Quatorze Juillet

Chapitre 17 : - Partie II ~ Retourner vers le passé - - Chapitre XVI -

2573 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:20

- Partie II ~ Retourner vers le passé -

- Chapitre XVI -

« Est-ce que les miracles existent ? »

C'était une question récurrente qui traversait à de nombreuses reprises ses pensées.

Oui, est-ce que les miracles existent ?

La réponse était simple. Elle n'avait jamais changé. Toujours la même réponse.

Non, les miracles n'existent pas.

Ce n'était pas envisageable que cette règle immuable pût soudainement changer.

Tout comme on ne pouvait empêcher le soleil de se lever, les miracles ne pouvaient pas se produire.

*

La pièce était sombre, et pas le moindre rayon de lumière ne perçait les ténèbres.

Où est-ce que je suis... ?

Raphaël avait beau cligner des yeux, ou encore les plisser, il ne voyait rien.

Il sentait qu'il était couché sur un coussin, un divan certainement. Moelleux et doux. Était-ce là où sa chute l'avait conduit ? Quelle chance, de tomber sur un canapé après être tombé d'aussi haut. Quelle improbabilité, surtout.

Il ne comprenait néanmoins comment cela avait été possible.

Il avait vu la porte. Il avait vu qu'elle avait disparu. Et qu'elle avait reparu dans son dos.

La physique ne permettait pas quelque chose de tel.

Il entendit un déclic d'un interrupteur. La lumière jaillit de partout.

« Bienvenue chez moi » lança une voix semi-enjouée, semi-blasée à son attention.

Il reconnut aisément la personne qui l'avait poussé ici.

En se mettant sur pied, il remarqua qu'il connaissait déjà l'endroit. C'était l'appartement où elle l'avait emmené, lorsqu'elle avait tué Marie. C'était donc bien là qu'elle vivait. Mais comment était-il arrivé ici ?

« Y a une chambre de vide au fond. Tes affaires y sont déjà. Fais comme chez toi. »

Elle se dirigea vers la cuisine, et alla se servir un verre d'une couleur étrange, et d'une consistance pas réellement liquide. Elle ingurgita le tout d'un cul sec satisfaisait, avant de sortir de la pièce, sans une parole de plus.

Raphaël se retrouva ainsi seul, à nouveau.

Il en profita pour visiter les lieux. Il zigzaguait entre les meubles, tentait de se faire le plus discret possible. En vain.

Il ne vit pas les piles de feuilles regroupées par de maigres trombones qui traînaient là, et tomba au sol dans un vacarme à en réveiller les morts. Par chance, cela n'alerta pas la jeune femme, qui ne vint pas à sa rencontre pour le menacer encore une fois.

Il voulut remettre les dossiers ensemble, lorsque plusieurs mots s'échappèrent des feuilles noircies de textes. Il discerna entre autres Fantôme R, disparition, et meurtre. Cela eut un effet foudroyant sur Raphaël, qui s'empressa d'ouvrir les dossiers et de les éplucher.

Des rapports de police, sur lesquels étaient apposées les signatures des divers inspecteurs s'en étant chargés. Les dates variaient, et s'étendaient sur une quinzaine d'années. Et puis il reconnut deux noms sur une feuille parmi tant d'autres. Paul Vergier et Carole Combes. À propos du meurtre de Marie.

À la lecture du contenu de ce rapport, son esprit fut parcouru de flashs ressassant ses souvenirs de l'événement. Il les revivait comme à l'instant même, avec toute l'intensité de la réalité qui le frappait.

Il en éplucha d'autres. Il était à plusieurs reprises question de meurtres, dont les victimes étaient assez souvent lui ou Marie –parfois les deux. Aucun mot ne pouvait décrire la confusion et l'incompréhension qui régnaient dans ses pensées. C'était trop bien fait pour être faux.

Tout s'accéléra lorsqu'il tomba sur diverses annonces de disparitions, de recherches, et d'appels aux témoins. La plupart d'entre elles avait été écrite à la main, et il reconnut sans mal son écriture sur une certaine partie. L'autre moitié des annonces avait été rédigée par la police, certainement.

Ces annonces décrivaient toutes la même personne. Tantôt une enfant, tantôt une jeune femme d'un peu moins de la vingtaine, aux cheveux rouges brûlants et aux yeux bleus brillants. Pour certaines annonces, des portraits robots avaient pu être faits et joints. Et malgré les époques auxquelles ces annonces avaient été publiées, elles faisaient toutes référence à cette fille chez qui il était, qu'il aurait apparemment autant recherché que la police.

À quelques reprises, les feuilles étaient barrées. Des pans de texte ou bien des paragraphes entiers noircis, dissimulant des yeux le nom de la personne recherchée.

Et tout cela portait son écriture. Il n'en avait pas le moindre souvenir de les avoir écrits !

Des sueurs froides coulèrent dans sa nuque. Cela ne présageait rien de bon.

Alors qu'il entassait les dossiers avec précipitation, une enveloppe s'échappa du lot. La curiosité le poussa à l'ouvrir ; son visage devint livide à la lecture du contenu.

C'était un rapport d'analyse, une analyse réclamée par la police, et tout particulièrement par Vergier. Sur les lieux d'un vol que Fantôme R avait commis avaient été retrouvées diverses traces de son ADN. Et parallèlement à cela, leur suspect numéro un quant à la véritable identité du voleur avait été arrêté. Une adolescente qu'il ne connaissait que trop bien. Elle était partout.

Selon ses dires, la fille pouvait prévoir les lieux d'apparition du criminel. Suspectée d'être Fantôme R, on avait réclamé à procéder à un contrôle d'identité. Et elle n'avait jamais accepté de donner son nom.

En comparant les traces de Fantôme R aux prélèvements qu'ils avaient exécutés sur elle, les agents de la police scientifique avaient pu innocenter cette fille. Mais les analyses avaient aussi montré qu'elle était très proche, génétiquement parlant, de lui. Trop proche.

Qui était cette fille ?

C'en était trop. Il glissa la feuille entre deux autres dossiers sans lire le peu de texte qu'il lui restait.

« Je vois que tu as tout trouvé... »

Il lâcha tout, et fit face à la voix, à elle. Elle se tenait dans l'encadrement d'une porte, les bras croisés, le visage baissé.

« Tu dois avoir une idée quant à qui je suis, n'est-ce pas ?

– Je ne suis pas sûr de comprendre. »

Elle haussa un sourcil.

« Je me souviens de quelques uns de ces événements, mais pas d'autres.

– Tu as dû les oublier. Normal. »

Elle haussa les épaules.

« La mémoire humaine est bien étrange, après tout. »

Elle s'approcha de lui rapidement, et lui arracha les feuilles des mains. Elle sortit un briquet d'une poche de son jean et y mit le feu, avant de jeter le tout dans une corbeille métallique. Sans la moindre parole.

« Qu'est-ce que ça voulait dire... ? »

Elle le regarda avec dédain, sans répondre.

« Tout ça, ça n'a aucun sens ! s'écria Raphaël.

– Parce que tu ne penses pas dans le bon sens. »

Elle croisa à nouveau les bras. Elle optait toujours pour une position défensive. Elle attendait évidemment quelque chose. Mais quoi ?

« Tu te souviens de la fois où ta copine était morte, où tu t'es retrouvé à l'hôpital, où je t'en ai sorti, avant de te ramener à quelques instants avant sa mort. Et pourtant, ça ne s'est jamais passé. »

Il sentit son regard bleu le transpercer. Elle ne plaisantait vraiment pas.

« Ta mémoire montre un paradoxe. Et pas n'importe quel type de paradoxe. »

Elle marqua une pause, fit durer le suspense.

« Un paradoxe temporel.

– Impossible. On ne peut pas voyager dans le temps ! »

Raphaël se surprit lui-même par l'assurance qui émanait de sa voix.

« En es-tu bien sûr ? »

Elle s'approcha de lui, et le défia du regard.

« Alors comment expliques-tu ce qui t'est arrivé ces derniers jours ?

– Je... je ne sais pas » bredouilla-t-il.

Elle ne retint pas un petit rire moqueur et sifflant.

« En même temps, qu'est-ce que tu sais ? »

Elle prit un air intimidant, et avança vers lui, le forçant à reculer à l'aveugle, avant de heurter le mur. Elle le bloqua en plaquant sa main gauche sur son sternum, et lui glissa le canon froid de son revolver contre la tempe gauche, dans un silence pesant.

« Si tu veux la vie sauve, montre-moi que tu sais qui je suis. »

Il déglutit. Des sueurs froides coulaient le long de son visage.

Il n'avait presque plus peur de la mort, au final. Il avait l'impression qu'à chaque fois qu'il mourrait, il revivrait encore et encore selon la volonté de la jeune femme.

Un sourire sadique illuminait son visage, qu'il n'avait jamais vu aussi radieux.

Il voulut répondre, articuler quelque chose, lui dire qu'il ignorait son prénom, qu'il voulait le savoir, mais c'était stupide car elle allait certainement le tuer encore et il allait encore se réveiller dans un endroit inconnu avec la douleur et la peur sans comprendre ce qui était arrivé même avec le peu d'explications qu'elle lui avait fourni il n'allait pas réaliser qu'elle l'avait encore manipulé après tout elle l'avait entraîné dans une longue histoire alors qu'il n'en avait aucun lien mais––

Un déclic.

Un soudain déclic.

Il avait croisé son regard un bref instant.

Et ça avait été la révélation.

Il savait quel était son prénom.

« Parle, avant que je ne m'impatiente » grogna-t-elle en pressant légèrement la détente.

Il inspira un grand coup.

« Ne me tue pas » supplia-t-il.

Elle sembla ne pas apprécier cette maigre réponse, puisqu'elle appuya encore plus sur la gâchette de son revolver.

Elle était à quelques millimètres de déclencher le coup de feu.

« Je t'en prie... »

Ses jambes l'abandonnaient. Il commençait à glisser.

Il détourna le regard. Il savait qu'elle allait tout de même tirer.

« Je t'en supplie, ne tire pas, Hélène ! »

*

Il faisait froid.

En même temps, pieds nus sur un carrelage, comment voulait-elle ne pas avoir froid ?

À travers la maigre ouverture de la porte, elle pouvait distinguer un rayon de lumière. Elle savait qu'elle n'avait pas le droit d'être là. Et pourtant, elle voulait savoir ce qui se disait

Sitôt que leurs invités furent arrivés, son tuteur lui avait ordonné d'aller se coucher.

Mais elle voulait savoir.

Trois silhouettes se détachaient de la lumière. Elle reconnaissait celle de son tuteur ; grand maigre, sec et fragile. Il restait debout alors que les deux autres hommes étaient installés dans le canapé. L'un d'eux sirotait tranquillement un verre d'alcool. Il semblait bien plus détendu que son camarade, un homme crispé qui jetait des regards tout autour de lui.

« J'espère qu'on ne te dérange pas, sourit le premier homme en avalant une gorgée.

– Non, pas du tout » répondit simplement son tuteur.

Son ton était neutre, il en avait presque l'air absent.

« Il fallait qu'on parle du projet » reprit le premier individu de sa voix grave.

L'enfant avait noté l'insistance sur son dernier mot. Cela piqua encore plus sa curiosité.

« Je fais tout mon possible, souffla son tuteur, mais...

– Il faut se débarrasser de l'enfant. »

La voix du troisième homme, qui jusque là était resté muet, avait complètement étouffé celle du tuteur de la petite fille.

« Ce gosse te préoccupe plus qu'autre chose ! On en a pas besoin ! » rajouta-t-il d'une voix puissante.

Son tuteur n'osa pas répliquer. Il avait simplement baissé la tête.

« Il faut que tu t'en débarrasses au plus vite !

– Et si elle nous servait à quelque chose, plutôt ? »

Elle trembla. Ils parlaient d'elle !

« On peut peut-être voir ça. »

La première grosse voix avait clos le débat dans un semblant de satisfaction.

L'enfant frissonna. Elle devait partir.

« Mais qui est-elle au juste ? reprit l'homme. Tu ne nous as jamais dit que tu avais une fille.

– Ce n'est pas ma fille. J'ai promis à ses parents que je m'occuperais d'elle lorsqu'ils ne le pourraient pas.

– Et quel âge a-t-elle ?

– Quatre ans et demie. Bientôt cinq.

– Je vois. »

Il reprit quelques gorgées de sa boisson.

« Un enfant passerait inaperçu.

– Et si jamais elle ne fait pas correctement le boulot, elle peut facilement disparaître » renchérit le second invité d'un ton sadique.

C'en était trop.

L'enfant se dépêcha de se redresser, avant de prendre la direction de sa chambre. Elle avançait dans un silence parfait. Jusqu'à ce qu'un tapis jeté là et dissimulé dans l'ombre de la nuit la fît glisser. Le bruit de sa chute au sol retentit jusque dans le salon, suivi par un petit cri de douleur qu'elle n'avait pu réprimer.

Avant même qu'elle ne pût se relever, son tuteur était apparu face à elle. Elle n'osa pas le regarder dans les yeux. Elle savait qu'il allait la punir.

« Qu'est-ce qu'elle fait là !? vociféra l'homme crispé en la voyant.

– Elle avait soif, répondit immédiatement son tuteur. La cuisine est après le salon. »

Il la souleva, et la remit debout.

« Est-ce que ça va ? Tu as mal quelque part ? »

Elle baissa la tête, et la secoua de droite à gauche. Des larmes commençaient à lui venir aux yeux, elle imaginait déjà ce qu'ils allaient lui faire.

« Alors pourquoi tu pleures ? » demanda-t-il doucement en s'agenouillant à sa hauteur.

Elle haussa les épaules. Avant de fondre en larmes.

« Je l'avais bien dit, elle sert à ri– »

L'homme à la voix grave avait bousculé son camarade afin de le faire taire, ce qui ne lui avait visiblement pas amélioré l'humeur.

« Viens là ma chérie, souffla son tuteur en la prenant dans les bras, en gardant son genou appuyé au sol. Tout va bien se passer. »

Elle étouffa quelques sanglots contre le torse réconfortant de son protecteur, qui lui caressait tendrement les cheveux. Elle avait si peur ! Son pauvre petit corps en tremblait.

« Va te coucher, ma petite... ?

– Hélène. »

L'homme à la voix grave observa son tuteur, qui avait prestement répondu. L'enfant sortit une tête effrayée des bras de l'adulte.

« Ma petite Hélène, tu dois aller te coucher. Les enfants doivent dormir à cette heure-là. »

Il posa un genou à terre, se mit à sa hauteur.

« Nous allons nous en aller, d'accord ? »

Elle acquiesça. Son tuteur lui caressa la joue, essuyant les dernières traces de ses larmes dans un geste réconfortant.

« On se reverra bientôt, je pense » souffla l'homme dans un sourire.

Il se redressa, et alla chercher sa veste. L'autre individu en fit de même, non sans cacher son mécontentement face à leur discussion écourtée.

« Attends-moi là, je les raccompagne, d'accord ? »

Elle hocha de la tête, encore, et le regarda s'éloigner. Quelques instants après, il revint vers elle. Il la souleva, et la porta jusque dans son lit.

« Ça va aller. Ils ne le pensaient pas quand ils parlaient de t'abandonner, murmura-t-il d'un ton qui se voulait le plus confiant possible.

– Tu en es sûr ? demanda-t-elle d'une petite voix, tétanisée à l'idée d'être seule et perdue.

– J'ai promis que je m'occuperais de toi. Tu le sais bien. »

Elle esquissa un sourire timide.

Il lui sourit en retour.

« Viens me voir si tu as besoin d'aide, d'accord ? »

Elle secoua la tête, de bas en haut.

« Bonne nuit, Hélène » souffla-t-il en éteignant les lumières alors que la petite fille s'endormait paisiblement.


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