Quatorze Juillet

Chapitre 23 : - Partie II ~ Retourner vers le passé - - Chapitre XXII -

3626 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:31

- Chapitre XXII -

Hélène ouvrit subitement ses yeux hagards, et se pencha en avant, toussant à s'en décoller les poumons, sous le regard effrayé de Raphaël. Elle porta ses mains à son visage, et palpa sa poitrine et son ventre, avant de lâcher un long soupir de soulagement et de se rallonger sur le dos, en se massant le crâne.

« Est-ce que ça va ? » demanda timidement le jeune homme, l'hésitation le poussant à garder ses distances avec elle.

Elle le regarda avec étonnement, avant d'éclater de rire ; elle essuya quelques larmes aux coins de ses yeux.

« Je suis vivante et indemne, tu crois que ça peut pas aller ? »

Malgré tous les efforts qu'elle mettait dans sa voix, elle ne pouvait pas lui cacher qu'elle était terrorisée. Il le savait très bien, il l'avait clairement vue se faire humilier par Bonar aux Invalides. Lorsqu'elle avait perdu conscience suite au dernier coup qu'il lui avait porté, un Chevalier était sorti de l'ombre pour la soulever et la jeter hors du musée, comme un vulgaire jouet cassé. Raphaël s'était discrètement échappé après lui, et avait emmené la jeune femme à l'abri. Et puis...

« T'en fais une tête, rit-elle d'un ton léger, qu'est-ce qui t'est arrivé ?

– J'ai vu, ce qu'il t'a fait. »

La mine grave du rouquin l'avait stoppée net dans son fou rire forcé. Elle ne répondit rien, se contenta de s'asseoir sur le banc où il l'avait amenée, en gardant la tête baissée, ses yeux ternes dissimulés derrière ses cheveux roux qui avaient perdu de leur flamboyant.

« Tu sais te battre, s'exclama Raphaël, hors de lui. Alors pourquoi tu t'es pas défendue ? Ils n'ont pas le droit de t'utiliser comme une esclave !

– Tu ne comprendrais pas, ce n'est pas aussi simple, murmura-t-elle en détournant les yeux de sa silhouette.

– Alors explique-moi quand même ! insista-t-il, sans contrôler ses éclats de voix, qui résonnèrent autour d'eux et leur valut quelques regards des passants.

– Même si je le voulais, je ne pourrais pas. »

Sa voix se fondit dans un sanglot qu'elle étouffa avant qu'il ne pût le percevoir. Elle se retint de hausser le ton, elle n'en avait pas la force.

« Tu n'as pas besoin de savoir ça, de toute façon, grogna-t-elle. Tout ce que tu as à faire, c'est m'aider. En silence. »

Il inspira un grand coup. Il ne voulait pas en arriver là, mais elle ne lui laissait pas le choix. Il se redressa, droit devant elle, les poings serrés, et le ton ferme et déterminé.

« Tu sais quoi ? Je ne vais plus te suivre, ni t'aider. Et encore moins me taire. Tu ne m'as pas laissé le choix, ni demandé mon avis, tu es complètement en tort là. Tout ce que je veux, c'est comprendre ce qui se passe. Tant que tu ne m'auras rien dit, compte pas sur moi pour t'aider. »

Elle leva ses yeux bleus fatigués vers lui. Un faible sourire se dessina sur ses lèvres, alors qu'elle prenait un ton moqueur.

« Tu as peur, pas vrai ?

– De quoi j'aurais peur ? répliqua-t-il, sur la défensive.

– De moi. »

Elle ferma les yeux, et baissa à nouveau son visage vers le sol poussiéreux. Il fallait bien lui dire à un moment donné.

« Raconte-moi en détail ce qui s'est passé après que j'aie perdu connaissance. »

Il ignorait quelle idée lui traversait l'esprit, mais il lui répondit. Il voulait comprendre ; si elle pouvait répondre à quelques unes des questions qui lui retournaient l'esprit, alors il coopérerait peut-être.

Il lui raconta ce qu'il avait vu, et fait. Depuis sa chute le long des marches jusqu'à sa sortie des Invalides. Il lui dit qu'il l'avait amenée là où elle se trouvait, sur un banc près du musée Rodin, ni trop loin des Invalides, ni trop près ; il fallait avouer qu'il était lui-même au bout de ses forces, et qu'elle n'était pas aussi légère que ce dont elle pouvait avoir l'air. Et c'est après que l'étrange s'était manifesté. Il hésita longuement avant de lui expliquer ce qui était arrivé, cherchant ses mots et tentant de même de trouver une explication logique et rationnelle à tout ça.

« Il y a eu de la lumière, pas vrai ? » fit-elle sans la moindre trace de moquerie dans sa voix.

Il acquiesça. C'était tout ce qu'il pouvait dire sans trop trouver ça bizarre –et pourtant ça l'était déjà ! Une étrange lueur était apparue, et avait parcouru le corps d'Hélène, en s'arrêtant quelques secondes sur les endroits où elle avait été blessée.

Mais ce qui avait le plus marqué l'esprit du rouquin était les traits d'Hélène tirés par la douleur alors qu'elle recouvrait de ses blessures. Sa respiration s'entrecoupait à plusieurs reprises, et ses paupières se resserraient. Elle gémissait aussi, de temps à autre, lorsque l'endroit était gravement touché.

« Je n'ai pas le pouvoir de guérir comme ça de simples fractures et coupures, soupira-t-elle. C'est grâce à un artefact que j'ai pu survivre. »

Elle tira sur la longue chaîne qui pendait à son cou, faisant sortir de sous son débardeur un pendentif en forme de triangle –non, il faisait erreur, c'était une pyramide inversée. Il ignorait par quel moyen il l'avait su, mais il était certain de lui.

« Ça représente la cohésion, la déesse Ishtar. La légende veut que son appui est nécessaire pour pouvoir diriger un royaume. »

Elle caressa tendrement les reliures dorées gravées sur le bijou du bout des doigts.

« Elle maintient l'équilibre entre le jour et la nuit. C'est une étoile, à mi-chemin entre le soleil et la lune. »

Ce fut à ce moment qu'il remarqua l'étrange bracelet argenté serrant son poignet gauche. Il était certain de ne jamais l'avoir vue le porter auparavant.

« Ishtar, Sîn et Shamash. La pyramide, la lune et le soleil. Ça ne te rappelle rien ? »

Bien sûr que si, il s'en souvenait. C'était là les composants de la marque laissée par son père ; une pyramide renversée au-dessus de laquelle brillait un soleil, entourée par une couronne lunaire pointue...

« Ensemble, ces trois artefacts peuvent procurer un pouvoir certain. Mais s'il n'y en a que deux, tout ce qu'il peut faire est accélérer la régénération des cellules du corps, pour guérir.

– Tu veux dire que si tu avais le soleil, tu serais immortelle...? »

Elle haussa les épaules. Cela ne semblait pas réellement l'intéresser.

« Je voyage dans le temps, c'est un peu comme être immortelle, au fond, dit-elle simplement, sans plus relancer la discussion.

– Mais où est le soleil ? » demanda Raphaël, intrigué.

Il ne faisait plus l'ombre d'un doute qu'Hélène avait un lien profond avec l'organisation de Bonar et de Jean-François, qui étaient tout de même à la recherche d'artefacts babyloniens. Si Bonar n'avait été qu'un imposteur, et que, comme l'avaient stipulé des rapports d'enquête, le vol du tombeau de Napoléon s'était fait avec le corps de son occupant, alors il était très probable qu'ils tenteraient de le ramener à la vie. Et si ces trois artefacts pouvaient rendre immortel, Raphaël était certain que les membres de l'organisation devaient être à leur recherche.

« Il est en sécurité, loin d'ici » murmura Hélène, d'une voix brisée.

Elle croisa les bras ; le sujet était clos.

Elle se leva, et grommela en constatant que ses vêtements étaient tâchés de sang et de poussière.

« On passe vite-fait chez toi, fit-elle en allant vers l'est du musée. J'ai des trucs là-bas. »

Il la dévisagea, quelque peu interdit, avant de la suivre. À force, il commençait à s'y habituer.

Le soleil commençait à décliner alors qu'ils arrivaient à l'entrée de l'immeuble. Hélène réclama à nouveau qu'il entrât le code de l'interphone, et attendit patiemment devant la porte d'entrée les bras croisés.

Il attendit lui aussi.

Quelques instants passèrent.

Pourquoi attendaient-ils au juste... ?

Il vit la jeune femme porter lentement sa main droite à son visage. Ses longs doigts fins glissèrent le long de son nez fin, amenant sa douce paume à cacher l'expression d'irritation qui se dessinait progressivement.

« Ouvre. La. Porte. »

Elle décortiqua sèchement chacun de ses mots, en marquant bien un temps entre chacun d'eux.

Raphaël la regarda d'un air penaud, les mains dans les poches. Il se retenait de sourire, tant l'ironie de la situation était comique. Mais l'air sévère d'Hélène le faisait néanmoins hésiter.

« Je n'ai pas mes clés. »

Elle releva soudainement la tête, le fixant avec fureur. Elle avait beau être quelque peu faible suite à sa "régénération" –comment pouvait-il appeler ça, autrement qu'ainsi ?– elle ne se priverait pas pour autant de lui asséner un quelconque coup douloureux –ce qu'elle, par chance, ne fit pas. Elle se contenta de fixer la serrure du regard quelques secondes avant de soupirer, et de s'agenouiller afin d'avoir l’œil à la hauteur de la maigre fente. Elle retira son collier, et enleva le pendentif de la chaîne, et dévissa la petite boucle par laquelle passait la chaîne, transformant le simple bout de métal en minuscule crochet.

« T'as vraiment de la chance, grogna-t-elle en tentant de crocheter la serrure de son appartement. C'est franchement pas très sympathique de trafiquer un bijou aussi ancien juste pour ça. »

Et c'est pas très légal ce que tu fais, se retint Raphaël de rétorquer, même s'il l'autorisait à en venir à un tel recours.

La situation était digne des clichés hollywoodiens de la jeune femme parvenant à ouvrir la porte fermée à clé grâce à une épingle à cheveux, ou un quelconque bijou, afin de s'infiltrer dans un bâtiment auquel elle n'était pas censée avoir accès. Et étrangement, cela ne les dérangeait pas plus que ça –sûrement parce qu'ils avaient besoin d'entrer dans cet appartement.

Elle sourit lorsqu'un déclic lui indiqua qu'elle était parvenue à débloquer la serrure. La porte grinça lorsqu'elle la poussa en s'infiltrant dans l'appartement. Raphaël la suivit de près, en prenant soin de refermer la porte derrière eux. Par chance, aucun de ses voisins n'était passé par là, il aurait eu du mal à expliquer ce qu'il faisait là. Mais par chance rien ne s'était produit.

Hélène se rua vers la chambre vide de l'appartement, qui n'était autre que l'ancienne chambre de Raphaël, qu'il avait occupée pendant son enfance. Il avait décidé de s'installer dans celle de son père après avoir découvert l'existence de la cave secrète ; après avoir déplacé tous les meubles, il s'y était senti parfaitement bien, et avait pour de bon laissé la pièce déserte dans l'ombre. Il ne l'avait pas rouverte depuis quatre ans, à vrai dire.

Il entendit la rouquine grogner puisque l'ampoule ne fonctionnait plus, et avancer à tâtons dans l'obscurité, en poussant quelques jurons lorsqu'elle se heurtait à des meubles. Finalement elle en ressortit indemne, quoi qu'un peu poussiéreuse, quelques vêtements dans les mains.

« D'où tu sors ça ? demanda Raphaël, étonné qu'elle eût trouvé des affaires lui allant dans une pièce qui servait d'entrepôt de meubles depuis des années.

– T'y vas jamais, répondit-elle en haussant les épaules, comme si c'était tout à fait naturel. J'ai largement eu la possibilité de venir apporter quelques unes de mes fringues depuis le temps, en prévision de cas comme ça. »

Il soupira face à l'argument plus ou moins valide de la jeune femme, alors qu'elle l'abandonna pour s'enfermer dans la salle de bain, et troquer ses vêtements sales contre d'autres propres.

Il tenta de se remémorer l'ordre des événements de la journée de son passé. Il devait certainement sortir des Invalides à l'heure qu'il était, ce qui ne signifiait qu'une seule chose ; il était en route pour la Sorbonne. Il serait par la suite occupé à rechercher un livre aux archives, autrement dit, ils avaient bien plusieurs heures devant eux, trois ou quatre.

Raphaël s'autorisa une sieste ; il s'écroula sur son lit telle une baleine échouée sur la plage. La fatigue eut raison de lui, il s'endormit presque immédiatement.

*

« Raphaël... »

Il discernait une voix qui l'appelait. Il ne voyait rien, tout était noir.

Le silence était entrecoupé de battements, un tempo andante.

La voix l'appelait encore, plus distinctement. Il crut la reconnaître –était-ce bien Marie ?

Mais pourquoi était-elle empreinte de tristesse et de douleur... ?

Il voulut l'atteindre, la saisir, à travers cette obscurité oppressante.

« Raphaël. »

Le ton était moins doux, même bien plus sec. Vide de sentiments.

Ça n'était pas Marie.

« Réveille-toi. »

Il se senti secoué par une force le tenant fermement aux épaules. Cela eut pour effet de le réveiller ; la première chose qu'il vit en ouvrant les yeux fut une Hélène hors d'elle, assise à côté de lui sur son lit, qui enfonçait ses ongles dans la peau du rouquin. Il croisa ses yeux qui brûlaient de fureur. Lorsqu'elle vit qu'il était éveillé, et en pleine possession de ses capacités de réflexion, elle le lâcha et se leva. Elle s'adossa à la porte, et grogna quelques mots inaudibles en jetant un coup d’œil à l'extérieur de la chambre, avant de le fixer du regard.

« Il ne devrait plus tarder, dépêche-toi, il faut qu'on s'en aille, ordonna-t-elle sèchement, les bras croisés.

– Tu aurais pu me réveiller moins brutalement, fit Raphaël sur un ton tout aussi désagréable.

– Ça fait cinq minutes que je t'appelle ! s'offusqua Hélène en serrant les poings. Tu voulais que je fasse quoi ? »

Il secoua la tête ; il n'avait pas envie de répondre. Tout débat avec la jeune femme était voué à la stérilité, il l'avait bien compris. Et il devait encore tenir trois jours avec elle –quelle torture.

Il se leva avec difficulté de son doux lit moelleux –les bancs étaient franchement bien moins confortables, les couvertures lui manquaient déjà. Il massa sa nuque douloureuse, balancée dans tous les sens par le réveil forcé. Hélène allait finir par le tuer d'épuisement, c'était certain.

Il se permit de se passer un rapide coup d'eau sur le visage, croisant au passage son reflet dans le miroir, reflet qui le laissa un instant perplexe ; les cernes sur lesquelles se reposaient ses yeux étaient violacées, sûrement dues à ses courtes nuits de sommeil grâce à sa charmante compagne. Il était tout aussi pâle, vide d'énergie. Difficile de se reconnaître au premier coup d’œil.

Hélène l'appela une énième fois, d'un ton pressant. Il ne se fit pas prier, et essuya rapidement sa peau, avant de la rejoindre devant la porte d'entrée. Ils quittèrent l'appartement sans un bruit, aussi discrètement qu'ils y étaient entrés.

« Il est quelle heure, au juste ? demanda Raphaël alors qu'ils se dirigeaient vers le parc où ils avaient passé la nuit précédente.

– Il doit être deux heures. Il faut bien ça pour rentrer à pied depuis les archives. »

La jeune femme haussa les épaules.

« Ce que je comprends pas c'est pourquoi les archives sont ouvertes jusqu'aussi tard. Surtout qu'il y a énormément de gens qui y étaient, et y bossaient.

– Va savoir, soupira Raphaël. Peut-être que le soleil s'est couché anormalement tôt, et qu'il n'est que sept heures. »

Elle lui lança un regard désespéré, qui cependant lui ordonnait de se taire. Il n'eut qu'à croiser ces yeux assassins pour ressentir ce frisson glacial habituel glissant le long de sa colonne, et cesser toute tentative de blague douteuse. Il était clair qu'elle était exténuée, elle aussi.

« On va éviter parler de ces incohérences, parce qu'on en a pas fini » dit-elle afin de mettre un point final sur la discussion.

Ils retrouvèrent les deux bancs sur lesquels ils avaient dormi la veille, et s'y installèrent. Raphaël fixa longuement les étoiles au-dessus de lui ; il ne parvenait à trouver le sommeil, en partie à cause de la sieste dont il avait pu profiter pendant quelques heures, qui lui avait contre toute attente redonné un élan d'énergie.

De l'autre côté du chemin, à deux mètres à peine, Hélène faisait de même. Elle perdait dans le vague ses yeux bleus qui luisaient faiblement, en écho aux éclats argentés des astres suspendus au ciel noir. Deux éclats de saphir brisés, qui cherchaient quelque chose dans le firmament inatteignable. Ses sourcils haussés lui donnaient un air mélancolique, à moins que ce ne fût un air perdu. Cela expliquerait la raison pour laquelle elle ne détachait ses iris du dôme étoilé, elle désirait y trouver quelque chose. Mais quoi... ?

Raphaël resta longuement là, la tête tournée vers sa droite, à l'observer, et à penser.

"Qui était-elle ?" était une question qui lui revenait souvent. Il avait beau connaître son prénom, Hélène, ainsi que son âge, approximativement, cela ne l'avançait pas réellement. Il voulait en savoir plus sur elle ; quand elle était née, qui étaient ses parents, quel était son but dans tout ça.

Il semblait évident que son objectif était de permettre à Napoléon de remonter sur le trône. Mais il n'avait jamais été question de Napoléon –du vrai, tout du moins– mais de Léonard Bonar, l'imposteur qui travaillait avec Jean-François, et malheureusement pour le jeune homme, Isaac, son père. Hélène cherchait à laisser l'homme mégalomane à réaliser son coup d'état, grâce aux jardins suspendus de Babylone.

Mais Raphaël avait beau consulter le ciel, et faire appel à tous ses souvenirs des événements, jamais il n'avait été dit comment l'organisation de son père comptait procéder. Effrayer la population et le gouvernement grâce à cette arme massive et plutôt imbattable semblait être le moyen le plus logique.

Et Hélène dans tout ça ?

La manière dont ses yeux brillaient lorsqu'elle parlait de Napoléon, l'effroi qui l'emplissait à l'idée d'être écartée du projet, et la rage qu'elle montrait à l'égard de Raphaël lorsqu'il semblait manquer de respect à l'empereur, tout cela indiquait qu'elle croyait dur comme fer à sa résurrection, et à la possibilité d'un renversement du pouvoir qu'il mettait en place.

Cela ne faisait aucun doute, elle ne savait rien de la vérité. Elle avait été utilisée, on lui avait rabâché encore et encore les histoires d'un empereur révolu, à qui elle devait rendre sa gloire.

Ou bien était-ce cela aussi une mascarade ?

Raphaël fronça les sourcils. Cette fille... Il ignorait ce qu'elle avait derrière la tête. Elle était imprévisible, et il fallait admettre qu'il ne la connaissait qu'à peine. Peut-être avait-elle tout simulé dès le début. Peut-être savait-elle dès le départ qu'il leur avait été impossible d'empêcher la rencontre entre Marie et son passé, et que ça n'était en rien une erreur de sa part. Peut-être était-ce comme ce que l'on disait dans les romans de science-fiction, un de ces points bloqués dans le temps, qu'on ne pouvait changer, peu pouvait importer la raison.

« Hélène ? » appela-t-il doucement.

Un grognement à l'intonation interrogative lui parvint en retour de la part de la jeune femme.

« Les chrysanthèmes, c'était toi non ? »

Il l'entendit remuer ; il jeta un rapide coup d’œil dans sa direction, pour la voir se retourner, et le regarder. Il détourna immédiatement son regard, par peur de croiser celui de la jeune femme à travers l'obscurité.

« T'es encore là-dessus, alors que ça fait une éternité que c'est fini ? Tu peux pas passer à autre chose ?

– Alors c'était bien toi... »

Maintenant qu'il y réfléchissait, c'était évident. Qu'il eût été question d'une adolescente, serveuse dans un bar, ou d'une guitariste assise sur le rebord d'une fontaine, il avait toujours vu Hélène accompagnée de chrysanthèmes, de diverses couleurs.

« Ça symbolise la mort ces trucs-là, fit-il en se frottant les yeux. C'était un avertissement ?

– Ça veut pas dire ça. »

Elle était assise sur son banc, tournée vers lui. Elle ne regardait plus le ciel, mais le sol.

« Rouge, c'est l'amour passionnel. Rose, l'amour dont on connaît la fragilité. Blanc, l'amour pur...

– Tu n'as jamais laissé de blancs, murmura Raphaël avec ironie.

– Et jaune, c'est l'amour méprisé. »

Étrangement, hormis le tout premier bouquet, qui était d'un rouge remarquable, chaque autre chrysanthème qu'elle lui avait apporté avait été jaune. Cette remarque le fit frissonner. Cela n'annonçait rien de bon.

« En général, c'est l'éternité, aussi » acheva Hélène dans un souffle faible.

Elle se leva, commença à s'éloigner d'un pas tranquille.

« Où tu vas ? interpella Raphaël, s'inquiétant quelque peu à l'idée qu'elle l'abandonnât.

– Marcher, un peu. Me changer les idées. »

Il se retrouva bientôt seul à nouveau, sous les étoiles argentées brillant de mille feux, guettant le sommeil, ainsi que le retour incertain d'Hélène.


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