Quatorze Juillet

Chapitre 26 : - Partie II ~ Retourner vers le passé - - Chapitre XXV -

4451 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:33

- Chapitre XXV -

Quelques rayons de soleil de ce début de nouvelle journée vinrent traverser les rideaux ternes de la chambre, pour réveiller doucement Raphaël. Il se retourna dans les draps, bien trop réticent à l'idée de devoir se réveiller. Mais quelqu'un vint soudainement tirer la couette, l'extirpant du cocon qu'il s'était forgé grâce à celle-ci. Il leva ses yeux noisette vers la silhouette qui s'affichait à contre-jour, et grommela quelques mots entremêlés, incompréhensibles.

« Bonjour à toi aussi, siffla Hélène en s'adossant à la porte, le regard tourné vers la fenêtre en face. Dépêche-toi de te lever, je t'attends dans la chambre en face. »

Elle quitta la pièce sans plus de paroles. Elle était distante, mais pas aussi froide et sèche qu'elle avait pu l'être. Quelque chose n'allait pas –ou bien au contraire, peut-être était-elle au meilleur de sa forme ?

Raphaël secoua la tête ; il se faisait des idées. Il ne pouvait pas se permettre de penser qu'il pouvait comprendre les changements d'humeur et d'attitude de la jeune femme. Il ne la connaissait absolument pas, dans un premier temps, et même s'il la connaissait même un peu, il ne pouvait dans aucun cas comprendre cette fille. Elle était dérangée, elle avait de sacrés problèmes pour en être là. Seule une personne folle pouvait avoir des tendances meurtrières telles que les siennes, et une fâcheuse habitude d'être lunatique.

Mais il n'était pas d'humeur à songer à tout cela. Il n'était que huit heures, à peine, et il venait tout juste d'être réveillé. Un pressentiment lui disait que la journée allait s'avérer être longue, aussi prit-il tout son temps afin de prendre une douche avant de retrouver Hélène, dans une autre chambre du couvent.

Elle commençait à perdre patience alors qu'il débarqua. Assise sur le lit, les jambes et les bras croisés, elle lui jeta un regard assassin. Cependant, elle ne lui fit pas la moindre remarque, et reprit son ton autoritaire habituel.

« On a des choses à faire aujourd'hui. Il faut aller voir JF. »

Elle se leva, et se dirigea vers la porte.

« Soit tu viens avec moi, soit tu restes ici, ajouta-t-elle en le fixant droit dans les yeux. Mais quoi qu'il en soit– »

Elle se stoppa soudainement en plein milieu de sa phrase, et renifla.

« Tu sens ça ? »

Il l'imita, mais la pièce n'avait pas la moindre odeur. À quoi jouait-elle ?

« Ça sent l'essence... »

Elle devint livide.

« Et le brûlé ! »

Elle se jeta dans le couloir, et lui ordonna de la suivre.

« Le couvent est en feu, magne-toi il faut sortir !! »

Il la suivit sans comprendre. Il n'y avait pas la moindre fumée, ni de quelconque odeur caractéristique d'un incendie. Était-elle en train de délirer complètement ?

Malgré tout, il la rattrapa rapidement, et fuyait les lieux à ses côtés. Ils dévalèrent les escaliers à toute vitesse, manquant presque de tomber. Les seules fois où il avait pu croiser le regard d'Hélène, Raphaël y avait vu une horreur indescriptible. Elle semblait éviter des obstacles enflammés, et se retournait parfois pour constater avec terreur que le feu était plus proche d'eux que ce qu'elle pensait.

Ils passèrent devant le bureau de Jean-François ; elle hésita à y faire une halte. Peut-être pouvait-elle sauver quelques documents ou encore–

Non, elle devait fuir.

Ses yeux balayèrent rapidement la cour intérieure lorsqu'ils y pénétrèrent. Plusieurs sorties s'offraient à eux, mais elle ne savait laquelle choisir ; elle n'aurait pas le temps de faire demi-tour, le feu la rattraperait bien trop rapidement.

Elle saisit le poignet de Raphaël, qui reprenait difficilement son souffle, et le tira derrière elle jusqu'à l'entrée principale du couvent. En courant sur les pavés vers la route, son pied heurta une dalle mal enfoncée, et elle chuta de tout son long, entraînant le rouquin avec elle. Il parvint à se rattraper et à rouler au sol, mais elle resta incapable de se lever, terrifiée par le feu qui se rapprochait et–

« Hélène ! » hurla Raphaël à côté d'elle, la saisissant par les épaules.

Elle tourna la tête vers lui, ses grands yeux bleus écarquillés, et cherchant de l'aide partout où ils se posaient.

« Hélène, il n'y a pas de feu, dit-il sur un ton plus doux, mais néanmoins ferme.

– Mais, le couvent... »

Elle regarda à nouveau vers le bâtiment, duquel s'échappaient encore quelques secondes auparavant des volutes de fumée noire. Il était intact, illuminé de toutes parts par un soleil éblouissant, sans la moindre trace de l'incendie qu'elle avait vu.

Il n'y avait pas eu le moindre incendie.

« Hélène, tu as rêvé. »

Elle le regarda à nouveau, et navigua entre ses yeux noisette, qui lui procuraient un sentiment de sécurité.

Sécurité ? Avec lui ? Quelle blague.

Elle le repoussa, et se releva. En dépliant son genou, elle ressentit une forte douleur la saisir ; elle s'était entaillé la peau, heureusement ce n'était que superficiel. Au bout de quelques pas hésitants, elle retrouva une allure de marche normale.

Il la vit faire demi-tour et revenir vers le couvent d'un air déterminé. Il la suivit alors qu'elle de dirigeait vers le bureau de Jean-François. Sa voix méprisante lui parvint de l'autre côté de la porte après qu'elle eût frappé.

« Vous revoilà, tous les deux » sourit-il en la voyant entrer.

Elle se retourna, et constata que Raphaël était venu avec elle. Cela lui déplaisait, mais elle n'exprima pas son avis sur la question.

« Où est Napoléon ? demanda-t-elle en s'appuyant sur le bureau, le visage penché vers l'homme qui la regarda à peine.

– Avec Isaac, à l'endroit habituel, répondit-il simplement en essuyant les verres de ses lunettes. Mais tu sais très bien qu'il ne voudra pas te voir. »

Il replaça la monture argentée sur son nez, et leva son regard glacé vers elle.

« Il est assez furieux contre toi, suite à ton échec répété, ajouta-t-il avec moquerie. Mais tu sais mieux que nous que ce n'est pas la première fois que ça arrive. »

Hélène baissa les yeux, et recula de quelques pas. Elle détestait cela, mais il fallait admettre que cette raclure avait raison.

« Si tu vas les voir, salue-les de ma part, je n'ai pas encore eu l'occasion de les voir aujourd'hui. Et j'espère que tu ne causeras pas de problèmes en ramenant son fils à Isaac, même si ce n'est pas le bon.

– Tu n'as pas à me dire quoi faire, grogna Hélène en retour, son mécontentement grandissant à chaque seconde qui s'écoulait.

– Tu sais bien que jamais je ne te voudrais du mal. »

Elle l'ignora, et tourna les talons, prête à quitter les lieux, la poignée de la porte au creux de sa main.

« Et autre chose. »

Elle tourna la tête vers lui une dernière fois.

« Évite d'échouer cette fois-ci. »

Elle ouvrit d'un grand geste la porte, l'envoyant heurter l'étagère collée au mur derrière, et sortit du bureau, suivie par Raphaël, qui n'avait soufflé le moindre mot.

« Qu'est-ce qu'il entend par "cette fois-ci" ? finit-il par demander à Hélène alors qu'ils empruntaient le chemin menant aux Invalides.

– Il parle des voyages. »

Il la fixait avec de grands yeux vides. Elle soupira.

« Quand je voyage dans le temps, c'est pour modifier un événement. D'habitude, je m'en sers parce que je veux t'empêcher de stopper Napoléon. À ton avis, pourquoi je connais aussi bien le déroulement des événements ? »

Il commençait à comprendre un peu mieux certaines choses.

« Ce n'est pas la première fois que je vis ces trucs-là, lâcha-t-elle d'un ton agacé, mais quelque peu fatigué. Et il le sait, alors qu'il n'est pas censé le savoir. »

Raphaël ne comprenait pas. Pourquoi Jean-François ne serait-il pas au courant de tout ça ? Ils faisaient partie de la même organisation, poursuivaient le même but, il était tout à fait naturel qu'il eût été prévenu de cette mission qui se déroulait en parallèle de la sienne.

« Je te rappelle qu'il ne sait pas que ça va échouer. Et justement, on est là parce qu'on doit empêcher ça. »

Ah. C'était donc ça.

Elle accéléra le pas, déterminée à atteindre sa destination au plus vite. Le toit doré du musée des Invalides leur parut, reflétant la lumière du soleil jusque dans leurs yeux. Il n'y avait aucun touriste aux alentours, seuls quelques gardiens surveillaient les lieux sans grande envie. Ils entrèrent sans difficulté dans le bâtiment, et ne se stoppèrent qu'une fois au pied du tombeau de Napoléon. Hélène s'agenouilla et déplaça les panneaux nécessaires à l'ouverture du passage ; le socle bougea lentement, dévoilant les escaliers menant aux catacombes.

« Si tu me suis, je veux que tu restes discret, et caché. Sinon, ils n'hésiteront pas à te tuer, même si Isaac est présent. »

Il acquiesça. Bien qu'il craignait avoir à faire face à son père, il la suivit dans les dédales sombres et moites. Pas le moindre homme de main ne vint les croiser, cela l'étonna. Il s'attendait à devoir fuir ou bien être traîné jusqu'aux pieds de Bonar, mais ce n'en fut aucunement le cas, pour son plus grand soulagement.

Le couloir de pierres déboucha vers la salle du trône de Napoléon. Elle était vide, il n'y avait pas le moindre signe de vie. Les pas d'Hélène sur les dalles résonnaient en un écho interminable. Elle resta finalement immobile au milieu de la pièce, le nez levé vers le haut plafond, et fut bientôt rejointe par le rouquin, qui ne savait pas vraiment où se mettre.

« Hélène ? »

Tous deux se tournèrent vers la personne qui venait d'arriver. Raphaël resta muet ; il le revoyait enfin... !

« Je vois que tu es bien accompagnée, soupira l'homme en avançant vers eux.

– Comme si j'avais eu le choix » grogna-t-elle en détournant les yeux, les bras croisés sur sa poitrine.

Le jeune homme fixa intensément son père. Il n'avait pas changé ; il avait toujours cette barbe de trois jours et cet air exténué qu'il lui avait toujours connu. Il ne pouvait contenir le mélange de joie et de colère qui se formait en lui, il était tellement heureux de le savoir vivant et en bonne santé, mais il lui en voulait terriblement pour son abandon. Il s'était écrit des centaines de scenarii pour cette scène de retrouvailles et pourtant aucun mot ne lui venait à présent qu'il le voyait en face de lui.

Ce fut Hélène qui lui fit la conversation.

« Où sont les autres ? T'es tout seul ?

– Ils préparent le nouvel avènement de l'empereur, la couronne sera prête ce soir, ils la récupéreront demain. »

Il gardait ses yeux posés sur Hélène, comme s'il la disséquait du regard. Elle lui rendait la pareille en l'examinant silencieusement, mais néanmoins sur un air de défi.

« Et si je vous la récupère ce soir ? lança-t-elle avec confiance. Vous pourrez trouver les Jardins dès demain, je me chargerai de ramener la fille.

– Il va sans dire que notre empereur en sera agréablement surpris. »

Isaac haussa négligemment les épaules, comme s'il se moquait de savoir qu'elle voulait –et pouvait !– réussir là où eux échouaient. Raphaël nota qu'il avait pendant tout ce temps gardé un livre sous le bras. Il le glissa dans ses mains, et l'ouvrit. Il navigua quelques peu à travers les pages pour en lire quelques lignes, avant de le refermer.

« Je doute que tu sois à la hauteur de tout ça. Tu ferais mieux de t'en tenir à ce qu'on t'a demandé. »

Elle n'eut pas le temps de protester ; Raphaël mit fin à leur conversation pour en démarrer une nouvelle avec lui.

« Père... »

Ces mots lui paraissaient tellement étrangers.

« Qu'est-ce qui est arrivé à maman ? »

L'homme ne le regarda pas, comme s'il craignait honteusement de devoir croiser son regard.

« Dis-moi ce qui lui est arrivé !

– Sarah... »

C'était la première fois qu'il entendait la voix de son père prononcer le prénom de sa mère. Isaac leva sur lui ses yeux bleu glacé, et le fixa droit dans les siens.

« Sarah t'aimait beaucoup trop.

Raphaël– »

Une voix l'appelait, et répétait son prénom. Il en chercha l'origine, elle semblait venir de partout. Isaac se tut, et resta figé, debout, à les observer tous les deux. Hélène grogna quelque chose, et resserra ses doigts sur le poignet de Raphaël, en l'entraînant vers la sortie.

« Je dois encore parler avec mon père ! protesta-t-il. Laisse-moi y retourner !

– Tu restes avec moi. C'est encore trop tôt !

– Trop tôt pour quoi ? »

Il tenta de la faire lâcher prise, elle l'agrippait de toutes ses forces.

« Je t'interdis de m'abandonner maintenant. »

Elle le tira jusqu'en dehors des Invalides. Il voulut faire demi-tour, et rouvrir les portes pour retourner dans les souterrains et ainsi reprendre cette discussion écourtée. Hélène lui barra la route, déterminée à lui faire changer d'avis.

« Ce n'est pas ton père ; c'est une version passée de lui, siffla-t-elle en écartant les bras, bloquant ainsi le passage. Tu sais des choses qu'il ne sait pas encore–

– Et toi aussi, pourtant tu lui parles comme si de rien n'était » riposta Raphaël en haussant le ton.

Quelques passants les observèrent brièvement du coin de l’œil, avant de les ignorer et de reprendre leur route.

« Parce que je le connais, on bosse ensemble ! » rétorqua la jeune femme dans un éclat de voix.

Ses yeux bleus lui lançaient un regard assassin. Elle tentait désespérément de l'empêcher de revoir son père, il sentait très bien que quelque chose n'allait pas.

« Tu n'as pas à remettre sur mon dos ta frustration d'être un échec ambulant ! » lança finalement Raphaël, bouillonnant de rage.

Elle encaissa le coup, ne laissa rien transparaître sur son visage. Il ne fallait surtout pas lui montrer le moindre signe d'affaiblissement, en aucun cas.

Elle ferma doucement les yeux, prit une longue inspiration, pour finalement rouvrir ses paupières et l'observer silencieusement. Elle resta calme, beaucoup trop calme, et s'écarta docilement du chemin ; il attendit quelques secondes avant de gravir les marches du parvis du musée dans un silence de plomb. Il sentait le regard lourd de reproches de la jeune femme qui pesait sur lui. Alors qu'il s'apprêtait à entrer dans le bâtiment, elle lui lança pour son information qu'elle se rendait au couvent, peut-être pour discuter avec Jean-François. Il entendit ses talons claquer au sol alors qu'elle le laissait seul.

Cela lui importait peu d'être séparé d'elle. Plus ils étaient éloignés et mieux il se porterait. Il poussa à nouveau les grandes portes de bois sombre, et emprunta en toute discrétion le passage secret. Il traversa à nouveau les catacombes dans une obscurité aveuglante, et fut soulagé de ne croiser aucun homme de main de Bonar, ni Bonar lui-même.

Il fut, de même, étonné que son père n'eut plus été là.

*

Hélène attendit longtemps, dans le bureau confiné de Jean-François, à faire les cent pas. Elle avait pris le temps de lire le titre et le résumé de chacun des ouvrages entreposés sur ses nombreuses étagères, et ce plusieurs fois. Elle les connaissait désormais pratiquement par cœur. Et il n'était toujours pas venu.

Elle évita d'aller jouer avec les sculptures –ou peu importe ce qu'étaient ces choses– car, connaissant la personnalité maniaque de l'énergumène, elle y risquait sa peau. Plutôt que de tenter quoi que ce fût, elle s'assit en face de son fauteuil de cuir –sérieusement, un fauteuil de cuir ?– et patienta quelques instants de plus. La porte s'ouvrit finalement, et il vint tranquillement s'installer à sa place, sans faire la moindre remarque sur sa présence. Il resserra son jabot blanchâtre autour de son cou, et ôta ses lunettes pour passer un rapide coup de chiffon sur les verres correcteurs, avant d'enfin lui adresser quelques mots.

« Tu reviens souvent me voir, ces temps-ci. Quelque chose ne va pas ? »

Son ton moqueur déplut à la jeune femme, qui cependant ne protesta pas.

« Je dois attendre encore un peu avant d'agir ; c'est le plan.

– Le plan ? répéta-t-il en levant les yeux vers elle avec étonnement. Le plan a changé Hélène. Tu oublies que tu as été renvoyée de l'organisation. »

Il replaça les lunettes sur son nez. Ses yeux bleus la transperçaient, comme s'il voyait à travers elle. Il allait sans dire qu'il le devinerait aisément si elle tentait de se servir de lui.

« Tu es condamnée à devoir t'occuper du fils d'Isaac pour un long moment, ajouta-t-il en esquissant ce sourire cruel qu'elle lui connaissait si bien. J'imagine que depuis le temps, vous vous êtes rapprochés, non ?

– Il n'est rien de plus qu'un moyen pour parvenir à mes fins, se défendit-elle en reculant au fond de sa chaise. Ça aurait été bien plus simple de ne pas l'avoir avec moi.

– Pourtant c'est toi qui a insisté pour ne pas être seule » rappela-t-il sèchement.

Elle roula des yeux, et soupira. Ce n'était pas réellement ce qui s'était passé, mais elle n'allait pas le reprendre là-dessus, cela ne servirait à rien.

Il croisa les doigts, et posa ses coudes sur la table. Le cuir de son siège pivotant grinça lorsqu'il se pencha lentement vers elle, en la fixant intensément avec un lourd mépris.

« Cela ne me dit pas ce que tu fais ici. Tu as trouvé Isaac non ?

– Ça n'a servi à rien.

– Donc tu es revenue vers moi. Tu changes beaucoup de camp ces temps-ci. »

Elle répondit du tac au tac, sans réellement prendre un moment pour réfléchir à ses mots.

« Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Tu vaux rien toi non plus, dès qu'ils auront sorti les Jardins ils te laisseront derrière comme un déchet ! »

Jean-François ne répliqua pas, et se contenta de sourire. Il fit un simple geste de la main, et deux chevaliers vinrent saisir Hélène. L'un la souleva dans les airs en la maintenant par les épaules, tandis que l'autre immobilisa ses jambes. Elle fut prise au dépourvu, elle ne les avait ni vus, ni entendue. Elle tenta de se débattre ; rien n'y faisait, elle était bien trop faible en comparaison d'eux. Elle hurla, espérant que quelqu'un pût l'entendre et venir la sauver. Elle voyait déjà l'homme s'approcher d'elle, et jouer avec quelque chose –une statuette ou bien un autre objet pouvant aisément faire des dégâts. Elle poussa un nouveau cri, et tenta une nouvelle fois de se libérer des poignes des deux individus en armure. À côté, Jean-François riait. Un coup bien placé et tout serait fini.

« Tu ne sers plus à rien. Tu serais mieux morte, au moins tu ne me dérangeras pas » l'entendait-elle répéter bien qu'il ne prononçait pas le moindre mot –c’était encore un de ces souvenirs...

Elle s'attendit au choc contre son crâne et à perdre connaissance, mais à la place, elle sentit la poigne du Chevalier qui lui maintenait les bras se desserrer. Elle glissa et tomba au sol ; il lui fallut quelque peu jouer du bassin pour dégager ses jambes immobilisées par l'autre, et asséna un coup vif à son visage. Elle n'eut pas le temps de comprendre ce qui se passait qu'une voix lui cria de la suivre, et on la tira par le poignet. Elle s'enfuit du bureau en courant de toutes ses forces.

Lorsqu'elle remarqua que c'était Raphaël qui était intervenu, elle se stoppa, et le força à la lâcher. Il l'observa sans rien dire ; il se posait de nombreuses questions, mais ne savait pas réellement comment les poser. Il opta finalement pour celle qui lui revenait toujours en premier lieu.

« C'est quoi le problème avec Jean-François ? demanda-t-il finalement en jetant un coup d’œil derrière eux afin de s'assurer d'être en sécurité.

– Rien, y a rien du tout. »

Hélène était sur la défensive, elle s'était réfugiée sur un banc, les genoux collés à la poitrine et les bras serrés autour. Elle avait enfoui sa tête dans le creux de ses genoux, s'isolant une fois de plus du monde autour d'elle.

« Ne mens pas, je sais ce que j'ai vu. Il allait te tuer ! »

Il serra le poing. Il savait Jean-François dangereux –après tout lui-même avait reçu une balle de sa part– mais, malgré tout, il ne l'aurait jamais pensé aussi fou. Il était prêt à la frapper à mort au crâne, ce n'était pas la manière la plus agréable pour tuer quelqu'un, aussi bien pour la victime que pour le bourreau. Et surtout, il la connaissait, ils avaient travaillé ensemble –peut-être même depuis toujours– et ne voyait pas le moindre problème au fait de l'éliminer.

« Qu'est-ce qui se passe avec lui ? » redemanda-t-il sur un ton plus doux, en s'asseyant à côté d'Hélène.

Elle ne leva pas la tête, et mit quelques instants avant de formuler une réponse.

« Ils veulent me dégager...

– Ça, j'avais cru comprendre. »

Hélène trembla. Il voulut poser une main réconfortante sur son épaule, mais ne le fit pas.

« Ils pensent que sans moi, ils parviendront à leurs fins, souffla-t-elle en relevant le visage, mais sans regarder Raphaël. Et pour ne pas que je les dérange, en remontant le temps par exemple, il a voulu me tuer. »

Elle marqua une pause. Elle avait l'air d'être tellement fatiguée...

« Mais pourquoi Jean-François le ferait-il lui-même ? Il n'a jamais réellement aimé avoir les mains tachées–

– Si c'est moi, il adore ça. »

La voix d'Hélène était rauque, elle se battait avec elle-même pour pouvoir parler. Était-ce si dur pour elle de se confier ? Après tout, il était son ennemi, son outil, elle n'avait pas à lui révéler tous ces petits détails qui ne le concernaient pas, qui plus étaient, ses faiblesses qu'il pouvait par la suite exploiter contre elle.

Elle prit une grande inspiration, et lâcha ce qu'elle avait à dire sur le bienfaiteur du couvent.

« Depuis que j'ai rejoint leur organisation, vers mes cinq ou six ans, c'est lui qui s'est le plus souvent opposé à ma présence. Il voulait me tuer dès le premier jour. »

Une femme promenant son chien passa devant eux, l'air de rien. L'animal les renifla rapidement, avant de reprendre sa route, l'air de rien.

« Lorsque j'échouais dans une mission qui m'avait été donnée, c'était avec lui que je me retrouvais, seule. Je me souviens de la toute première fois, j'avais vraiment tout foiré, il m'a presque tuée. »

Elle baissa la tête, l'enfouit à nouveau dans le refuge offert par ses genoux.

« Si seulement il s'était contenté de juste vouloir me tuer à chaque fois... » murmura-t-elle avec une empreinte de tristesse et de douleur dans sa voix.

Raphaël posa une main amicale sur l'épaule de la jeune femme. Il avait beau savoir qu'elle n'appréciait pas beaucoup sa compagnie –et c'était plutôt réciproque, il ne pouvait pas se permettre de la laisser dans un tel état sans rien faire.

Il s'attendit à ce qu'elle le repoussât, en reprenant cet air déterminé à mener à bien sa mission, mais contre toute attente, elle resta sans rien dire, assise sur ce banc.

Les yeux noisette de Raphaël naviguèrent entre les passants occupés par leurs vies tranquilles et Hélène, qui restait silencieuse.

Il avait beau y réfléchir sous tous les angles, il ne comprenait pas. Elle avait passé sa vie à voyager dans le temps pour préparer cette fameuse mission dont elle lui parlait depuis le début, et il venait tout détruire –mais il avait raison de s'y opposer, non ? C'était pour le bien de la ville, du pays même, et aussi pour sa propre existence...

Mais il n'y avait pas que lui pour venir saccager ses plans.

Jean-François n'était qu'un premier nom dans la liste des personnes qui souhaitaient voir Hélène échouer. Il avait forcément une raison d'être aussi hargneux envers elle ; ce comportement ne lui ressemblait pas vraiment, puisqu'il affichait sans cesse un visage amical et réconfortant. Difficile de croire qu'il avait commis tant d'horreurs...

Mais d’ailleurs, pourquoi vouloir la mettre en-dehors de tout ça ? Ils étaient une équipe, une organisation. Toute aide serait la bienvenue. Pourquoi la détestait-il à ce point ?

« Fais-moi une place » grogna soudainement la rouquine et s'allongeant sur le banc.

Elle posa sa tête sur les cuisses de Raphaël, le visage tourné vers le ciel, et ferma les yeux, commençant quelque peu à s'assoupir. Il ne put pas réellement protester, et la laissa faire.

« Ce soir on va à Versailles, il faut qu'on soit en forme » ajouta-t-elle dans un murmure, avant de s'endormir.

Il observa pendant quelques minutes le visage de la jeune femme. Elle paraissait apaisée, comme si le simple fait de s'être confiée avait fait fuir tous ces mauvais souvenirs. Il passa sa main dans ses longs cheveux flamboyants, et esquissa un sourire. Dans des moments comme celui-ci, elle lui rappelait un peu Marie, avec ses yeux pétillants et son large sourire amusé.

Et dire qu'à cet instant-là, elle fouillait les archives de Paris avec lui. Et la Marie du futur –de son époque– devait s'inquiéter, à moins que le temps ne fût figé pour elle.

Il soupira. Il avait hâte que tout fût fini pour retrouver une vie normale.


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