Quatorze Juillet
Chapitre 22 : - Partie II ~ Retourner vers le passé - - Chapitre XXI -
4146 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 07/06/2019 01:30
- Chapitre XXI -
« Tu te souviens de ce que tu dois faire, hein ? »
Elle acquiesça timidement. C'était presque stressant de se dire que tout se jouait ce soir-là.
« Si on te demande, tu t'appelles Émilie, énonça l'homme crispé en serrant une feuille de papier dans son poing. Tu es allée à la fête foraine avec ta mère. Elle devra t'offrir un ballon. »
Son tuteur hocha la tête aux propos de son collègue. Il s'agenouilla à côté d'elle, et passa une main dans ses faux cheveux châtain foncé.
« Tu te souviens de maman ? demanda-t-il doucement. Elle va t'offrir un ballon. Et après, il faudra que tu restes avec elle, jusqu'à ce que Napoléon vienne la trouver, d'accord ?
– Pourquoi je dois avoir des cheveux pas à moi sur la tête ? »
Il sourit face à l'innocence de l'enfant.
« Parce que tes cheveux rouges brillent trop, il faut les cacher, sinon tu vas empêcher les gens de voir où ils marchent » avait-il répondu en riant.
Le troisième homme, celui qui l'impressionnait toujours de sa grosse voix, arriva, et demanda si elle était prête. Son tuteur acquiesça presque immédiatement en guise de réponse.
« Et tu dois faire en sorte que cet individu-là soit arrêté par la police » ajouta-t-il en lui montrant la photo d'une grande personne –mais pas aussi grande qu’eux– habillée en une tenue chic et sombre.
Elle secoua la tête. Ce devait être facile.
L'homme avança vers la porte d'entrée, et sortit de l'appartement, suivi par l'individu sec et cassant qui semblait être constamment sur les nerfs. Son tuteur referma la porte derrière eux, et se dirigea vers le placard à vaisselle, où il appuya sur quelques boutons.
« Je suis sûr que ça va bien se passer, d'accord ? Fais ce que tu peux pour retenir les deux personnes qu'on t'a montrées, mais ne dis jamais qui tu es et ce que tu dois vraiment faire. »
Il ouvrit la porte. Elle menait vers une fête foraine au jardin des Tuileries, où divers manèges brillaient.
« Amuse-toi Hélène. Je viendrai te chercher quand ça sera fini. »
Elle sortit en riant, quoiqu'en appréhendant un peu la soirée qui s'annonçait.
Elle resta debout, scrutant les ballons gonflés et accrochés par une ficelle, appartenant à un certain Maxime, qui clamait haut et fort qu'on pouvait presque s'envoler avec ses ballons. Les couleurs brillantes accentuées par les lumières des manèges aux alentours illuminaient son regard pétillant d'enfant.
Elle vit une silhouette s'arrêter à côté d'elle. Elle leva la tête et reconnut la personne de la photo. Un grand garçon, bien plus jeune que les trois hommes qu'elle voyait d'habitude. Il portait un costume bleu foncé, et sa cravate rouge qui flottait au vent l'amusa beaucoup ; il était bien habillé. Elle se prit à rêver de porter son chapeau qui couvrait ses cheveux rouges, et cachait à moitié son visage dans l'ombre.
Lorsqu'il tourna la tête vers elle, elle ne put s'empêcher de clamer haut et fort que sa mère allait lui donner un ballon. Il lui sourit, avant de reprendre la route. Un chien le suivait à la trace.
« Mon ballon... mon ballon... »
Elle se frottait les yeux ; de grosses gouttes coulaient sur ses joues. Finalement le monsieur des ballons lui en avait donné un joli, un mauve, mais il lui avait glissé des mains, et s'était envolé.
« Allons, sourit une jolie fille qui vint lui caresser la tête, ne pleure pas. »
Elle posa son violon sur son épaule, et commença à jouer une mélodie qui parut familière aux oreilles de l'enfant. Elle se mit à tournoyer sur elle-même ; le son de la musique effaçait tous ces mauvais souvenirs, dont celui de la perte du ballon.
Lorsqu'elle s'arrêta, elle tomba nez à nez avec le grand garçon qu'elle avait vu plus tôt. Il lui tendait son ballon, le même que celui qu'elle avait lâché. Elle comprit en voyant les bouts de bois accrochés sur la ficelle qu'il s'était coincé dans un arbre, et qu'il était allé l’escalader pour le lui rendre. Elle sourit à pleines dents, et le remercia, avant de s'en aller en sautillant.
*
« ... et donc tu vois, là, j'ai dit au mec... »
« ... prévenez-le que le rendez-vous de quinze heures... »
« ... je penserai à ramener du pain, t'inquiète... »
Les rues grouillaient de monde. La ville s'était réveillée. Des passants aux conversations diverses, au téléphone ou à plusieurs, passaient sans regarder autour d'eux.
Elle leva les yeux au ciel, le regard vide.
Il y avait un soleil radieux.
Alors pourquoi tremblait-elle autant ?
Ça allait être sa fête lorsqu'elle irait les voir –ou plutôt quand ils viendraient la chercher. Ils allaient encore hurler, frapper le mur pour se retenir de la frapper elle, avant de finalement céder à la colère et lui asséner quelques coups. Pourquoi avait-elle promis de faire un rapport à ce moment précis ? Peut-être parce qu'elle était confiante, trop confiante. Elle pensait que ça serait simple, qu'elle pouvait cette fois réussir à tout changer dès le premier jour –elle avait tort. Les cinq dernières fois –ou bien y en avait-il eu plus ? Elle avait cessé de compter– avaient été les mêmes que celle-ci. Et peu leur importait si elle promettait de réussir la fois suivante, ce qui comptait c'était l'instant présent.
Elle frissonna. Décidément la journée allait être longue.
« Tiens, Hélène. Ça va te faire du bien. »
Raphaël lui tendait un panini encore chaud qu'il venait d'acheter. Elle le prit, mais ne croqua pas dedans. L'envie n'y était pas.
« Il s'est passé quoi, à la cathédrale ? demanda-t-il en s'asseyant sur le banc où elle se trouvait. Je t'avais jamais vue comme ça.
– Honnêtement tu veux pas savoir. »
Elle refusait de se confier à lui ; elle fuyait aussi son regard.
« Ça ressemble à un traumatisme, genre comme dans les romans ou les films. »
Il rit. Essayait-il de dissimuler son malaise ?
« Ouais, fit-elle en passant sa main tremblotante dans ses cheveux. C'est ça. »
Sa gorge se noua alors qu'elle articulait les deux syllabes. Il fit mine de ne pas le remarquer. Alors comme ça elle aussi avait des faiblesses... Elle était vraiment comme tout le monde.
« Pourquoi le bracelet ne nous a pas fait léviter ? demanda Raphaël, d'un air pensif. Tous les Chevaliers lévitaient. Et pas nous.
– C'est parce que primo la lumière ne nous affectait pas, et secundo, il ne nous visait pas. »
Elle croqua sauvagement dans le panini. Il semblait qu'elle avait repris du poil de la bête.
« En vrai, t'aurais dû t'inquiéter si on avait flotté dans les airs avec les Chevaliers » ajouta-t-elle en mâchant.
Il acquiesça. Elle avait raison.
Le silence revint, à nouveau pesant et difficile à briser.
« Tu comptes faire quoi maintenant ? Aller au commissariat ? »
Elle mâcha encore un peu, avant d'avaler sa bouchée. Elle fit la grimace ; le fromage de chèvre était de trop.
« J'aimerais bien que les flics t'arrêtent ouais, mais j'ai des gens à aller voir. Du coup tu as quartier libre jusqu'aux Invalides. C'est-à-dire jusqu’à six heures.
– Quoi ?! s’étonna-t-il. Mais ça fait toute une journée ! Tu veux que je fasse quoi pour m'occuper ?
– Essayer de te fondre dans la masse sans te faire repérer ? » proposa-t-elle avec un ton sarcastique.
Il haussa les épaules. S’il n’avait que ça à faire...
« Bon, lâcha-t-elle finalement en avalant le reste du sandwich, on se retrouve plus tard. »
Elle se leva, et s’en alla, le laissant seul sur le banc, au milieu d’une foule grossissante.
*
Elle avait longé les murs, cherchant la porte de l’appartement où elle vivait avec son tuteur. Lorsqu’elle la trouva finalement, il l’accueillit en souriant, sans plus. Elle ne s’en préoccupa pas, et n’attendit pas plus pour enlever la perruque qu’il lui avait mise sur la tête, et libérer ses cheveux roux. Elle vint nouer la ficelle de son ballon sur une chaise, afin qu’il ne s’envolât pas jusqu’à toucher le haut plafond. Puis elle ôta son manteau couleur bordeaux, et balança à travers la pièce les bottines brunes qui lui serraient les chevilles. Elle alla d’elle-même se servir un verre d’eau, elle avait tellement soif.
Son tuteur ne dit rien. Il restait dans le coin de la salle, affairé à pianoter sur les touches de la machine qui reposait dans l’armoire à vaisselle. Hélène se demanda pour la énième fois ce que cette chose pouvait bien faire, bien qu’une petite idée lui traversait quelques fois l’esprit.
Il finit par s’en aller, sans dire un mot. Toutefois, au moment où il voulut ouvrir la porte, quelqu’un entra dans la pièce ; c’était l’homme crispé, qui était venu le voir. Ils échangèrent un regard silencieux, puis le tuteur de l’enfant s’en alla. Hélène se resservit un verre d’eau. Elle n’aimait pas cet homme. Il était constamment névrosé, et surtout ne perdait pas un instant pour lui faire comprendre qu’il ne l’appréciait pas. Cette fois-ci ne fit pas exception.
La porte claqua.
Il y eut un instant de silence.
Puis le ballon éclata soudainement.
« Hélène, viens ici. »
Elle sursauta. Il tenait dans une main un couteau pointu, et dans l’autre les vestiges mauves du ballon de baudruche.
Son ton était sec, tranchant. Cela ne présageait rien de bon.
Elle traîna des pieds jusqu’à lui, la tête baissée. Allait-il encore la gronder ?
« Tu peux m’expliquer pourquoi les policiers n’ont pas arrêté l’individu, et pourquoi la fille n’a pas pu être capturée par Napoléon ? »
Elle regarda ses pieds, honteuse. Elle avait complètement oublié ce qu’elle avait été censée faire.
« Pourquoi tu n’as rien fait de ce qu’on t’a demandé ?
– Je sais pas » bredouilla-t-elle.
Elle sentit ses joues virer au rouge écarlate. Pourquoi avait-elle un aussi mauvais pressentiment ?
« Non seulement ni la police, ni Napoléon n’a pu intercepter leurs cibles, mais en plus ils se sont alliés. À cause de toi !
– Désolée, murmura-t-elle en rentrant encore un peu plus la tête dans les épaules.
– Tu me regardes quand je te parle ! »
Il avait crié. Il n’avait jamais crié.
Peut-être parce que d’habitude, elle n’était jamais seule avec lui.
Elle leva la tête vers lui. Ses yeux d’un bleu terne luisaient avec fureur. Ses traits étaient déformés, un rictus immonde tordait ses lèvres, lui donnant un air encore plus terrifiant.
« Pourquoi est-ce que c’est arrivé ? hurla-t-il, complètement hors de lui.
– Je– Je sais pas... »
Il lui asséna une violente claque qui lui brûla la joue. Elle y porta une main, caressa l’endroit où sa peau la lancinait. Des larmes montèrent à ses yeux ; jamais on ne l’avait frappée avant...
« Pourquoi !? » rugit-il, sa voix faisant trembler les murs.
Elle bredouilla quelques excuses, qui ne le satisfirent pas, et qui lui valut de recevoir deux fois plus de coups.
Elle commença à pleurer, à appeler son tuteur. Cela déplut à l’homme, qui abattit à nouveau sa main punitive sur son visage. Ce dernier coup, plus violent que les précédents, lui fit perdre l’équilibre. Elle tomba au sol, et se roula en boule, ne pouvant cesser de pleurer. Elle avait si mal...
« Arrête de chialer » ordonna-t-il en tentant de contenir sa colère.
Elle ne pouvait stopper ses larmes. C’était une réaction naturelle, non... ?
« Je t’ai dit d’arrêter de chialer !! »
Alors pourquoi lui criait-il dessus... ?
Elle plaqua ses mains sur ses oreilles, pour ne plus entendre ses déferlements de haine et d'insultes. Elle ne pouvait que gémir qu'elle était désolée, entre deux hoquets et sanglots.
« Tu sais depuis combien de temps on bosse dessus ! D’où tu te permets de tout gâcher comme ça !? »
Elle sentit les vibrations de ses cordes vocales résonner jusqu’à ses os, et se recroquevilla de plus belle contre le sol gelé, tétanisée.
Puis un coup partit tout seul. Un violent coup de pied qui vint lui asséner une douleur percutante. Un spasme fit trembler son corps, alors qu'il se donnait à cœur joie de la frapper à répétition au ventre. Elle le suppliait d'arrêter, mais il ne l'écoutait pas, et il continuait de plus belle, encore et encore.
« Arrêtez, s'il vous plaît, sanglotait-elle. Ça fait mal... »
Il sembla avoir entendu sa demande, puisqu'il arrêta. Il s'agenouilla à côté d'elle. Il lui sourit –d'un sourire malsain et sadique.
« Tu sais bien qu'il faut punir les enfants, quand ils n'obéissent pas, pas vrai ? »
Elle ne dit rien, elle continuait de refouler ses larmes, espérant que cela le calmerait, le satisferait.
Il lui saisit les cheveux, et tira, lui faisant relever la tête, et ainsi croiser son regard assassin.
« Regarde-moi quand je te parle. »
Elle trembla. Tout son corps était parcouru de spasmes ; la douleur se raviva lorsqu'il la souleva par les cheveux, la forçant à se relever et à s'appuyer sur ses jambes douloureuses. Elle ne put réprimer quelques gémissements.
« Je t'ai dit de te taire ! » aboya-t-il violemment en l'empoignant fermement par le bras, et en la soulevant de plus belle.
Ses pieds décollèrent du sol, à quelques centimètres. Son épaule était terriblement douloureuse. Pourtant elle ne cessa pas de pleurer pour autant.
La fureur emplit son regard. Il rugit encore, un long hurlement de colère, et lui cracha toutes les insultes qu'il connaissait à son visage, avant de la jeter contre un mur, qu'elle heurta de plein fouet. Sa respiration se coupa sous le choc, elle la retrouva difficilement après plusieurs secondes. Elle voulut se relever, mais elle entendit un craquement ; elle préférait ignorer ce que c'était, bien que la douleur cuisante inondait sa poitrine.
Il revint vers elle, se saisissant d'une barre en fer laissée là pour une obscure raison. Il n'hésita pas une seule seconde à la frapper avec, sur tout son petit corps, en prenant soin qu'elle ne fût pas touchée à la tête.
Elle se roula en boule, priant pour que cela cessât au plus vite. Il lui fallut encore compter des dizaines de coups pour qu'il daignât cesser ce supplice. Il lâcha son arme, qui roula au sol dans un bruit de métal, et pencha une dernière fois à sa hauteur.
« La prochaine fois, tu feras attention à ne pas oublier ce qu'on te demande de faire. »
Il se leva, et quitta l'appartement, laissant derrière lui une forme tremblotante, recroquevillée sur elle-même, qui gémissait en retenant ses pleurs, et en supportant difficilement la douleur qui la transperçait de part en part, dans l'obscurité de l'appartement froid et muet.
*
Essayer de se fondre dans la masse sans se faire repérer, hein ? Cette idée avait fortement déplu à Raphaël. Surtout qu'il n'aimait pas trop rester seul, sans endroit où se rendre, à une époque à laquelle il n'appartenait pas.
Alors il s'était décidé à suivre discrètement Hélène, à travers la foule. Elle avait traversé la rue des Saints-Pères, était passée devant son appartement sans s'arrêter, et avait zigzagué entre quelques statues au Musée Rodin, avant de s'arrêter face à l'entrée des Invalides. Les lieux étaient déserts ; ils ne croisèrent aucune âme vivante. Elle ouvrit discrètement, sans se faire remarquer, l'immense porte d'entrée, et la referma soigneusement derrière elle. Il compta, attendit deux minutes, avant de faire de même et de reprendre sa filature.
Il l'avait facilement deviné, elle se rendait à la base secrète de Bonar, sous le tombeau de Napoléon. Elle n'avait pas pris la peine de refermer le passage derrière elle, à croire qu'elle souhaitait que quelqu'un la suivît. Il avança prudemment et à tâtons dans les dédales des catacombes, frémissant à chaque contact avec la pierre –était-ce de la pierre au moins ?– froide et humide. De l'autre côté du tunnel, de la lumière et des voix lui parvenaient.
Il arriva prudemment dans la grande salle souterraine éclairée par des torches. À deux mètres de l'entrée, deux Chevaliers Diaboliques se tenaient droits, leur attention dirigée vers le centre de la pièce. Raphaël se faufila dans un coin obscur, où personne ne pouvait le voir.
« Quelles nouvelles nous apportes-tu ? »
L'imposante voix de Bonar résonna entre les murs. Il était assis sur son trône, et seul. Raphaël crut distinguer quelqu'un derrière lui, mais il faisait trop sombre pour y voir quoi que ce fût. Il reporta son attention sur la personne à qui il s'était adressé –Hélène.
Elle posa un genou à terre, et baissa la tête.
« Pas de bonnes nouvelles, j'en ai peur, mon empereur. »
Elle ferma les yeux, attendit une réponse de la part de son interlocuteur. Il posa son coude droit sur l'accoudoir du siège, et reposa sa joue sur son poing, l'air songeur.
« Et quelles sont ces nouvelles ?
– J'ai échoué dans les premières étapes de la mission, mon empereur. Il m'a été impossible d'empêcher la fille de rencontrer le nuisible, puis de vous l'amener. »
Raphaël discerna un léger tremblement dans la voix de l'adolescente. Il ne pouvait cependant voir son visage ; ses mèches rouges avaient glissé et le cachaient.
« Ce n'est pas la première fois, n'est-ce pas ? demanda finalement Bonar. Tu sais de toute manière comment vont se dérouler les prochains jours, tu as intérêt à corriger tes erreurs. »
Elle acquiesça timidement, n'osant pas lever les yeux vers lui.
« Nous devons cependant nous assurer que cela ne se reproduira pas. »
Il fit signe aux deux individus se tenant derrière elle, qui réagirent sur-le-champ, et la saisirent aux bras, l'empêchant de se débattre. Un air paniqué se dessina sur son visage.
« Je pense qu'une simple punition ne suffira pas, pas vrai ? » demanda-t-il simplement en se levant, et en s'approchant lentement d'elle.
Elle s'efforça de garder la gêne baissée ; elle ne pouvait se permettre de le regarder dans les yeux, elle n'avait pas le droit de poser son regard impur sur l'empereur.
Il ôta ses gants, les donna à un autre Chevalier, et se stoppa, à quelques centimètres à peine d'Hélène, qui tremblait déjà de tout son corps. Sa main à la peau abîmée par le temps vint lui caresser la joue. Un sourire tira les traits fatigués de son visage.
« S'il te voyait, il serait heureux de te voir aussi épanouie, souffla-t-il. Quel dommage qu'il lui faille attendre encore longtemps pour te retrouver. »
Hélène répondit par un hoquet de douleur. Il venait de lui asséner un coup de poing à l'estomac. Son corps voulut se courber sous le coup, mais les deux hommes la maintenaient d'une poigne de fer et l'en empêchaient.
« Voilà pourquoi tu dois nous aider, pas vrai ? Sinon, ce serait stupide de te garder en vie.
– Je–
– Silence ! »
Il lui asséna une gifle mordante.
« Nul ne parle sans mon autorisation ! »
Un nouveau coup, cette fois-ci au bas-ventre, la fit se tordre de douleur. On la lâcha, elle s'effondra au sol.
« Qu'as-tu à dire pour ta défense ? demanda-t-il en la toisant de haut.
– Je... je n'ai aucune excuse, mon empereur, articula-t-elle avec peine.
– Fais face à ton empereur lorsque tu t'adresses à lui. »
Elle leva la tête dans sa direction, et le regarda avec hésitation. Elle le vit sourire avec satisfaction, avant qu'une de ses bottes d'armure ne vînt la percuter en plein visage, la projetant au sol. Napoléon lui redonna un coup deux fois plus puissant du même pied dans les côtes, ce qui lui valut de cracher du sang, qui se mêla à la poussière du sol.
« Vois-tu ma petite Hélène, continua-t-il en se penchant au-dessus de son visage, si nous t’avons laissée nous rejoindre, c’est parce que nous pensions que tu nous aiderais, avec tes capacités.
– Je–Je le sais bien––
– Alors au moins pour Alexandre, tu ne ferais pas l’effort de nous aider ? Je pensais que cela te pousserait à servir ton empereur » lança-t-il en se relevant.
Elle voulut répliquer, mais se figea en entendant le bruit d’une lame que l’on sortait de son fourreau. Le contact froid du métal contre sa nuque lui fit comprendre que c’était un des Chevaliers, déterminé à mettre fin à ses jours.
« Tu auras ta récompense, une fois que ce bon à rien sera hors d’état de nuire, et que la fille nous sera remise.
– Oui, mon empereur, gémit-elle en se retenant de cracher à nouveau du sang. Je vous promets que–
– Tu m’as toujours promis, Hélène, fit-il avec détachement. Mais pendant les treize ans où tu nous as servis, pas une fois tu n’as pu réellement nous être utile. »
Il lui tourna le dos, retourna s’asseoir à son trône, et ordonna aux deux Chevaliers de les laisser seuls, ce qu’ils firent sans protester. Une fois le silence revenu, il dialogua seul à seul avec la jeune femme, qui tremblait. Elle porta sa main à son visage avec une certaine difficulté, pour réaliser qu’à l’endroit où l’homme l’avait frappée, le métal avait coupé sa joue. Du sang coulait de la blessure, mais ce n’était qu’une parmi d’autres. Elle resta recroquevillée sur elle-même, bien trop terrifiée à l’idée de recevoir d’autres coups si elle daignait faire le moindre mouvement.
« Tu sais le temps que nous avons sacrifié et les efforts que nous avons dû faire afin de mettre ce projet en œuvre. Tu sais à quel point ton tuteur s’est démené pour que tu rejoignes nos rangs. Alors pourquoi ne lui fais-tu pas honneur, en remplissant la tâche qui t’a été confiée ? »
Elle ne répondit pas. Elle respirait difficilement. Elle avait si mal... Il ne l’avait pas ratée. Il avait bien dû lui toucher les côtes, si ce n’étaient pas quelques organes en plus.
« Nous avions un contrat, Hélène, reprit-il. Tu te débarrasses du fils d’Isaac, et tu nous apportes la fille.
– Pourquoi est-ce qu’il demanderait à ce qu’on tue son propre fils ? articula-t-elle douloureusement. C’est insensé...
– Tu connais Isaac, sourit Napoléon. Il a toujours été un peu réservé. Peut-être souhaite-t-il s’en débarrasser au plus vite ? C’est un fardeau après tout ; n’a-t-il pas cessé de le chercher après qu’il l’ait abandonné, plutôt que d’essayer de comprendre ? »
Les lèvres d’Hélène, rougies par le sang, formèrent un triste sourire à l’écoute de ces mots.
« Tu nous déçois tous, Hélène. Isaac me disait que tu étais la personne idéale pour s’occuper de son fils. J’ai eu tort de le croire.
– Je n’ai rien à voir avec lui... »
Son murmure résonna faiblement autour d’eux. Elle tenta de se lever, quelque chose craqua. Une côte. La même que la première fois –n’avait-elle pas toujours craqué, à chaque fois ?
« Arrêtez un peu de vous fier à ce qu’il vous dit, et laissez-moi faire mes preuves ! » supplia-t-elle en se relevant, et s’avançant en titubant vers l’empereur.
Elle tomba à genoux devant lui, à ses pieds. L’idée de ne plus pouvoir le servir lui était insupportable. Elle devait le convaincre de lui laisser une nouvelle chance. Elle n’avait plus le choix. C’était son dernier espoir.
« Ce n’est pas la première fois que nous avons cette conversation, n’est-ce pas ? »
Le silence fut sa seule réponse.
« Isaac avait raison. »
Il se leva de son trône, la fit se relever. Il lui tendit une main amicale, qu’elle tenta de saisir, avant de lui donner un ultime coup de pied dans la poitrine, qui la fit dévaler les marches dans des gémissements de douleur.
« Tu n’es vraiment d’aucune utilité. »