Quatorze Juillet

Chapitre 14 : - Partie I ~ Chrysanthème - - Chapitre XIV -

2556 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:13

- Chapitre XIV -

L'apparition –ou bien était-ce la réalité ?– s'avança vers lui, avec autant d'incompréhension qu'il était possible.

« Raphaël ? Qu'est-ce que tu fais là ? »

Il se releva, sans la lâcher des yeux. De la poussière et de la terre salissaient ses vêtements et ses cheveux. Il ne prit pas le temps de s'épousseter, et se jeta sur elle. Il la serra contre lui, presque trop fort. Elle laissa s’échapper un petit cri de surprise, ne comprenant pas la raison d'une telle étreinte.

« Oh mon Dieu, Marie, tu m'as tellement manqué ! » souffla-t-il, les sentiments se bousculant dans tout son être.

Elle se dégagea de ses bras, reculant ainsi de quelque peu.

« Raphaël, on s'est vus hier matin pour la dernière fois, et–

– Quel jour on est ? » coupa-t-il, affolé.

Marie le regarda avec inquiétude. Qu'est-ce qui s'était passé pour que Raphaël se montrât aussi différent de son habitude ?

« Le douze, murmura-t-elle tout de même.

– Incroyable... »

Il regarda autour de lui, le visage illuminé par l'émerveillement, tel un enfant que l'on emmenait à Disneyland pour la première fois, pour peu qu'il en aimât l'univers fantastique. Il retint un petit rire nerveux, qui se mua en un instant en un fou rire joyeux. Ses éclats de voix résonnaient dans le coin d'ordinaire calme du jardin. Ses côtes lui faisaient mal tellement il riait ; il ne contrôlait plus les spasmes qui le parcouraient.

« C'est fantastique, fit-il une fois la crise passée. Juste fantastique.

– De quoi tu parles ? » demanda-t-elle en gardant le sourire, intriguée par l'humeur de son ami.

Il la regarda tendrement. Jamais entendre le son de sa voix n'avait été aussi agréable. Il se rapprocha d'elle et la prit par la taille.

« On est les maîtres de notre destin, s'exclama-t-il en la faisant tournoyer dans les airs. L'avenir nous appartient ! »

Marie ne retint pas le rire amusé qui naissait au fond de sa gorge, et ses éclats de joie tintèrent doucement entre les parterres de fleurs. Le vent soufflait dans ses cheveux, faisant ainsi s'entremêler les nombreux fils dorés qui cascadaient autour de son visage. Elle laissa ses mains glisser sur les épaules de Raphaël tandis qu'il la reposait au sol, la faisant retoucher terre avec grâce.

Elle leva les yeux vers lui. Elle ne comprenait pas ce changement qui s'opérait chez lui ; il devenait incertain de ses souvenirs, et semblait même parfois ne se souvenir de rien. Mais lorsqu'elle le voyait tel qu'il se présentait face à elle en cet instant, elle sentait en elle le désir de lui vouer une confiance aveugle, et de tout lui donner.

Il l'attira vers lui, elle glissa ses bras le long des épaules du rouquin, derrière son cou, et approcha son visage, savourant ainsi ce doux baiser qu'il lui offrait. Elle sentit ses mains glisser le long de sa taille, de ses hanches. Elle ne protesta pas, bien que l'idée que sa mère où qu'un domestique ne la trouvât dans cette situation la gênait terriblement.

« Marie, je ne te laisserai plus jamais seule, murmura-t-il dans le creux de son oreille.

– Merci » répondit-elle dans un souffle à peine audible, heureuse de partager cet instant à ses côtés.

Il lui prit la main, et l'invita à s'asseoir sur un banc voisin. Ce qu'il venait de vivre était incroyable. Il devait lui raconter !

Mais par où commencer ?

« Il y a quelques jours, commença-t-il, j'ai commencé à avoir des hallucinations. Et en réalité– »

Un cri de terreur leur parvint. Un hurlement strident qui glaçait le sang. Un timbre de voix effrayant, le même que celui du parc qu'ils avaient entendu, des jours auparavant. Mais cette fois-ci, il exprimait une douleur stridente, dont la simple écoute laissait transparaître la souffrance que ressentait la victime. Marie se serra contre lui. Des souvenirs peu plaisants se rejouaient dans sa mémoire sans qu'elle ne comprît pourquoi.

Raphaël s'élança en premier en direction de l'origine du cri. Elle le suivit, en essayant de chasser les fantômes de sa mémoire. Elle ne de concentra plus que sur l'instant présent. Longeant les hautes haies du jardin, elle voyait son ami qui cherchait du regard la personne à l'origine de cet appel au secours, ses sens en alerte. Puis il se stoppa soudainement, au coin d'un parterre de fleurs. Marie manqua de le percuter. Elle voulut l'interroger quant à la raison de ce violent arrêt, mais se ravisant en comprenant qu'elle avait sa réponse sous les yeux. Le long d'un petit chemin serpentait un filet de sang, menant à un individu qu'il connaissait bien.

Recroquevillée sur elle-même, l'adolescente aux cheveux roux leur apparut tel un animal sylvestre blessé par un quelconque chasseur. Son visage était dissimulé sous ses longs cheveux salis par la poussière, mais ils devinaient aisément ses traits déformés par la douleur, alors qu'elle se repliait de plus belle contre ses genoux.

Raphaël recula. Il tenta de déterminer l'origine de sa blessure, ainsi que sa nature, mais il ne voyait rien. Valait-il mieux pour lui –pour eux– la laisser mourir en cet endroit ?

Non, c'était de la non-assistance à une personne en danger. Et même. Il ne pouvait décemment pas la laisser comme ça...

« Tiens bon ! » cria Marie en se précipitant vers elle.

Elle tomba à genoux aux côtés de la souffrante, et la fit basculer sur le côté. La rouquine retint des gémissements de douleur, alors que l'adolescente la faisait se coucher de tout son long au sol. Elle hoqueta en voyant l'immense tâche de sang qui s'était étendue sur la chemise blanche de la jeune fille, mais aussi étrangement sur tout son poignet et sa manche gauche.

Elle ouvrit difficilement les yeux, et planta son regard dans celui de Marie. Un sourire triste se dessina sur ses lèvres. Elle articula difficilement un maigre "merci", que Raphaël put à peine entendre.

Malgré les signaux que lui envoyait son amie, il ne pouvait se résoudre à venir en aide à la blessée. Il était incapable de décroiser ses bras, et de s'avancer, comme si son corps, se souvenant de ce qu'elle lui avait fait subir, refusait de lui obéir.

« Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda la jeune fille en cherchant la moindre trace de blessure sur le corps.

– Ce n'est rien, souffla la rouquine. Laisse-moi du temps...

– Tu peux te lever ? »

Elle acquiesça doucement, avant de se redresser, quelque peu aidée par l'adolescente.

Elle tourna soudainement la tête vers le ciel, les sens en alerte. Un coup de tonnerre retentit, suivi d'un éclair. Et aussi rapidement que l'éclair était apparu, une pluie raide se mit à tomber. Les trois adolescents se retrouvèrent rapidement trempés jusqu'aux os, surpris par l'averse violente qu'ils n'avaient pas vue se préparer au-dessus de leurs têtes.

Raphaël regarda autour d'eux, cherchant le manoir du regard à travers l'épais voile d'eau qui se dressait autour de lui. Il ôta rapidement ses lunettes ; la pluie frappait contre les maigres verres, et lui brouillait la vue.

Lorsqu'il se retourna, en direction de Marie et de l'autre, il ne les vit pas. Elles s'étaient volatilisées.

« Reviens ! Il faut aller s'abriter le temps que ça passe ! » criait la jeune blonde, espérant que sa voix pût percer le brouhaha des millions de gouttes qui s'écrasaient autour d'elle.

La blessée s'était violemment dégagée des bras de Marie alors qu'elle l'aidait à se tenir debout, avant de s'enfuir dans le brouillard de gouttes. Elle s'était enfuie, et avait disparu de sa vue, son ombre prenant part à celle de l'averse.

«Reviens !! Ne reste pas seule là-dedans... »

Un violent tremblement la prit. La température était basse, et le froid de l'eau qui imprégnait son corps n'arrangeait rien. Oh, elle aurait tout donné pour rentrer et se poster au chaud...

« Je t'en prie... Reviens... »

Sa voix se perdit dans le bruit assourdissant de la pluie. Des larmes montèrent au bord de ses yeux sans qu'elle ne comprît pourquoi. Pourquoi, en effet. Elle ne connaissait pas cette fille, elle ignorait complètement tout d'elle. Alors pourquoi s'en inquiéter ?

Elle se dirigea vers le semblant de lumière aux rayons brouillés par les trombes d'eau. Le manoir, bien qu'imposant, lui offrait un sentiment de sécurité qui la rassurait, et la poussait à s'y rendre. Elle avança à tâtons, avec hésitation, se faisant violence pour ne pas renoncer face aux éléments qui se déchaînaient.

Quelque chose vint soudainement la percuter, et la plaqua violemment au sol, lui coupant la respiration pendant un court instant. Elle dévisagea avec effroi l'adolescente aux cheveux rouges qui la maintenait au sol, la pluie ruisselant sur tout son corps, et la maigre lumière grisâtre se reflétant sur le couteau qu'elle tenait entre ses doigts. Un sourire carnassier s'affichait sur ses lèvres que le froid avait rendues violettes. Une lueur assassine brillait dans son regard, qui n'inspirait aucune émotion plus puissante que la crainte de la mort.

Marie voulut hurler. Elle ne s'entendit pas. Sa gorge bloquait les sons. Ses cris étaient muets.

« Ça serait dommage que tes cris le ramènent jusqu'à nous, non ? se moqua son bourreau. Tu n'aurais pas envie que je bâcle le travail... »

Elle fit glisser lentement et légèrement la lame sur la gorge de la jeune blonde, qui se retint de respirer. Son cœur battait à se rompre. À quoi jouait-elle !?

« C'est dommage, un si joli minois, tu aurais pu mener une vie de conquêtes... quel ennui que ça s'achève déjà. »

Marie ferma les yeux. Elle se prépara à sentir la douleur fulgurante lui traverser le corps, la peau, les veines. Elle se représentait déjà le stimuli atroce lui déchirer son âme. Y aurait-il une place pour elle au Paradis qui pût lui faire oublier cette torture ?

« T'es pas drôle. »

Elle risqua un coup d’œil. La fille avait rengainé le couteau, et s'était levée. Les bras croisés, elle la regardait sans exprimer d'autre émotion qu'une forte déception.

« Pourquoi ? bredouilla Marie en tentant de se relever.

– Tu veux pas savoir. »

Elle ne vint pas lui tendre une main amicale, et encore moins s'excuser de son attitude. Au contraire, elle en vint même à la dévisager avec deux fois plus de mépris. Marie nota que le sol inondé s'était changé par endroits en une boue brunâtre, qui n'avait nullement sali les vêtements de la rouquine, contrairement aux siens.

Un ange passa, alors que la jeune blonde interrogeait l'autre du regard. Elle restait stoïque, les bras croisés, telle une statue.

« Qui es-tu ? interrogea-t-elle finalement.

– Celle qui va te détruire ta misérable vie » répondit-elle en un feulement bestial.

La jeune fille eut un mouvement de recul en entrevoyant l'éclat brillant du couteau qui dépassait de sa cachette, près de la hanche de la rouquine. Cette dernière s'approcha à grands pas de l'adolescente, et en un bond agile, vint la saisir à la gorge. Ses deux mains glacées enserraient le cou fin de Marie, qui tentait de la faire lâcher en la griffant. Mais la pluie battante rendait ses doigts glissants, et ses ongles n'écorchaient aucunement la peau de son assaillant.

Douleur, suffocation.

Elle sentait déjà l'air lui manquer, et la douleur l'envahir, encore. La fille avait une force considérable, et parvenait presque à la soulever, rendant le supplice encore plus dur.

Une voix l'atteignit. Une tonalité particulière et réconfortante. Elle se rapprochait, lentement...

Les bras de la blonde tombèrent subitement, telle une marionnette dont on avait coupé les fils. Elle n'offrait plus la moindre résistance, elle avait sombré.

Alors qu'il courrait dans sa direction, Raphaël vit la rouquine lâcher Marie, qui s'écroula au sol, inerte, comme un objet jetable dont elle se séparait maintenant qu'elle avait fini de jouer.

« Tu m'avais dit que tu avais besoin d'elle vivante ! hurla-t-il en se précipitant vers elle, dans l'espoir de lui envoyer une droite emplie de rage.

– Je n'ai jamais dit ça. J'ai juste dit que j'avais merdé. »

Comment osait-elle parler de Marie ainsi !? Elle n'était pas un objet, elle était une personne, on ne pouvait pas se permettre de la torturer et de la tuer indéfiniment !

Le coup partit tout seul. Raphaël se jeta sur elle, la haine dirigeant son corps.

Contre toute attente, elle lui saisit le bras, pivota, et le lui bloqua dans le dos, le rendant incapable de se débattre, le tout en une fraction de seconde. Elle n'hésita pas à remonter son coude, lui provoquant une douleur fulgurante dans l'épaule.

« Fais-toi une raison, elle est inutile. »

Sa voix avait paru presque effacée. Il sentait son étreinte se libérer lentement.

« Elle est encore vivante, lança-t-elle en le libérant complètement. Juste évanouie. »

Il tomba à genoux aux côtés de Marie, et se pencha vers son visage. Il parvint à entendre un infime souffle au-delà du bruit de la pluie. Une bouffée d'espoir l'envahit, et il commença un massage cardiaque quelque peu hésitant.

La rouquine le poussa violemment, dans un accès de rage, et prit sa place, avant de réaliser, sûre d'elle, les gestes de premier secours.

« Tu vas la tuer, laisse-moi faire » grogna-t-elle en croisant les poings et en pressant à plusieurs reprises sur le thorax de l'adolescente.

Il assista impuissant, et sans comprendre, à ce sauvetage impromptu.

Comment pouvait-on expliquer son changement aussi radical de comportement ? Ce pouvait-il qu'elle eût quelques problème de bipolarité ? Non, ce n'était pas ça... Mais alors, quelle folie l'habitait pour qu'elle changeât d'avis aussi subitement ?

« ... pas maintenant... »

Il entendait la rouquine murmurer entre deux pulsations, alors que Marie reprenait une teinte vivante.

Elle reprit pleinement vie dans une longue inspiration en hoquetant, mêlée à de l'effroi lorsqu'elle remarqua le visage de l’adolescente juste à côté d’elle. Celle-ci s'avança vers elle, et lui tendit la main.

« Tout va bien, souffla-t-elle, c'est fini. »

Marie jeta un coup d’œil en direction de Raphaël, afin de savoir comment réagir face à cela. Il affichait un air consterné, presque mauvais. Il doutait de la fiabilité de la rouquine, c'était indéniable. Seulement, la crainte de ses ripostes violentes l'empêchait d'agir.

Contre toutes les attentes de l'adolescent, la jeune fille glissa sa main le long de l'avant bras tendu, et le saisit. L'autre fit de même, et l'aida de par cette poigne à se remettre debout.

« Rentrons » proposa Raphaël en s'interposant entre elles, et en serrant les mains gelées et tremblantes de Marie.

L'étrangère ne broncha pas, elle les laissa s'éloigner sans un mot. Elle les regarda entrer dans le manoir, puis s'en alla de l'autre côté. Elle escalada une des grilles du jardin, et disparut dans la pluie.


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