Quatorze Juillet

Chapitre 19 : - Partie II ~ Retourner vers le passé - - Chapitre XVIII -

3635 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:25

- Chapitre XVIII -

« Alors, tu as pu réfléchir ? »

Le son de sa voix le fit frissonner. Quelques instincts lui dictaient de ne pas faire confiance à ce ton amical et à ce sourire sympathique qui l'accueillaient à son réveil, accompagnés par une note douceâtre de café et de pâtisseries qui s'échappait de la cuisine.

Il se contenta de ne pas répondre, et de juste se servir un bol de café brûlant, avant de piocher un pain au chocolat encore chaud dans le lot.

« Bonjour à toi aussi » fit-elle avec ironie face au silence que le rouquin lui affichait.

Elle tira une chaise et s'assit à côté de lui au minibar, une tasse de thé fumante posée devant elle, qu'elle sirotait à quelques reprises. Parfois elle croquait un bout de croissant, sans grande envie.

« On est partis du mauvais pied, dit-elle en brisant le long silence qui s'était imposé.

– Sans blague ? Tu t'en es rendue compte depuis longtemps ? »

Elle ne releva pas le sarcasme de Raphaël, et mordit à pleine dents ce qui restait de sa viennoiserie.

« Écoute, commença-t-elle en finissant de mâcher, si tu veux pas m'aider, je le comprends. Mais t'as pas le choix, donc autant que ça nous soit pas trop désagréable, à l'un comme à l'autre.

– Tu me proposes de coopérer, sans me donner le choix ? »

Elle acquiesça.

« C'est pas comme si je pouvais refuser » maugréa-t-il avant de vider sa tasse d'un trait.

Elle lui afficha un grand sourire ravi.

« Ce n'est pas pour toi que je le fais, grogna Raphaël comme un rappel à l'ordre pour la rouquine.

– Je sais, soupira-t-elle, exaspérée par son attitude de rabat-joie. Merci pour cette précision. »

Il se leva brusquement, et s'en alla sans dire un mot, laissant sa tasse vide sur le comptoir.

Hélène le regarda retourner vers la chambre qu'elle lui avait laissée. Elle voulut le rappeler, mais se ravisa. Tant pis. Elle attendrait le temps qu'il faudrait. Il finirait bien par revenir vers elle à genoux, la suppliant de le laisser partir, et peu importeraient ses conditions. Il suffisait simplement qu'elle fît preuve de patience, bien qu'elle n'appréciât pas cela.

Elle saisit l'anse de sa tasse, puis celle de Raphaël, et les déposa dans l'évier. Une maigre marque de café gisait au fond de la tasse, encore chaude. Il s'était réellement hâté, constata-t-elle.

« Je vais faire un tour dehors, lui cria-t-elle afin qu'il l'entendît. Ne touche à rien. »

Elle n'avait pas spécialement envie de sortir ; elle voulait juste être seule dans un endroit tranquille où elle était sûre qu'il ne la retrouverait pas. Elle ouvrit la porte d'entrée boisée de son appartement et en traversa le seuil d'un pas pressé, en prenant soin de bien la refermer derrière elle.

*

/Musique pour la Tristesse de Xion

Sachiko Miyano & Hiroyuki Nakayama/

« Et donc ?

– Et donc voilà quoi. »

Elle jeta à pleine force un caillou dans les airs. Il plana quelques secondes, avant de descendre en piqué et de tomber dans l'eau avec la caractériel plouf qui se devait de l'accompagner.

« Il n'a rien dit de plus ?

– Il a pas l'air d'avoir capté, surtout. »

Elle en lança un autre. Le même scénario se produisit.

« C'est pas de ma faute s'il est con comme un pigeon et qu'il a réussi à tout faire foirer » ajouta-t-elle en faisant la moue.

Elle retourna quelques gravillons du bout de sa chaussure.

C'était à peine si elle voyait clairement le sol. Elle n'espérait pas trop que son interlocuteur se montrât en sortant de sa zone d'ombre non plus.

« Et toi alors, tu deviens quoi ? »

Changer le sujet de conversation pouvait certainement aider. C'était même la solution qu'il lui fallait.

« Une vie simple, loin de tout.

– Tu dois franchement te faire chier, hein » répliqua-t-elle en se baissant pour ramasser un petit galet perdu parmi les cailloux.

Il parut secouer les épaules. Elle devinait assez facilement ses réactions.

« On s'y habitue. C'est sûr que moi, j'ai du temps. »

Les lèvres de la jeune femme frémirent en retenant le sourire qui tentait de s'afficher.

« C'est toi qui l'a voulu » grogna-t-elle en balançant de toutes ses forces un caillou de la taille d'un œil qui vint percuter l'eau bruyamment au loin.

Il ne lui répondit plus. Elle crut un instant qu'il était parti et l'avait laissée seule.

« Je vais rentrer » annonça-t-il finalement d'une voix grave.

Elle tenta tant bien que mal de maîtriser son sursaut.

« Ils t'ont retrouvé ? »

La détresse dans sa voix la surprenait elle-même.

« Non. »

Soupir de soulagement.

« Je veux juste rentrer. J'ai des connaissances là-bas, et elles me manquent.

– Je vois » murmura-t-elle en reculant du bord de l'eau.

Alors elle allait se retrouver réellement seule. Il avait été la seule personne à s'être occupée d'elle, et bien qu'elle ait voulu d'innombrables fois couper les ponts entre eux, le savoir prêt à partir lui laissait un goût amer.

« C'est pas comme si on allait jamais se revoir, plaisanta-t-elle. Ils vont juste t'empêcher de sortir jusqu'à ta retraite.

– Qui est dans longtemps. »

Ça, elle le savait bien. Pourquoi lui avait-il rappelé ? Y penser lui infligeait la même douleur que plusieurs poignards plantés et arrachés à répétition. Prenait-il un réel plaisir à se moquer d'elle et à jouer avec ses sentiments ?

« Tu me promets que c'est la dernière fois que tu tenteras ? demanda-t-il doucement, d'un ton presque paternel.

– Comme si j'allais m'en tenir qu'à si peu d'essais. »

Elle jeta un dernier caillou. Il ne vola pas loin. Huit mètres, dix tout au plus.

Elle se retourna face à lui, et le fixa là où étaient censés se trouver ses yeux qui la fixaient dans l'ombre.

« J'y passerais des centenaires s'il le faut, ajouta-t-elle d'un ton des plus assurés, le poing serré. Cinq essais, ce n'est rien ! »

Il garda son silence pesant qui lui était propre.

« J'ai toute une vie, je peux m'en servir, moi ! Je ne finirai jamais comme toi, à attendre que mes jours passent, sans tenter quoi que ce soit pour le sauver !

– Hélène. »

Bien qu'il n'eût pas haussé le ton, sa voix était ferme, et l'avait immédiatement rappelée à l'ordre. Elle avait crispé ses poings alors qu'elle s'emportait contre lui ; elle avait alors complètement desserré la pression.

« Tu ne sais pas de quoi tu parles, murmura-t-il sur un ton plus doux et posé.

– Parce que toi tu le sais ? » rétorqua-t-elle avec froideur.

Nouveau silence.

Alors elle comprit.

Elle comprit à quel point elle avait été sotte de croire à ces fantaisies.

« Combien de fois ?

– J'ai arrêté de compter. Puis quand j'ai compris que je n'y pouvais rien, j'ai abandonné. »

Il était encore plus distant qu'à l'habitude. Cela lui fit froid dans le dos.

« Et c'était qui ?

– Quelqu'un à qui je tenais plus que ce que j'aurais pu penser. »

Elle baissa la tête. Cette personne devait réellement compter pour lui.

« Je compte sur toi pour t'en rendre compte assez rapidement. Tu ignores les conséquences que ça peut avoir sur toi.

– Je m'en fiche. »

Elle n'avait pas l'habitude de lui tenir tête. Mais elle était décidée à s'en tenir à ses plans.

« Je ne suis pas comme toi » acheva-t-elle en tournant les talons et en s'éloignant de lui.

Derrière elle, le soleil commençait à se lever.

*

Dès qu'il entendit la porte d'entrée s'ouvrir, Raphaël comprit que c'était Hélène qui revenait d'une quelconque promenade. Il ne vint pas pour autant à sa rencontre ; il préférait repousser le dialogue au plus tard possible.

Mais il semblait qu'elle en avait décidé autrement, puisqu'elle vint frapper à la porte de la chambre où il s'était enfermé.

Il ne l'invita pas à entrer, elle le fit d'elle-même.

« Il faut qu'on parle.

– Combien de fois tu m'as dit ça pour au final ne pas parler du tout ? » grogna-t-il en croisant les bras.

Il s'adossa à l'armoire, tandis qu'elle s'assit sur le lit.

« Cette fois c'est différent, soupira-t-elle. Écoute ce que j'ai à te dire. »

Il se renfrogna, mais la laissa tout de même s'exprimer.

Elle sembla chercher ses mots un instant. Mais rapidement, elle annonça d'un ton froid, détaché, de la même manière que l'on annonçait une vérité habituelle, comme « il pleut » ou bien « le ciel est en haut et la terre est en bas ».

« Au cas où tu ne l'aurais pas encore compris, je peux voyager à travers le temps. »

Elle fit une pause, le fixa d'un air des plus sérieux.

« Ça peut paraître absurde, mais c'est la réalité.

– Ça, j'avais compris. Tous ces airs de déjà-vu, ou même revenir au jour où mon père m'a abandonné, ça n'indiquait que ça. »

Elle lâcha un soupir de soulagement. Au moins il acceptait la vérité.

« Même si j'ai du mal à croire à ça » ajouta-t-il.

Peut-être pas finalement, pensa Hélène en se mordant l'intérieur de la joue afin de ne pas s'emporter.

« Comment ? » demanda-t-il simplement.

Elle inspira profondément. Comment expliquer ça avec des mots simples ?

« Tu vois l'armoire à vaisselle ? Dans le salon ? »

Il acquiesça.

« C'est le panneau de commande. De là je programme la date, l'heure et le lieu. Puis j'enclenche tout le bidule, et le truc actionne un machin qui– »

L'air blasé qu'affichait le rouquin la dissuada de s'aventurer davantage dans une explication impossible.

« Puis j'ouvre la porte et voilà. »

Il ne dit rien. Il se contenta de la fixer intensément du regard. Elle allait bien finir par craquer et lui avouer que ça n'était qu'une mise en scène.

« Tu ne me crois pas, pas vrai ?

– Absolument pas.

– Je m'en doutais. »

Elle se leva, et sortit de la chambre. S'il refusait de prendre conscience de la réalité, elle allait le laisser se bercer dans ce monde fantastique dans lequel il vivait. Puis lorsque sa bulle éclaterait, il serait perdu, et n'aurait d'autre choix que de la suivre et l'écouter.

« Attends ! »

Elle se retourna. Il venait vers elle.

« Tu viens du futur, pas vrai ?

– Qu'est-ce qui te fait dire ça ? »

L'intonation de sa voix ne trahissait aucune émotion. Raphaël douta un instant, mais poursuivit tout de même.

« Tu me parais bien trop sûre de toi, comme si tout s'était déjà passé, que tu savais tout. »

Elle retint un rire moqueur, ce qui le laissa comprendre qu'il s'était trompé.

« Je te montrerai peut-être un jour. Mais ce n'est pas ça du tout, fit-elle en s'en allant en direction du salon.

– Montre-moi maintenant. »

Elle soupira.

« J'ai pas envie de gaspiller un tour juste pour te montrer la synchro.

– Juste une fois » supplia-t-il.

Nouveau soupir.

« En vrai t'en as déjà vu une. Quand je t'ai renvoyé au jour où ta copine s'est fait tuer. Je t'ai synchronisé avec ton toi de cette époque. »

Il sembla réfléchir un instant. Une réelle réflexion qui étonna Hélène, puisqu'elle jugeait une telle concentration impossible chez un tel concentré de stupidité que celui qu'il était.

« Le moi plus vieux s'est synchronisé avec le moi du passé, en conservant les souvenirs d'une époque qui n'a au final pas eu lieu ? demanda-t-il en se tenant le menton de la main droite.

– C'est un des moyens de voyager dans le temps. Le plus sûr, qui empêche les paradoxes » dit Hélène en s'approchant de l'armoire à vaisselle –le poste de commande de sa machine temporelle.

Raphaël se contenta d'acquiescer. Il semblait comprendre, finalement. Peut-être était-il un tantinet intelligent, en définitive.

« D'où tu as une machine à voyager dans le temps ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.

– Mon tuteur la possédait avant. Il me l'a laissée. »

Elle sembla pianoter quelque chose, avant de tirer un levier ou deux et d'appuyer sur divers boutons.

« Mais tout de même... »

Allons bon. Quoi encore ?!

« Quelque chose me chiffonne avec tout ça. »

Elle lâcha un soupir bruyant et agacé.

« C'est juste impossible que tu puisses avoir une machine à voyager dans le temps. Ça n'existe pas. »

Elle en avait assez. Elle s'était suffisamment retenue, et puisqu'il persistait à remettre en question sa vérité, il fallait la lui faire fermer une bonne fois pour toutes.

« Tu as vu une putain d'arme destructrice pouvant contrôler la neige et la foudre –et j'en passe ! Et c'était les jardins suspendus de Babylone ! Tu crois vraiment que c'est impossible de traverser le temps !? »

Il voulut répliquer. Mais à défaut d'arguments, il se résigna.

« Choisis un moment. N'importe lequel. Je vais te montrer que je ne te raconte pas n'importe quoi. »

Il leva un sourcil, intéressé par l'étendue des possibilités qui s'offraient à lui. Quelle époque allait-il bien pouvoir choisir ?

« J'ai bien envie de voir mon futur, lança-t-il en souriant. Savoir si je vais vivre avec Marie, comment sera notre vie, si on aura des enfants, ce genre de choses. »

Hélène voulut se frapper à répétition le crâne contre un mur tant la stupidité de cet abruti l'agaçait. Comment était-ce possible d'être un tel crétin !?

« Je ne peux qu'aller dans le passé. Trop de variables pour un futur aussi instable que le tien. »

Cette remarque éveilla la curiosité de Raphaël. Instable ? En quoi un futur pouvait-il être instable ?

« Et connaître son avenir ça craint. Ceci dit, spoiler, tu meurs à la fin. »

Elle ferma les portes du placard, et s'installa dans son siège. Raphaël fit de même en face d'elle.

« Mais si tu veux je peux te raconter ce qui va t'arriver, ajouta-t-elle avec malice. C'est pas joli à entendre, mais au moins tu seras fixé.

– Non merci. »

Elle soupira. Ce gars-là changeait d'avis comme il respirait.

« Enfin bref. Quand tu te seras décidé, je te montrerai que tout ça est bien réel. »

*

Il faisait nuit. Et un peu frisquet.

C'était une de ces nuits où la lune brillait au-delà des quelques nuages sombres qui lui passaient devant d'une lueur pâle et froide.

Aucun son ne venait perturber le silence de plomb qui régnait. Pas même le bruissement du vent qui soufflait entre les branches. Pas même les feuilles qui s'agitaient sous cette brise.

C'était une de ces nuits où, malgré cette impression d'être une nuit comme les autres, quelque chose la rendait différente.

Et ça n'était pas sans compter sur le grincement d'une porte qui dérangea la tranquillité sur laquelle veillait la lune.

Deux silhouettes en sortirent. Deux jeunes personnes.

L'une avança prestement à quelques mètres de distance de l'autre, qui resta pantois face au panneau de bois qui s'était refermé derrière eux.

« Là où il y a la route, c'est là que sont censées être les chambres de ton appartement ! »

Les nuages cessèrent leur course dans le ciel, le vent cessa de souffler. Quelqu'un avait osé troubler le silence argenté.

« Hélène, j'hallucine pas, dis-moi qu'il y a un truc ! »

La jeune femme leva les yeux au ciel. Un geste d'exaspération qui trahissait ouvertement son impatience et l'agacement que lui provoquait le rouquin.

« Je te l'ai dit et répété, grogna-t-elle en tapant du pied contre l'asphalte. Ça crée une porte vers une autre époque, un autre lieu. L'appartement est là, sans être là. »

Il voulut saisir la poignée et tenter de rouvrir la porte par laquelle ils étaient arrivés. Elle s'empressa de le retenir, en le saisissant par le col, et en le tirant d'un coup sec vers l'arrière. Il manqua de trébucher, mais reprit rapidement son équilibre. Comme ce à quoi elle s'attendait, il lui jeta un regard noir lorsqu'il se retourna dans sa direction.

« Allons-y » lança-t-elle sans attendre un instant de plus.

Il la suivit sans rechigner ; après tout, c'était lui qui avait demandé à se retrouver là.

« On est où, exactement ? demanda-t-il en accélérant le pas afin d'être au même niveau qu'elle.

– C'est toi qui me l'a réclamé et tu as déjà oublié ?

– Je ne sais pas quel jour exactement c'était, se défendit-il. J'étais tout petit, je ne m'en souviens pas clairement. »

Hélène retint un grognement de mécontentement. Alors qu'elle accélérait le pas, elle énonça clairement ce à propos de quoi il devait être au courant.

« On est le 26 juillet 1993. Tu es né il y a pratiquement un mois, voilà pourquoi tu ne t'en souviens pas. Et aujourd'hui, comme tu le sais si bien, c'est le jour où–

– Ma mère est morte, souffla Raphaël avec un nœud dans la gorge.

– Exactement. »

Ils firent plusieurs mètres dans un silence uniquement perturbé par le claquement des talons de la jeune femme contre le goudron.

« Si ce que tu vois est bien réel, alors tu devras admettre que j'ai raison, et tu me suivras sans faire d'histoire. C'est le deal. »

Il acquiesça silencieusement. Il regrettait déjà amèrement d'avoir choisi de voir ce jour. Cela avait été comme une révélation.

Cependant, il ignorait jusqu'à présent qu'il avait été si jeune lorsque sa mère les avait quittés. Cela lui fit froid dans le dos.

« Nous y voilà. »

Elle l'avait mené jusqu'à l'appartement de son père. Son appartement. Rien n'avait changé depuis, peut-être juste une ou deux façades qui avaient disparu avec les années.

Mais la porte de l'immeuble était bien la même. L'immeuble était bien le même. Rien n'avait changé.

Hélène lui fit signe de s'approcher de la fenêtre qui donnait sur la chambre de son père –la sienne à présent. Il se glissa près du mur, et épia l'intérieur de l'appartement.

Il discerna deux silhouettes. Il reconnut facilement celle de son père ; il avait toujours été aussi grand et fin. Bien que les voyant surtout à contre-jour, il remarqua ses cernes, qui l'avaient apparemment toujours suivi. Son regard se posa plus longtemps sur sa mère, une jeune femme d'une vingtaine d'années. Ses cheveux bruns coupés au carrés dansaient à chaque mouvement que faisait sa tête. Elle avait beau avoir donné naissance à Raphaël quelques semaines auparavant, elle n'en restait pas moins svelte. Il avait du mal à croire qu'elle allait bientôt...

Non, il fallait se reprendre.

« Si tu ne veux pas voir, on peut partir » murmura Hélène sans détourner le regard.

Il refusa poliment. Il avait toujours voulu savoir ce qui s'était passé ce jour-là.

Elle lui donna un léger coup dans les côtes afin d'attirer son attention. Il se passait quelque chose.

La fenêtre insonorisée les empêchait d'entendre quoi que ce fût, mais ils devinaient aisément qu'une grosse dispute avait lieu. Celui qui criait le plus était sans conteste Isaac ; pour une raison qui leur échappait, il faisait de grands gestes, il était vraiment hors de lui.

Et malgré cela, la mère de Raphaël se défendait, et ripostait. Elle semblait fermement lui tenir tête, même si les larmes qui coulaient sur ses joues montraient que le cœur n'y était pas.

Ses lèvres formaient souvent les mêmes syllabes, encore et encore.

Raphaël

« Ils se disputent à cause de moi...? souffla-t-il. Pourquoi ? »

Hélène lui ordonna de se taire.

Il se figea.

Isaac venait d'empoigner sa mère par les épaules, et la tenait fermement. Elle pleurait, et se débattait du mieux qu'elle le pouvait. Puis soudainement, elle cessa tout mouvement. Ses bras glissèrent le long de son corps, sa tête bascula en arrière. Elle ne répondait plus.

« Qu'est-ce qu'il lui a–

– Tais-toi un peu ! » coupa Hélène en se retenant de le frapper, et en gardant tout son sang froid.

Il voulut frapper à la vitre, la casser, faire n'importe quoi tant qu'il pouvait entrer et tenter de la réveiller. Hélène le retint, plongeant son regard bleu et sérieux dans le sien.

« On ne peut rien y faire, gronda-t-elle en retenant toute sa colère. Si tu te montres, tu pourrais complètement changer ton futur. »

De l'autre côté de la fenêtre, Isaac secoua doucement la femme dans une tentative de la faire réagir. Il cria, encore. Il la fit s’asseoir sur le lit, se mit à faire les cent pas.

« Qu'est-ce qu'il lui a fait !?

– Comment veux-tu que je le sache ?! »

Elle lui asséna une claque mordante.

« On peut encore faire quelque chose ! Remonte le temps, reviens à un peu plus tôt, on peut la sauver !

– On ne peut pas ! »

Le cri d'Hélène était tremblotant. Ce ne fut qu'à ce moment-là qu'il remarqua qu'elle tremblait de tout son corps. Une terreur indescriptible s'affichait dans ses yeux.

« C'est trop tard » murmura-t-elle en le lâchant, et en regardant à nouveau vers l'intérieur de l'appartement.

Quelque chose stoppa Isaac. Elle le vit se diriger vers un landau, et en sortir un nourrisson qui pleurait de toutes ses forces.

Il eut un mouvement de recul et une moue de dégoût. Pourtant, il le berça dans ses bras, et tenta de le consoler.

Lorsqu'il releva la tête vers la fenêtre, il aperçut deux figures qui l'épiaient. Il s'approcha de la fenêtre, mais lorsqu'il l'ouvrit, les deux figures avaient disparu.


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