Quatorze Juillet

Chapitre 18 : - Partie II ~ Retourner vers le passé - - Chapitre XVII -

2773 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:23

- Chapitre XVII -

Dès que son prénom avait retenti dans la pièce, elle s'était calmée.

Elle avait ôté le canon du revolver de la tempe de Raphaël, et avait déchargé l'arme, avant de la ranger dans son holster, dans son dos.

Puis elle avait croisé les bras, et s'était mise à l'observer avec satisfaction.

« Donc tu te souviens de ça » sourit-elle d'un air songeur.

Il ne put qu'acquiescer. Il ne comprenait pas plus ce qui s'était passé.

« Tu te souviens de l'appartement aussi ? »

Il hocha à nouveau la tête.

« Je vois. »

Elle se déplaça, et commença à faire les cent pas dans le salon.

« Il y a autre chose dont tu te souviens ? »

Il secoua la tête de gauche à droite. Voilà qu'il perdait l'usage de sa parole.

« Tu peux parler tu sais » se moqua-t-elle.

Quelle ironie.

« Et tu peux t'asseoir aussi. Tu vas finir par avoir mal à force de te crisper contre ce mur. »

Elle souriait. Gentiment.

« Il y a de tout dans la cuisine. Va te faire du café, ça va être long. »

Sitôt avait-elle fini sa phrase, elle se jeta dans un fauteuil. Les jambes croisées, le coude posé sur l'accoudoir et la joue collée à son poing, elle attendait qu'il fît quelque chose. Et son sourire s'allongea lorsqu'il se dirigea avec hésitation vers un placard pour en sortir une tasse, qu'il remplit de café brûlant.

« Tu vois, c'était pas compliqué ! » rit-elle d'un ton jovial.

Elle lui fit signe de s'asseoir en face. Il ne broncha pas.

La boisson chaude lui revigorait l'esprit. Tant mieux, car il en avait grand besoin.

« Si tu as des questions à poser, vas-y.

– Hélène... c'est ça ? »

Elle soupira.

« Heureusement que t'y mets l'intonation, j'aurais jamais su à la syntaxe que c'était une question, fit-elle avec détachement.

– Désolé... » murmura-t-il en avalant une autre gorgée.

Tout cela n'avait aucun sens.

« Quoi qu'il en soit, oui. Je suis Hélène. »

Il l'observa avec de grands yeux interrogateurs.

« Tu t'attendais à quoi ? À un titre qui en jette, genre duchesse ou princesse ? s'exclama-t-elle d'un air faussement agacé. Désolée si je ne joue pas dans cette cour ! »

Elle partit dans un fou rire. Au moins, elle avait de l'humour. Et il devait admettre qu'il n'avait pas pu réprimer ce petit sourire qui s'était formé sur ses lèvres.

« Enfin bref, fit-elle en se reprenant soudainement. Autre chose ?

– Où est-ce qu'on est ? »

Elle se massa doucement les tempes, montrant de ce simple geste qu'elle allait avoir énormément de choses à expliquer.

« On est chez moi, commença-t-elle doucement. C'est mon QG, le point de départ de chacun de mes mouvements. »

Cela devait alors être un grand honneur de se retrouver dans le repaire de son ennemie songea Raphaël, avant de se rendre compte qu'il n'était pas forcément chanceux d'être là. Après tout, il ignorait exactement se situait cet appartement, et de fait, il ignorait comment rentrer chez lui. Il était complètement vulnérable.

« Parlons plus sérieusement, veux-tu ? »

Elle décroisa ses jambes, et se pencha vers lui. Elle avait froncé les sourcils, un air grave s'était dessiné sur son visage.

« Il faut que tu m'aides. C'est primordial.

– Pourquoi moi ? »

Elle inspira un grand coup. Cela ne présageait rien de bon.

« Je déteste formuler ça comme ça, mais j'ai besoin de toi. »

Il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. Cela l'étonnait, en effet. Elle l'avait tellement malmené et semblait tellement le détester, il parvenait difficilement à croire qu'elle eût, en aucun cas, l'extrême nécessité de son aide dans ses projets, aussi fous pussent-ils être.

Il croisa le regard assassin qu'elle lui jetait. Il reprit immédiatement son sérieux.

« Désolé, murmura-t-il rapidement.

– Tu es l'élément central du plan, reprit-elle en passant une main nonchalante dans ses cheveux roux. À cause de toi, je suis obligée de m'allier à toi.

– Et pourquoi ? »

Elle le fixa intensément de ses yeux bleus.

« Tu dois me répondre franchement. Te souviens-tu de moi avant ces derniers jours ? »

La question le laissa perplexe. Bien sûr que non !

« Quand tu étais petit, par exemple ?

– Non. Et même si je m'en souvenais, comment ça serait possible ? On a à peu-près le même âge.

– Tu marques un point. »

Elle se leva soudainement, et lui ordonna de rester là où il était, avant de quitter l'appartement par la porte d'entrée.

Il la regarda sans comprendre, et attendit.

Face à sa tasse vide, il alla se resservir, avant de retourner à sa place. À peine avait-il commencé à siroter son café au lait qu'elle apparut dans l'entrée. Elle claqua la porte, et reprit position face à lui.

« Et là ? demanda-t-elle. Tu te souviens de moi ?

– Évidemment, répondit-il en haussant les épaules. Tu venais souvent, pour discuter avec mon père, avant qu'il disparaisse. T'avais l'air bien plus sympa à l'époque qu'aujourd– »

Il se figea. Était-il en train de rêver !?

Elle acquiesça. Lisait-elle dans ses pensées !?

« Comment ?! s'étrangla-t-il en manquant de lâcher la tasse brûlante. T'as pas vieilli depuis !

– Vois comment tu es déjà plus ouvert avec moi. Tu me parles comme à une vieille amie. »

Elle souriait. Ça n'était donc qu'un jeu pour elle !?

« Il se trouve que, pour moi, ce souvenir qui date d'il y a quatre ans chez toi, vient tout juste de se passer.

– Tu déconnes... »

Elle secoua la tête. Elle semblait passer un agréable moment, à le faire tourner encore plus en bourrique que d'habitude.

« Comment tu expliquerais ça autrement ? Tu n'as pas d'autre choix que de me croire. »

Malgré l'irréfutabilité de la chose, il continuait à y chercher une explication soit disant rationnelle ou plausible. Comment pouvait-on être aussi stupide ? Elle avait du mal à le comprendre.

« Je peux te montrer » ajouta-t-elle en se levant et en prenant la direction de la porte d'entrée.

Il se leva à son tour, prêt à découvrir ce qu'elle lui réservait.

Elle qui l'avait trouvé bien trop absent et mollasson jusque là, elle n'en fut que trop ravie de retrouver cette lueur de défi qui brûlait dans son regard. Il était retourné à son état normal, c'était le vrai Raphaël, curieux, aventurier, et à l'excitation équivalente à celle d'un gamin ; celui qui s'était endormi et dont elle avait attendu le réveil avec impatience.

« Derrière cette porte se trouve la réponse à toutes tes questions » souffla-t-elle en tournant la poignée, et en tirant la porte vers elle.

*

Il faisait froid.

Malgré son manteau d'hiver, il ne pouvait s'empêcher de grelotter. Certes, il venait à peine de courir, mais cela n'avait en rien suffit à le réchauffer.

Et par dessus tout, il était perdu.

Il avait couru pour le rattraper, mais il ne l'avait pas attendu. Il s'était à peine retourné pour lui adresser quelques mots.

« Pardonne-moi, Raphaël » lui avait-il dit avant d'entrer dans cette voiture noire et de disparaître au loin dans l'hiver.

À présent, il était seul. Pour de bon.

Un petit éclat lumineux attira son regard vers le sol, où il découvrit, partiellement recouverte de flocons de neige, une pièce au moins deux fois plus grosse qu'une pièce de deux euros, où étaient gravés d'étranges symboles.

Il savait que ça n'était pas un hasard s'il l'avait trouvée. Son père la lui avait laissée, il en était certain.

Il prit le chemin qui le mènerait à son appartement, en traînant quelque peu des pieds. Il ne vit pas la marche du trottoir, et manqua de s'écrouler au sol. Mais une jeune femme le rattrapa presque immédiatement, lui évitant une chute certainement douloureuse.

Il bredouilla quelque remerciement gêné, en levant la tête afin de dévisager sa bienfaitrice. Elle ne semblait pas avoir froid, malgré les vêtements d'été qu'elle portait.

Elle porta sur lui un regard réconfortant, et lui sourit. Une vague de chaleur l'emplit, alors qu'il lui rendait timidement son sourire, avant de reprendre son chemin.

« Alors, tu me crois toujours pas ? » lança-t-elle sur un ton moqueur et amusé.

Juste à côté d'elle se tenait un Raphaël grelottant, qui regrettait amèrement de n'avoir mis qu'une chemise d'été ce jour-ci. Des volutes blanches s'élevaient de ses lèvres à chacune de ses expirations. Il ne pouvait parler tant le froid le pétrifiait.

« Allez, rentrons » fit-elle en le dirigeant vers la porte d'entrée d'un magasin.

Il la suivit sans hésiter.

Enfin, il fallait admettre qu'il avait bien hésité un instant en voyant l'enseigne d'une charcuterie, et l'appartement de sa comparse qui apparaissait juste derrière la porte ouverte à la place de la boutique en question.

Elle lui saisit le bras et le força à entrer. Sitôt avait-il posé un pied à l'intérieur, la chaleur lui fit tout oublier de cette froide journée d'hiver à laquelle il venait de retourner.

Mais les questions demeuraient.

« Qu'est-ce que tout ça veut dire ?! » demanda-t-il avec colère et effroi.

Oui, colère et effroi. Effroi car il état face à l'inconnu, à quelque chose qu'il ne pouvait aucunement expliquer. Et colère car il refusait de se montrer faible face à cette fille qui jouait avec lui. Et il en avait assez.

Elle s'était volatilisée un instant pour reparaître avec deux tasses pleines à la main. Elle lui en tendit une ; il constata un sachet de thé qui y infusait.

« Maté, thé vert et citronnelle, annonça-t-elle alors qu'il saisissait la boisson brûlante. Ils appellent ça "Detox", c'est le nom qu'ils ont donné au mélange. »

Elle s'installa confortablement dans son siège, et le regarda avec une forme d'incompréhension et d'amusement qui lui était propre.

« Je t'ai mis un demi-sucre, si c'est ce qui t'inquiète le plus dans tout ça. »

Elle souffla un peu sur son thé afin de le faire quelque peu refroidir, avant de tirer sur la ficelle et de faire sortir le sachet imbibé et brûlant. Elle l'essora afin de le vider de son eau, et le posa sur la table.

Raphaël fit de même, et vint se positionner face à elle. Néanmoins, il ne toucha pas à la boisson. Trop de choses s'accumulaient, il saturait.

« À quoi ça rime tout ça ? cria-t-il, furieux de ne pas comprendre.

– Tu le sais très bien. Tu refuses juste de l'admettre » rétorqua-t-elle en le défiant du regard.

Elle but une gorgée ou deux du doux mélange, et lui lança un regard amusé, mais néanmoins sérieux.

« Fais-toi une raison, ajouta-t-elle en gardant un calme qui l'étonnait elle-même.

– Mais là c'est pas possible ! »

Il se leva, et se lança dans une ronde de cent pas. Il se tenait le menton dans la main droite ; malgré toutes ses tentatives pour expliquer ce à quoi il venait d'assister, aucune ne parvenait à tout excuser.

« On ne peut pas voyager dans le temps !

– Et pourtant... »

Sa voix se fondit en un murmure duquel émanait une certaine empreinte de regret. Mais elle se ressaisit rapidement ; Raphaël se demanda s'il n'avait pas rêvé.

« Comment tu expliquerais ce à quoi tu viens d'assister ? Ce n'était pas une hallucination, c'était bien trop réel, n'est-ce pas ? »

Il refusait de lui donner raison. C'était inacceptable.

« Il faut bien que tu comprennes que certaines choses doivent être acceptées, soupira-t-elle en contemplant le fond de sa tasse vide en faisant remuer les quelques restes de boisson et en observant les vestiges de marc d'un air détaché. Comme le fait que ton père t'ait abandonné, ou bien que l'on ait pu assister à cette scène. »

Elle jeta un rapide regard en sa direction, du coin de l’œil. Voilà qu'il devenait fou. C'était bien sa veine.

« De toute façon tu n'as pas d'autre choix que de te résigner, conclut-elle brièvement.

– Tu n'es pas sérieuse...!

– C'est vraiment ton seul argument ? Il faudrait que tu innoves » soupira-t-elle avec agacement et déception.

Elle posa la tasse, et croisa les bras.

« D'ailleurs, je peux t'en montrer bien plus, suggéra-t-elle avec toujours autant de détachement. Dis-moi à quand tu veux te rendre et je m'en occupe.

– Non merci.

– T'as peur que ça te ravive des vieux souvenirs ? » lança-t-elle sur un air moqueur.

Il voulut l'empoigner au col et lui administrer une claque ou deux. Mais il se ravisa ; ce n'était pas son genre de s'emporter autant, et encore moins de frapper les autres. Par ailleurs, elle était encore certainement armée, et donc pouvait aisément se défendre, voire lui rendre la pareille.

Il lâcha un soupir d'hésitation.

« J'ai besoin de temps pour réfléchir à tout ça.

– On a tout notre temps... »

Elle afficha un large sourire amusé, presque narquois.

*

Il fallait l'admettre, il ne savait quoi en penser.

Combien de temps avait-il passé à se tourner et se retourner dans les draps, cherchant le sommeil sans pouvoir le trouver, constamment harcelé par ses pensées ? Il avait cessé de compter les heures.

Elle lui avait gentiment ordonné –était-ce seulement possible d'ordonner gentiment quelque chose ?– de s'installer dans la chambre supplémentaire dont disposait son appartement. Sa méfiance l'avait mené à fouiller de fond en comble l'endroit à la recherche de–

À la recherche de quoi, d'ailleurs ?

Maintenant qu'il y repensait, il ignorait ce qu'il craignait d'elle. Peut-être des pièges. Mais ç'aurait été stupide, elle avait besoin de lui, comme elle le répétait si bien. Pourquoi donc le piéger ?

Il soupira. Il devenait paranoïaque. Ou bien était-ce normal de réagir ainsi dans ces circonstances ? Il n'était plus sûr de lui.

Il inspira profondément une énième fois. Il n'avait ni réveil ni téléphone pour lui indiquer l'heure. Et dans le noir absolu de la pièce, il ne pouvait discerner les aiguilles de sa montre. Il soupira.

Il ne cessait de repenser à ce qu'il avait vu. Il s'était vu, lui-même, ce jour d'hiver quatre ans auparavant, où son père l'avait laissé seul, parti pour rejoindre Bonar et Jean-François dans leur plan insensé, et pour n'en jamais revenir. Il avait le vague souvenir d'avoir croisé quelqu'un ce jour-ci, sur le chemin, en rentrant chez lui. À présent, il se remémorait un peu plus des traits de cette personne. Et il fallait bien l'avouer, même si cela le répugnait, que cette femme, ce jour-ci, était Hélène.

Hélène.

Ce prénom le dérangeait. Il avait le sentiment de toujours l'avoir su, mais il sonnait bizarrement à ses oreilles, à la manière d'une note ni juste ni complètement fausse, simplement légèrement trop haute ou trop basse. Quelque chose le faisait tiquer, et il ignorait quoi.

Peut-être n'était-ce rien, après tout ?

Peut-être bien.

Il tenta de trouver le sommeil une énième fois, en chassant l'adolescente de ses pensées. Mais quoi qu'il fît, elle revenait à la charge, déterminée à l'empêcher de se reposer.

Il songea à Marie. Quand l'avait-il vue pour la dernière fois ?

La veille. Ou du moins ce qui s'y apparentait. Avant qu'Hélène n'arrivât et ne vînt le menacer et kidnapper.

Il espéra que là où elle se trouvait, elle était saine et sauve, et à l'abri de l'adolescente.

Et qu'elle s'occupe de Fondue, pensa-t-il subitement, s'étonnant de ne pas s'être inquiété pour son compagnon plus tôt.

Il était vraisemblablement dépassé par les événements. Cela ne présageait vraiment rien de bon...

Il vit par le pas de la porte un brin de lumière provenant de la pièce principale. Quelques maigres bruits étouffés lui parvenaient. Ce ne pouvait être qu'Hélène, sûrement elle aussi prise d'une insomnie.

Il voulut se lever et la rejoindre, afin de discuter. Mais son corps refusa de bouger, comme s'il présageait ce qui allait se produire.

Il entendit le bruit des pas de la jeune femme qui venait vers la porte de sa chambre. Il vit une ombre prendre forme au seuil de la pièce –ombre qui ne bougea pas.

Puis, après un long moment, elle s'en alla discrètement, sans le moindre bruit, sans la moindre parole.

L'appartement replongea dans l'obscurité.

Lorsque Raphaël rouvrit les yeux, il faisait jour.


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