement autour d'eux. Il ne restait plus qu'à atterrir, et...
Comment faisait-on atterrir un deltaplane au juste ?
Un frisson glacial lui parcourut le corps alors qu'il se rendit compte de la stupide situation dans laquelle il s'était jeté. Il tenta de se remémorer des vidéos qu'il aurait pu avoir vues dans des reportages, en vain. Cela allait devoir se jouer au feeling. Et il y risquait bêtement sa vie.
Il commença par perdre progressivement de l'altitude, en tentant par le même biais de décélérer. En voyant le sol s'approcher, il dut se rendre à l'évidence qu'il allait devoir atterrir de force. Il choisit alors l'étendue des Champs de Mars pour piste d'atterrissage, et tenta d'amorcer la descente. Il dégagea tant bien que mal ses jambes du harnais, et se prépara. Il fallait courir pour guider le deltaplane et ainsi le forcer à s'arrêter, c'était là la seule information dont il avait pu se souvenir. En théorie cela semblait facile, mais il dut admettre avoir mal calculé l'angle avec lequel il toucherait le sol, et il manqua presque de s'effondrer de tout son long sur l'herbe. Par chance, il parvint à maîtriser l'engin, et s'arrêta sans encombre.
C'était un véritable coup de chance.
« Mais t'es malade ! Pourquoi t'as fait ça !? »
Une Charlie écarlate vint le retrouver, essoufflée après lui avoir couru après. Elle n'attendit pas qu'il se détachât du harnais pour lui asséner une violente claque. Bizarrement elle se comportait de manière très familière avec lui, alors qu'elle avait juré ne l'aider que pour protéger la ville.
« Merci beaucoup, Charlie, sourit-il en lui tendant la main afin qu'elle la serrât. Je t'en dois une. »
Elle ne lui fit aucunement l'honneur de compléter son geste. À la place elle conserva cette moue qui paraissait être son expression faciale la plus habituelle.
« Et Marie ? Elle est où ?
– Justement... »
Il haussa brièvement les épaules.
« Je crois qu'on a vraiment besoin de toi là-haut » fit-il avec un grand sourire en désignant le second étage de la Tour Eiffel avant de s'enfuir en courant.
Il entendit Charlie l'appeler et l'insulter dans son dos, pour au final se résigner et suivre son conseil. Il l'aperçut se diriger vers le lieu de la confrontation où il devinait qu'à l'instant même Jean-François venait de faire son apparition et de tirer sur Fantôme R, alors que lui trouva refuge dans un coin de rue peu fréquentée. Et dire qu'il avait cru que c'était Charlie déguisée en lui qui lui avait prêté main forte là-haut, il n'aurait jamais cru que c'eût été lui-même, provenant du futur. Il sourit à cette pensée. Finalement il n'avait pas trop posé de problème dans la continuité des choses.
« Avec elle aussi il se passe des choses ? » lui demanda une voix au ton désabusé dans son dos.
Il se retourna dans un sursaut, faisant face à Hélène.
« Une de plus, qu'est-ce que ça change ? ajouta-t-elle en s'adossant au mur à côté d'elle. C'est pas différent de toutes les autres. »
Les bras croisés, elle affichait un air distant, qui rappela beaucoup trop à Raphaël les premières fois où elle était entrée en contact avec lui.
« De quoi tu parles ? grogna-t-il sur la défensive en reculant quelque peu.
– Tu le sais très bien. Tu ne veux juste pas l'admettre. »
Il y eut un silence pesant. Puis elle soupira face à l'absence de réponse de la part du rouquin.
« Ne me dis pas que tu as vraiment passé un an à la recherche de ton père, souffla-t-elle en levant vers lui un regard mauvais. Tu as laissé tomber au bout de quelques semaines, et n'ayant pas le courage de faire face à ta blonde, tu as repris une vie normale... »
D'où sort-elle tout ça !?
« En te donnant à n'importe quelle fille faisant l'affaire, n'est-ce pas ? »
Elle ponctua sa question dans un fier sourire carnassier, se délectant de la mine décomposée qu'affichait Raphaël en face d'elle. Il serra les dents, comment était-ce possible qu'elle sût toutes ces choses ?
« Et après tout ça tu es revenu la voir en lui disant que tu l'aimais toujours, en lui cachant ces douze mois de mensonges. Bravo, je te tire ma révérence. »
Elle mima une courbette et s'inclina devant lui, sans perdre cet immense sourire pourpre.
« Ce n'est pas...
– Oh non, tu ne peux pas le nier. Je connais les noms. Rose Allory, Valentine Aubert, Juliette Benard...
– Arrête ça tout de suite, ordonna-t-il sèchement.
– Et pourquoi j'arrêterais ? »
Il serra le poing, tentant tant bien que mal de se retenir de se jeter sur elle. Il avait cru qu'elle avait changé, qu'elle n'était plus cette fille détestable qui le haïssait. Il avait même cru qu'elle l'appréciait. Il avait eu tort.
« Tu l'as laissée tomber, cracha-t-elle en s'avançant vers lui d'un air menaçant. Tu es parti en laissant derrière tous tes proches, et tu as l'audace de me dire que tu as une excuse pour ça ? Tu n'hésites jamais à le faire encore et encore ! »
Il déglutit. Il n'aimait vraiment pas le ton qu'elle prenait.
« Tu me dégoûtes. »
Elle tourna les talons, et traversa la rue en sens inverse.
« Tu te trompes, lui lança Raphaël alors qu'elle fit quelques pas. J'aime vraiment Marie.
– Alors pourquoi toutes ces filles ? Si tu l'aimais vraiment tu l'aurais jamais trompée. »
Il resta silencieux un instant, cherchant ses mots qui lui venaient bien trop difficilement.
En face, Hélène revint vers lui et, une fois devant lui, le saisit par le col en approchant son visage près de celui du jeune homme.
« Si tu l'aimais vraiment, tu n'aurais pas essayé de la posséder comme ces autres filles. »
Son ton se fit petit à petit plus mordant, plus violent. Sa voix vacillant sous la rage.
« Ça te manquait, ça te rongeait de pas pouvoir te la taper ta petite catho, pas vrai ?
– Je n'ai jamais voulu... ! »
Sa voix se brisa avant qu'il ne pût se justifier, peut-être parce qu'il était frappé par la part de vrai dans les paroles d'Hélène.
« Cette fois chez toi là, t'as pas dit non pour m'embrasser, t'en étais même plutôt ravi ! Et devant elle en plus !
– Tu m'as forcé, tu me menaçais ! répliqua-t-il dans un éclat de voix.
– Et les autres aussi ? »
Quelques personnes passèrent à côté d'eux en détournant le regard d'un air gêné. Hélène tenait si fermement le col de la chemise de Raphaël et le tirait tant qu'elle le soulevait presque. Ajoutée à cela la discussion, il était compréhensible que ces passants souhaitaient faire leur bout de chemin au plus vite, en tentant de les ignorer le plus possible.
La jeune femme sembla réaliser qu'on les dévisageait, et le lâcha. Il replaça correctement son col et réajusta sa cravate, avant de lui jeter un regard noir.
« J'ai mes raisons pour tout ce que j'ai fait, dit-il finalement. Je m'en fous de ce que tu penses.
– Tu devrais réfléchir aux conséquences de tes actes plus souvent » grommela Hélène avant de le quitter.
Quelque chose passa au-dessus de sa tête peu après, une forme triangulaire aux couleurs du drapeau français, transportant Charlie et son passé évanoui. Un frisson passa le long de son dos au souvenir de la balle que Jean-François lui avait si gentiment offerte, dont il n'avait gardé qu'un mauvais souvenir plutôt que des marques. Puis il remarqua que la trajectoire du deltaplane était hésitante, qu'il allait vite, et surtout, qu'il se dirigeait fatalement vers le sol.