Quatorze Juillet

Chapitre 21 : - Partie II ~ Retourner vers le passé - - Chapitre XX -

4486 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:28

- Chapitre XX -

Quelques rayons de soleil matinal vinrent caresser les paupières de Raphaël, qui frémirent avant de s'entrouvrir. Il lui fallut un instant pour comprendre pour quelle raison il dormait sur un banc, tel un sans-abri, avant de se souvenir qu'il était, dans un sens, un sans-abri.

Il regarda sur sa droite, là où Hélène était censée se reposer. Il ne la vit pas –il aurait parié qu'elle ne serait pas présente, qu'elle se serait enfuie en le laissant là pendant la nuit.

Il jeta un rapide coup d’œil à sa montre. Il était six heures moins le quart. Et le soleil commençait déjà à prendre sa place dans le ciel. Il soupira, comprenant que ses nuits allaient être très courtes, et ses journées très longues.

Assis sur le banc, il attendit, se demandant si Hélène lui avait dit la vérité, au sujet de la disparition de la porte. Après tout, c'était sa machine, elle la connaissait bien mieux que lui, elle pouvait aisément lui mentir. Mais elle n'avait pas l'air d'être le genre de personne à adorer les nuits à la belle étoile dans des parcs obscurs. Sa réaction l'avait surpris ; elle avait pris la découverte de la porte disparue plutôt bien. Il avait imaginé qu'elle se serait énervée, révoltée, et aurait peut-être à l'occasion passé ses nerfs sur lui. Au contraire, rien de tout ça, juste un ton sec et autoritaire.

Et là, était-elle ?

Peut-être l'avait-elle abandonné dans le passé. Quel triste destin, vivre avec un an de décalage par rapport au monde dans lequel il évoluerait. Cette pensée le fit frissonner ; pour rien au monde il ne souhaitait finir ainsi. Et au vu du nombre de fois où elle avait déclaré avoir besoin de lui, cela l'étonnait plus qu'autre chose qu'elle eût agi ainsi.

Alors avait-elle bien pu aller ?

« Tiens. Je me disais que t'en voudrais p'têt un bout. »

Il se retourna, faisant ainsi face à la jeune femme qui lui tendait à bout de bras un petit sac. Elle était rouge, elle avait couru.

« Je crois qu'il m'a vue les voler. Pas grave, j'ai fait six fois le tour du parc avant de rentrer pour le semer. »

Elle agita son bras d'une manière insistante pour qu'il prît le paquet qu'elle lui tenait, ce qu'il fit. En l'ouvrant, il constata quelques pâtisseries. Pas de pain au chocolat, ni de croissant, mais cette fois-ci, des chaussons aux pommes.

« J'me suis infiltrée dans la cuisine alors qu'il venait de les sortir du four. C'est tout ce qu'il y avait. »

Il ne savait pas quoi dire. C'était mal, de voler, après tout...

« Fais pas l'hypocrite, grogna-t-elle en s'avachissant sur le banc où il avait dormi. Tu voles pour te nourrir, toi aussi. »

Il ne répondit rien, et croqua dans l'un des chaussons aux pommes encore chauds. Il lui tendit le sac, qu'elle refusa en faisant la moue, justifiant une aversion pour ce type de pâtisserie.

« T'as du nouveau concernant la porte ?

– Ouais. C'est bien ce que je pensais, c'est pas une panne d'alimentation. »

Elle retint un petit rire.

« En même temps, faut vraiment la pousser à bout cette bécane pour la vider de toute sa batterie. »

Il acquiesça. Il n'était pas sûr de comprendre, il n'y connaissait rien à tout ça.

« Ça veut dire que c'est du sabotage ? demanda-t-il entre deux bouchées.

– Quelqu'un a fermé la porte de l'intérieur, et nous a bloqués ici.

– Au moins on est déjà sur place, sourit Raphaël, qui tentait de voir le bon côté des choses.

– Mais on a le droit qu'à un seul essai. »

Il hocha la tête. C'était le prix à payer, dans un sens.

Hélène lui avait jusqu'alors paru extrêmement sûre d'elle. Mais à présent, alors qu'ils avaient commencé la "mission", face aux échecs et obstacles qui se présentaient à eux, elle semblait se relâcher. D'abord l'erreur dans l'horaire d'arrivée, qu'elle avait tout de même pu rattraper en changeant ses plans à l'instant même, bien qu'elle ne respectât pas pour autant ses nouvelles directives. Puis, lorsqu'elle avait dû improviser, elle avait été jusqu'à abandonner l'idée d'empêcher leur rencontre, alors que c'était la plus simple des choses à faire afin de changer complètement le cours du temps. Elle n'avait pas pour autant reculé, et avait préféré rester en retrait et réfléchir à une nouvelle approche, d'où la nuit passée dans le parc, à défaut d'avoir un lieu où dormir. Mais à présent, où allaient-ils aller ?

« Je sais où on peut aller se reposer, lança Hélène en se relevant. Dépêche-toi si tu veux pouvoir en profiter. »

Elle se dirigea vers le portail, et l'escalada sans demander d'aide au rouquin, qui attendit patiemment qu'elle l'aidât à faire de même.

Elle partit la première, en direction du nord-est de la ville. Raphaël reconnut le chemin pour se rendre à Notre-Dame, mais ce n'était pas là leur destination.

Ils passèrent devant une station de vélibs ; une idée germa dans la tête d'Hélène, qui se précipita vers les pauvres bicyclettes, et qui tenta de les arracher l'une après l'autre du pied auquel elles étaient verrouillées. Par chance, deux d'entre elles cédèrent, elles n'avaient pas été correctement replacées. Tous deux enfourchèrent leurs montures, et prirent en pédalant la direction qu'Hélène avait choisi. Il ne fallut pas longtemps à Raphaël pour comprendre vers où elle le menait.

Une immense bâtisse se dressait face à eux. Son clocher sonna sept heures.

« Pourquoi le couvent Saint-Louré ?

– Parce que t'as une meilleure idée peut-être ? »

Elle balança le vélo dans un boisson, peut-être avec l'intention que personne ne le trouvât. Il fit de même, et déposa doucement l'objet de son larcin au sol, en tentant de limiter les bruits métalliques des guidons qui s'entrechoquaient.

Hélène ne l'attendit pas, et se rua vers la cour intérieure du couvent. Elle se glissa derrière les arcades, épiant chacune des ombres qui se dessinaient autour d'elle. Lorsqu'elle était sûre que la voie était libre et sans danger, elle fonçait vers le point suivant.

Elle ne s'arrêtait donc jamais ? Il la suivait difficilement, elle allait trop vite, et il faisait encore plus attention qu'elle. La peur d'être vu, sûrement. Mais vu par qui ? Une connaissance de Marie, qui pourrait le reconnaître et identifier son passé ? Ça serait improbable, mais il y avait toujours une infime possibilité. Il chassa ces mauvaises idées de son esprit, et s'engagea dans une cage d'escaliers circulaires, aux talons d'Hélène.

« Tu vas aller t'installer dans une de leurs chambres, d'accord ? fit-elle en ouvrant une porte qui menait sur un long couloir. Je t'y rejoindrai dans pas longtemps. »

Et elle disparut, l'air de rien, vers l'étage suivant.

Il entra dans l'aile du bâtiment, qui s'avéra être un dortoir complètement vide. Pas un bruit ne s'échappait des pièces, pas la moindre trace de vie non plus. Instinctivement, il se dirigea vers la dernière chambre, qui se révéla être toute aussi déserte que les autres. Une couette était soigneusement pliée sur le matelas, et des draps attendaient sagement d'être utilisés depuis la commode sur laquelle ils se trouvaient. Il remarqua au pied de l'étagère un sac à dos, dans lequel il trouva des vêtements à sa taille, et à son goût ; une simple chemise et un simple pantalon qui lui permettraient de se fondre dans la masse. Cela ne faisait aucun doute qu'Hélène avait prévu tout ça, elle lui avait encore menti. À force, il en était habitué.

Il examina les alentours, ouvrit quelques portes, qui le menèrent à plusieurs autres chambres vides. Il trouva étrange que le couvent fût aussi vide, ça n'était pas normal. Il regretta aussi de ne pas en avoir discuté avec Marie, elle l'aurait beaucoup aidé sur ce coup-là.

Mais apparemment, Saint-Louré était quelque peu spécial, et avait été aménagé tel un internat ou une pension, plusieurs chambres pour une personne, et des salles de douche collectives, disposant de plusieurs cabines individuelles. Le réfectoire devait se trouver ailleurs, dans le bâtiment.

Il profita de l'absence d'autres personnes pour se permettre de prendre une douche ; le jet d'eau chaude se ressentit comme une renaissance. Cela lui fit oublier la dure nuit qu'il avait passée, l'espace de quelques minutes. L'eau qui ruisselait le long de sa peau le relaxait, le faisait se sentir mieux, et presque oublier qu'il n'était plus à la bonne époque. Il parvint presque à se sortir Hélène de ses pensées.

Presque.

Il entendit la porte de la pièce s'ouvrir, puis se claquer, juste avant que le grincement de la porte d'une cabine de douche que l'on fermait et verrouillait ne résonnât à son tour. Il ne fallut pas attendre longtemps pour que l'écoulement d'un autre jet d'eau ne fît écho au sien, et encore moins pour qu'une voix ne lui parvînt de la cabine voisine.

« J'ai vérifié l'étage supérieur, y a que des chambres pleines. »

La voix de la jeune femme le mit terriblement mal à l'aise. N'avait-elle donc aucun respect, aucune pudeur... ?!

Il tourna le robinet, le ferma. Il ne pouvait pas rester un instant de plus dans cette situation gênante.

Il saisit la serviette de toilette qu'il avait empruntée, et se la passa furieusement sur le corps, se pressant de se sécher pour enfiler les vêtements propres qui l'attendaient.

« J'ai croisé personne par contre. C'est bizarre. Y a des processions aussi tôt le matin ? »

Raphaël sentait ses joues le brûler sous l'embarras. La simple idée de la savoir à moins d'un mètre de lui, nue qui plus était, faisait hurler une voix dans sa tête, qui lui ordonnait de partir.

« J'ai aussi trouvé la chambre de ta copine. Sobre, mais sympa. Je lui ai emprunté quelques vêtements d'ailleurs, tu lui rendras pour moi ? »

Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale. Pourquoi cette fille était-elle... comme ça, avec lui ?! Elle semblait adorer le mettre mal à l'aise, ou juste simplement le torturer. Il n'avait rien demandé, rien fait pour mériter ça, alors pourquoi ?

Il se hâta de sortir de la pièce, et retourna dans la chambre où il avait trouvé le sac. Il s'assit sur le lit, et frotta de toutes ses forces la serviette contre ses cheveux, afin de les faire sécher. Hélène le rejoignit peu de temps après, vêtue d'un débardeur noir et d'un pantacourt en jean. Raphaël imaginait difficilement que cela appartenait à Marie, mais si elle disait –pour une fois– la vérité en annonçant les lui avoir empruntés, alors il n'avait d'autre choix que d'y croire.

« Ici, personne ne nous entendra » souffla-t-elle en s'adossant à la porte.

Elle brossa frénétiquement ses cheveux.

Il voyait qu'elle évitait de le regarder.

« Dans trois heures à peine, tu vas débarquer au couvent. Tu vas rencontrer Jean-François, et laisser ta copine, avant d'aller au commissariat. »

Il remarqua la grimace qui s'était formée, malgré ses efforts pour la dissimuler, alors qu'elle énonçait sa seconde phrase.

« Au commissariat, tu rencontreras le détective privé, puis tu te rendras aux Invalides.

– D'où tu connais tout mon itinéraire ? » demanda Raphaël, angoissé par la capacité de la jeune femme à retracer des événements auxquels elle n'avait pas assisté.

Elle se stoppa, l'observa fixement, sans répondre. Il détourna les yeux, elle était bien trop intimidante, à l'instant.

« Parce que ce n'est pas la première fois que ça arrive. »

Un sourire gêné s'afficha tristement, avant de disparaître aussi rapidement qu'il était apparu.

« C'est une boucle sans fin. »

Un lourd silence vint peser dans la pièce.

Elle le dissipa soudainement, en lâchant un rire retentissant, quoi qu'un peu gêné.

« Il va falloir qu'on y aille, maintenant. »

Il hocha simplement la tête. Elle soupira.

« Si c'est juste le simple fait que j'aie pris une douche à côté de toi qui te fait ça, c'est vraiment que t'as un problème, se moqua-t-elle en s'appuyant contre la porte. Te fous pas de moi, je sais ce que t'as fait. »

Il leva les yeux vers elle. Son regard lui hurlait quelque chose, comme le refus de croire qu'elle pouvait être au courant de certaines choses.

« Je te parle d'avant. Quand tu es parti et as laissé ta copine seule. »

Son ton était lourd de reproches. Et il avait de quoi...

« Tu comptes lui dire un jour, ce qui s'est passé ?

– Je préfère ne pas en parler. »

Raphaël s'était levé, un sentiment nouveau brûlant en lui ; les remords le rongeaient presque.

« Ce qui s'est passé par le passé reste dans le passé.

– Tu sais, la base d'une relation de couple durable, c'est de tout se dire. »

Il la fusilla du regard, lui ordonna silencieusement de se taire.

Il n'avait pas l'habitude de dévisager ainsi, mais il souhaitait réellement mettre un terme à cette conversation.

Elle n'avait pas l'habitude d'être dévisagée ainsi, mais elle savait que remuer le couteau dans la plaie en ce moment et ce lieu précis ne l'aiderait aucunement, au contraire.

« Allons-y » grommela-t-il en ouvrant la porte, d'où elle s'était décalée pour le laisser passer.

Elle le suivit ; elle n'avait rien à ajouter.

Leurs pas résonnaient dans les escaliers de pierre alors qu'ils les descendaient vers la cour intérieure du couvent.

Un individu s'y tenait, assis sur un muret, sous les arcades. Il lisait un livre épais, traitant de l'histoire de France du dix-neuvième siècle. De temps à autre, il remettait en place les lunettes rondes qui glissaient de son nez. Une légère brise agitait de temps à autre le jabot de couleur incarnat qu'il portait, ainsi que ses cheveux pourpres soigneusement fixés.

Lorsqu'il les entendit arriver, il leva les yeux de sa lecture. Il referma le livre dans un claquement, et le posa à côté de lui, sur le muret, avant de se lever, sûrement par politesse. Néanmoins, il ne vint pas les saluer chaleureusement. Il les dévisagea, les bras croisés, les sourcils froncés.

Raphaël frémit. Cela ne le rassurait aucunement, et les reflets des verres circulaires l'empêchaient de voir ses deux yeux simultanément.

« Tiens donc, Hélène, sourit l'individu –mais était-ce seulement sourire ? On eût dit un rictus forcé, qui lui déformait le visage, lui donnant un air cruel. J'ignorais que tu traînais par ici. »

Il lança un regard méprisant et perçant envers Raphaël, qui le sentit le traverser de part en part –une étrange sensation.

« Et encore moins avec de telles personnes » lâcha-t-il.

Hélène passa nonchalamment sa main dans ses cheveux, et répondit avec un ton neutre, vide de mépris.

« Salut à toi aussi, JF. »

Il tiqua alors qu'elle l'avait appelé par ses initiales.

Un frisson glacial remonta le long de la colonne vertébrale de Raphaël. Maintenant qu'il y repensait, il n'avait pas encore rencontré Jean-François dans le passé. Allait-il comprendre que quelque chose n'était pas normal lorsqu'il rencontrerait Raphaël accompagnant Marie ?

« Puis-je savoir ce que vous faites dans mon couvent ?

– On est que de passage. Justement, on y va, là. »

Il voulut rajouter quelque chose, mais Hélène ne lui laissa pas le temps, et ordonna à Raphaël de presser le pas, ce qu'il ne refusa pas de faire tant la tension était palpable face à l'homme qui avait coopéré avec son père. Ils s'éclipsèrent discrètement du vieux bâtiment religieux, il ne tenta pas de les rattraper.

Ils traversèrent la Rue des Francs-Bourgeois à toute allure, bousculant quelques passants, en recevant des insultes de la part de quelques-uns. Ils ne se stoppèrent qu'une fois arrivés à la Rue Ramuteau, complètement hors de souffle.

« Bien, s'exclama Raphaël en ahanant, c'est quoi la suite du plan ?

– La cathédrale... »

Hélène écarquilla les yeux. Ce fut comme une révélation.

« LA CATHÉDRALE, PUTAIN ! Comment est-ce que j'ai pu l'oublier !? »

Il se décala d'un pas sur le côté, manquant de peu un coup de poing de la part de la jeune femme, poing qui vint rencontrer la dureté des pierres des murs.

« Napoléon sera là, on ne peut pas les louper ! »

Raphaël regretta sur l'instant d'avoir abordé ce sujet-là. Déjà qu'il n'était pas entièrement d'accord avec le fait d'avoir fait la connaissance de Jean-François avant l'heure, cela ne le rassurait pas de jouer encore avec le temps.

« Tu te souviens de l'heure à laquelle vous vous êtes rendus à Notre-Dame ? demanda-t-elle en le fixant, avant de soupirer en voyant son hochement négatif de la tête. Alors dépêche-toi ! »

Sans l'attendre un instant de plus, elle se hâta de traverser la route, et de prendre la direction de la cathédrale, située quelque peu au sud-est de l'endroit où ils se tenaient.

Raphaël la rattrapa vite, et malgré le fait qu'elle marchait d'un pas rapide, il se calqua sur son allure, et entama la conversation.

« Tu connais Jean-François ? »

Il vit distinctement Hélène tiquer, un léger mouvement du nez, et un saut de la paupières. Elle secoua brièvement la tête, comme pour se ressaisir, avant de répondre.

« Je le connais ouais.

– D'où tu le connais ? Je veux dire– »

Il inspira profondément. Quelque chose lui disait qu'elle en savait beaucoup plus que ce qu'elle ne laissait croire.

« Tu connais Graf... ? »

Elle ne répondit pas immédiatement. Il nota son froncement de sourcils, comme si la simple évocation de ce nom la dérangeait.

« Je le connais, ouais, répéta-t-elle simplement.

– Et lui te connaît ?

– Non. T'as fini avec tes questions ? »

Son ton était dur. On eût dit une carapace derrière laquelle elle se cachait pour échapper aux questions sensibles. Raphaël n'était pas dupe, elle lui cachait quelque chose.

« Et Napoléon...

– Tu commences sérieusement à me gonfler. »

Elle accéléra encore un peu plus son allure. Bientôt, la cathédrale Notre-Dame s'imposa droit devant eux, dans toute sa splendeur. Quelques touristes se tenaient sur son parvis, sans pour autant y entrer. Ils passèrent devant un groupe de chinois –où étaient-ils japonais ? Raphaël ne savait faire la différence entre eux– qui martelaient le déclencheur de leurs appareils photo numériques, bombardant les environs de flashes lumineux. Hélène grommela quelque chose à leur intention, mais il n'en comprit que des bribes de syllabes.

Elle se stoppa un instant devant l'immense porte fermée, et prit une longue inspiration, avant de la pousser lentement, dans un long grincement d'agonie de la part du bois. Elle passa la tête, et ne voyant personne, elle entra dans l'édifice, suivie de près par Raphaël qui referma derrière eux.

« Ça fait une éternité que je suis venu là, souffla-t-il en balayant les environs du regard. La dernière fois j'étais avec Marie... »

Hélène serra son poing sans dire le moindre mot. Il ne le remarqua pas.

« C'est dingue, sourit-il. Je n'avais jamais pris le temps de l'observer comme ça. »

Elle réunit le peu de patience qui l'animait afin de ne pas lui coller une droite pour le faire taire tant il l'agaçait, et continua son chemin. Elle traversa la cathédrale vide ; c'en était presque effrayant de voir les rangées de bancs et chaises sans la moindre personne assise dessus. Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale ; elle se sentait épiée, surveillée à chacun de ses pas. Et plus elle avançait à travers la nef, plus cette impression s'alourdissait sur elle, lui pesant sur les épaules tel un fardeau qu'elle serait contrainte de traîner.

Heh, pas étonnant qu'on appelle cette porte le Portail du Jugement, songea-t-elle en retenant un rire nerveux. On dirait un purgatoire.

Et là-bas, au bout de la cathédrale, sur l'estrade, face à la chapelle du Saint Sacrement, se tenait la raison de leur présence en ces lieux qu'elle haïssait. Elle fut tentée de se ruer sur eux, et d'assassiner sans ménagement de ses mains nues s'il le fallait le stupide adolescent qui avait empêché le retour de l'empereur, mais elle fut vite rattrapée par sa raison. Il fallait d'abord éloigner la fille. Par chance, Napoléon n'allait plus trop tarder et–

Elle vit le rouquin se retourner. Elle s'empressa d'empoigner l'abruti qui la suivait par les épaules, pour le jeter au sol dans un espace sombre à gauche de l'oratoire, avant de l'y rejoindre. Par chance, il ne les avait pas vus, et leur trouvaille de la couronne du dragon redevint le centre de son attention.

Puis des bruits de pas accompagnés de chocs métalliques résonnèrent dans la cathédrale, avant de s'arrêter non loin d'eux.

« Mes félicitations cher ami ! » souriait un grand homme en armure.

Raphaël aurait pu reconnaître ce heaume entre mille. Et cette voix aussi.

De même que son lui du passé, qui se retourna immédiatement et s'avança devant Marie, comme pour la protéger, sans lâcher la couronne incomplète.

« Je te remercie d'avoir trouvé la couronne pour moi. »

Un sourire grinçant s'afficha sur son visage. Cela ne présageait rien de bon.

Le jeune homme remarqua qu'Hélène s'était complètement figée, et se tenait à genoux, prête à se lever si le besoin s'en ferait sentir. Et étonnamment, il vit dans ses yeux bleus des étoiles briller. Elle regardait avec admiration l'individu à la voix rauque.

« Encore toi ! grogna Fantôme R.

– Encore nous ! » répondit Napoléon avec moquerie.

Raphaël se redressa quelque peu. De là où ils se trouvaient, ils pouvaient voir la horde de Chevaliers Diaboliques sans être vus ; il était possible d'agir au moindre signal.

« Tant que tu restes à Paris, tu es sur mon domaine » lança l'homme, comme une mise en garde.

Il vit qu'Hélène avait raidi ses muscles, parée à bondir.

« Alors donne-moi la couronne.

– Jamais ! »

Marie recula quelque peu. Fantôme R aussi. Des Chevaliers les encerclèrent, tentèrent de se saisir du voleur, qui les esquiva et s'éloigna aisément d'eux. Mais la fille, elle, n'avait pas été assez rapide. C'était le moment...!

Hélène se leva, et sauta par-dessus un banc de prière. Mais Raphaël fut tout aussi rapide qu'elle, et la plaqua au sol avant qu'elle ne pût se rapprocher davantage.

« Qu'est-ce que tu fous putain !? cracha-t-elle en se débattant pour se libérer de l'étreinte de Raphaël, qui la maintenait fermement au sol en lui bloquant les bras dans le dos.

– Je ne te laisserai pas foutre le bordel dans le passé ! » articula-t-il en resserrant un peu plus sa prise.

Elle fit de nombreux mouvements brusques, dans l'espoir de pouvoir le faire lâcher.

« On a bien ri, ok, mais c'est fini ! C'est à moi de décider maintenant de ce que je dois faire !

– Fais pas le con Raphie, tu sais très bien comment ça va finir ! »

Elle parvint à dégager un bras. Elle s'en servit comme appui pour déstabiliser le rouquin, avant de le faire tomber. Elle s'arrêta deux secondes pour reprendre son souffle –ce fut une erreur.

Il revint à la charge, et la jeta contre le dur sol de pierres glacées, avant de s'agenouiller sur elle et de commencer à resserrer ses mains contre son cou. Sa respiration était saccadée, son cœur cognait dans sa poitrine. Tout se brouillait autour de lui, il était incapable de savoir si c'était de la peur ou de l'amusement qui s'affichait sur le visage fin d'Hélène.

Elle joignit ses forces pour se saisir de son col. Elle agrippait difficilement le tissu.

« Fantôme R ! Au secours ! »

L'appel de l'adolescente le ramena à la raison ; instinctivement il avait répondu en appelant son prénom exactement en même temps que son passé.

Le sourire d'Hélène s'agrandit, alors qu'il lâchait son emprise. Elle tira sur son col, et le fit basculer en avant.

« Faiblard » dit-elle avec mépris, tout en lui pliant le bras droit dans le dos, remontant lentement le coude jusqu'à ce que le rouquin gémît de douleur.

De l'autre côté, Fantôme R ordonna à Napoléon de lâcher Marie, avant de lever le bras gauche, autour du poignet duquel luisait le bracelet de Tiamat.

Une intense lumière se propagea à travers le chœur de la cathédrale, et les dizaines d'individus en armure s'élevèrent dans les airs. Hélène constata avec effroi que leurs proies allaient leur échapper ; tout ce que Raphaël put faire était de se retourner, et de lui saisir le bras, pour l'attirer contre lui et la serrer dans ses bras pour l'empêcher d'aller se jeter sur les deux adolescents qui s'enfuyaient de la cathédrale en laissant violemment retomber les Chevaliers au sol. Elle n'avait plus la force de se débattre, elle ne put qu'entendre impuissante leurs bruits de pas.

« Bande d'imbéciles, hurla Napoléon en tapant sur l'autel de la cathédrale. Vous les avez encore laissés filer ! »

Aucune réponse ne parvint de la part de ses sbires.

« Nous l'attendrons au repère ; c'est là qu'il viendra ensuite. »

Ils s'en allèrent dans un claquement de métal qui était propre à leurs armures.

Raphaël poussa un long soupir de soulagement, et desserra son étreinte. Hélène ne bougea pas pour autant. Elle fixait le vide, recroquevillée contre lui, tétanisée. Ses yeux bougeaient comme à la lecture d'un livre invisible, et ses lèvres bougeaient en formant encore et encore les mêmes syllabes.

« Hélène ? » appela-t-il doucement avec inquiétude.

La vibration de ses cordes vocales eut un effet immédiat sur la jeune femme, qui se redressa sans plus attendre.

Toute trace d'effroi avait disparu de son visage.


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